Je jette un énième coup d’œil au réveil posé sur la table de nuit. Il est quatre heures du matin et je n’arrive toujours pas à dormir. Allongée sur le dos, j’observe le plafond de la chambre. C’est la seconde fois depuis le début de notre séjour ici.
A côté de moi, Eleanore dort paisiblement. Son petit poing est fermé autour d’un bout de l’immense t-shirt blanc que je porte. Je souris.
A l’extérieur la nature s’est calmée, je n’entends plus le vent qui a soufflé fortement il y a encore quelques heures. C’est le calme après la tempête !
Je ferme les yeux et tente d’appliquer les méthodes de relaxation apprises pendant mes cours de préparation à l’accouchement. Je visualise un souvenir qui m’apaise et me laisse emporter par celui-ci. C’est Eleanore qui découvre la mer pour la toute première fois à un an. Elle avance vers l’eau lorsque les vagues s’éloignent et titube vers moi pour se cacher entre mes jambes lorsqu’elles se rapprochent. Je dépose une main apaisante sur le haut de sa tête avant de la prendre dans mes bras et la serrer contre moi.
Les yeux toujours fermés, j’ai vraiment l’impression d’être là-bas. Je sens l’odeur de la mer, la sensation agréable du sable chaud sous mes pieds, j’entends le bruit des vagues. C’est un agréable souvenir qui calme mon esprit et éloigne les pensées parasites.
Après tout, ma nuit n’est peut-être pas totalement perdue !
Dans l’idéal, je voudrais être suffisamment en forme pour prendre la route du retour ce midi. Les routes de ce comté d’Écosse sont tellement difficiles, que je préfère avoir les yeux en face des trous.
Par contre, je ne sais toujours pas si nous allons ou non rejoindre Angie sur sa tournée américaine. Le destin m’a tellement pris par surprise que tout se mélange dans ma tête. Moi qui suis zen la plupart du temps, je me retrouve complètement angoissée pour notre avenir.
La fatigue gagne doucement le combat contre mon esprit. Je me laisse bercer par la douce chaleur réconfortante du sommeil lorsqu’un bruit me fait ouvrir les yeux. Quelqu’un frappe légèrement à la porte de la chambre.
Les battements de mon cœur sont plus rapides. Je soupire car je connais déjà l’identité de ce visiteur.
« Tu n’as pas vraiment le choix petite ! », baille ma conscience à moitié endormie dans son lit.
Elle a totalement raison. Je ne peux rien y faire, et ce n’est pas dans mes habitudes de me dérober. Alors, je sors doucement mes jambes du lit. Sur la pointe des pieds, je m’avance dans la pièce.
« C’est le moment de se montrer forte », je pense pendant que mon cœur cogne très fort dans ma poitrine.
J’ouvre la porte.
Les mains dans les poches avant de son jean, Alexander lève ses yeux verts vers moi. Il porte une chemise de bûcheron bleue au-dessus d’un t-shirt de la même couleur, un jean brut et des Converse.
Il hésite à parler. Je le vois à sa bouche qu’il ouvre à plusieurs reprises avant de pincer les lèvres.
Il se passe encore et encore la main dans les cheveux en me détaillant.
Je suis mal à l’aise dans cette tenue complètement informe. Je ne me sens pas de taille à l’affronter.
J’attrape mon peignoir sur le portemanteau près de la porte et le passe rapidement. Cela fera l’affaire pour cette fois-ci.
Comme il ne semble pas décidé à parler, je murmure doucement :
— Alexander.
Ses yeux rencontrent les miens. La tempête fait rage dans son regard. Je frisonne.
— Désolé de te réveiller, il chuchote à son tour le plus bas possible pour ne pas réveiller notre fille qui dort paisiblement. Je…
Il rougit légèrement, baisse les yeux, gratte le côté de sa chaussure droite sur le sol et ajoute timidement :
— je voulais lui dire au revoir avant de prendre la route.
Malgré cette situation angoissante, je fonds complètement.
— Bien sûr.
Je me décale vers la droite pour le laisser entrer et ferme la porte.
Sans bruit, il s’approche du lit.
Pendant quelques secondes, il l’observe avec tendresse avant de s’accroupir à ses côtés. Malgré la situation nouvelle, il y a beaucoup de douceur dans son regard.
A côté de la porte, je l’observe. Je n’ose pas bouger. Je tente de me faire la plus petite possible pour lui laisser cet instant.
Au moment où je le vois hésiter à déposer un baiser sur le front de notre fille, je me retiens de lui dire qu’il peut y aller. Eleanore a un sommeil de plomb.
Finalement, au bout de quelques secondes, il dépose ses lèvres sur son front et murmure quelque chose que je ne comprends pas.
Eleanore bouge dans son sommeil.
Doucement, il se relève, lui jette un dernier regard avant de se diriger vers moi.
— Merci, dit-il sans me regarder.
J’ai envie de lui demander s’il a pris une décision. Je n’ose pas. Je me contente de regarder le sol et mes pieds nus. Je sens le regard de Alexander posé sur moi.
« Dis quelque chose », insiste ma conscience.
Mais quoi ? Que puis-je bien lui raconter ?
Je sursaute lorsque j’entends la porte se fermer. J’ai trop attendu !
Il vient de quitter la chambre, et je ne sais toujours pas ce qu’il compte faire.
Pour une fois, je ne prends pas le temps de réfléchir, je sors de la chambre le plus silencieusement possible.
Dans le couloir, je commence à courir. Je me dirige directement vers la gauche. Je sais que sa chambre se trouve par-là, juste à côté de celle de Tom.
Lorsque je le vois, il est au fond du second couloir, près des escaliers.
— Alexander, attend s’il te plaît.
Je cours vers lui sans me soucier du bruit que je peux faire à cette heure. J’ai besoin de savoir.
Je suis presque à ses côtés lorsqu’il se stoppe, et se tourne vers moi. Surpris, il écarquille les yeux.
Lorsque j’arrive à ses côtés, je reprends mon souffle avant de murmurer :
— Je...je voulais savoir si tu avais pris une décision, je demande en scrutant son regard pour y trouver un indice.
Je dois avoir une tête de folle avec mes cheveux en bataille. Pendant ma course, plusieurs mèches se sont échappées de mon élastique. Je bouge mes orteils sur le parquet froid pour cacher mon embarras.
Alexander m’observe sans rien dire. Ses yeux détaillent encore et encore mon visage. Il sourit lorsque pour dégager une mèche de cheveux de mon front, je souffle vers le haut. La mèche bouge à peine et moi, je suis ridicule.
Je retiens mon souffle lorsqu’il s’approche de moi. Très lentement son index, caresse doucement mon front lorsqu’il bouge la mèche qui me dérange et la place derrière mon oreille. Au lieu d’enlever sa main, il la glisse doucement dans ma nuque et se rapproche plus de moi.
Je n’ose pas lever les yeux vers lui, j’ai peur de me perdre. Mon cœur bat rapidement. Trop rapidement. Mes jambes tremblent.
J’ai l’impression que l’orage va éclater d’un instant à l’autre. L’air est devenu électrique.
Doucement, il me caresse le bras de sa main libre et finit par la loger dans le creux de mon cou. Une main de chaque côté de mon visage, le sien se rapproche dangereusement. Je sens son souffle chaud qui caresse ma peau.
Je sais qu’il va m’embrasser, et je ne fais rien pour l’arrêter.
Comme au ralenti sa bouche se rapproche de la mienne. Au moment où mon dos touche le mur derrière moi, je lève les yeux et rencontre son regard brûlant.
Je sursaute lorsque j’entends une porte s’ouvrir à quelques pas de nous. Alexander doit l’avoir entendu aussi car il se recule. Le souffle aussi court que le mien, il continue de m’observer avec envie.
— Je n’ai encore rien décidé, il souffle avant de tourner les talons et s’éloigner sans un mot.