Summary: 
Montage sur canva par mes soins
Une répétition pour le concert de Noël qui se termine sur un meurtre. La violoniste vedette a été tuée. A moins qu’il ne s’agisse de sa cousine. Et pourquoi parle-t-on d’explosions ou de vols de vélo ? Au final, il y a peut-être moins de secrets que prévu, sauf s’ils sont juste mieux cachés…
Un cas pour l’inspectrice Augustine Pinson.
Participation au Calendrier de l'Avent 2020
Categories: Whodunit,
Policier, Thriller, Espionnage,
Calendrier de l’avent Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Aucun
Challenges: Series: Plus d'un cas pour Augustine Pinson
Chapters: 24
Completed: Oui
Word count: 40248
Read: 123947
Published: 13/11/2020
Updated: 24/12/2020
Story Notes:
Bonjour à vous !
Voici mon Calendrier de l'Avent 2020 ! Une fois de plus, il s'agit d'un policier et d'une histoire suivie. C'est aussi le retour de l'inspectrice Augustine (mais pour ceux qui ont lu celui de 2018, cette histoire se passe bien avant).
Un grand merci aux Beiges qui rendent tout cela possible :hug:
1. 1 décembre : Le meurtre by Carminny
2. 2 décembre : Boum ! by Carminny
3. 3 décembre : Cousine by Carminny
4. 4 décembre : Le début de l'enquête by Carminny
5. 5 décembre : La paperasse des témoignages by Carminny
6. 6 décembre : Premier entretien by Carminny
7. 7 décembre : La suite by Carminny
8. 8 décembre : La suspecte trop occupée by Carminny
9. 9 décembre : Vélos volés by Carminny
10. 10 décembre : Le chapitre où il ne se passe rien by Carminny
11. 11 décembre : Il ne se passe toujours rien by Carminny
12. 12 décembre : Chef, liste et famille by Carminny
13. 13 décembre : Parents indignes by Carminny
14. 14 décembre : Quelle cousine ? by Carminny
15. 15 décembre : Explosion 2.0 by Carminny
16. 16 décembre : Le meilleur ami by Carminny
17. 17 décembre : Certains suspects sont plus bavards que d'autres by Carminny
18. 18 décembre : Une histoire de glace et d'arbres by Carminny
19. 19 décembre : Prends garde de choir, les chats le soir by Carminny
20. 20 décembre : Ces gens qui veulent absolument de l’attention by Carminny
21. 21 décembre : Beaucoup de réflexions en double by Carminny
22. 22 décembre : Et x est égal à… by Carminny
23. 23 décembre : Le chapitre inutile qui comble by Carminny
24. 24 décembre : La scène finale des aveux by Carminny
1 décembre : Le meurtre by Carminny
Author's Notes:
Alors, j'ai un thème par chapitre choisi au hasard par un générateur de mot sur internet et je vous avoue, je les suis plus ou moins (parfois plus, mais le plus souvent moins'^^). Ici ce sera manchot...
Bonne lecture !
Quand Augustine Pinson entra dans le respectable bâtiment qu’était l’opéra de la ville. Il ne pouvait pas nier son ancienneté ni son époque de construction baroque. De petits anges décoraient la façade et là où il n’y avait pas de figurines rondelettes avec des boucles et des ailes, des dentelles de pierre s’entrelaçaient et se propulsaient en hauteur. C’était pile le genre d’endroit où, dans un film, on allait trouver des tragédies et des drames romantiques. Cette fois-ci cependant c’était dans la réalité qu’une certaine Geneviève Croiset avait été assassinée à la fin d’une répétition de l’orchestre symphonique. Augustine espérait de tout cœur que ce n’était pas un drame romantique. Elle avait résolu suffisamment de meurtres passionnés ces derniers temps. Un joli meurtre de sang-froid bien planifié, voilà ce qui lui plairait.
La jeune inspectrice entra et se retrouva dans un grand hall qui semblait monter jusqu’au ciel. Un énorme lustre l’éclairait et elle fut éblouie quelques secondes. Puis elle distinguait l’impressionnant escalier en marbre au tapis rouge non moins impressionnant. Dans chaque coin trônait un sapin de Noël décoré avec de belles cloches dorées et des boules rouges.
– Bonjour, Mademoiselle Pinson, la salua un policier dont elle ne connaissait pas le nom. On vous attendait.
– Ah, Augustine, l’accueillit son collègue Philipe. Tu arrives enfin. J’imagine que c’est Léonard qui t’a retardé. Il avait l’air d’exploser de jalousie quand je l’ai vu passer dans le couloir.
Augustine lui adressa un petit sourire en haussant les épaules. Cela lui était égal qu’un autre inspecteur pense pouvoir mieux faire ou soit jaloux de son enquête. C’était l’inspecteur-en-chef qui les attribuait et elle s’occuper de celles qu’il lui confiait et c’était tout. Léonard Limos pouvait bien penser ce qu’il voulait. Elle savait qu’il pensait qu’elle ne valait pas grand-chose et peut-être même qu’il avait raison, mais l’inspecteur-en-chef Vangre n’était pas de cet avis et elle n’avait aucune intention de le décevoir. Le reste n’avait aucune importance. De toute manière, elle était seulement tardive car elle avait pris le soin de faire quelques vérifications qui lui semblaient importantes.
Elle suivit Philipe dans la salle de concert. Les lumières blanches n’avaient rien à voir avec l’atmosphère habituelle lors de concerts ou de représentations. Elles éclairaient la scène et la dizaine de personnes qui s’y trouvaient. Elle reconnut de loin son collègue Hugo avec ses boucles grises et ses lunettes argentées. Il s’entretenait avec un homme un peu plus jeune qui portait un incroyable costume en queue de pie. En fait, Augustine devait s’avouer qu’il la faisait penser à un manchot. Un ventre légèrement prépondérant blanc qui dépassait de sa veste à queue noire, un pantalon noir et des cheveux noirs plaqués avec du gel. Le chef d’orchestre, car cela devait être lui, était aussi blanc que sa chemise, seules ses oreilles avaient gardé son teint normal légèrement jaunâtre. Oui, il lui rappelait indéniablement les manchots au zoo.
– Ah, Monsieur Mancheau, voici l’inspectrice Pinson. Elle sera chargée de résoudre le crime.
Augustine réprima son envie d’éclater de rire et serra la main du chef d’orchestre avec une inclinaison polie de la tête. Son nom lui allait parfaitement mais elle s’imaginait bien comment il devait se sentir : très mal ou encore pire. Elle avait lu les messages de ses collègues qui avaient commencé à prendre les dépositions de tout le monde. La victime était Geneviève Croiset, premier violon soliste et nièce de Bénédicte Mancheau. Elle avait été retrouvée morte dans les toilettes après la répétition. Evidemment que le chef d’orchestre se sentait responsable. Augustine le regarda droit dans les yeux. Il avait déjà pleuré mais retenait maintenant fermement ses larmes. Il voulait paraître plus fort qu’il ne l’était pour montrer l’exemple aux membres de l’orchestre encore présents.
L’inspectrice hocha la tête puis chercha le regard de Hugo puisque Philipe l’avait lâchement abandonné pour retourner dans le hall. Le policier prit quelques-unes de ses feuilles et les lui passa.
– Tu veux certainement voir la scène du crime. Les toilettes en question sont celles en coulisse sous la scène. La plupart des musiciens est déjà partie, nous avons pris leurs dépositions. Les empruntes sont prises également et on a interrogé l’équipe de sécurité de l’opéra. Regarde ce que tu vois, hein.
Augustine acquiesça de la tête puis s’inclina légèrement en direction du chef d’orchestre. Elle se dirigea ensuite vers les coulisses que lui avait indiquées son collègue. Monsieur Mancheau devait maintenant poser la question que se posaient toutes les personnes qu’elle rencontrait pour la première fois.
– Non, elle ne parle pas, entendait-elle confirmer Hugo dans son dos. Mais je ne saurais pas vous dire pourquoi ou depuis quand. Personnellement en cinq ans qu’on travaille ensemble, je ne l’ai jamais entendu prononcer le moindre mot. Pas même un « aïe » quand elle se fait mal.
Au moins le chef d’orchestre pouvait à nouveau sourire grâce à elle. Augustine le sentait dans la nuque ce sourire plein d’incompréhension et de pitié. Un sourire triste qui reflétait autant la gêne que ressentaient les personnes quand ils étaient confrontés au handicap que le chagrin encore récent de quelqu’un proche d’une victime. Mais après tout elle y était habituée.
Elle s’engouffra dans les escaliers étroits. Quelle déception que le cadavre n’ait pas été trouvé en bas de ceux-ci, cela aurait été d’une simplicité déconcertante de déterminer tous ceux qui auraient pu pousser la victime dans ces marches. Comparée à l’immense tâche de savoir qui était dans le bâtiment, cela aurait été bien plus facile, mais elle aimait la difficulté alors ce n’était pas plus mal. D’ailleurs, qu’est-ce que Hugo avait bien pu lui donner comme feuilles ? Augustine s’arrêta au milieu du chemin et consulta les papiers.
Hugo avait fait la liste de toutes les personnes qui devaient être présentes au moment du crime. Cela dit sa liste mentionnait simplement « les musiciens de l’orchestre, chef d’orchestre, les membres de l’équipe de sécurité, le concierge, deux artisans qui repeignent un mur au sous-sol, et trois membres de famille comme public. » Ce n’était pas cela qui allait beaucoup l’aider mais les témoignages recueillis par les autres policiers devraient l’aider à compléter l’énumération. Pour une première approche, ce n’était pas si mal. La seconde feuille contenait la première analyse du médecin légiste qu’il avait fait avant même qu’ils aient déplacé le corps. Elle imaginait que c’était bien ce qu’ils avaient déjà fait à son grand malheur. La prochaine fois, elle devait être plus rapide pour trouver l’adresse sur le plan de la ville. Et peut-être qu’elle n’avait pas eu besoin de vérifier la disposition des musiciens ou même le plan de construction de l’opéra. Mais elle avait eu une impression sourde comme si cela allait être important. Elle n’avait pas voulu l’ignorer.
Des pas derrière elle la firent lever le regard sur le manchot, pardon, sur Monsieur Mancheau.
– Vous êtes encore ici ? Vous n’avez pas trouvé les toilettes ?
Augustine le regarda puis souleva les feuilles qu’elle avait en main. Mais il avait raison, elle avait voulu inspecter le lieu du crime. Il fallait qu’elle y aille alors, les papiers, elle pouvait toujours encore les lire une fois rentrée au poste, surtout qu’alors ses collègues lui auraient remis les premières dépositions. Elle sourit brièvement au chef d’orchestre puis se dirigea vers les toilettes, l’homme toujours sur ses pas. Était-il descendu exprès pour l’accompagner ? Pourquoi Hugo l’avait laissé faire ? Peut-être qu’il avait quelque chose à lui dire. Ou alors il était suspect. Vouloir suivre l’inspecteur était certainement suspect.
– Vous savez, Geneviève était ma nièce et la meilleure violoniste que j’ai jamais eu dans mon orchestre. Elle me manque déjà tellement !
Augustine s’arrêta devant la porte qui indiquait des toilettes mixtes et dévisagea l’homme aux cheveux noirs plaqués qui avait sorti un grand mouchoir en soie blanche. Pourquoi lui racontait-il cela ? Se rappelant des conseils de son ancien professeur, elle adoucit les traits de son visage et s’efforça de prendre une expression compatissante. Se voulant rassurante, elle posa une main sur son bras et le serra légèrement.
– Elle comptait tellement pour moi, je n’arrive pas à comprendre pourquoi quelqu’un aurait pu vouloir la tuer, sanglotait maintenant ouvertement Bénédicte Mancheau. Elle était parfaite, gentille et talentueuse. Tout le monde l’aimait…
Augustine plissa les yeux et essaya de voir la troisième feuille que lui avait confié Hugo. Comme elle commençait à s’en douter, il s’agissait des notes de son entretien avec le chef d’orchestre. « Il a vu le cadavre et a refusé sa mort jusqu’à notre arrivée. Il a été difficile à convaincre de s’en éloigner. Par contre, il pourra t’être utile parce qu’il s’agit de la personne la plus proche de la victime que nous avons pu trouver jusqu’à maintenant. C’est lui qui lui a offert son violon. Semble exagérer toutes ses réactions mais d’après le concierge et deux autres musiciens c’est toujours le cas. Sauf le cadavre, rien n’a été touché dans les toilettes. Pleurniche seulement jusqu’ici mais a aussi appelé les secours directement. »
Soupirant devant le peu d’informations que son collègue pourtant expérimenté avait réussi à tirer du manchot, l’inspectrice ouvrit la porte avec la clé confiée par Hugo et poussa doucement le chef d’orchestre pour entrer à sa suite. A l’intérieur des toilettes, la première chose qu’elle vit fut un violon…
End Notes:
Un commentaire ? Une supposition (oui déjà) ?
2 décembre : Boum ! by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Le thème d'aujourd'hui est violon. Maintenant vous savez d'où l'orchestre sort en réalité ^^
Bonne lecture !
Pourquoi y avait-il un violon dans les toilettes ? Et surtout, pourquoi n’y avait-il aucune mention de cela dans les papiers ? Alors oui, Augustine ne les avait pas regardés précisément mais c’était un élément important lors du meurtre d’une violoniste. Ses yeux parcouraient la pièce plutôt petite pour des toilettes derrière une scène. Il devait y en avoir d’autres plus loin. Le sol et une grande partie des murs étaient couverts d’un carrelage rosé, couleur reprise pour les portes des trois cabines. En face, deux lavabos se côtoyaient sous un grand miroir longitudinal. Le lavabo de gauche, plus près de la porte, était encore rempli d’eau légèrement sanglante. Des éclaboussures de sang étaient également visibles sur le miroir et sur le marbre blanc des lavabos. La trousse de maquillage ainsi que son contenu à moitié vidé portaient eux aussi des traces rougeâtres. Au total, c’était exactement comme on pouvait s’imaginer une scène de crime.
« Victime a été surprise par derrière, probablement pendant qu’elle se maquillait. Assommée contre l’évier puis noyée dans le lavabo. Heure de décès approximative : seize heures quinze plus ou moins une demi-heure. »
Augustine lança un regard à sa montre. Dix-huit trente. Elle pouvait donc supposer que l’heure était assez fiable, surtout quand l’autopsie la précisera dans un jour ou deux. D’après ce qu’elle avait déjà lu, la répétition avait été terminée à seize heures donc c’était tout à fait cohérent. Le sang qu’elle voyait ici avait déjà séché et le lavabo commençait aussi à se vider, la trace rouge sur le bord démontrait bien que le bouchon n’était pas parfaitement imperméable.
– C’est moi qui aie offert ce violon à Geneviève. Elle en prenait toujours le plus grand soin. C’est un Gliga, vous voyez ? Il est toujours aussi magnifique qu’au premier jour.
Non, Augustine ne voyait pas parce que les violons ne l’intéressaient pas. Mais ce n’était pas le plus important. Arrêtant d’un geste de main le chef d’orchestre qui voulait s’approcher de l’instrument, elle pencha la tête pour l’examiner. Il était impeccable. Tellement propre qu’il devait avoir été déposé ici après le meurtre. Peut-être même après que le cadavre ait été emmené, ce qui expliquerait pourquoi elle n’avait trouvé aucune mention du bel instrument. Quelque chose clochait, Augustine le sentait. Retenant sa respiration, elle tendit l’oreille. Indéniablement, quelque chose faisait le tic-tac d’une montre. Pire d’une bombe. Et la seule chose possible était… le violon !
L’inspectrice empêcha son compagnon de s’avancer davantage. Il avait évidemment ignoré son avertissement précédent et tendait déjà les mains en directions du précieux objets maintenant devenu une terrible arme. Elle ne voulait pas s’imaginer comment ils finiraient si cette bombe explosait. Certainement en mille morceaux… Le tic-tac continuait doucement. Augustine l’entendait maintenant distinctement resonner dans la petite pièce. Comment avait-elle pu ne pas l’entendre avant ? Elle recula doucement, entraînant avec elle Monsieur Mancheau qui voulait vraiment s’approcher du violon maintenant. Pourquoi ? Elle ne saurait le dire.
Elle referma la porte puis tira le chef d’orchestre par le bras en direction de l’escalier et de la scène où elle savait trouver quelqu’un. Il fallait faire évacuer le bâtiment et désamorcer la bombe. A moins bien sûr que ce ne soit normal qu’un violon tique. Après tout elle n’en savait rien.
– Déjà de retour ? releva Hugo quand ils se croisèrent au pied de l’escalier. Je venais justement vous rejoindre.
Augustine lâcha l’homme en costume et commença à signer. Hugo en avait une compréhension basique mais elle n’avait vraiment pas la tête à essayer de trouver son stylo et d’écrire lisiblement.
– Encore une fois, demanda le policier. Que veux-tu dire par « violon montre explosion » ? Déjà quel violon et puis montre… il tique comme une bombe, c’est ça ?
C’était pour sa rapidité d’esprit qu’Augustine aimait travailler avec lui. Hugo devinait souvent juste. Mais là, il semblait un peu abasourdi par la situation. Il se reprit néanmoins rapidement en main quand il se rendit compte que le chef d’orchestre marmonnait l’histoire d’un violon dans sa barbe non existante et qu’Augustine le fixait avec insistance. Elle détestait ces moments où elle ne pouvait rien faire car on ne l’écouterait pas.
– On va faire évacuer immédiatement alors. Je préviens tout le monde. Toi, sors d’ici avec Monsieur Mancheau.
L’inspectrice hocha la tête et voulut reprendre son chemin en attrapant la manche du chef d’orchestre visiblement complètement à l’ouest quand l’explosion détonna. Augustine et Hugo se retrouvèrent par terre d’un mouvement qui traduisait davantage un entraînement intensif qu’une réelle panique. Après tout, leur compagnon n’avait que tourné la tête avant de continuer de réciter la liste de tous les morceaux de musique qu’il avait entendu la morte jouer sur son violon – et elle était longue surtout qu’il l’agrémentait de petits commentaires sur la virtuosité de sa nièce. Augustine comprenait doucement pourquoi quelqu’un aurait pu vouloir tuer la soliste de l’orchestre. Si elle était aussi douée qu’il prétendait, elle devait provoquer les jalousies à un rythme effréné. Surtout si en plus elle était belle et savait se mettre en valeur comme semblait le confirmer la trousse de maquillage qu’elle avait vu dans les toilettes. Elle se releva sans plus tarder et échangea un regard avec Hugo. Qu’est-ce qui avait pu déclencher la bombe ?
– Il semblerait que ce ne soit plus nécessaire finalement, commenta le policier calmement en s’époussetant inutilement. Tu crois qu’il va bien ?
Augustine haussa les épaules puis proposa d’un geste d’aller voir le lieu du crime. Quand ils y arrivèrent le motif de l’explosion fut clair : détruire toute preuve possiblement existante. L’explosion avait joliment soufflé les toilettes entières, ne laissant qu’éclats de carrelages et débris de murs. Par contre, signe que cela avait été parfaitement dosé, le couloir ne portait aucune trace. La porte encore fermée à clé avait cédé mais il n’y avait que quelques poussières à l’extérieur. C’était indéniablement le travail d’un professionnel de l’explosif. Il restait deux importantes questions. Qui avait les capacités de créer une telle bombe. Et, pourquoi maintenant ? Donc après que le corps ait été enlevé et qu’il y avait donc un risque que les traces aussi aient été découvertes et analysées ? Ce n’était pas logique de prendre le risque de poser une bombe, soit de revenir sur le lieu du crime après que celui-ci ait été découvert, pour supprimer les preuves. Mais alors pourquoi avoir fait exploser le lieu ? Si elle y pensait franchement, elle avait peut-être une idée certes tirée par les cheveux mais c’était bien la seule qui lui venait… Et si ce n’était pas pour cacher les preuves mais plutôt pour tuer l’inspecteur de police ou le chef d’orchestre qui allait certainement l’accompagner ?
Voilà une expérience qui allait pouvoir l’aider dans la recherche du coupable. A supposer que le meurtrier était aussi celui qui avait posé la bombe, ce qui n’était pas forcément le cas. Hugo était déjà en train de calmer les personnes accourant pour voir l’origine du bruit. Il s’agissait surtout de policiers en charge de surveiller ou de fouiller les étages bas de l’opéra.
– Rien de grave, assura Hugo tranquillement. Personne n’a été blessé. Juste le lieu du crime qui a été dévasté. Mais on avait déjà pris les empruntes.
Tandis que son collègue expliquait ce qui s’était passé et demandait à quelques personnes de vérifier ce qui pouvait être sauvé, Augustine sortit son carnet de notes de la poche de sa veste d’uniforme. Il fallait qu’elle commence sérieusement à travailler avant qu’il y ait d’autres morts. Le coupable ne semblait pas vouloir s’arrêter à une victime. A croire que son objectif n’était pas forcément orienté uniquement contre Geneviève Croiset.
« Je voudrais vous poser quelques questions, Monsieur Mancheau. Vous voulez bien me répondre pour trouver le meurtrier de votre nièce ? »
Elle tendit le carnet à son interlocuteur qui semblait tout à fait incrédule face à trois morceaux de bois qui gisaient proche d’eux. Il devait être en train de réaliser ce qu’elle-même refusait toujours d’accepter émotionnellement. A trois minutes près, ils auraient explosé avec la pièce. En tout cas, il était peu probable que ce soit le chef d’orchestre qui soit l’auteur de la bombe. Il avait failli y passer et était indéniablement sous le choc. Faisant claquer ses doigts sous son nez, elle le tira de son état figé et il semblait à nouveau capable de lui répondre. C’était le moment idéal pour l’interroger, maintenant qu’il n’allait pas encore saisir l’entièreté des conséquences de ce qu’il pouvait lui révéler.
– Oui, oui, bien sûr, fit-il encore confus. Mais cette explosion… Le violon de Genie y est passé. Il a disparu ! Comme elle !
« Est-ce que les violons se détruisent souvent à la mort de leur propriétaire ? » Oui, c’était une question stupide. Mais il fallait bien vérifier comment il allait réagir. Et puis, les questions les plus déconcertantes étaient souvent les plus révélatrices.
– Non ! Normalement ils devraient se transmettre… D’après la tradition, ma fille Isabelle en aurait hérité, mais peut-être que Geneviève aurait eu des enfants aussi virtuoses qu’elle qui aurait pu reprendre son violon. Oh, quel gâchis de talent ! Quel drame pour la musique ! Ma pauvre petite Genie…
Monsieur Mancheau fondit en larmes libératrices. Augustine lui offrit un mouchoir en papier et se résigna à l’idée qu’elle ne pouvait pas l’interroger là. D’ailleurs, Hugo et les policiers de surveillance dirigeaient tout le monde en direction de la sortie.
« Vous devriez rentrer chez vous, conseilla-t-elle au chef d’orchestre. Est-ce qu’il y a quelqu’un pour vous accompagner ? »
Vu qu’il hocha la tête, elle s’autorisa de s’éloigner à son tour et prendre des nouvelles de la situation chez ses collègues...
3 décembre : Cousine by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Le thème du jour est : cravate...
Bonne lecture !
Augustine passa une main dans ses cheveux. Elle n’avait plus grand-chose à faire à l’opéra maintenant que ses collègues avaient réellement bouclé le bâtiment et renvoyé tout le monde chez lui. Apparemment, il était trop dangereux de rester quelque part où il y avait eu une explosion – aussi petite soit-elle – dans les fondements. Des experts devaient d’abord vérifier que l’ancien bâtiment ne risquait pas de s’effondrer. Bref, elle aussi avait été renvoyé au poste ou à tout autre endroit qu’elle trouverait intéressant pour son enquête. L’endroit qu’elle avait en vue maintenant était la morgue. Regarder le corps de la victime pouvait lui fournir des informations intéressantes. Et de toute manière, c’était un passage obligatoire alors autant le faire avant que les légistes n’avancent de trop dans leur travail.
Elle resserra son écharpe et engagea les quarante minutes de marche à travers l’air froid d’un soir de mi-décembre qui séparaient le poste de police et l’opéra. Mais à peine quelques minutes plus tard, une voiture grise ralentit à sa hauteur. Une jeune femme blonde se penchait vers elle.
– Inspectrice Pinson ? Je suis Isabelle Mancheau. Voulez-vous que je vous emmène au poste de police ? Je dois y aller pour signer les papiers comme quoi c’est réellement le corps de ma cousine, si j’ai bien compris papa ne l’a pas fait jusqu’ici et vu son état actuel…
Augustine hésita un instant. Il pouvait tout à fait s’agir de la meurtrière et ce ne serait pas très intelligent de monter dans sa voiture après l’explosion qui aurait déjà pu la viser. Mais un grand coup de vent glacial la décida. Il valait mieux mourir en explosant que de froid. C’était plus rapide. Elle monta et remercia la jeune femme d’un sourire, puis prit le temps de la dévisager attentivement.
Isabelle Mancheau avait indéniablement un air de famille avec son père. En revanche, avec ses joues rouges et ses cheveux blonds comme les blés, elle n’évoquait pas du tout un pingouin. Au contraire, elle faisait même penser à un ange de Noël en tenue d’écolière. Approprié à la situation, elle avait les yeux rouges et bouffis, signe qu’elle avait dû pleurer, mais elle essayait de faire bonne figure.
– Ne vous en faites pas, je ne suis pas coupable. Je n’apprécie pas particulièrement Geneviève mais c’est ma cousine. On a passé nos vies ensemble, c’est quasiment une grande sœur pour moi. Par contre, je ne suis pas complètement aveugle comme papa. Je sais très bien qu’elle n’est pas parfaite. Ou est-ce que je devrais parler au passé maintenant ? Oh, c’est terrible ! Qu’est-ce qui va se passer maintenant ! L’orchestre, la famille, ça ne va plus jamais être pareil…
L’inspectrice cligna des yeux. En tout cas, la fille était tout aussi loquace que son père. A moins que ce soit la tristesse qui les rendait aussi bavards. Elle savait que les gens réagissaient de manière différente à la mort et, même si pour elle parler ne pouvait pas ramener la personne disparue, cela l’arrangeait puisqu’en écoutant simplement les proches raconter leurs souvenirs elle en apprenait pas mal sur la victime, son caractère et ses relations.
– Tout le monde aime Geneviève mais je ne crois pas qu’elle soit proche de quelqu’un d’autre que de ses deux meilleurs amis, vous savez, Jacques Henri et Frédéric Boisot. Enfin, il y a moi aussi mais elle ne m’a pas vraiment choisie. Geneviève est du type parfaitement poli mais sans encourager la moindre tentative d’approche si elle ne le voulait pas. Et en même temps, je ne vois pas comment on pourrait vraiment être jaloux d’elle. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a ces gens à qui tout réussi et on devrait être hyper jaloux d’eux, mais dès qu’on les rencontre on ne peut pas leur en vouloir. C’est exactement ça. Geneviève a toujours eu tout ce que je voulais aussi : les bonnes notes, le talent au violon, l’attention de papa, l’admiration de mon petit frère… A une époque, quand nous avions quinze ans, je lui en ai voulu terriblement, j’ai même cassé son violon, mais dès qu’elle était en face de moi et qu’elle me souriait, je me sentais coupable d’éprouver cela. Je veux dire, elle mérite tout ce qu’elle a, elle travaille dur pour ça et quand elle te sourit, tu comprends qu’elle ne le fait pas contre toi et qu’elle voudrait te faire partager tout ce qu’elle a. C’est un ange. Vraiment.
Si elle avait eu un doute sur la culpabilité d’Isabelle, elle pouvait être rassurée. Aucun coupable ne dévoilerait ainsi ses petits secrets. A moins bien sûr de vouloir manipuler son vis-à-vis pour lui faire croire exactement cela. Mais Augustine devait avouer que cela marchait très bien. Mais à être honnête, elle commençait à avoir de réelles difficultés de s’imaginer la victime. Déjà Isabelle Mancheau ressemblait à un ange mais si sa cousine était encore plus parfaite au point qu’elle ait été jalouse… Dans leur famille casser un violon devait certainement être un acte très grave. Était-ce après cet incident que l’oncle de Geneviève Croiset lui avait acheté celui qui venait d’exploser ? Pouvait-ce vraiment avoir calmé cette jalousie ? Ou avait-elle été renforcée jusqu’à éclater maintenant, une dizaine d’années plus tard, menant à un meurtre ?
– Vous savez que c’est Geneviève qui a choisi l’uniforme de l’orchestre ? poursuivait Isabelle sans se soucier du silence de l’inspectrice. Je lui ai dit qu’aujourd’hui plus personne ne voulait porter de cravate mais elle ne voulait pas écouter. Elle trouve que ça nous donne un air sérieux et respectable. Je n’en suis pas convaincue mais ce que je sais c’est que ça mettait bien en valeur son élégant cou et ses formes généreuses.
Augustine observa celle que portait Isabelle. Elle espérait qu’ils ne les mettaient pas pour toutes les répétitions sinon ils n’allaient pas être belles très longtemps. En effet, le tissu était d’une couleur beige et était complété par une chemise blanche. Rien de très compatible avec un travail acharné. Seule la cravate bleu ciel apportait un peu de vie dans la tenue. De ce qu’elle avait compris, cela correspondait plutôt bien au caractère perfectionniste de la victime. Elle n’était certainement pas le type qui se tâchait en mangeant, au contraire de sa cousine qui avait une petite tâche de mayonnaise sur son col…
– On y est, s’exclama la conductrice. Vous savez où se garer le mieux ?
L’inspectrice lui indiqua un parking spécialement prévu pour les visites à la morgue, aussi morbide que cela pouvait sonner, et maintenant qu’elles étaient si proches, l’atmosphère pesante semblait empêcher la cousine de la morte de parler autant qu’avant. Augustine n’en était pas mécontente. Elle se voyait mal se concentrer sur le cadavre en écoutant une analyse précise des faits et gestes de la part d’un suspect de première ligne. Car quoi qu’est dit Isabelle Mancheau jusqu’ici, c’était bien ce qu’elle restait : un suspect.
– Augustine, vous arrivez à temps ! les accueillit le garde à l’entrée. Je suppose que cette charmante demoiselle qui vous accompagne est là pour identifier le corps ?
La policière acquiesça d’un mouvement brusque de la tête. Elle n’aimait pas vraiment Florent et sa manière d’essayer de draguer toutes les femmes qui passaient par la porte d’entrée officielle de la morgue. Ça ne collait tout simplement pas à l’ambiance en plus d’être lourd. Heureusement qu’il n’insistait pas auprès d’elle.
– Salle 23, l’informa le garde en adressant un grand sourire éclatant à la jeune Mancheau. Si la demoiselle souhaite que je lui garde sa veste ou son sac…
Mais la cousine de la victime ne réagit pas et se contenta d’un simple salut en passant devant lui. Augustine dut se retenir de ne pas sourire de manière trop satisfaite. C’était trop sympa de voir Florent se prendre un vent. Elle avança à pas rapides à travers le dédale de couloirs et de pièces qui constituait la morgue, Isabelle Mancheau dans son ombre.
Dans la salle 23 les attendait le corps sans vie de Geneviève Croiset. Deux médecins légistes les saluaient courtement avant de continuer leur travail. Elle avait apparemment déjà été nettoyée du sang qui avaient dû gicler comme en témoignaient les tâches qu’Augustine avait vu dans les toilettes mais aussi celles encore bien présentes sur l’uniforme. La peau blanche, les lèvres bleues et les cheveux humides du sang qui venait d’être lavé, elle ne ressemblait nullement à l’ange annoncée. Au contraire, même si les traits étaient réguliers et les lèvres pleines, elle n’avait en rien la beauté fascinante de sa cousine. Augustine laissa glisser son regard sur Isabelle Mancheau qui s’était penchée pour mieux voir le corps. Juste après la mort, le visage devait être bleu et boursoufflé mais maintenant il était blanc et détendu et absolument identique dans les traits à celui de la vivante. Il devenait difficile de croire qu’elles n’étaient que cousines et non pas sœurs. Et tandis que dans les tréfonds de l’esprit d’Augustine un doute germa, Isabelle se redressa :
– C’est bien ma cousine, affirma-t-elle d’une voix claire. C’est Geneviève Croiset.
Elle signa alors le papier d’identification pendant qu’Augustine profita de sa distraction pour examiner les objets et bijoux qui avaient été retirés sur le corps. Il y avait une différence entre les deux cousines qui n’étaient pas les blessures ou l’animation du visage. Quelque chose qui pouvait avoir de l’importance, tout comme cela pouvait être complètement inutile.
– Vous cherchez quelque chose ? s’inquiéta l’un des légistes.
L’inspectrice hocha la tête. Elle venait de mettre le doigt sur un détail qui la perturbait.
« Ne portait-elle pas de cravate ? »
4 décembre : Le début de l'enquête by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Le thème du jour est : trombone. Oui, je sais, ça devient de pire en pire.
Bonne lecture !
Le médecin légiste fixa le papier sur lequel elle avait écrit sa question. Puis il secoua lentement la tête.
– S’il n’y en a pas dans la boîte, elle ne devait pas en porter, non. Pourquoi demandez-vous ?
Augustine hocha la tête. C’était quand même étonnant que celle qui avait insisté pour que l’uniforme contienne une cravate n’en porte pas. A l’inverse, Isabelle Mancheau, opposée à cet accessoire, ne l’avait même pas desserrée depuis leur départ de l’opéra. C’était comme si elles avaient échangé de comportement, n’est-ce pas ? Mais quel intérêt aurait Geneviève Croiset à tuer puis se faire passer pour Isabelle Mancheau ? N’avait-elle pas exposé toutes les raisons pour lesquelles Isabelle pouvait être jalouse de Geneviève ? Oui, à y réfléchir, cela devenait de plus en plus louche.
« J’ai cru comprendre qu’elle faisait partie de l’uniforme de l’orchestre », expliqua-t-elle néanmoins au légiste. « Mais peut-être que sa cousine pourra nous en dire plus… »
Isabelle Mancheau montra des signes qu’elle voulait partir maintenant qu’elle avait fait ce qu’elle devait. Augustine haussa les épaules puis acquiesça. Le médecin légiste qui lui avait parlé lui passa un dossier intitulé « Premier rapport des légistes ». Ils avaient fait vite. Elle le remercia rapidement puis accompagna la visiteuse vers la sortie. Arrivées à la voiture, elle lui tendit son carnet de notes.
« Puis-je vous poser quelques questions ? »
– Oui, bien sûr. Je suis désolée d’être partie si rapidement. Je ne supportais plus de rester à côté de Geneviève. Ça paraissait tellement réel d’un coup… Elle est morte, vous comprenez ?!
La phrase s’était achevée en cri. L’inspectrice connaissait ce genre de réaction. Son vis-à-vis venait de dépasser le déni. Elle essayait de faire passer sa compassion – certes quasiment inexistante – et du réconfort – elle devait pouvoir répondre à ses questions – par son regard. Voyant bien que cela ne suffisait pas, elle posa une main sur le bras de l’autre jeune femme, puis le retira pour inscrire les paroles qu’elle aurait aimé prononcer – cela aurait été tellement plus simple ici – sur sa feuille et la lui tendit.
« Elle est morte et vous voulez retrouver le coupable, non ? Pour cela, j’ai besoin de votre aide. Vous devez être forte. »
Elle n’avait jamais prétendu savoir consoler des gens. D’ailleurs, elle dirait même qu’elle n’avait aucun talent dans le domaine. Par contre, elle savait réfléchir et poser les bonnes questions. C’était bien plus important, non ? Maintenant au moins, Isabelle Mancheau semblait vouloir se tenir sous contrôle et ne pas perdre son sang-froid de nouveau. Elle se passa même une main dans les cheveux, gênée.
– Oui, oui, désolée.
« Est-ce que vous savez si votre cousine portait une cravate pendant la répétition ? »
La question sembla perturber son vis-à-vis. Mais après quelques réflexions, elle acquiesça sans protester.
– Oui, bien sûr, elle fait partie de l’uniforme. Elle n’en porte plus, c’est ça ? Je suppose qu’ils l’ont enlevée en essayant de la réanimer, non ?
Augustine secoua la tête. Alors, elle l’aurait vue soit dans les toilettes avant qu’elles n’explosent soit à la morgue avec le reste de ses affaires. Il ne restait que l’hypothèse qu’elle avait été rangée dans un autre sac qu’elle n’avait pas emmené aux toilettes. Heureusement toutes ces informations n’avaient pas été à la disposition d’Isabelle, mais celle-ci semblait néanmoins vouloir lui fournir une réponse.
– Peut-être que c’est elle-même, en se maquillant ?
« C’est possible. Qui doit remplacer votre cousine au premier violon ? »
– Vous croyez que c’est moi ? sourit un peu tristement Isabelle. Vous me soupçonnez, n’est-ce pas ? Je m’y attendais, vous ne faites que votre travail après tout. Mais ce n’est pas moi. C’est Sophie Verçon qui est la deuxième soliste des premiers violons, alors que moi, je suis la première des deuxièmes violons.
Augustine cligna des yeux. Elle s’était renseignée sur les orchestres symphoniques mais elle ne s’y connaissait vraiment pas suffisamment pour réellement comprendre la différence.
– En fait, c’est simple, expliqua la cousine. Les violons sont séparés en deux groupes notamment par le positionnement dans la salle. Geneviève dirige les premiers violons, moi les seconds. Et donc c’est la deuxième meilleure des premiers violons qui va la remplacer.
Ça paraissait logique en réalité. Et surtout beaucoup plus simple pour l’organisation. Restait une question sur ce décalage.
« Et qui prend la place vacante dans les premiers violons ? »
– Ah, Isabelle s’esclaffa brièvement avant de reprendre son sérieux. Personne. On n’est qu’un orchestre d’amateurs alors on joue avec un violon en moins. Ou plutôt il en manque toujours deux ou trois à cause des maladies, des urgences… Vous voyez le truc. Là, avant, par exemple Yannis avait dentiste, et même Sophie manquait. Apparemment sa fille est malade ou quelque chose comme ça. Vous venez de faire tomber votre trombone, d’ailleurs.
Augustine baissa les yeux et son regard tomba sur le trombone rouge vif qui avait été accroché sur le rapport d’autopsie provisoire. Il lui faisait penser à quelque chose mais quoi ? Un trombone n’était-ce pas aussi un instrument ? Peut-être qu’il y en avait même dans l’orchestre et qu’elle en avait vu ? Cela expliquerait pourquoi celui-ci lui rappelait quelque chose. Mais pourquoi aurait-elle vu un trombone dans l’opéra alors que quasiment tous les musiciens étaient déjà partis ?
« Un trombone est aussi un instrument, non ? Il y en a dans votre orchestre ? »
– Oui, acquiesça Isabelle. On a deux trombones, le meilleur ami de Geneviève en joue justement. C’est probablement lui que vous avez vu avec son instrument. Il n’arrivait pas à se décider de quitter le lieu… Frédéric Boisot, c’est son nom. Il est un peu rude sur les bords mais en secret il était amoureux de ma cousine. Je pense qu’avec mon père, c’est celui qui est le plus touché.
L’inspectrice fronça les sourcils. Si les deux hommes étaient très touchés, on ne pouvait pas dire la même chose de son vis-à-vis. Certes, elle avait apparemment pleuré mais elle paraissait très claire dans ses propos et réfléchie. Un peu trop pour ne pas être suspect, si elle était honnête. Mais pour le moment elle ne voulait pas trop dévoiler sur ses suppositions pour ne pas l’alerter.
« Vous ne savez pas, si votre cousine avait des ennemis particuliers ? Ou quelqu’un qui lui en voulait ? »
– Non, comme je vous l’ai déjà dit, tout le monde aimait Geneviève même si elle n’était proche de personne, Isabelle Mancheau secoua la tête en affichant un air ennuyé. D’ailleurs, j’ai déjà répondu à exactement la même question à un de vos collègues. Si ça ne vous dérange pas, j’aimerais autant rentrer chez moi. Je crois que mes parents ont besoin de moi.
Augustine, échouant lamentablement à ne pas rougir, lui adressa un petit sourire.
« Bien sûr, excusez-moi. Encore toutes mes condoléances. »
Elle regardait la voiture grise partir à toute allure en se demandant pourquoi la cousine voulait réellement s’en aller aussi rapidement d’un seul coup. Était-ce vraiment l’appel de la bonne conscience de fille à ses parents qui devaient les soutenir ? Ou essayait-elle de lui cacher quelque chose ? Bon, c’était certain. Tous les proches de victimes cachaient quelque chose aux enquêteurs, même quand ce n’était pas du tout intéressant. Il y avait une méfiance envers les policiers, la plupart des gens ne voulaient pas leur dévoiler leur vie privée. Et ça finissait par des mauvaises voies et des suspicions inutiles. Comme là, elle était quasiment convaincue que la morte était en réalité Isabelle Mancheau et non Geneviève Croiset. Le comportement de la cousine était tellement louche que cela cachait quelque chose. Mais ce n’était pas possible, il y avait une dizaine de personnes pour confirmer qu’elles n’avaient pas échangé. Quelqu’un aurait dû remarquer quelque chose, au moins le chef d’orchestre Bénédicte Mancheau !
Mais rester sur ce parking en se tordant l’esprit n’allait pas l’aider plus que ça. Il était certain que maintenant les dépositions et les rapports s’empilaient sur son bureau. Elle n’avait plus qu’à aller les lire. A son plus grand malheur d’ailleurs. Elle préférait voir les témoins et les suspects de ses propres yeux pour se faire une meilleure idée de leur personnalité. Mais il fallait bien avouer que c’était plus facile pour les personnes de parler à quelqu’un qui pouvait leur répondre à l’oral. En tout cas elle devait lire les comptes-rendus et en déduire les personnes à qu’elle voulait voir en personne. Pour le moment, il y en avait déjà cinq sur sa liste : Isabelle Mancheau – ou qui que ce soit qui se faisait appeler par ce nom –, Bénédicte Mancheau qui était tellement sous le choc, Jacques Henri et Frédéric Boisot qui étaient apparemment les personnes les plus proches de la victime présumée, et Sophie Verçon qui pouvait avoir un motif considérable.
Augustine ramassa le trombone rouge et le replaça sur le rapport d’autopsie. Il ne servait certainement à rien mais ce n’était pas une raison pour le laisser par terre. Qu’est-ce qu’il disait en fait, le rapport d’autopsie ? Marchant en direction du bâtiment principal de la station de police, elle feuilleta le dossier. La liste des objets qu’elle avait dans ses poches, rien qu’un mouchoir en réalité. Les blessures du corps et la cause de la mort. Voilà qui était déjà plus intéressant…
End Notes:
Alors ? Un commentaire ? Une remarque ?
5 décembre : La paperasse des témoignages by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Aujourd'hui on parlera d'arbre. Ou pas d'ailleurs parce que je crois que justement il n'y en a plus...
Bonne lecture !
Apparemment Geneviève Croiset s’était débattue avant d’être assommée contre le robinet et noyée dans le lavabo. Ce qui était certain c’était qu’elle n’avait pas eu le temps de se maquiller avant d’être agressée. Vu les griffures et les bleus qu’avaient trouvé les médecins légistes, elle avait reçu des coups de tous les côtés. Elle avait dû se retourner pendant qu’elle s’était débattue. C’était plutôt inhabituel mais menait à la conclusion que le meurtrier ne devait pas être plus fort qu’elle. Il n’avait seulement pris l’avantage en lui cognant la tête contre le robinet métallique. Augustine se remémora les tâches de sang dans les toilettes. Cela correspondait. En tout cas, tout le monde aurait réussi de la tuer de cette manière, même un gamin de douze ans. Les seuls qu’elle pouvait exclure étaient les personnes réellement fortes qui n’auraient pas eu besoin de recourir à de telles méthodes pour lui maintenir la tête sous l’eau. Mais ils auraient pu utiliser cela pour attirer l’attention sur autrui donc ce n’était pas suffisant.
L’inspectrice évita de justesse un gendarme de passage et monta les escaliers en direction de son bureau. Elle marqua un temps d’arrêt en ouvrant sa porte. Ce n’était pas une dizaine de dossiers qui s’empilaient mais carrément un arbre entier qui avait dû être coupé pour produire la quantité de papier qui s’y trouvait.
– Impressionnant, n’est-ce pas ? la railla une voix dans son dos.
Augustine se retourna lentement vers son collègue. L’inspecteur Limos paraissait tout aussi jaloux que l’avait prédit Philipe. Ses yeux étincelaient dangereusement et il semblait prêt à voler des dossiers pour s’y intéresser.
– Le petit peuple a fait de l’excellent travail, continua Léonard. Ils ont interrogé toutes les personnes présentes dans l’opéra. Et je crois bien qu’il y en avait un sacré paquet. Sans oublier ceux qui t’ont sorti le plan du bâtiment et les dossiers sociaux de la victime et de sa famille. Bref, tu as de la matière à analyser pour résoudre ce meurtre, pendant que je me démène contre ce dossier de vols de vélos.
« Si le chef est d’accord, tu peux t’occuper de l’opéra. », proposa Augustine sachant exactement qu’il n’y avait aucune chance que Léonard n’ait pas déjà demandé ce changement. Et si elle était toujours en charge, c’était que l’inspecteur-en-chef avait refusé. Comme toujours. Son collègue n’avait, d’après lui, pas le sang-froid nécessaire pour s’occuper de meurtres. Il en fit d’ailleurs preuve en ce moment même.
– Tu n’y crois pas toi-même ! Je suis beaucoup plus qualifié que toi pour résoudre cette enquête. Je sais parler, moi !
« Un peu trop même. »
Augustine lui colla le post-it sur la main – elle avait toujours et son bloc-notes et des post-it dans ses poches pour des situations telles que celle-ci – et entra dans son bureau en prenant soin de fermer sa porte derrière elle, laissant son ambitieux collègues s’énerver avec lui-même. Elle n’avait pas de temps à perdre. Elle posa le rapport d’autopsie sur son bureau puis essaya de trier les différents dossiers. En fait, il n’y en avait pas autant que cela. La centaine de dépositions de toutes les personnes présentes dans l’opéra et quelques feuilles d’informations sur le passé juridique et social de la famille de la victime, sur le bâtiment et les meurtres précédents commis là-bas. Ces derniers avaient certainement été ajoutées par Léonard pour lui donner davantage de travail.
L’inspectrice retroussa ses manches et commença par classer les dossiers. Les dépositions ne faisaient pour la plupart qu’une page ou deux mais l’ordre dans lequel elle les lirait pouvait se montrer important. Elle sortit celles des quatre personnes dont elle connaissait déjà le nom puis tria les autres par ordre alphabétique – elle prendra toujours ceux dont le nom sera évoqué dans une précédente. Le tas d’informations générales semblait la narguer mais elle le repoussa dans un angle de son bureau. L’historique de l’opéra eut droit à une place sur la commode. Ce serait son dernier recours. Puis elle s’installa sur sa chaise et sortit son bloc-notes et son stylo. Elle était prête pour passer son weekend plonger dans les différents dossiers. Il y avait certainement des informations intéressantes à en tirer.
La déposition d’Isabelle Mancheau ne donnait rien d’autre que ce qu’elle avait déjà raconté dans la voiture. Non, elle ne connaissait pas d’ennemis à sa cousine. Non, elles n’étaient pas très proches. Oui, Geneviève était toujours aimée par les autres. Ses deux plus proches amis étaient deux jeunes hommes qui jouaient du trombone et du tambour dans l’orchestre. Elle était la meilleure violoniste qu’elle connaissait. Elle vivait avec sa famille depuis qu’elles étaient petites.
Pendant les heures qui suivirent, Augustine parcourut les dépositions de tout l’orchestre. Ses collègues avaient certainement mis du temps à ne rien découvrir. Il fallait être honnête, ce n’était pas si difficile que cela de tirer des informations intéressantes, ou une piste, de quelqu’un qui n’avait pas conscience qu’il savait quoique ce soit. Elle était convaincue que les membres de l’orchestre devaient savoir autre chose que « Geneviève jouait aussi merveilleusement que d’habitude », « comment ne pas aimer une telle fille ! » et « c’est Monsieur Mancheau qui l’a trouvé pendant que je parlais avec ... ». Ils se couvraient tous les uns les autres. Cela aurait pu être louche si ce n’était pas aussi désorganisé. Elle avait fait un schéma de qui donnait un alibi à qui. Les seuls à ne pas en avoir étaient Monsieur Mancheau, les absents (il y en avait effectivement une demi-douzaine), le concierge et Geneviève Croiset.
Soudain, son regard fut attiré par un nom qui apparaissait dans ces phrases somme toute très classique. Sophie Verçon. Une certaine Marie Bienheureux lui avait parlé après la répétition. Elle n’était pas censée être restée chez elle pour s’occuper de sa fille malade ? Du moins c’était ce qu’avait dit Isabelle Mancheau tout en affirmant que celle-ci avait un motif de jalousie. Avait-elle voulu protéger une amie ou était-ce une manigance pour accuser quelqu’un d’autre ? En tout cas, cela méritait d’être recherché. En voici une de plus qu’elle voudrait voir, et si possible avant cette Sophie Verçon.
Plusieurs autres personnes rapportaient d’avoir parlé à Geneviève Croiset avant qu’elle n’aille aux toilettes. L’un d’entre eux évoquait qu’il la connaissait d’une association au bénéfice des arbres et que c’était elle qui l’avait invité à rejoindre l’orchestre. Augustine devait avouer qu’elle avait du mal à s’imaginer Geneviève Croiset, telle que sa cousine et les autres témoignages la dépeignaient, recruter quelqu’un pour l’orchestre et participer à du jardinage. Elle nota également son nom : Jean Bois – très thématique pour quelqu’un qui aimait les arbres.
Un regard sur la montre lui indiqua qu’elle avait largement dépassé les horaires habituels – surtout un vendredi soir avant Noël. Elle ne pouvait pas aller voir les huit personnes qu’elle avait écarté des autres. La plupart des musiciens ne savaient rien ou même ne connaissaient pas réellement la morte. Ils jouaient seulement dans le même orchestre symphonique. Ils étaient presque une centaine de musiciens !
Soupirant, elle passa la main sur le gros dossier social de la famille Mancheau-Croiset. Après tout, elle n’avait plus rien à faire d’autre. A part rentrer chez elle pour dormir évidemment, mais elle sentait bien qu’elle n’y arriverait pas de toute manière. Alors autant s’efforcer de résoudre ce meurtre aussi rapidement que possible et apaiser les esprits de la famille en deuil. Elle ne savait que trop bien qu’ils ne pourraient pas trouver la paix sans connaître la véritable raison et le coupable de la mort de leur nièce ou cousine. Résoudre cela avant Noël était important pour tout le monde.
En le soulevant, une photo s’échappa du dossier. Elle s’en saisit et regarda dans deux visages identiques de jeunes femmes brandissant fièrement leurs diplômes du baccalauréat. Sans aucun doute, Geneviève Croiset et Isabelle Mancheau se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Il paraissait tout bonnement incroyable qu’elles ne soient que cousines et non pas jumelles. Elle ouvrit le dossier et découvrit avec stupeur que la morte ne vivait pas uniquement chez son oncle mais avait même été adopté par lui. Il s’agissait de sa famille la plus proche puisque personne ne pouvait dire qui était son père et que sa mère – la sœur de son oncle – était morte quand elle avait dix ans.
C’était plutôt touchant mais le dossier faisait état que son adoption avait créé des tensions grandissantes dans la famille que ce soit avec la tante ou entre les deux jeunes filles qui ne s’entendaient pas vraiment bien. C’était toujours difficile d’accepter un nouvel élément dans la famille, surtout si celui-ci était une version améliorée de l’existant. Du moins c’était ce que prétendait la jeune Isabelle dans le compte-rendu d’un entretien un an après l’arrivée de sa cousine. Augustine comprenait maintenant mieux pourquoi elle lui avait parlé de l’incident avec le violon. Elle l’aurait découvert de toute manière et ainsi elle avait eu sa version d’abord. Malheureusement pour la suspecte, elle ne tombait pas dans ce genre de pièges. Pire, ils éveillaient sa méfiance. Et ce qui était sûr c’était qu’Isabelle Mancheau avait toujours encore, après des années de sommeil, un motif suffisamment fort pour expliquer un meurtre…
6 décembre : Premier entretien by Carminny
Author's Notes:
Bonjour, bonjour !
Le thème d'aujourd'hui est librairie mais Augustine n'achètera quand même pas de livre.
Bonne lecture !
– Bonjour, Augustine ! Ne me dis pas que tu as encore dormi au bureau !
La voix énergique de Hugo fit ouvrir les yeux à la jeune femme. Elle mit quelques instants à se rappeler où elle était puis se redressa sur sa chaise. Elle s’était endormie sur l’historique des crimes à l’opéra. Elle n’avait évidemment pas découvert de meurtre similaire par le passé et d’ailleurs tous les coupables encore possiblement vivants avaient été emprisonnés. Ce n’était ni plus ni moins qu’une perte de temps. Elle le referma en vérifiant qu’elle n’avait pas bavé dans son sommeil – heureusement non – et le repoussa plus loin.
– Et dire que je ne croyais pas voir quelqu’un ce matin, rigola le policier. Viens, on va boire un café et puis tu me raconteras ce que les dépositions ont donné. Rien, j’imagine mais bon. C’est le boulot quoi. Mais si tu y as passé la nuit peut-être que tu as trouvé quelque chose.
Augustine acquiesça et se saisit de son bloc-notes. Après, elle devrait rentrer chez elle pour doucher et se changer et ensuite elle pourrait commencer à aller voir les différentes personnes sur sa liste. Un samedi matin invitait à ce genre de visites, non ? Hugo semblait être du même avis qu’elle, une fois qu’elle lui avait exposé les découvertes des dossiers et son plan pour la journée.
– Tu sais quoi, j’ai bien envie de venir avec toi à la place de finir les papiers pour le cas Yang. Ça ne te dérangerait pas ?
L’inspectrice secoua la tête. Hugo était un collègue agréable et il allait rendre les entretiens beaucoup plus simples. Cela serait utile de l’avoir avec elle.
« Dans une heure, devant la libraire La lecture de la vie. Tache de finir ton dossier avant. » Elle lui passa le mot rapide puis se dirigea vers la sortie. Elle ne pouvait pas se présenter telle qu’elle était devant de possibles suspects.
Une bonne heure plus tard, Hugo arrivait, légèrement essoufflé. Augustine l’attendait déjà avec impatience. Elle avait pu observer le magasin en détail. Il n’y avait que la propriétaire Marie Bienheureux et une autre vendeuse qui était occupée à refaire la décoration des vitrines. Si elle avait bien observé, il s’agissait en fait de remettre en place des bonhommes de neige en coton renversés et de réaccrocher convenablement les nuages qui pendaient. Il y avait eu un petit nombre de clients mais chacun d’entre eux sortait avec un paquet sous le bras.
– Je n’avais pas vu que c’était si loin ! s’exclama Hugo. Sur la carte on dirait que c’est juste à deux rues du commissariat mais pas du tout.
Augustine leva les yeux au ciel. La distance était exactement celle indiquée sur la carte et d’ailleurs elle savait exactement que son collègue était déjà allé dans cette librairie car elle avait trouvé des sachets de celle-ci sur son bureau. Il prétendait toujours que les romans à l’eau de rose à l’intérieur étaient pour sa femme mais l’inspectrice suspectait qu’il les lisait aussi. De toute façon ce n’était pas bien important. Elle lui fit signe d’y aller et les deux policiers traversèrent la rue. Ce fut Hugo qui poussa la porte dans un élan de galanterie. Une petite clochette retentit et Marie Bienheureux vint à leur rencontre.
– Bonjour ! Je suppose que vous ne venez pas pour acheter un livre ?
– En effet, pas aujourd’hui, confirma l’homme comme à regret. Nous venons vous posez quelques questions sur ce qui est arrivé à l’opéra. L’inspectrice Pinson a trouvé des informations qui pourront être importantes pour l’enquête dans votre déposition.
L’inspectrice avait l’impression que rien que le rappel du meurtre, madame Bienheureux avait les larmes aux yeux. Mais elle se contenta d’hocher la tête et de se tourner vers son employée.
– Tina, j’emmène ces deux policiers dans l’arrière-boutique. Tu gardes la maison, s’il-te-plaît ?
Elle les menait dans une petite pièce remplie de cartons et de piles de livres. Une table avec quelques chaises remplies de bons de commande et de classeurs complétait le mobilier. La propriétaire de la librairie se confondit en excuses tout en libérant les chaises.
– Je suis désolée du bazar. Je suis toute étourdie. Ce qui s’est passé hier est une telle tragédie. Et vous êtes certains que c’est un meurtre ? C’est tellement horrible.
Elle sortit un mouchoir en tissu de sa poche et se sécha les yeux. Augustine en profita pour la dévisager sans réserve. Marie Bienheureux était le cliché de la femme d’âge mûre qui était heureuse dans sa petite boutique. Ses cheveux grisonnants étaient retenus par une pince nacrée et sa tenue était simple. Elle se forçait de sourire même si là elle semblait plutôt sur le point d’éclater en sanglot. L’inspectrice jugea qu’elle allait très certainement leur dire tout le peu qu’elle savait mais sans réaliser qu’elle leur délivrait des informations qui pouvaient accuser quelqu’un dont elle était peut-être proche, chose qu’elle ne voulait en aucun cas. Pour le moment, Hugo essayait de la consoler.
– Oui, nous sommes certains que c’est un meurtre. Elle ne s’est pas volontairement noyée. Et nous voulons vous poser quelques questions sur ce qui s’est passé autour. Je crois que vous étiez à la répétition, non ?
Sans commentaire. Même elle aurait eu plus de tact face à cette malheureuse madame compatissante. Elle lança un regard dubitatif à Hugo. Elle l’avait déjà vu plus diplomate… D’habitude, c’était lui qui était le gentil policier tandis qu’elle pouvait sortir crûment ses questions sans se soucier de la forme. Mais apparemment, il avait envie de changer. Très bien, il allait voir qu’elle pouvait très bien s’accommoder de ce changement.
– Oui. Oui, bien sûr, se confondit déjà Marie Bienheureux. C’était la répétition finale donc à moins d’avoir une très bonne raison de ne pas y aller, nous étions tous là. Si seulement la petite Geneviève n’était pas venue. Elle serait peut-être encore en vie. C’est si terrible !
Augustine essaya de regarder le plus compatissant possible. La pauvre femme était déjà suffisamment bouleversée sans qu’ils n’en rajoutent en posant des questions gênantes. Elle posa une main sur le bras de Marie Bienheureux.
« Malheureusement cela ne se prévoit pas. C’est horrible mais nous ne pouvons plus rien faire pour elle. Par contre, on peut éviter que cela ne se reproduise. Vous pouvez nous aider. S’il-vous-plaît, pourriez-vous nous décrire la répétition, qui vous avez vu, à qui vous avez parlé… ? »
Hugo ne pouvait pas lire ce qu’elle avait écrit pour leur témoin mais une lueur approbative passa dans son regard pendant qu’Augustine le fixait du coin de l’oeil. A coup sûr, il intriguait quelque chose. Madame Bienheureux n’en vit rien et hocha la tête en finissant de se moucher.
– Je vous sers un thé ? Je crois que j’en aurais bien besoin d’une tasse. Vous savez, c’est ça le pire : je n’ai rien remarqué de particulier. La répétition s’est déroulée sans encombre, on a joué sérieusement comme si c’était la vraie représentation. Vous n’imaginez pas le stress ! Tout le monde parlait en même temps et puis en plus ça a été le drame quand Sophie m’a téléphoné pour dire qu’elle ne venait pas. Les violonistes et surtout Geneviève étaient furieux. Par contre, elle est venue récupérer un livre qu’elle m’avait commandé, juste à la fin de la répétition. Elle m’a dit que sa petite Eva était malade. Je lui aurais amené son livre mais elle passait de toute façon à la pharmacie. Elle n’habite pas très loin de l’opéra, vous comprenez. Et puis, il y a Monsieur Mancheau qui est entré dans la salle en panique et il a dit que Geneviève était morte dans les toilettes et qu’il fallait appeler la police. Il avait l’air tellement mal… Oh c’est terrible, non ? Geneviève était toujours si gentille et encore plus ces dernières semaines. Je ne sais pas comment vous expliquer mais elle m’a paru plus souriante, plus extravertie, plus vivante. Peut-être qu’elle a un petit-ami ? Ça change souvent un peu les gens…
Elle s’interrompit comme si elle ne savait plus où elle en était dans son histoire. Augustine lui sourit gentiment. Elle avait fourni l’explication sur Sophie Verçon mais ce qu’elle disait sur la morte était intéressant.
« Vous avez remarqué quelque chose de plus spécifique à propos de Geneviève Croiset et de son attitude ? Peut-être aussi par rapport à sa cousine Isabelle Mancheau ? »
A côté d’elle Hugo fronçait les sourcils. Il désapprouvait certainement son audace de poser cette question. Elle risquait de mettre le coupable au courant pour l’échange de place des deux cousines. Et ensuite soit il le savait déjà et avait justement choisi de tuer Isabelle, soit non et essayerait de tuer Geneviève encore une fois. Ou alors elle était sur une fausse piste et elles n’avaient pas échangé et les bizarreries qu’elle voyait étaient du hasard. Mais si Marie Bienheureux l’avait remarqué bien avant…
« Depuis quand jouez-vous dans l’orchestre ? »
Il fallait bien vérifier la fiabilité de son opinion. Hugo semblait complètement perdu, alors même qu’il lisait maintenant par-dessus son épaule. Il n’avait plus rien du méchant flic qu’il avait voulu jouer au départ. Mais cela n’importait pas à Augustine. Elle devait savoir ce qu’avait remarqué Marie Bienheureux.
End Notes:
Est-ce que l'idée d'échange vous paraît plausible ?
7 décembre : La suite by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Maintenant venons-en au thème orchestre (sans commentaire).
Bonne lecture !
L’inspectrice et son collègue regardaient leur témoin d’une curiosité difficilement camouflée.
– Je joue dans cet orchestre depuis presque quinze ans, sourit-elle sous ses larmes qui avaient recommencé à couler. J’ai vu passer trois chefs d’orchestre. Autant pour dire que les petites Geneviève et Isabelle, je les connais depuis qu’elles sont venues à l’orchestre pour la première fois. Je m’en rappelle encore, c’était peu après que Bénédicte ait été nommé dirigeant de notre orchestre symphonique. Isabelle l’a accompagné dès le troisième jour pour écouter les répétitions et lui apporter des choses des trois coins de l’opéra. Puis, elle avait onze ans je crois, Geneviève a été prise comme violoniste. Elle était déjà si douée ! Evidemment, cela aurait été bien mieux pour elle de jouer dans un orchestre avec d’autres enfants mais elle ne voulait pas je crois. Je plains sincèrement Isabelle qui venait déjà plus longtemps mais qui ne devait que porter des partitions alors qu’elle jouait quasiment aussi bien. Elle a intégré l’orchestre que plus tard. Et personnellement, je la trouve encore plus douée que Geneviève mais ce n’est pas moi qui décide… Enfin, en tout cas j’ai toujours pensé qu’Isabelle était plus gentille et plus ouverte que Geneviève mais elle est aussi plus souvent de mauvaise humeur, si vous voyez ce que je veux dire. Alors que sa cousine est plutôt refermée. Elle est adorable mais elle ne parle qu’à ceux qu’elle connaît. Et là, ces derniers temps j’avais l’impression qu’elle avait pris exemple sur Isabelle. Elle a ramené un nouveau par exemple. Ce n’est pas du tout dans son genre d’habitude. D’habitude c’est plus sa cousine qui essaye de promouvoir l’orchestre. Si vous voulez mon avis, Isabelle est jalouse de Geneviève parce qu’elle a l’attention de son père. Oh, vous croyez que c’est elle qui l’a tuée ? Ce serait terrible ! Elles étaient comme des sœurs ! Non, ce n’est pas possible.
Laissant Marie Bienheureux nier cette hypothèse, Augustine se passa une main dans les cheveux en réfléchissant. Ainsi, le caractère de Geneviève avait changé. Oui, c’était ce qui l’avait aussi choquée en lui parlant. Que cela ne correspondait pas avec ce que disaient les témoignages. Elle était maintenant convaincue qu’elles avaient échangé, pour une raison ou une autre, leur rôle. La raison serait probablement très intéressante d’ailleurs. Et cela voulait dire qu’en réalité c’était Isabelle Mancheau qui était morte. Pourquoi ? Voilà, une question qui n’évoquait rien de bon. Soit parce que c’était Geneviève qui était visée avec tous les motifs possibles, soit quelqu’un visait Isabelle, était au courant de l’échange et il serait bien plus difficile d’enquêter là-dessus. Fallait-il maintenant confronter directement Geneviève avec cela ou fallait-il garder ça de côté pour la coincer le moment venu ? Pourquoi n’avait-elle rien dit ? C’était louche, non ? Ou avait-elle simplement paniqué ? C’était à voir et il était certain que Hugo serait de bon conseil.
En tout cas, ils avaient tiré le gros lot en venant voir ce témoin-ci en premier. Elle allait en profiter pour savoir davantage sur cet orchestre qui semblait tellement au centre de toutes les préoccupations des acteurs et figurants de ce meurtre.
« Cela paraît improbable alors. » tenta-t-elle de rassurer Madame Bienheureux. « L’orchestre semble être très important pour tous les membres de la famille, non ? »
– Enormément, se reprit la femme. Je ne sais même pas vraiment pourquoi parce qu’après tout Bénédicte n’est pas le fondateur et il n’a pas non plus uniquement dirigé celui-ci mais c’est compréhensible. Après tout, l’orchestre symphonique de la ville n’est pas un petit orchestre de rien du tout. Il est important pour tous ses membres. Mais il est vrai que Bénédicte s’engage énormément depuis le début. Forcément Isabelle et Geneviève aussi. Jusqu’ici la participation de cette dernière se restreignait surtout à briller lors des concerts en jouant merveilleusement bien. C’est ce qui a permis à l’orchestre de se démarquer des autres. Isabelle par contre ! Elle imprime des feuilles à distribuer, elle garde le contact avec tout le monde, elle essaye de trouver des créneaux qui arrangent, elle a même emmené un petit groupe dans les rues pour nous rendre plus connus. Je pense que sans elle, on ne serait rien. On peut jouer la plus magnifique des musiques, on peut voir les meilleurs solistes, sans publicité personne ne nous remarque. Alors je pense que derrière Geneviève et Bénédicte que le public voit en concert, il y a surtout le travail d’Isabelle.
L’inspectrice hocha doucement la tête, invitant son interlocutrice à poursuivre. Mais celui-ci se contenta de hausser les épaules.
– Vous savez, je ne sais pas quoi dire d’autre. Tout ça c’est si horrible et je ne sais pas du tout qui aurait pu faire ça ! Cette brave petite ne peut pas avoir tuer sa cousine. Ni quiconque d’autre !
Augustine n’en était pas si certaine. Après tout, Geneviève Croiset avait été assassinée. Au moins c’est ce que tout le monde croyait. C’était compliqué, elle allait devoir se faire un schéma pour être sûre d’envisager toutes les possibilités. Parce qu’Isabelle Mancheau avait de bonnes raisons d’assassiner Geneviève Croiset. Tout comme cette Sophie Verçon. Mais s’il s’agissait d’Isabelle Mancheau qui était morte et que le coupable était au courant cela n’avait pas de sens. Evidemment les motifs classiques pouvaient aussi prendre mais il fallait déjà savoir qui était au courant de l’échange. Et surtout se demander si Geneviève avait un motif pour tuer Isabelle. A première vue non mais elle savait que cela pouvait être trompeur. Il y avait toujours des secrets. D’ailleurs, pourquoi Geneviève aurait-elle accepté d’échanger de place avec Isabelle ? Qu’est-ce que celle-ci avait qu’elle aurait aimé avoir ?
Un léger toussotement de la part d’Hugo la tirait de ses pensées. Ah oui, elle devait poser une nouvelle question à Marie Bienheureux. Mais laquelle ? Elle voulait savoir quoi déjà ? Peut-être quelque chose sur la bombe ? Mais avait-elle encore été présente ? Non, ce n’était pas le cas, elle l’aurait lu dans le témoignage. Alors il fallait clore l’entretien et décider où aller ensuite. Elle replaça une mèche de cheveux derrière son oreille et se mit à chercher les bons mots. D’habitude, c’était toujours un de ses collègues qui se chargeaient de la fin parce que c’était tellement plus facile à l’oral, mais Hugo n’avait pas voulu l’aider avant alors ça l’étonnerait qu’il le fasse maintenant.
« Ce serait tout pour nous. Souhaitez-vous nous dire quelque chose d’autre ? »
– Non, je ne crois pas.
La femme se leva et avec l’échange des politesses usuelles, les deux policiers partirent de la librairie. Du moins ils firent vingt mètres avant qu’Hugo ne se retourne pour se précipiter vers le magasin.
– J’ai oublié quelque chose d’important ! Le nouveau tome de la série préférée d’Anna-Lena est sorti !
Augustine leva les yeux au ciel mais patienta sagement jusqu’à ce qu’il revienne avec un nouveau roman à l’eau de rose qu’il nierait avoir lu. En attendant, elle passa en revue les personnes à qui elle voulait rendre visite. Isabelle Mancheau ou Geneviève Croiset, selon qui elle était vraiment. Bénédicte Mancheau, le chef d’orchestre. Les deux meilleurs amis de Geneviève. Devait-elle du coup aussi trouver des informations sur Isabelle ? Ses amis, ses activités. Certainement, mais elle allait quand même partir du principe que c’était Geneviève qui était morte. Après tout c’était la version officielle et celle que tout le monde croyait. La deuxième soliste des premiers violons qui était venue alors qu’elle n’était pas à la répétition. Jean Bois, ce personnage qui semblait être une preuve vivante d’un possible échange entre les deux cousines. Par qui devait-elle commencer ? Et si elle laissa simplement la géographie décider ? C’était un critère plutôt pratique. Non, en réalité, elle avait envie de continuer la piste de la jalousie pour la place de première soliste. Elle l’avait menée ici et cela avait été fort concluant, alors elle voulait bien persister. Et cela la menait directement chez Sophie Verçon qui habitait à proximité de l’opéra. Elle en profiterait pour jeter un coup d’œil au bâtiment…
Elle exposa la situation en quelques mots à son collègue qui hocha la tête avant de proposer d’aller récupérer une voiture de police. Après tout, ils n’avaient pas envie de passer la journée à se promener d’un endroit à un autre. Augustine approuva et ce fut ainsi qu’elle se retrouva bien plus rapidement que prévu chez la famille Verçon. Elle sonna légèrement mal à l’aise. Elle n’aimait pas s’inviter chez les gens comme cela. Surtout quand ce n’était pas la bonne personne qui ouvrait.
– Bonjour, les interrogea le vieil homme qui les regardait avec méfiance comme s’ils venaient faire une perquisition chez lui. Que puis-je faire pour vous ?
Augustine lança un regard suppliant à son collègue. Il ne pouvait pas la laisser se débrouiller dans cette situation, non ? Il écarquilla un peu les yeux mais céda à sa demande muette. L’homme en face les dévisageait toujours encore, comme s’ils allaient le menacer dans quelques instants.
– Bonjour, monsieur, sourit-il alors. Nous cherchons une certaine Sophie Verçon. On nous a dit qu’elle habitait ici ?
8 décembre : La suspecte trop occupée by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Voyez ce joli chapitre où la plus grande peur est d'attraper la varicelle - ou d'être accusé de meurtre. Le thème est "rencontre". Comment dire ? Ils rencontrent quelqu'un.
Bonne lecture !
Augustine appréhendait un peu la réponse de ce vieil homme qui avait l’air si revêche à l’idée d’être confronté à la police. Et s’il refusait de leur répondre. Et s’il ne savait pas où habitait Sophie Verçon qu’ils souhaitaient interroger ? Mais ses craintes étaient infondées. Le visage de l’habitant se détendit considérablement et il leur sourit même légèrement.
– Certainement pas. Sophie habite la maison à l’autre bout de la rue. Le numéro 12 et non le 2. Je suppose qu’il y a eu une faute à un moment car c’est une faute qui arrive régulièrement. Vous lui voulez quoi ?
– Seulement lui poser une ou deux questions sur une de ses connaissances, esquiva Hugo. Merci beaucoup, monsieur. Nous vous souhaitons une bonne journée.
Les deux policiers repartirent rapidement, ne voulant pas donner davantage de foin aux rumeurs qui se répandaient déjà suffisamment vite. Il ne manquerait plus que les journaux pour compliquer l’enquête. Cela dit, ils ne tarderaient sans aucun doute pas à affluer. Après tout, Geneviève Croiset avait été une célébrité locale.
La rue était bordée de maisons identiques d’un côté, de l’autre se trouvait le fleuve. Un peu plus loin, juste derrière le virage duquel ils venaient se trouvait la place de l’opéra et le bâtiment lui-même. Ces maisons devaient valoir une fortune ou deux !
– Tu sais quelque chose sur elle ou son mari ? demanda Hugo qui avait remarqué la même chose. Ils doivent être riches pour vivre ici. Je suppose que rien que le loyer dépasse largement notre revenu de pauvres policiers !
Augustine haussa les épaules. Elle n’avait rien vu de particulier dans le petit peu d’informations qu’elle avait trouvé. C’était tellement dommage qu’il n’y avait pas une base globale où chacun parlait de sa vie privée. Ils auraient pu en apprendre tellement plus sur les gens qu’ils allaient interroger. Là, elle ne savait uniquement que Sophie Verçon était mariée, avait deux filles et jouait du violon dans l’orchestre. Pas vraiment beaucoup…
Arrivée enfin devant le bon numéro, elle sonna ici aussi. Des cris d’enfants se faisaient entendre de l’autre côté de la porte. Puis des pas rapides arrivèrent et une jeune femme aux yeux cernés ouvrit la porte.
– Oui ? Comment je peux vous aider ?
Elle avait l’air tellement stressé qu’Augustine s’en voulait de la déranger. Heureusement que Hugo semblait penser la même chose et prit parole.
– Bonjour, j’espère que nous ne dérangeons pas trop. Nous voudrions vous poser quelques questions sur l’orchestre et la répétition de hier.
– Bien sûr mais je ne crois pas pouvoir vous aider, je n’y suis pas allée.
L’inspectrice lui sourit, gênée, puis regarda Hugo et lui signa : « Pas au courant ? ». Son collègue semblait réfléchir un instant, sous le regard inquisiteur et étonné de la violoniste. Augustine savait que c’était à cause d’elle et espérait qu’il n’y aurait pas de remarque. Mais Hugo n’hésitait plus.
– Vous avez peut-être entendu que Geneviève Croiset est morte hier soir ? demanda-t-il sur le ton de la confidence.
– Quoi ?!
Le cri de Sophie Verçon sonnait tellement véridique qu’Augustine fut tentée de l’innocenter immédiatement, mais en même temps elle savait que le meurtre avait été commis à peu près au moment où elle était là-bas. Cela aurait été une bêtise de s’arrêter là.
– Vous voulez entrer ? Vous avez déjà eu la varicelle ? s’inquiéta Madame Verçon. Ma plus jeune l’a ramenée de la maternelle…
Augustine se sentit rougir quand elle dut secouer la tête. Non, elle ne l’avait pas eue petite. Et elle n’avait vraiment pas envie de croiser cette maladie infantile. Leur interlocutrice haussa les épaules.
– Je vous propose la terrasse alors. Contournez la maison, je me prends un manteau et des coussins.
Sur le chemin, Augustine tenta d’expliquer son plan d’attaque à Hugo. Alors oui, elle avait déjà prévu quelque chose sur le chemin mais la réaction de Sophie Verçon la faisait douter.
– Ne t‘inquiète pas, la rassura le policier. Elle peut tout aussi bien jouer très bien la comédie.
Augustine sortit son carnet, désespérée. Hugo ne suivait pas ses signes. C’était peut-être un peu trop compliqué.
« D’abord, on veut entendre sa version de sa présence là-bas, puis si elle a remarqué quelque chose en y allant. Ou dans les jours précédents. Et ensuite on lui demande sur l’orchestre et sa place. On devrait pouvoir constater si elle est tellement jalouse de Geneviève Croiset qu’elle est suspecte. Et ce sera l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle. »
– Il faut qu’on profite de l’avoir rencontrée ici, j’ai comme l’impression que ce n’est pas évident… En tout cas, on va suivre ton plan. Laisse-moi faire.
Sur la terrasse, Sophie Verçon avait encore la tête dans la maison, essayant de consoler une petite fille.
– Non, joue à la poupée et ne réveille pas ta sœur. Je suis juste là, Lisa. Désolée, je suis un peu débordée avec les deux petites à la maison, la mère venait dans leur direction et posa trois coussins sur des chaises de jardin. C’est vraiment vrai ? Comment est-ce arrivé ?
Augustine attrapa le regard interrogateur de Hugo et secoua légèrement la tête. C’était tellement facile de se faire passer pour plus ignorant pour récupérer des informations et trouvez des excuses, explications et possibilités pour faire des cachotteries.
– C’est ce que nous essayons de découvrir. J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas à l’opéra hier ?
– Vous me suspectez en fait, rigola Sophie. Cela voudrait dire que c’était un meurtre ?! C’est ridicule ! Mais, en effet, Eva a la varicelle, alors je n’ai pas pu aller à la répétition. Mais je suis passée vite fait à la fin pour récupérer un livre chez Marie. Marie Bienheureux, elle a une librairie en ville. C’est pour occuper Lisa, elle n’a pas eu la varicelle jusqu’ici, alors je préfère la garder à la maison pour pas déclencher une épidémie dans sa classe. C’est galère pour les avoir un peu calmes. En tout cas, je ne sais plus du tout où me mettre la tête.
– Est-ce que vous avez remarqué quelque chose en passant ?
Madame Verçon semblait soudain perdre son sourire. Augustine étudia son visage et n’y trouva aucune trace de mensonges. Elle était convaincue que la mère ne pouvait pas mentir. Ou alors sinon elle était excellente actrice.
– Vous êtes vraiment sérieux, alors ? Je n’ai rien remarqué de particulier. Je veux dire, je suis entrée par la grande porte. Dans le hall, il n’y avait que les travailleurs qui doivent aménager le sous-sol en train de partir et le garde à l’accueil. Puis la salle de concert où j’ai parlé à Marie et me suis excusée chez les autres violonistes. Par contre, c’est vrai que je n’ai pas vu Geneviève… Ça ne m’a pas choquée, elle passe toujours aux toilettes pour se remaquiller. C’est presque une obsession chez elle d’être parfaite tout le temps. Quand je me dis que j’ai déjà du mal à trouver le temps le matin !
Elle ne put pas s’empêcher de rigoler à nouveau puis elle secoua la tête.
– Je suis absolument désolée, mais je trouve ça tellement absurde. Je n’arrive pas à m’imaginer que quelqu’un puisse tuer Geneviève. Elle est tellement lisse… je dirais même qu’elle est tellement parfaite que c’est ennuyant ! Mais j’avoue que je suis heureuse qu’elle soit là. Sans elle, les violons seraient perdus et je suis rassurée quand je n’ai pas le temps.
– Alors vous n’êtes pas déçue de ne pas être première soliste ?
– Pas du tout ! Je n’aurais pas le temps de toute manière. Et puis ce stress ! Non, non, je ne veux pas de cette place.
Son air dépassé fit sourire l’inspectrice. Elle commençait à cerner la femme dépassée en face d’elle qui essayait de jongler entre ses enfants et son engagement à l’orchestre. Il n’y avait aucune place pour de la jalousie dans sa vie et son regard.
– Sa cousine est plutôt jalouse d’elle par contre, non ?
– Ah non, ne m’en parlez pas. Geneviève et Isabelle… elles se disputent sans arrêt. Discrètement évidemment mais par petites piques dans le dos. Je pense qu’au fond elles s’aiment bien mais je suis tellement contente que Lisa et Eva s’entendent mieux. Je ne m’imagine pas ce que ça donne chez elles à la maison. Elles sont tellement jalouses l’une de l’autre qu’elles ne se rendent même pas comptent de ce qu’elles ont. Isabelle aimerait plus d’attention et Geneviève plus d’amour. Elles sont impossibles mais elles savent jouer du violon, ça c’est sûr. Non, je ne peux pas y croire… Eva, retourne au lit et ne te gratte pas.
– Mais j’ai mal, râla la petite fille en s’approchant des adultes.
Augustine échangea un regard avec Hugo puis ils se levèrent. Ils étaient convaincus qu’elle ne savait rien de plus. Elle n’avait probablement pas remarqué davantage avant – elle avait un regard pour les familles mais aucun temps libre. Cela n’étonnerait même pas l’inspectrice qu’elle ne connaisse pas les noms de tous les membres de l’orchestre. Hugo acquiesça de la tête.
– On va peut-être vous laisser à votre famille.
– Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider davantage. J’étais tellement occupée ces derniers temps. Je suppose que je vais lire le pourquoi du comment dans le journal dès lundi... Je ne voudrais pas que…
Elle fit un signe de tête vers sa fille. Augustine hocha la tête, ce n’était pas un sujet dont il fallait discuter devant une enfant de cinq ans. En fait, ce serait encore mieux si personne n’avait besoin de se pencher dessus. Un monde sans meurtre serait de façon le mieux, non ? Même si elle aurait moins de travail. Qu’est-ce qu’elle ferait dans un monde sans crime en fait ?
– Merci pour votre compréhension, fit Sophie Verçon. Encore désolée. Mais si je peux encore vous aider, appelez-moi. Je serais très certainement à la maison.
9 décembre : Vélos volés by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Depuis ce chapitre, j'adore dire vélo volé. C'est marrant. Bref, au départ on voulait parler de "miel".
Bonne lecture !
Les deux policiers se retrouvèrent devant l’opéra. Augustine pouvait apercevoir de là qu’il n’y avait aucune chance qu’ils puissent entrer. Apparemment le bâtiment était encore complètement fermé. Elle se souvenait qu’ils voulaient vérifier qu’il ne risquait pas de s’effondrer après l’explosion, et il était normal de ne pas trouver d’experts le weekend mais cela n’arrangeait pas ses affaires.
– Bon, il est onze heures passées, commenta Hugo. On a encore le temps d’aller voir une personne avant le déjeuner.
« Tu ne penses qu’à manger » signa Augustine de bonne humeur. L’enquête avançait pas mal du tout et elle savait exactement qui elle voulait voir en prochain : les deux meilleurs amis de la supposée morte. Ou plutôt, elle avait une excellente idée pour occuper le temps jusqu’au repas. Il devait bien y avoir une entrée par derrière. Elle fit un signe de main à son collègue et se dirigea vers l’arrière de l’opéra.
– Tu ne veux pas aller chez les Mancheau ? s’étonna Hugo. Je pensais que… comme il s’agit de la famille...
« Pas le temps » refusa Augustine en examinant le petit rebord entre le mur de l’opéra et le fleuve. Elle avait bien l’impression qu’à l’angle se trouvait une petite porte, ou du moins un renfoncement qui pouvait en être une. Hugo secoua la tête.
– Je ne passerai jamais ici et je n’ai pas envie de finir dans le fleuve non plus, refusa-t-il.
« Fais le tour. » montra Augustine. Elle-même passerait sans problème sur le rebord. Enfin tant qu’il n’y avait personne pour la pousser et tant qu’elle n’avait pas besoin d’éternuer. « J’y vais. »
Elle sentit le regard inquiet de son collègue posé sur elle mais l’ignora. Elle devait rester concentrée si elle ne voulait pas goûter à la baignade en eau froide. Avec quelques pas rapides, elle longea l’étroit rebord et se retrouva devant une petite porte métallique. Elle regarda en arrière. Hugo n’avait pas bougé et l’observait.
« Porte. » lui fit-elle avant d’essayer de la pousser. Contre toute attente, elle céda immédiatement après qu’elle ait soulevé le verrou. C’était presque comme si elle était utilisée régulièrement et entretenue pour ne faire aucun bruit. Est-ce qu’elle menait à un escalier et à l’intérieur de l’opéra ? Qui pouvait bien l’utiliser ? Le passage qu’elle avait pris n’était pas bien pratique et utiliser un bateau contredirait toute discrétion possible avec une telle porte cachée. Et l’autre côté… il était plus large mais elle ne savait pas encore où il menait. Elle préférait d’abord jeter un regard à l’intérieur.
Et à l’intérieur… Augustine cligna des yeux. Des dizaines de vélos s’entassaient dans une petite cave. Est-ce qu’il pouvait s’agir des vélos que recherchait l’inspecteur Limos ? Les vols s’étaient multipliés ces derniers temps et Léonard était sur le coup depuis presque deux mois. D’un coup d’œil expert, Augutine inspecta les murs à la recherche d’une porte, d’un couloir ou d’un escalier. Non, il n’y avait même pas une petite cavité. C’était au contraire plutôt comme s’il s’agissait d’une ancienne cachette de contrebande qui ne devait surtout pas communiquer avec l’espace d’au-dessus. Evidemment, il pouvait encore y avoir une issue cachée par les vélos mais l’inspectrice n’y croyait pas vraiment. Sinon, cette cave aurait été indiquée sur le plan de l’opéra. Elle l’avait consulté la veille au cas où.
Elle haussa les épaules et se retourna. Elle ne voulait pas déranger des preuves pour Léonard. A l’extérieur, Hugo la fixait toujours encore, inquiet. Elle réprima un soupir, après tout il aurait très bien pu faire le tour, et lui désigna l’autre côté du rebord. Sans attendre son avis – très certainement défavorable – elle s’y engagea. Comparé à ce qu’elle avait franchi pour venir, c’était un jeu d’enfant. C’était indéniablement par là que les vélos étaient poussés. Elle pouvait même encore apercevoir quelques traces de roues. Et qu’est-ce que c’était là dans ce coin où le bâtiment était bordé de haie avant de mener sur la place ? Du miel ? Pourquoi y avait-il du miel ici ?
Curieuse, l’inspectrice suivit cette infime trace dorée jusqu’au premier buisson. Elle écarta les branches aux feuilles persistantes et aperçut… un panier rempli de pots de miel ! L’un d’entre eux s’était brisé et le miel coulait lentement mais sûrement en direction du fleuve. Sans nul doute, ce panier avait été attaché sur l’un des vélos volés, elle pouvait voir les sangles qui le maintenaient. Elle ne devait pas trop y toucher, du moins pas sans un autre avis. Augustine se retourna et fit signe à Hugo de la rejoindre.
En l’attendant, l’inspectrice inspecta les autres buisons. Mais outre une petite douzaine de cadenas découpés, elle n’y trouva rien. Bon, sauf la petite dizaine de vieux emballages de fast-food et les canettes vides typiques des endroits où de jeunes gens fêtaient sans penser à ranger.
– Waouh ! Qu’est-ce que vous faites ici ?!
Augustine ne sursauta pas quand soudain une jeune voix retentit derrière elle. A contrario de son vis-à-vis quand elle se retourna, elle n’était pas surprise. Il fallait bien que quelqu’un vienne. Soit c’était un jeune qui voulait ramasser les déchets – très peu probable –, soit un des voleurs de vélos. Dans le premier cas, ce serait très bien. Dans le deuxième… elle n’avait pas de vélo mais Léonard serait certainement intéressé par la découverte. Bon, il lui ferait la tête pendant des jours mais au moins son enquête avancerait.
Elle observa donc le jeune homme qui lui faisait face. D’une vingtaine d’années, il était grand et mince et lui rappelait quelqu’un qu’elle avait vu il y a peu. Ses yeux rouges et gonflés semblaient indiquer qu’il avait pleuré peu de temps avant. Pouvait-ce être quelqu’un de l‘orchestre ? Mais alors que faisait-il ici ?
« Des recherches. Je pourrais vous retourner la question. »
Peut-être était-ce que son imagination, mais une lueur de dédain ou de pitié semblait traverser les pupilles de l’homme quand elle lui montra son bloc-notes. Il lui donnait l’impression de la toiser quelques secondes pour déterminer si elle valait la peine qu’il lui réponde ou non. Finalement, il semblait se décider que oui. D’ailleurs, s’était-il crispé ou n’avait-il rien à cacher ? Non, il voulait cacher quelque chose.
– Moi ? Eh bien, je vous ai vu et voulais vous demander comment avançait l’enquête. Je suis Frédéric Boiset, un ami de Geneviève.
Augustine hocha la tête en se repenchant sur le panier de miel. C’était quand même curieux de voler un vélo avec tant de miel dessus. Surtout si on ne le mangeait pas ensuite. Mais peut-être que c’était encore prévu…
– Qu’est-ce que vous regardez ? Des pots de miel ?
L’inspectrice trouvait que sa voix manquait de surprise.
« Vous le saviez déjà, non ? » marqua-t-elle. « Peut-être que vous êtes aussi au courant pour les vélos… » Le jeune homme qui s’était penché pour mieux voir, rougit.
– Non, non, je ne sais rien sur des vélos ici. Qu’est-ce qu’il y a avec des vélos ?
« Les vélos que vous avez cachés dans la cave juste à côté. » accusa calmement Augustine. « Inutile de nier, vous avez encore de la graisse à vélo à des endroits inhabituels. »
– Les vélos, ah ces vélos-là… Euh, je ne sais pas du tout ce qu’ils font là… D’accord, d’accord, j’avoue, je ne sais pas très bien mentir. Mais on ne les vole pas, enfin pas vraiment. On les entrepose et quand on voit que quelqu’un les cherche et propose une prime, on les lui rend.
« Qui ça, on ? »
– Qui on ? Je disais ça comme ça moi. On, c’est moi.
Augustine regarda le jeune homme de travers. Il n’y avait pas besoin de la prendre pour une imbécile non plus. Frédéric rougit encore davantage.
– Et Jacques et Geneviève. D’accord.
L’inspectrice lui sourit pour le récompenser de son honnêteté. C’était presque un peu trop simple mais elle pouvait bien s’imaginer qu’ils pensaient que quelqu’un les avait déjà dénoncés ou encore qu’elle avait des preuves accablantes contre lui. Ce qui n’était évidemment pas le cas. Hugo n’arrivait toujours pas, mais elle n’avait pas besoin de lui pour le moment. Elle interrogeait un des suspects les plus proches de la victime. C’était parfait. Ici, il ne pouvait même pas lui échapper.
« Avez-vous remarqué un changement chez votre amie Geneviève ou chez sa cousine Isabelle ? »
¬– Non, je n’ai rien remarqué de particulier. Geneviève était comme toujours et sa cousine aussi. D’accord, peut-être que Geneviève a fait quelques efforts pour être plus sympathique mais c’est surtout parce qu’elle a rencontré ce hippie-là, Jean. Elle est même allée à un de ses réunions avec des arbres. Je ne l’ai jamais vu dans cet état mais si ça la rend heureuse, je n’ai rien à dire contre, hein.
Augustine hocha la tête. Cela rejoignait l’avis de Marie Bienheureux. Il lui fallait distinguer la réalité et les pièges mis en place par le meurtrier. Elle était certaine des différences de comportement qu’elle avait vu, même si les deux qu’elle avait demandés le rapportait à une autre cause.
« Pourquoi avoir volé un vélo plein de miel ? » s’enquit-elle ensuite.
Frédéric haussa les épaules. Il se rapprocha pour regarder le miel et soudain Augustine se sentit partir en arrière, directement dans la direction où elle savait le fleuve…
10 décembre : Le chapitre où il ne se passe rien by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Le nouveau thème est "chorale" et je crois que pour une fois il est bien intégré - ne vous y habituez pas XD
Bonne lecture !
Augustine était quasiment certaine d’atterrir dans l’eau glacée d’un matin de décembre mais à la place son dos rencontra un bras musclé qui la retint en attendant qu’elle retrouve son équilibre. Elle remercia son sauveur d’un sourire.
– Ça va, qu’est-ce qui vous est arrivé ? s’inquiéta Frédéric Boiset. Vous ne tenez plus sur vos pieds ?
L’inspectrice plissa les yeux et examina le sol. Elle était certaine d’avoir senti une main sur son épaule avant de perdre l’équilibre, et il n’y avait personne d’autre que le jeune homme. Ce devait être lui, rien d’autre n’était possible. Un comble qu’elle devait se faire rattraper par quelqu’un qui avait tout intérêt à ce qu’elle tombe et se noie… Cela l’arrangerait bien, puisqu’il venait d’avouer des vols de vélos devant elle. Il n’avait certainement pas envie que cela ne s’ébruite. Alors, pourquoi l’avait-il rattrapée juste après ?
– Tout va bien ? Hugo arrivait, légèrement essoufflé. J’ai cru te voir tomber ! Merci beaucoup, jeune homme.
D’un seul coup, Augustine comprenait beaucoup mieux. Il avait pris peur en voyant un autre policier arriver et être témoin. Et puis il fallait lui laisser le bénéfice du doute puisqu’elle aurait très bien pu glisser sur le miel et pas être bousculée. Maintenant qu’elle y pensait, elle ne pouvait plus dire exactement si elle avait senti la main sur son épaule avant ou après qu’elle était tombée… Rah ! Ça l’embêtait. Si on ne pouvait même pas se fier à ses propres souvenirs !
– J’aurais préféré que vous me remerciez vous-mêmes mais je vois que vous avez un collègue bien dressé, lui sourit Frédéric d’un air moqueur.
L’inspectrice n’en crut pas ses oreilles.
– Je ne vous permets pas ! s’indigna Hugo mais fut coupé dans son élan par une autre personne qui arriva en courant.
– Frédéric ! Tu ne saurais pas où est Jacques ? Je le cherche partout, il m’a promis de m’aider avec les petits. Ah, bonjour madame l’inspectrice, monsieur l’officier.
Isabelle Mancheau se tenait devant eux, à peine surprise de les voir, et visiblement en pleine panique. Son manteau était ouvert comme si elle avait trop chaud dans ce froid samedi et ses joues étaient rouges. Sous le bras, elle portait un paquet de feuilles colorées.
– L’opéra est encore fermé, je dois trouver une solution pour la chorale des petits très rapidement. Du type maintenant ! Vous avez des idées ? Qu’est-ce que vous faites tous dans ce coin d’ailleurs ? Enfin, peu importe, si Jacques n’est pas là, tu peux m’aider, Fred ?
Augustine cligna des yeux. Elle n’avait pas du tout l’impression d’avoir la même personne sous les yeux que la veille. Mais si c’était là la véritable personnalité d’Isabelle Mancheau, elle comprenait pourquoi Geneviève Croiset avait eu du mal de l‘incarner. Ou alors si c’était bien Isabelle Mancheau, ce devait être le choc qui l’avait rendu plus calculatrice la veille. Ou alors, non elle ne savait plus quoi penser. Y avait-il eu un échange ou non ? Isabelle était-elle Isabelle ou Geneviève ? En tout cas, Frédéric, l’ami de Geneviève, n’hésitait pas une seconde pour l’appeler Isabelle. Et lui devait le savoir, non ?
– Isabelle, calme-toi. Et ce n’est pas parce que Jacques ne sait pas dire non, que c’est aussi mon cas. Je n’ai aucune attention de me casser les oreilles en essayant de garder concentrer des gamins de six ans.
Augustine craignit le pire quand sa suspecte principale se tourna vers elle avec un air désespéré. A côté d’elle, elle voyait Hugo trembler pour son déjeuner.
– Mais vous pourriez m’aider, non ? Je suppose que vous voudriez m’interroger de nouveau de toute manière alors vous pouvez tout autant m’aider en attendant que j’ai un peu de temps. Vous voyez, cette chorale c’est mon bébé musical. Geneviève ne s’y est jamais intéressée davantage que pour le critiquer. Venez. Et Fred, si tu vois ton meilleur ami, tu me l’envoies, hein.
Augustine, déjà prête à sortir son calepin pour y inscrire des consignes et surtout sa découverte, s’arrêta en plein mouvement quand le jeune homme éclata soudainement en sanglots. Elle n’avait pas du tout pensé qu’il puisse être aussi émotif. C’était quand même un voleur en série ! Et il avait été si… normale quand elle lui avait parlé. Même quand ils avaient évoqué Geneviève Croiset. Mais apparemment il était tout d’abord un jeune homme dont la meilleure amie avait été tuée. Elle se sentit un peu honteuse. A quel moment avait-elle oublié ce détail ?
– Comment tu peux être si détachée, c’était toujours Genie, Jacques et moi, sanglota-t-il. Comment peux-tu penser à ta chorale maintenant ?!
Mais Isabelle avait aussi déjà les larmes aux yeux et plaça ses feuilles dans les mains d’un Hugo éberlué, avant de prendre l’ami de sa cousine dans les bras.
– Mais non, j’essaye juste de refouler. Il y a tellement de choses à faire… Si je me permets de penser, rien ne va fonctionner. Surtout que papa est dans un tel état, il faut que je m’occupe de tout.
Augustine se sentit vraiment gênée et échangea un regard avec Hugo. Mais ensuite la partie pragmatique de son esprit reprit le dessus et elle profita de l’inattention des deux témoins voire suspects pour écrire à son collègue.
« Derrière la porte côté fleuve de l’opéra, il y a les vélos volés. Probablement ceux que cherche Léonard. Frédéric Boiset a avoué face à moi. Lui et ses deux meilleurs amis Jacques Henri et Geneviève Croiset (la victime de mon enquête actuelle) sont les responsables. Demande que l’intervention sur les vélos soit repoussée à la fin de mon enquête sur le meurtre. Je continus d’interroger I. Mancheau, toi retourne au poste. »
Les yeux de Hugo s’écarquillaient pour atteindre une taille qu’elle ne s’imaginait pas qu’ils puissent atteindre. Lui qui n’avait pas cru qu’il y avait une porte était véritablement surpris. Mais pour ne pas commenter cela à voix haute, il se contenta de hocher la tête et de mettre la feuille arrachée du bloc-notes dans sa poche.
– Je suis désolé, renifla Frédéric.
– C’est moi qui suis désolée. Mais tu devrais te reposer, essayer de penser à autre chose. Tu ne peux plus lui aider, si ce n’est en t’occupant de ce qu’elle aimait.
– Vous voulez que je vous ramène chez vous ? proposa Hugo de sa voix aimable de petit papi. Je dois penser à rentrer mais un détour est vite fait.
Augustine réprima un sourire. Evidemment qu’il allait profiter du fait qu’elle l’ait renvoyé au poste pour aller manger chez lui, et si elle était honnête, elle ne pouvait pas le lui reprocher, sa femme cuisinait merveilleusement bien.
– Oui, merci, accepta le jeune homme en se mouchant dans un mouchoir mis dans sa main par la cousine. Je ne pense pas qu’ici je puisse faire quoique ce soit…
– Prends soin de toi, cria Isabelle derrière lui avant de se retourner vers Augustine. Je m’inquiète pour lui, ils sont quasiment inséparables depuis la sixième, et pas par obligation familiale. Merci beaucoup pour votre aide. Venez, les enfants doivent déjà attendre devant. Vous chantez ?
L’inspectrice la fixa avec de grands yeux. Elle croyait vraiment qu’elle chantait ? Elle secoua la tête. Evidemment que non, elle ne chantait pas plus qu’elle ne parlait, merci bien. Elle accompagna néanmoins Isabelle Mancheau vers le groupe de jeunes enfants avec leurs parents qui s’était formé devant le bâtiment.
– Bon, je vais voir ce que je vais faire de vous. Avec un peu de chance, votre uniforme suffira pour les faire taire. Vous savez diriger au moins ? Ou lire des notes ?
Augustine regretta déjà d’avoir accepté. Elle lui paraissait très fatigante maintenant qu’elle était dans son élément. Au moins, vu l’élan et l’engagement pour cette chorale qu’elle montrait, il était invraisemblable qu’elle soit Geneviève ce qui était rassurant. A moins qu’elle ne joue très bien son rôle ce qui n’était pas exclu non plus. Elle devait arrêter de penser à toutes ces possibilités, sinon elle finirait par avoir des nœuds dans le cerveau. Elle secoua la tête – d’où elle pourrait savoir diriger une chorale – puis la hocha – son père avait insistait pour qu’elle apprenne à jouer du piano puis de l’orgue pour l’église même si cela n’avait pas été couronné de succès, la musique n’était pas son point fort.
– Désolée du retard ! lança Isabelle au groupe qui attendait. Malheureusement le bâtiment est fermé à cause d’une explosion hier soir. Voici l’inspectrice Pinson chargée de l’enquête. Je vous propose de ne pas répéter aujourd’hui mais de directement chanter ici sur la place, voir même de passer dans les rues. Pour cela j’ai besoin de l’autorisation de vos parents.
Le groupe entier se pressa autour d’Isabelle pour lui poser des questions ou lui assurer du soutien pour son projet. Certains parents, particulièrement curieux, se rapprochèrent d’Augustine pour lui poser des questions sur l’origine de l’explosion. L’inspectrice était mal à l’aise, elle détestait ce genre de situation où elle devait s’adresser à un groupe de personnes. C’était toujours plus compliqué que de tendre un papier vers une seule qui pouvait lire à son rythme. Elle se contenta donc de lever les mains et de secouer la tête comme si elle ne pouvait rien leur dévoiler – bon c’était le cas mais pas comme ils se l’imaginaient. Heureusement la plupart ne semblaient pas vouloir insister.
– C’est à cause de la mort de Geneviève Croiset ? cria pourtant une jeune femme par-dessus les parents. La presse locale doit être au courant. Est-ce vrai que la soliste de l’orchestre symphonique a été tuée lors de l’explosion ?
11 décembre : Il ne se passe toujours rien by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Pour le thème "fromage", on continue avec les problèmes quotidiens d'Augustine mais sinon c'est le vide...
Bonne lecture !
Augustine ne se dandinait pas d’un pied sur l’autre pour la seule et unique raison qu’elle ne voulait pas montrer sa faiblesse. Que faisait la presse dans le groupe des parents de la chorale des enfants ? Et pourquoi Hugo n’était-il pas là ? Certes, c’était elle qui l’avait renvoyé au poste pour qu’il passe un message au chef, mais lui savait comment parler aux médias sans trop en dévoiler. Mais de quoi est-ce qu’ils se préoccupaient aussi maintenant ? Ils avaient besoin d’un peu de temps pour trouver des raisons et des preuves…
– Désolé, nous ne sommes pas en mesure de dévoiler des informations maintenant, fit soudainement une voix bien connue derrière elle. L’enquête est en cours, nous n’avons encore aucune certitude. Pour des renseignements, vous êtes priée de vous adresser au poste de police de la ville.
Hugo était revenu ! Elle avait rarement été aussi soulagée de le voir. Et ça faisait déjà la deuxième fois de cette matinée qu’il la sauvait d’une situation problématique. Qu’est-ce qu’elle avait marre de ces gens qui ne pouvaient pas discuter calmement en lisant mais qui devaient s’agiter en même temps. Comment voulaient-ils atteindre quoique ce soit ainsi ? Certainement pas une réponse de sa part. Bon, elle était injuste, ils ne savaient pas, mais quand même. Elle le remercia d’un signe de main avant de chercher Isabelle Mancheau du regard. Sans succès, la foule de parents et de petits chanteurs l’avait engloutie.
– Un inspecteur de police muet ?! s’exclama entre-temps la journaliste, à qui rien ne semblait échapper. Est-ce que c’est autorisé ?
Augustine n’y prêta aucune attention, elle avait entendu ce commentaire déjà tellement souvent… Malheureusement pour elle, les autres ne semblaient pas être d’avis que cela pouvait rester sans commentaire. Elle en avait tellement marre. Mais ce n’était pas important, il lui suffisait de rester concentrée sur son enquête. Laissant Hugo gérer les personnes pas assez futées pour comprendre que l’un n’avait rien avoir à l’autre. Elle n’avait pas plus de problème pour résoudre des crimes que n’importe qui d’autre, merci bien. Il suffisait d’ailleurs de demander à Léonard, il se plaignait bien suffisamment de son traitement de faveur comme il l’appelait. De la jalousie, voilà ce que c’était. Bref. Elle n’était pas là pour s’occuper de ce genre de problème, elle était là pour arrêter le meurtrier de Geneviève Croiset. Elle était en train de perdre son temps.
Elle fit signe à Hugo, qui était en pleine tirade sur les compétences requises à la police et qui n’allait pas tarder à remarquer qu’elle ne les remplissait pas, de laisser tomber. Ce genre de débat était vain. Ce qui suivait était tellement improbable que cela n’arrivait seulement dans les romans et jamais dans la vraie vie. Et pourtant, à l’instant où Augustine réfléchissait à comment se sortir de la situation, un jeune homme aux cheveux mi-longs arriva en courant.
– Isabelle ! Je suis là ! Désolé pour le retard ! Comment je peux t’aider ?
Il s’agissait sans aucun doute de Jacques Henri, l’ami de Geneviève qui avait promis à Isabelle de l’aider pour la chorale. Mais du coup… qu’est-ce qu’il représentait pour la jeune Mancheau ? Pouvait-il être un nouveau point de tension entre les deux cousines ? Pourquoi aidait-il l’une alors qu’il était de la bande de l’autre ? Ça promettait d’être bien compliqué surtout si elle ne pouvait pas lui parler. Enfin, cela ne serait que repoussé. En attendant il la tirait bien d’affaire.
– Oh, Jacques, contente de te voir. Tu peux rassembler les enfants sur les marches ? Et fais-leur ouvrir leurs cahiers sur Vive le vent. D’ailleurs, si tu vois une policière, dis-lui que c’est bon ici, mais que si elle veut me parler elle peut passer à la maison cet après-midi.
Voilà qui arrangeait bien les plans d’Augustine. Elle leva une main en guise de salut en direction de la jeune femme puis se fraya un chemin en direction de la voiture de police, garée bien sagement un peu plus loin dans la rue.
« Pourquoi es-tu revenu ? » signa-t-elle à son collègue qui s’était dégagé avec davantage de mal mais qui l’avait rattrapée.
– Comment dire… Tu as les clés de la voiture.
D’accord, c’était une excellente raison. Augustine fouilla dans la poche de sa veste et y trouva effectivement les clés. C’était quand même assez bête mais cet oubli s’était avéré plutôt pratique en fin de compte. Elle ouvrit la voiture et démarra dès qu’ils s’étaient installés. Direction le poste de police. Du moins c’était le plan.
– Tu ne penses pas qu’on pourrait s’arrêter en route pour manger quelque chose ? demanda Hugo. J’ai bien envie de fromage. Beaucoup de fromage.
Evidemment, Augustine ne put rien répondre, mais elle n’en pensa pas moins et emprunta le chemin le plus direct possible. Au détour d’un feu rouge, elle regarda son collègue et secoua la tête. Hugo qui s’était apparemment bercé dans une douce illusion de raclette ou de fondue se lamenta pour le reste du chemin.
« Tu vas devoir te contenter du sandwich au fromage de la boulangerie. » commenta Augustine quand ils furent enfin arrivés. Jamais dix minutes en voiture ne paraissaient aussi longues que quand on avait quelques choses à dire mais qu’on ne pouvait pas. Hugo tira la tronche mais accepta tout de même d’aller à la boulangerie acheter le déjeuner pendant qu’elle-même se confrontait au chef – est-ce qu’il était là au moins ? – et à Léonard. Heureusement que leur agent de presse ne travaillait pas le samedi sinon cela ferait la personne de trop.
D’un pas rapide, l’inspectrice monta jusqu’à l’étage des bureaux. Chef ou Léonard ? Telle était la question qui se posait. A qui parler en premier ? Les deux seraient vexé s’ils passaient en second mais elle voulait une faveur du chef… ou c’était plutôt Léonard qui devait accepter de ne pas enquêter pour quelques jours ? Oh, c’était prise de tête, ces histoires de qui est responsable de quoi. Elle allait leur parler en même temps à tous les deux comme ça, ce sera réglé et ils pourront se débrouiller entre eux.
« Le chef est là ? » demanda-t-elle à la pauvre secrétaire de garde le samedi en passant. Celle-ci la fixa d’un air étonné. Augustine plissa les yeux. C’était la nouvelle. Evidemment que les autres lui avaient refilé les mauvais horaires. Mais ils l’avaient quand même briefée sur les signes de base, non ?
– Désolée, je suis nouvelle, s’excusa la secrétaire, confuse. Je crois que je n’ai pas tout mémorisé. Comment puis-je vous aider ?
Augustine ne leva pas les yeux au ciel parce qu’au fond elle était gentille, et sortit son bloc-notes. « Le chef est-il dans son bureau ? » Puis, pour l’effet pédagogique, elle refit le signe de chef puis pointa la direction du bureau. Face à elle, le visage de la nouvelle secrétaire s’éclaircit.
– Oui, Monsieur Vangre est là. Je crois qu’il ne voulait pas être dérangé et avancé dans les papiers par contre. Ou alors c’est Monsieur Limos qui est avec lui ? Je suis désolée, je ne sais plus.
Augustine balaya ça d’un geste de main. Elle allait de toute manière passer au bureau de Léonard et au pire elle les dérangerait. Elle adressa un sourire de remerciement à la secrétaire puis se détourna.
– Je peux me permettre de demander qui vous êtes ? fit la petite voix derrière le bureau. Je veux dire, j’essaye de retenir les noms que m’ont donné les autres mais c’est compliqué…
« Augustine Pinson. » Elle se contenta de montrer son badge d’inspectrice, c’était toujours le plus simple pour se présenter. Elle observa les yeux de la nouvelle secrétaire s’écarquiller et sa bouche former un o d’étonnement, avant de rougir.
– V… vous êtes l’inspectrice Pinson ? L’inspectrice muette ?
La dénommée roula des yeux. Quelle perspicacité ! Mais cela commençait à l’inquiéter si elle avait déjà une telle réputation… C’était effrayant puisqu’elle ne faisait que son travail. Elle acquiesça une dernière fois avant de résolument tourner le dos à la secrétaire. Elle avait un crime à résoudre et avait déjà perdu presqu’une heure à cause de stupides balivernes. Pourquoi tout le monde faisait une fixette sur son mutisme, hein ? Cela ne changeait rien du tout.
De bien plus mauvaise humeur qu’en arrivant, Augustine toqua à la porte du bureau de son collègue Léonard Limos, jeta un coup d’œil en ne recevant aucune réponse et rejoignit le bureau du chef d’un pas rapide. Autant en finir rapidement puisque ça allait encore donner des discussions sans fin. Elle toqua énergétiquement.
– Si c’est absolument nécessaire… tonna la voix blasée d’un chef qui était encore en train de se faire interrompre pendant une tâche ennuyante. Ah, Augustine c’est toi. Entre, entre. Qu’est-ce qui t’amène de beau ?
L’inspectrice ignora le regard empli de rage de son collègue – probablement due à la jalousie d’être bien accueillie alors que lui s’était pris des remarques – et posa simplement le papier qu’elle avait repris à Hugo sur la table. Il y eut quelques secondes de calme pendant que le chef lisait et que Léonard essayait de déchiffrer à l’envers, la curiosité l’emportant.
– Hum, fit l’inspecteur-en-chef Guillaume Vangre. J’accepte la requête. Léonard, mets ça dans ton dossier actuel et viens me voir dans cinq minutes, tu vas te charger de la disparition de la jeune femme dans le village – tu vois laquelle ? – avec Elodie. Je vais l’appeler mais je suppose qu’elle ne fiche rien aujourd’hui de tout manière…
Léonard fixa, ébahi, d’abord le chef puis Augustine. Ce fut le moment que choisit Hugo pour ouvrir en grand la porte du bureau :
– Augustine ! C’est terrible ! Ils n’avaient pas de sandwich au fromage !
12 décembre : Chef, liste et famille by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Pour ce chapitre au thème de "tasse", bonne lecture !
(quoi vous vous attendiez à une phrase plus intéressante ?)
L’intervention de Hugo laissa place à un blanc dans le petit bureau. Augustine haussa les épaules, tandis que Léonard avait arraché le papier des mains du chef pour voir de ses propres yeux pourquoi il avait été affecté à un autre dossier. Le chef lui-même s’était levé d’un bond.
– Hugo ! Depuis quand entres-tu dans mon bureau sans frapper ? Surtout pour une telle banalité ! Dehors, tout de suite, ou tu feras de la bureaucratie pendant deux mois !
– Désolé, désolé, s’excusa le policier, penaud, et s’éclipsa aussi rapidement qu’il était venu.
En attendant, Léonard avait retrouvé usage de sa parole. Il sortit à la suite d’Hugo en marmonnant dans sa barbe inexistante.
– Je me demande vraiment comment tu fais…
Malheureusement pour lui, Augustine entendait très bien, mais ne connaissait pas non plus la réponse à sa question. De la chance, elle dirait, surtout de la chance. En fait, elle dirait même qu’elle n’avait même pas encore commencé à réfléchir. Ce qui la menait au point problématique de l’enquête : pourquoi tout tournait autour de Geneviève Croiset ? Si ce n’était peut-être même pas elle, la morte... Elle devrait peut-être aussi trouver quelque chose sur Isabelle Mancheau. Le nom de ses amis, ses activités, n’importe quoi qui pourrait justifier que quelqu’un la tue ! Qui est-ce qui lui avait mis cette idée d’échange en tête en réalité ? La cravate manquante, l’attitude de celle qui s’était présentée comme Isabelle Mancheau, une remarque de quelqu’un qu’elle avait interrogé. C’était très peu pour fonder cette impression, non ? Et en face, elle avait plusieurs personnes qui n’hésitaient pas à interpeller la vivante d’Isabelle et qui ne disaient n’avoir rien remarqué d’inhabituel. A moins bien sûr que c’était ses questions qui avaient donné une certaine lumière à l’enquête. C’était compliqué et il fallait davantage d’information.
– Tu comptes rester dans mon bureau encore longtemps ? l’interrompit le chef. Allez, allez, au boulot !
Augustine fixa quelques secondes l’homme derrière sa table puis se rappela où elle était. D’un signe de tête, elle quitta la pièce pour se diriger vers son propre bureau. Hugo avait déjà poussé les montagnes de dossiers de la table – il les avait placés par terre comme si c’était le meilleur endroit – et sorti les baguettes achetées juste avant.
– C’est l’heure du déjeuner ! se réjouit-il en voyant Augustine.
L’inspectrice dévisagea l’état déplorable de son bureau. Et elle qui avait juste envie de réfléchir tranquillement pour dénouer les problèmes et pour savoir dans quel sens aborder les entretiens restants. Mais quand Hugo lui adressa un grand sourire en plaçant des tasses de café sur la table, elle comprit qu’elle n’allait pas lui échapper. Tant pis, elle commencerait quand même à faire une petite liste.
« Bon appétit » signa Augustine en enlevant sa veste puis en se saisissant de son calepin.
– Bon appétit ! Hugo n’hésita pas une seconde avant de se jeter sur son sandwich.
Augustine haussa un sourcil devant tant de gourmandise et commença par sa réflexion.
« Si la morte est Geneviève Croiset :
– Isabelle Mancheau : jalousie
– Bénédicte Mancheau : motif inconnu
– Sophie Verçon : jalousie
– Frédéric Boisot : amour déçu ?
– Jacques Henri : ?
– Jean Bois, peut-être petit-ami ? : motif inconnu
Si la morte est Isabelle Mancheau :
– Geneviève Croiset : vengeance ?
– Bénédicte Mancheau : motif inconnu
– Sophie Verçon : aucun motif
– Frédéric Boisot : par peur qu’elle ait découverte les vols de vélos ?
– Jacques Henri, relation à découvrir : par peur qu’elle ait découverte les vols de vélos ? »
Elle n’avait vraiment pas assez d’informations sur la cousine officiellement vivante. Et il lui en fallait davantage sur la famille Mancheau-Croiset en général. N’y avait-il pas aussi un petit frère ? Tant de possibilités…
– Tu sais quoi ? l’interrompit Hugo. Tu devrais manger quelque chose, tu n’as rien avalé d’autre qu’un café ce matin. Tu réfléchiras beaucoup mieux le ventre plein. Et je t’assure, le boulanger d’en face, il fait les meilleurs sandwichs de la ville.
Augustine se saisit du sien et mordit dedans à contre-cœur. Les enquêtes de meurtre lui coupaient toujours l’appétit mais elle savait bien qu’Hugo avait raison. Et de toute façon, elle n’avait plus rien à noter. Elle avait prévu de manger maintenant dès le début.
– On va voir les Mancheau en famille, c’est ça ? Et si j’ai bien compris en devrait aussi retrouver l’ami de la cousine. Comme je te connais tu voudras immédiatement continuer et rendre visite à d’autres personnes qui n’ont été évoquées qu’une seule fois, n’est-ce pas ?
L’inspectrice leva les yeux au ciel mais ne le nia pas. C’était à peu près le plan, oui. Une autre pensée bien plus importante lui traversa la tête et elle fit une pause dans son sandwich pour l’écrire.
« Qu’est-ce qui est arrivé à l’autre, celui que tu voulais ramener, en fait ? »
– Pose pas de question, mange. Ah, il a dit qu’il n’avait pas envie de revoir Isabelle parce qu’elle lui faisait trop penser à Geneviève et qu’il rentrerait à pied. Je suppose que c’est ce qu’il a fait.
Augustine espérait cela très fort. Est-ce que ce commentaire impliquait peut-être un éventuel échange et alors pourquoi serait-il si triste pour Isabelle ? Il fallait qu’elle interroge les membres de la famille séparément. Par contre, elle commençait à en avoir assez des conseils bienveillants de son collègue. Elle prit une gorgée de café dans sa tasse. Concentration sur l’enquête.
Une heure plus tard, ils se retrouvèrent de nouveau attablés avec une tasse de café à la main. Les Mancheau face à eux semblaient être dans un état terrible. A peu près l’état que l’on s’imaginait quand on savait que l’une de leurs enfants avaient été assassinée. Le père Bénédicte fixait un point du mur en semblant penser à complètement autre chose, la mère Comment-est-ce-qu’elle-s’appelait-déjà sanglotait toujours encore derrière son mouchoir, le frère Jérémie, qui devait déjà bien avoir vingt ans aussi, affichait un air sérieux du jeune homme qui ne voulait pas pleurer en public. Seule Isabelle essayait d’afficher un semblant de normalité et avait insisté pour servir du café. Au fond, Augustine préférait quand les personnes qu’elle voulait interroger ne montrait pas trop leurs sentiments, c’était tellement plus facile de simuler de grosses larmes qu’une peine refoulée. Et au moins personne ne s’attendait à ce qu’elle les rassure. Même si là, en l’occurrence, c’était Hugo qui s’en chargeait merveilleusement bien. Et dans quelques minutes quand l’agitation causée par leur venue sera retombée, elle leur poserait des questions qui allaient peut-être remettre en perspective les réponses précédentes. Hugo demanda à ne parler qu’aux parents et les deux enfants – adultes aussi – étaient partis en lançant des regards suspicieux.
« Est-ce que vous pouvez nous parlez de ce qui s’est passé hier soir à la fin de la répétition, Monsieur Mancheau ? » C’était une question classique qu’Hugo répéta à haute voix puisqu’il ne semblait pas vouloir regarder le petit calepin.
– Mais vous le savez déjà ! Je vous l’ai dit, explosa Bénédicte Mancheau soudainement. Je suis allé aux toilettes et j’y ai trouvé ma pauvre Genie ! C’est horrible et je veux que vous retrouviez le coupable !
– Vous vous êtes peut-être souvenu d’un détail ? tenta Hugo. Nous faisons tout notre possible mais nous avons besoin d’informations.
– Non, il n’y a rien de plus, s’entêta le père endeuillé.
Augustine haussa les épaules quand son collègue la regarda. Ils n’en tireraient rien même s’il avait vu quelque chose mais en même temps elle en doutait. Evidemment, s’il n’avait croisé personne cela pouvait aussi l’accuser. Il n’y avait aucune raison de le croire quand il disait avoir trouvé Geneviève morte. Cependant cela ne semblait pas coller avec l’autopsie. Le chef d’orchestre était bien plus fort que sa nièce…
« Est-ce que vous connaissez des ennemis à votre nièce ? »
– Non, tout le monde aime Genie.
« Est-ce que vous pouvez nous parler de votre famille, votre nièce, votre fille, leurs amis, leur relation entre elles ? Vous aussi, madame. »
Augustine ne se faisait pas beaucoup d’espoir si ce n’était d’en apprendre davantage sur Isabelle et ses amis. Mais le résultat de la question surpassa ses attentes.
– D’où vous sortez cette idée que c’est Isa qui a tué Genie ?! C’est faux ! s’énerva le père de famille en se levant d’un bond. Elles se sont toujours très bien entendues, ce sont mêmes les meilleures amies du monde. Je peux vous donner des centaines d’exemples quand elles se sont entraidées. Par exemple la semaine dernière Isa a couvert que Genie n’est pas rentrée de la nuit. Si ça, ce n’est pas de l’amitié !
– Nous n’avons rien dit de tel, calma Hugo. Nous voulons simplement savoir qui avait un motif, ou si vous avez remarqué un changement de comportement récemment.
Augustine fronça les sourcils. Si même le père d’Isabelle la pensait capable d’un tel acte, y avait-il encore place au doute ? Et qu’essayait-il de leur cacher ?
– Ils ont raison, osa enfin Madame Mancheau. Ecoute, Bénédicte, dis-leur simplement que tu as croisé Jacques qui revenait des toilettes. Et tant pis si ça rend triste Isabelle. Elle ne peut pas sérieusement aimer le probable meurtrier de sa cousine…
13 décembre : Parents indignes by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Nous voici au début de la deuxième moitié de l'histoire (et ça ne changera rien en réalité). Le thème est "craie".
Bonne lecture !
Augustine cligna des yeux. C’était ça qu’ils essayaient de cacher ? Le fait que Bénédicte Mancheau croyait que le meilleur ami de sa nièce l’avait tuée et il ne le disait pas parce qu’il s’agissait aussi du petit-ami de sa fille ? C’était hallucinant. Elle avait du mal à comprendre le raisonnement des gens, parfois. Au moins sa femme avait eu raison. Ce n’était pas quelque chose qui faisait bien de cacher. Ce qui était moins sûr, c’est aussi que ce Jacques Henri ait un mobile. A moins qu’il ait une bonne raison... En tout cas, Jacques Henri venait de gagner la place de prochaine visite – ce qui était déjà prévu avant d’ailleurs.
« Vous l’avez vu sortir des toilettes ou venait-il juste de cette direction ? Quelle expression avait-il ? »
Hugo répéta sagement les questions. Bénédicte Mancheau sembla enfin remarquer le manège mais la colère prit le dessus.
– Qu’est-ce que je m’en fiche !? Il venait clairement de là-bas, la porte était entrouverte et c’est toujours lui qu’on doit réprimander à cause de ça. Je suis sûr que c’est lui. Qu’est-ce que vous attendez pour l’arrêter ?!
– Il y a trois minutes, vous ne vouliez même pas nous le dire… remarqua Hugo à voix basse. Mais revenons à votre nièce, vous l’avez accueillie chez vous il y a une dizaine d’années, non ?
– Vous n’avez qu’à lire le dossier si ça vous intéresse !
Madame Mancheau – mais c’était quoi son prénom ? Elle avait dû le lire cette nuit mais ne s’en souvenait plus – posa une main apaisante sur le bras de son mari et pris le temps de respirer et de s’essuyer les yeux avant de répondre calmement.
– Juste après la mort de sa mère, oui. On avait un peu peur qu’Isa soit jalouse mais cela s’est très bien passé. Evidemment elles se sont disputées comme toutes les sœurs. Mais de manière générale, j’étais très fière d’elles. Je veux dire, elles avaient chacune leur vie, et ici elles n’hésitaient pas à s’aider et à jouer ensemble. Et puis Geneviève avait ses amis, ce Jacques et Frédéric bien sûr, Isabelle aussi mais ces derniers temps elle a rejoint le groupe de sa cousine. Jeanne, Françoise et Léa sont parties pour leurs études, vous voyez.
Cela n’arrangeait pas les choses… Elle qui avait espéré qu’il y ait d’autres personnes à interroger… Augustine décida de tenter le tout pour le tout.
« Est-ce que vous pouvez nous attester sur votre honneur que c’est bien votre nièce Geneviève Croiset qui est morte ? »
– Carrément comme ça ? souffla Hugo en réponse.
Augustine le fixa et hocha la tête. Il y avait certaines choses qu’il fallait dire clairement pour être certain que tout le monde ait bien compris. Et là, c’était quand même fondamental. S’il y avait des personnes qui pouvaient distinguer les deux, c’était bien les parents. Surtout que oui, elles se ressemblaient mais pas autant que cela…
Hugo ne semblait pas être convaincu mais lut quand même la demande. Face à lui,
– Ça expliquerait tellement de chose, fit lentement Madame Mancheau.
– Nom de nom ! Qu’est-ce que tu veux dire avec ça, Marilou ?! éclata son mari. C’est tout bonnement impossible, elles ont joué au violon comme elles le font toujours, chacune à sa manière !
Voilà donc le prénom de Madame Mancheau ! Oui, ce n’était pas le moment de laisser divaguer ses pensées là-dessus. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Des parents ne pouvaient-ils pas différencier leur fille de leur nièce ?! Cela dépassait son imagination.
– Mais j’hallucine, souffla Hugo assez bas pour qu’Augustine soit la seule à l’entendre.
Les deux policiers échangèrent un regard profond en sens. Ni l’un ni l’autre ne comprenait pas comment ils pouvaient être si indifférents. C’était honteux pour des parents…
– Mais non, réfléchis, Bénédicte. Isabelle s’est énormément améliorée. Je trouve que Geneviève était bien susceptible ou joyeuse ces derniers temps alors qu’Isabelle devenait plus renfermée sur elle. J’ai trouvé cela bizarre mais pourquoi pas. Après tout, les gens changent, non ? Ce qui m’a frappée c’est le dessin à la craie de Geneviève la semaine dernière. Tu ne penses pas ? C’est typiquement quelque chose dont je me serais attendue de la part d’Isa mais pas de la part de Genie. Ce trait imaginatif, volatile, ces couleurs rêveuses. La craie ! Genie n’a toujours dessiné qu’au crayon. La craie, c’est la marque d’Isa. Rappelle-toi le nombre de fois qu’elles se sont disputées là-dessus…
C’était un peu vague, non ? Comme raison de douter si elles étaient vraiment la personne qu’elles prétendaient être… Augustine n’était plus convaincue de sa théorie, d’un seul coup. Mais qu’est-ce qu’étaient ces parents ?! Elle ne pouvait qu’en secouer la tête. Heureusement que la plupart n’était pas ainsi…
– Donc vous n’êtes pas sûre de qui prétend être Isabelle ? Cela pourrait être Geneviève ?
– Quand elles habitaient ici je pouvais dire exactement qui était qui, mais depuis que je ne les vois plus qu’une fois par semaine c’est devenu plus difficile. Un maquillage ou une coiffure différente peut tout changer, n’est-ce pas ? Alors non, je ne pourrais pas vous le certifier de façon certaine. Oh non, alors c’est peut-être…
La mère fondit brusquement en larmes sous le regard éberlué de l’inspectrice. Son mari la prit dans ses bras tout en jetant des regards méchants aux deux policiers, ce qui était tout à fait compréhensible finalement. Mais ils avaient bien dû penser à ce qui aurait été si ça avait été quelqu’un d’autre de la famille. Et Isabelle était l’idée la plus proche… Quand elle avait été petite… Non, concentration sur l’enquête.
– Qu’est-ce qui se passe ? Isabelle et Jérémie entrèrent dans la salle à manger en courant. Vous avez fait pleurer maman ?
– Isa, sanglota Marilou Mancheau. Dis-leur que tu es toi. Dis-nous que toi et Geneviève n’avez pas échangé de place sous nos yeux !
– Quoi ?! s’exclama Jérémie. Pas encore ! Pas pour quelque chose d’aussi important !
Augustine ne lâcha pas la prétendue Isabelle des yeux. Celle-ci croisa son regard, la fixa un instant, puis se détourna pour prendre les mains de sa mère.
– Maman, tu crois que je te mentirais là-dessus. Evidemment que je suis moi.
Elle avait l’air de mentir selon l’inspectrice. Chaque geste transpirait cela et tout le monde aurait dû le remarquer. Et pourtant dans le fond, elle avait l’impression que c’était la vérité. Était-ce du cinéma ou pas ? La question restait ouverte.
– Je crois que vous devriez aller au salon. Jérémie, tu veilles sur eux, le temps que je parle aux deux-là, s’il-te-plaît ?
Le jeune homme acquiesça et guida ses parents hors de la pièce. Augustine ne savait pas quoi faire. Elle se sentait mal à l’aise. Elle n’avait pas voulu les choquer autant. Juste avoir des renseignements. Ils devaient bien y avoir pensé avant, non ? Elle, elle y avait pensé énormément de fois, ce qui c’était passé si…
– Excusez-moi, coupa court ses pensées Isabelle. Vous devez-vous dire que je suis un monstre. Mais ils sont déjà écrasés de douleurs en pensant que c’est moi qui suis morte, alors si c’était Isabelle… Quand papa est venu en disant que Geneviève était morte, je ne voulais pas le contredire devant tout le monde. Alors qu’on avait dupé tout le monde pendant quinze jours déjà… Et puis, d’un mensonge à l’autre… maintenant c’est trop tard. Je ne veux pas leur causer plus de peine…
Augustine la fixait avec de grands yeux ébahis. Ce n’était pas possible. Elle n’avait aucune envie de croire cela. Car la parole de celui qui mentait sur un sujet pareil n’avait plus aucune valeur sur les autres sujets non plus. Mais il fallait reconsidérer cela. Les témoignages devaient être vérifiés, c’était la règle. Elle avait tenté de l’appliquer jusque là mais dès à présent cela devenait essentiel, vital. Et cela mettait dans une toute autre lumière toutes les personnes qui elle avait vu interagir avec la cousine de la victime. Etaient-ils au courant ou faisaient-ils semblant car étant de mèche ? Combien de personnes étaient impliquées dans cet échange et combien dans le meurtre ? Et qui était visé ? Geneviève ou Isabelle ?
La jeune violoniste face à eux leur adressa un sourire d’une froideur sans pareil. Augustine comprit soudainement pourquoi les témoignages se contredisaient sur son caractère. Elle pouvait être parfaitement lisse, le genre de personne à organiser un trafic de vélos ou même à éliminer des gêneurs, mais aussi gentille et serviable comme sa cousine. Tout se compliquait…
– Un instant, l’arrêta Hugo, n’en croyant pas ses oreilles. Vous êtes en train de dire que vous êtes… ?
– Geneviève Croiset, la nièce. Oui.
End Notes:
Je déteste les parents Mancheau ici, pas vous ?
14 décembre : Quelle cousine ? by Carminny
Author's Notes:
Thème : vanter.
Bonne lecture !
Augustine pouvait voir qu’Hugo réfléchissait à toute allure. Il n’avait pas parlé à Isabelle la veille et donc n’avait pas eu des soupçons quant à la différence de comportement. Elle devrait peut-être dire Geneviève…
« Dans ce cas, pourriez-vous peut-être nous parler de votre cousine. Ses amis, ses activités, pourquoi vous avez échangé de place… »
– Ah oui, vos petits mots. Ce n’est pas gênant pour vous ?
L’inspectrice plissa le front, légèrement agacée. Qu’est-ce qu’ils avaient tous aujourd’hui à l’embêter avec ça ?
– Eh oui, maintenant que vous savez, je peux être moi, plus besoin de faire semblant d’être gentille. Bref, votre collègue a retrouvé sa langue et peut à nouveau faire interprète ? Parce que sans vouloir vous vexer, ça dérange un peu le flux de la conversation…
Augustine essaya de la transpercer du regard mais la jeune femme se contenta de lui renvoyer un regard railleur. Elle avait laissé tomber son sourire et affichait la mine contrite d’un enfant qu’on venait de priver de son jouet préféré.
– Ça ne marchera pas. Vous avez entendu le volume de papa… Mais bon, oui, je l’appelle aussi papa. Enfin, Isabelle. Elle est ennuyante comme tout. Toujours souriante, toujours de bonne humeur. Agaçante. Mais ses amis n’étaient pas mieux non plus. Ils sont d’ailleurs tous partis faire de grandes études. Bon, elle est restée pour aider son père à l’orchestre, il faut dire qu’elle est engagée…
Elle se tut quelques instants qui permirent à Hugo de revenir dans le présent. Il fronçait les sourcils en signe de réflexion intense avant de poser sa question.
– Je vois l’avantage pour Isabelle de devenir vous mais pourquoi avoir accepté ?
Voilà ce qui intéressait aussi Augustine. C’était l’endroit où son raisonnement avait toujours échoué. Que pouvait bien avoir Isabelle que Geneviève n’avait pas ?
– Oui, pourquoi avoir accepté ? semblait réellement réfléchir la jeune femme. Je pense que c’est surtout par pitié. Elle n’a rien et était tellement jalouse… On ne voulait qu’échanger deux-trois semaines, le temps qu’elle brille au concert de Noël.
« Qui est au courant ? » interrogea Augustine, rendue plus que curieuse. Elle avait une idée de ce qui aurait pu pousser Geneviève à accepter mais elle se doutait qu’elle ne l’avouerait pas – et elle n’allait pas lui donner des excuses non plus. Isabelle Mancheau avait une famille complète qui l’aimait inconditionnellement alors qu’en tant que pièce rapportée, Geneviève n’avait pas dû toujours se sentir acceptée.
– On ne l’a dit seulement à Jacques et Frédéric, mais c’est tout à fait possible que malgré nos précautions quelqu’un l’ait remarqué. En fait, ce serait plutôt rassurant. Je suis assez déçue que papa et maman ne s’en sont pas réellement rendus compte. Je veux dire, je suis plus belle, plus intelligente, plus drôle. Et surtout je joue beaucoup mieux au violon qu’Isabelle !
Une fois de plus, Hugo et Augustine échangèrent un regard entendu : une chose était certaine, elle n’était pas la plus modeste. Et ils n’étaient pas vraiment là pour l’entendre se vanter, même si c’était une bonne méthode pour obtenir des informations sans qu’elle ne s’en rende compte. Profitant d’une petite pause pour reprendre son souffle, Augustine glissa un papier à Hugo. Elle voulait être certaine des différentes personnes entourant la famille.
« Avez-vous un petit-ami ? »
– Non, mais il y a quelqu’un qui me plaît beaucoup. Il s’appelle Jean et je l’ai rencontré dans l’association « Un arbre heureux ». On y plante des arbres. Je vous avoue que ce n’est pas du tout le type d’association où j’irais normalement mais c’est Isabelle qui m’a inscrite contre ma volonté. Mais c’est plutôt amusant et Jean est… il est fascinant !
« Et vous n’êtes pas amoureuse de l’un de vos meilleurs amis ? Votre père avait l’impression de penser que… »
– Ah non, il ne faut pas mélanger amitié et amour, j’en suis convaincue. D’ailleurs, Isabelle sortait avec Jacques, je n’allais quand même pas lui piquer le copain pour une fois qu’elle faisait preuve de bon goût ! Par contre, il est tout à fait possible que Frédéric en pince pour moi, mais je n’ai aucunement l’intention de l’encourager. De toute façon, comparer à Jean ils sont bien trop ennuyants…
Geneviève affichait un air rêveur qui semblait complètement en contradiction avec son comportement précédent. Et si finalement tout le monde avait raison et qu’en plus de l’échange les deux cousines avaient changé par leurs fréquentations. Rien n’était plus fiable alors…
– Vous voulez me poser d’autres questions moins personnelles ? revint sur terre la jeune femme. Jacques m’a dit que vous aviez découvert les vélos ? Je peux vous rassurer sur ce point, on prévoit de les rendre à leurs propriétaires après les avoir pris pour éviter qu’ils ne soient volés. Cela paraît assez loufoque, mais Frédéric avait lu un article dans un magazine qui expliquait ce concept. C’est très astucieux, non ? D’ailleurs que pensez-vous de l’endroit ? C’est moi qui l’ai trouvé !
« Très bien en effet, la complimenta Augustine dans l’idée de la faire se vanter davantage. Surtout que cette cave n’est sur aucun plan. Vous l’avez construite vous-mêmes ? »
Il lui semblait que la jeune femme s’était engorgée de fierté et allait donner tous les détails. Mais elle leur fit un grand sourire :
– Désolée, je ne peux pas trahir le secret d’explo… de profession d’un ami. Mais nous l’avons fait nous-mêmes, oui.
A la tête de Hugo, il devait déjà récapituler toutes les explosions qui avaient été recensées dans la ville ces dix dernières années. Peut-être qu’il y en avait une qui correspondait à l’emplacement de l’opéra. Mais de toute manière, ce n’était pas le plus important. Ce qu’ils savaient c’était qu’une personne de l’entourage de Geneviève savait créer des explosions suffisamment précise pour creuser une cave sans causer l’effondrement du bâtiment, donc certainement aussi capable de faire exploser les toilettes… Il était à supposer que la première explosion était causée par le meurtrier pour cacher ses preuves mais était arrivée trop tard.
Est-ce qu’elle voulait lui demander autre chose ? Pas réellement, elle avait fait le tour de ce qu’elle voulait évoquer avec elle. A moins que… C’était la chose qui la perturbait et qui était réellement grave dans cette histoire.
« Est-ce que vous comptez dire un jour à vos parents que vous êtes Geneviève ? »
– Je ne crois pas, rougit la jeune femme. Vous les avez vus, ils sont brisés. Je crains que je vais rester Isabelle pour le restant de mes jours… Cela dit, ce n’est pas si grave. On menait des vies assez semblables finalement. L’orchestre, les amis, la famille, même les études ! Elle n’a pas mon niveau mais elle fait aussi du violon et du piano au conservatoire. Et puis elle a cette formation pour animer des groupes de jeunes, ce que je n’aime pas. Mais après tout, personne ne peut me forcer à travailler en tant qu’animatrice. Donc honnêtement, il faut juste que je m’habitue au nouveau nom.
Elle haussa les épaules d’un air désinvolte.
– Peut-être que je leur dirais aussi dans quelques jours. S’ils se sont calmés un peu. Ou que j’en ai déjà marre de jouer les sainte-nitouches. Ou parce que vous me dites que ce n’est pas honnête et légal et que vous avez besoin de ma réelle identité pour accuser le coupable. C’est une raison aussi. J’espère que non mais au pire, dites-le-moi.
Augustine essaya de ne pas montrer sa surprise. Il y avait quelque chose qui clochait mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Le comportement d’Isabelle – non Geneviève – n’était pas conséquent. Cela pouvait être lié au rôle qu’elle jouait mais cette explication ne la satisfaisait pas complètement. Elle hocha la tête pour signaler qu’elle avait fini.
– Merci pour votre coopération, Mademoiselle Croiset ou Mancheau. Nous vous demanderons de ne pas quitter le pays et de nous tenir informé de vos déplacements.
A cette phrase typique, une légère expression de doute traversa le visage de la cousine de la victime. Mais elle finit par acquiescer lentement.
– Merci à vous, j’espère que vous trouverez rapidement le meurtrier pour que ma cousine puisse reposer en paix. Je vous envoie mon frère et vous sors les adresses de mes amis.
« Merci » formula Augustine avec un léger froncement de sourcils. D’un seul coup elle était à nouveau aimable et plus du tout effrontée. Quel changement de caractère radical. Peut-être qu’au final, elle ne savait plus qui elle était non plus ? Se pouvait-il que Geneviève Croiset ou Isabelle Mancheau soit possédée par l’esprit de sa cousine ? Non, cette théorie paraissait invraisemblable. Cela n’existait pas dans la réalité, uniquement dans les histoires d’Halloween. Et nous étions la semaine avant Noël !
Il y eut un bref échange d’interlocuteur, et le fils du chef d’orchestre entra pour se poster, sûr de lui, devant les deux policiers. Il avait les cheveux blonds d’une teinte plus foncée que sa sœur et sa cousine mais les yeux d’un vert éclatant qui brillait furieusement. Ses boucles étaient aplaties d’un côté comme s’il avait écouté à la porte. Ses jeans délavés et son polo noir semblaient se contraster à la lumière du midi et lui donnaient un air plus jeune que ce qu’il ne devait être.
– Bonjour, je suis Jérémie Mancheau et je vous jure que c’est ma sœur.
15 décembre : Explosion 2.0 by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Le thème du jour est bouton même si je ne me rappelle pas d'en avoir parler :mg: Celui qui trouve sa mention aura droit à des cookies virtuels XD
Bonne lecture !
Augustine Pinson échangea un long regard avec son collègue. Cela allait un peu trop vite à son goût. Depuis le début, la moitié des personnes soutenait l’hypothèse de l’échange, l’autre moitié la niait. Pouvait-on encore parler d’hypothèse quand la principale intéressée l’affirmait ? Quel serait son intérêt de mentir ? Et quel serait l’intérêt des autres de mentir à son propos ? Mais pouvait-on faire confiance à quelqu’un qui mentait soit à ses parents soit à la police ? C’était compliqué… Qui était qui maintenant et comment en être certain ?
– Bon, Hugo se racla la gorge. Pourquoi vous en êtes sûr ? Est-ce que vous avez une idée du pourquoi elle prétend être Geneviève alors ?
Le jeune homme passa nerveusement d’un pied sur l’autre. Il semblait, de toute manière, stressé mais c’était probablement dû à la situation. Il n’avait certainement encore jamais été confronté à la police et au crime. C’était normal qu’il soit nerveux, surtout qu’il venait d’accuser sa sœur – ou sa cousine selon ce qui était la réalité – de faux témoignage.
– Oui, je suis sûr, bredouilla-t-il. C’est ma sœur, je la connais mieux que personne. Même mieux que nos parents apparemment… Oh, ils me déçoivent tellement. Comme si cela ne suffisait pas que Geneviève soit morte… Je suis désolé…
Il renifla et essuya rapidement ses yeux tel le jeune homme pudique de sa tristesse qu’il était.
« J’ai cru comprendre que vous ne faites pas partie de l’orchestre ? Et que donc vous n’étiez pas là hier soir alors ? »
– Non, je joue un peu de la guitare mais cela ne me passionne pas autant que papa ou les filles. Et non, je n’étais pas là non plus, j’étais à la salle de tennis si vous voulez vérifier. Ce que je voulais vous dire, c’est vraiment que je ne sais pas pourquoi Isabelle prétend ne pas être elle mais c’est elle. Je sais qu’elle adorerait être Geneviève et à l’inverse Geneviève adorerait être Isabelle mais elles n’ont jamais échangé de place plus longtemps que pour un devoir de biologie.
– Je croyais qu’elles étaient dans la même classe ? s’étonna Hugo qui suivait mieux, ou qui avait moins de nœuds dans la tête qu’Augustine.
– Pas chaque année, mais Geneviève forçait parfois Isabelle à lui faire ses devoirs… J’imagine qu’Isa y trouvait son compte aussi…
« Vous n’aimez pas vraiment votre cousine… » remarqua Augustine en le faisant dire par son collègue qui y mit même la bonne intonation.
– Oui, c’est vrai, avoua le jeune homme. Mais ça c’est surtout parce qu’elle n’était pas très sympathique avec Isa. Elle lui demandait toujours plein de choses et la traitait comme son esclave. Et Isa se laissait faire… Je lui aurais mille fois dit de se tenir loin de moi si j’avais été elle. Mais Isa est trop gentille. Elle n’a jamais rien fait pour se défendre et Geneviève en profitait dès que possible.
« Il n’y a pas eu une grande dispute à propos d’un violon ? Je crois que votre sœur disait quelque chose dans ce sens hier… »
– Ah, cette dispute. Oui, c’était probablement la seule fois… Mais je ne m’en rappelle pas très bien, c’était pendant que j’étais en classe verte…
Augustine hocha plusieurs fois la tête comme si cela pouvait l’aider d’intégrer ces nouvelles données dans l’enquête. Ainsi Geneviève utilisait sa cousine pour avoir de meilleures notes ou pour ne pas faire ses corvées. C’était une donnée intéressante qui soulignait plutôt les motifs d’Isabelle pour tuer Geneviève que le contraire.
– Merci beaucoup, jeune homme, mit fin Hugo à cet entretien. Avez-vous encore quelque chose que vous voudriez nous dire ?
– Oui ! J’ai mis une paire de chaussettes sales sur le lit d’Isabelle. Elle devrait déjà les avoir trouvées. Si elle me les envoie à la figure dès que je quitte la pièce, c’est Isabelle. Si elles sont cachées dans mon lit, c’est Geneviève. C’est un test très simple.
Augustine leva les sourcils, légèrement amusée. Mais après tout, cela pouvait fonctionner et les aider à décider de la théorie à préférer. A moins que, bien sûr, la maintenant appelée Isabelle ne soit au courant. Jérémie ouvrit précautionneusement la porte mais aucune chaussette ne l’accueillit.
– Ah, vous avez déjà fini ? s’étonna Geneviève. Je vous accompagne chez Jacques, c’est à deux rues d’ici. Je lui ai promis de recoudre un bouton à sa chemise préférée. D’ailleurs, Jerry, la place de tes chaussettes est toujours encore dans la corbeille à linge, alors récupère-les.
Le jeune homme haussa les épaules et s’y dirigea mais secoua la tête, attristé, dès que sa cousine ne pouvait plus le voir. Augustine supposa qu’il fallait trouver un autre moyen de prouver son identité réelle – outre sa parole – ou alors procéder par déduction. C’était probablement de toute manière le plus sûr.
– Venez, allons-y, les invita la jeune femme. Je vous montre le chemin.
Pourquoi insistait-elle autant dessus ? Qu’est-ce qui pouvait y avoir de particulier pour qu’elle veuille les emmener en personne ? Y avait-il quelque chose dans la maison de ses parents qu’elle ne voulait pas qu’ils voient ? Que pouvait-ce être ? Tout en se faisant mener vers la porte d’entrée, Augustine réfléchissait à toute allure à une excuse potable pour pouvoir rester et inspecter un peu plus que superficiellement le domicile des parents de la victime. Malheureusement, rien ne lui vint en tête. Ils avaient parlé à chacun d’entre eux, et les parents n’étaient plus en état moral de pouvoir continuer. Elle n’avait pas suffisamment de preuves pour faire une demande de perquisition, seulement la vague impression que la jeune femme essayait de les éloigner de ses parents.
– C’est vers la droite, leur dit justement Geneviève en fermant la porte derrière eux. Je vais juste regarder dans la boîte à lettre, Fred voulait m’y mettre les partitions pour…
Le reste de la phrase fut noyé dans le bruit d’une petite explosion. Augustine cligna frénétiquement des yeux pour retrouver la vue. Elle était couchée par terre et avait l’impression de regarder droit dans une source lumineuse. Impossible de distinguer quoique ce soit.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Hugo, projeté un peu plus loin par l’explosion. Ça a explosé ? Est-ce que tout le monde va bien ?
Comme si Hugo venait de rompre le barrage du choc, les questions se bousculèrent dans l’esprit d’Augustine. Pourquoi il y avait eu une explosion ? D’où sortait-elle ? Qu’est-ce qui l’avait déclenchée ? Et qui était visé ? C’était quand même étonnant que ce soit déjà la deuxième explosion dans cette même enquête… Est-ce qu’il y avait vraiment un adorateur des explosions parmi les suspects ou les témoins ? Ou n’était-ce qu’une coïncidence ?
– Je crois que ça va, répondit la voix de Geneviève qui semblait provenir de l’autre côté de la rue. Plus de peur que de mal. La boîte aux lettres de mes parents a explosée, vous vous imaginez ?
– Pas besoin, on l’a vu. Et toi, Augustine, ça va ? Aide-moi à me lever.
Augustine essayait de deviner d’où provenait la voix de Hugo puis secoua la tête. Pourquoi n’avait-elle pas fermé les yeux comme elle aurait dû avoir ce réflexe ? Enfin tant pis.
– Augustine ? s’inquiéta maintenant Hugo. Tu vas bien ? Fais voir.
L’inspectrice essaya de trouver un mouchoir dans sa poche et se frotta les yeux. Elle n’aurait pas dû regarder mais elle avait été tellement certaine que les partitions déposées n’étaient pas des partitions mais plutôt en lien avec les vols de vélos… Peut-être que c’était cela ! Frédéric Boisot avait déposé la bombe. Il avait également pu poser celle destinée à détruire les preuves du meurtre tout comme il était impliqué dans le trafic de vélos et donc dans la création de la cave. Mais alors il devait certainement aussi être le coupable ! D’éventuels complices étaient évidemment Geneviève et Jacques mais pourquoi la jeune femme aurait-elle ouvert la boîte aux lettres en sachant qu’elle allait la faire exploser ? Pourquoi allait-elle bien d’ailleurs ?
Augustine se libéra de l’emprise d’Hugo qui voulait vérifier qu’elle allait bien et sortit son calepin et stylo de sa poche.
« Qu’est-ce qu’elle a ? Elle était la plus proche… »
Elle s’imaginait que cela était franchement illisible mais elle ne pouvait pas faire mieux. Elle cligna des yeux et eut l’impression que la lumière s’estompait lentement autour d’elle. Bon, ce n’était pas grave alors. En attendant, Hugo avait dû réussir à déchiffrer puisqu’il répondit en parlant doucement.
– Non, on a tous été projetés à terre mais ce n’était qu’une minuscule explosion par rapport à ce qu’on peut faire. Madame Croi… Mancheau s’est un peu brûlée les mains mais rien de grave avec le sol glacé, cela a immédiatement été refroidi… Et sinon, que veux-tu que je te dise ? Je suppose que le courrier ne pourra pas être récupéré alors j’espère qu’ils n’attendaient aucun de nos papiers de dépôt de témoignage.
L’inspectrice hocha la tête et décida de rester assise le temps qu’il faudra pour suivre ses idées jusqu’au bout. Il n’y avait que deux possibilités pour expliquer cette explosion-ci. Soit elle était censée blesser, que ce soit Geneviève Croiset, soit Isabelle Mancheau, soit Bénédicte Mancheau, soit elle-même. Ou encore elle devait libérer de tout soupçon la jeune femme qui les accompagnait et dont elle n’arrivait pas à se défaire de l’impression qu’elle mentait. C’était étrange. Et si ce n’était en réalité qu'une diversion ?
16 décembre : Le meilleur ami by Carminny
Author's Notes:
Bonjour, bonjour !
Voici un chapitre sur le thème de la vue (oui, bon, disons qu'il est davantage présent que le bouton ->)
Bonne lecture !
– Vous allez bien ? demanda Geneviève, inquiète. Vous avez dû regarder pile dans la lumière, non ? Ce n’est pas de chance…
Augustine l’arrêta d’un geste autoritaire de la main et se leva. Il était franchement impossible de penser quand il y avait quelqu’un qui vous parlait sans interruption sur un sujet anodin. Elle recligna des yeux. Non, elle n’avait pas encore retrouvé la vue mais l’éclatante luminosité qu’elle avait eue diminuait déjà. Et puis, elle n’avait pas de temps à perdre avec ces balivernes. Elle avait un meurtrier à trouver et son instinct lui disait qu’elle était sur une bonne voie. Restait à trouver laquelle des quinze qu’elle imaginait était la bonne. Pour cela, il n’y avait pas des milliers de possibilités. Il fallait qu’elle parle aux deux personnes restantes, des suspects peut-être ou alors de précieux témoins.
– Je crois que c’est bon. Je vais appeler à l’office pour les prévenir, fit lentement Hugo. Attendez-moi un instant.
Augustine se leva avec l’impression que le monde tournait autour d’elle. C’était ce qui arrivait quand on ne faisait pas assez attention. Elle sentit une légère pression sur son bloc-notes, comme si quelqu’un essayait de le tourner dans sa direction et le tira vers elle pour le remettre dans sa veste. Elle allait devoir trouver une alternative pour éviter que quelqu’un qui tombe dessus ne sache de quoi elle avait parlé pendant les autres entretiens. Apparemment tourner la page ne suffisait pas toujours.
– Vous n’avez parlé que de sa relation avec moi, avec Jérémie ? s’étonna Geneviève. J’aurais pu jurer qu’il voulait faire l’intéressant en prétendant que j’étais Isabelle…
Elle sonnait très certaine d’elle et Augustine regretta de ne pas voir sa tête. Il était quand même plus simple de deviner si quelqu’un mentait quand on avait toutes les informations. Elle haussa les épaules pout toute réponse. Quand quelqu’un lisait le message qui n’était pas pour lui, cela ne méritait pas de réponse plus élaborée.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? Jérémie passa la tête par une fenêtre du premier étage. Qu’est-ce que tu as fait à notre boîte aux lettre ?!
– Elle a explosé mais je n’y peux rien, crétin ! cria Geneviève en retour.
Si Augustine devait être honnête, ce comportement ressemblait davantage à celui que les témoignages apprêtaient à Isabelle qu’à Geneviève… Mais c’était trop gros, non ? Il y avait plein de gens qui disaient l’un et d’autres qui disaient l’autre. Elle n’allait plus s’en sortir, surtout si en plus elle avait mal à la tête. Heureusement que ce fut le moment que choisit Hugo pour revenir et prendre la situation en main.
– Madame, vous devriez rester ici pour expliquer ce qui vient de se passer à votre famille puis aux policiers qui ne devraient pas tarder. Nous trouverons le chemin.
– Si vous pensez que c’est mieux, soupira la jeune femme. Mais emmenez la chemise, s’il vous plaît, Jacques en a besoin pour son travail demain.
Hugo accepta, à contre-cœur selon l’avis d’Augustine. C’était étonnant à quel point elle entendait mieux les sentiments des personnes à leur intonation par rapport à d’habitude. Mais elle n’avait pas de temps à perdre. Elle salua rapidement les Mancheau-Croiset – et non les manchots croisés – puis les deux policiers purent enfin se mettre en route vers leur prochain entretien.
– Tu crois que la chemise va aussi exploser ? s’inquiéta Hugo en tenant d’une main le bras d’Augustine qui commençait à distinguer les ombres du sol par rapport à la lumière du ciel clair. Je veux dire… c’est déjà la deuxième explosion qui se produit autour de toi ! Tu crois qu’ils t’en veulent ?
L’inspectrice secoua la tête. L’idée lui avait traversé la tête mais c’était ridicule. Les deux bombes ne pouvaient pas avoir le même but. En effet, la première avait eu pour effet de détruire les preuves, alors que là, elle l’avait bien vu, la boîte aux lettres avait été vide. Les personnes qui auraient pu être touchées par la première étaient l’inspecteur en charge de l’enquête mais tout aussi probablement le chef d’orchestre, Bénédicte Mancheau, qui l’aurait certainement accompagné. Et cette deuxième visait vraisemblablement un membre de la famille Mancheau ou alors effectivement elle si elle avait été placée par quelqu’un au courant de sa venue. La plupart des inspecteurs y seraient allée dès ce matin et la probabilité aurait été grande que l’explosion aurait touché quelqu’un d’autre. De toute façon, quel intérêt y avait-il de la tuer elle ? Si elle mourait, l’enquête serait reprise par quelqu’un d’autre au même stade puisqu’elle notait régulièrement tout.
En revanche, vouloir attaquer Geneviève pouvait être logique si le meurtrier avait voulu la tuer elle et aurait remarqué sa faute après avoir assassiné Isabelle. Mais alors il faudrait qu’il connaisse un signe distinctif entre les deux, ce qui ne semblait pas évident pour les autres… A moins qu’il s’en fichait et qu’il voulait tuer les deux, peut-être même la famille Mancheau au complet. Ce n’était pas une hypothèse à négliger.
Mais en tout cas, elle n’avait pas l’impression que le sac allait exploser. Elle fit le signe de le secouer à son collègue qui rigola pour toute réponse. Apparemment il ne prenait pas cette proposition au sérieux. Tant pis, ils ne sauraient pas s’il y avait une bombe dedans ou non. Pour la peine, elle distinguait à nouveau la plupart des contours même si tout avait encore une légère teinte de brouillard.
Et ils venaient d’arriver devant la maison qu’habitait Jacques Henri avec ses amis-colocataires. Hugo sonna et ils n’eurent à attendre que quelques minutes avant qu’une jeune femme en pyjama leur ouvrit la porte.
– Oui ?
– Bonjour, nous voudrions parler à Jacques Henri.
En réponse, la femme apparemment encore mal réveillée – et cela en plein après-midi ! – se retourna vers l’intérieur de la maison et cria d’une voix forte :
– Jacques ! La police pour toi ! Ramène-toi !
Hugo lança un regard consterné à Augustine mais celle-ci se contenta d’hausser les épaules, il fallait de tout pour faire un monde.
– Vous voulez peut-être entrer. Venez. Jacques peut vous parler dans la cuisine, j’imagine.
Elle les mena dans une petite cuisine désordonnée qui sentait les gâteaux de Noël. La jeune femme décoiffée lança un regard autour d’elle puis enleva des magazines et un paquet de farine sur les chaises puis les invita à s’asseoir.
– Je peux vous proposer quelque chose ? Non ? Alors je vous laisse. Jacques va arriver d’un instant à l’autre.
Augustine profita des derniers instants de repos avant ce nouvel entretien pour s’essuyer une fois de plus les yeux. Elle voyait à nouveau clairement mais ils piquaient un peu. Ce soir, elle allait regarder si elle n’avait pas de gouttes chez elle.
– Ils sont franchement rouges, faudra que t’ailles voir le médecin du poste lundi, lui recommanda Hugo. Peut-être que tu auras davantage de congé pour les fêtes alors.
L’inspectrice haussa les épaules. Elle espérait tout le contraire et s’était même inscrite pour faire la garde pendant les jours de fête. Elle n’avait aucune envie de retourner chez son père mais ne savait pas non plus ce qu’elle pouvait faire toute seule. Travailler était une bonne option alors.
– Ah, Sandrine vous a fait entrer. Bonjour, madame l’inspectrice, monsieur l’officier.
Le jeune homme qu’ils avaient déjà vu le matin même s’assit sur la dernière chaise libre et leur fit un sourire de travers. Il avait bien meilleure mine que son ami. Ses cheveux mi-longs étaient attachés en queue-de-cheval et il affichait un air propre qu’on n’attendait pas face à la cuisine et sa colocataire.
– C’est vous que j’ai sauvé de la chorale d’enfants ce matin, non ? Vous avez réussi à exciter les passions en tout cas. Je trouve ça admirable ! Vous ne voulez pas venir au Foyer des Enfants un jour, je pense que ce serait immensément positif pour les petits de voir qu’on peut faire de super métiers même avec un handicap.
Augustine cligna des yeux. Elle ne se sentait pas du tout à l’aise. Elle se sentit rougir. Jamais de la vie elle n’oserait se présenter ainsi devant des enfants. Même s’ils étaient confrontés à des problèmes semblables. Ils n’avaient pas eu le choix qu’elle avait eu, elle. Elle n’avait pas le droit de se comparer à eux. Et de toute façon, ce n’était pas le sujet.
« A voir. Nous sommes ici pour vous parler du meurtre de Geneviève Croiset. Je crois que vous étiez proches ? »
– Bah, comment dire… C’est ma meilleure amie. Evidemment que nous sommes proches. Mais je suppose qu’elle vous l’a dit, non ? Que ce n’est pas elle qui est morte mais Isabelle ?
Ah non. Il était hors de question qu’il y avait encore quelqu’un avec une opinion sur ce sujet. Entre le meilleur ami et le petit frère qui avait raison ? Qui était plus fiable ? Ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait décider si facilement. Elle allait finir par y aller à la majorité si elle ne pouvait pas se décider autrement. Mais si ça se trouvait, cela n’avait pas d’influence de toute manière. Autant lui tirer les vers du nez à celui-ci.
« Mais nombre de personnes n’ont rien remarqué… »
End Notes:
C'est moi ou mes personnages deviennent de plus en plus bizarres au cours de l'histoire ?
17 décembre : Certains suspects sont plus bavards que d'autres by Carminny
Author's Notes:
Le thème d'aujourd'hui est auberge... Et non, on va toujours rester dans la cuisine de hier.
Bonne lecture !
– Vous l’avez remarqué ? C’est sûr, la plupart des personnes autour d’elles n’ont rien vu. Après faut dire qu’elles se sont données du mal aussi. Mais oui, ça fait dix jours qu’Isabelle et Geneviève avaient échangé de rôle quand… quand Isabelle est morte. Je trouve cela odieux ! Elle est une si gentille fille, toujours souriante et serviable.
Augustine dévisagea longuement leur interlocuteur. La mère d’Isabelle Mancheau n’avait-elle pas dit qu’il sortait avec sa fille ? Mais alors pourquoi n’était-il pas plus triste à sa mort, surtout qu’il savait que c’était elle et non sa meilleure amie ? Il aurait dans les deux cas dû être dévasté…
« N’étiez-vous pas en couple, Isabelle et vous ? » Cette fois-ci Hugo n’avait pas besoin de lire à haute voix ses questions puisque le jeune homme se prêtait volontairement au jeu.
– Disons que c’est très compliqué là. Elle est morte, mais en même temps Geneviève joue son rôle. Donc je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’elle n’est plus… Ça m’embête mais après je comprends qu’elle ne veut pas faire de mal à ses parents. J’imagine que j’aurais préféré ne pas le savoir mais après tout Geneviève ne peut pas jouer un rôle vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il était normal qu’elle nous en parle à Fred et à moi.
C’était un peu confus pour Augustine. Ainsi Jacques sortait avec Isabelle. Geneviève et Frédéric étaient ses meilleurs amis. Isabelle et Geneviève avaient décidé d’échanger les rôles pour une raison ou une autre.
« Pourquoi est-ce que Isabelle et Geneviève ont-elles échangé de place ? Comment est-ce que vous avez pris cela ? J’imagine que vous ne comptez pas sortir avec votre meilleure amie ? »
– Ah non, c’est hors de question ! Je veux bien faire semblant une semaine ou deux mais plus ce serait franchement impossible… Autant Fred est secrètement amoureux de Genie, je ne la considère pas autrement qu’en tant que mon amie. Non, celle que j’aimais c’était Isabelle, aussi étonnant que cela puisse paraître. Je crois que Genie ne me l’a pas pardonné. Mais elle, elle vient de rencontrer quelqu’un.
« C’est ce Jean Bois, c’est cela ? »
– Oui, acquiesça Jacques. Je crois bien que c’est ça. Apparemment ils se sont rencontrés un week-end à une association d’arbre. Ne me demandez pas pourquoi Genie y est allée…
Augustine haussa les épaules, cela ne lui expliquait rien de plus que ce qu’elle ne savait déjà. Il fallait donc qu’elle trouve un autre angle d’attaque. Il n’y en avait pas meilleur que celui qu’avait mentionné Bénédicte Mancheau. Apparemment il aurait vu Jacques sortir des toilettes…
« Bon, repassons à des questions plus classiques. Où étiez-vous à la fin de la répétition ? »
Il lui semblait qu’il sourcillait légèrement. Avait-il quelque chose à cacher ? Mentait-il depuis le début ? Pour le moment rien ne semblait le contredire mais si cela était peut-être sur le point de se produire.
– C’est un peu délicat, fit lentement le suspect. En fait, je crois que c’est moi qui aie trouvé le corps d’Isabelle en premier. Je me suis inquiété parce qu’elle ne revenait pas, alors qu’elle ne voulait qu’aller se maquiller selon l’habitude de Genie. Et puis je l’ai vue. Je ne savais pas du tout quoi faire, alors je suis sorti pour prévenir quelqu’un. Entre-temps Monsieur Mancheau clamait partout qu’il s’agissait de Geneviève qui était morte et qu’il fallait arrêter le coupable. Alors je me suis enfui parce que je ne me sentais pas d’affronter tout ça. Fred, qui est un excellent ami, a dit que j’étais là mais que j’avais dû partir en vitesse. C’était vrai, vous comprenez, non ?
Augustine haussa simplement les épaules. Non, elle ne comprenait pas mais ce n’était pas son travail non plus. Hugo s’efforça pourtant de rassurer le jeune homme de toutes ses forces. Peut-être que lui aurait réagi pareil ? L’inspectrice se contenta d’attendre qu’ils aient fini pour montrer sa prochaine question.
« Et vous n’avez pas croisé personne ? »
– Si, si, justement Monsieur Mancheau. Mais je ne pouvais pas lui dire là. Déjà parce que j’étais sous le choc et que je n’y croyais qu’à moitié moi-même. Et puis parce qu’il avait son visage des mauvais jours et qu’il m’aurait arraché la tête si je lui avais sorti ça. Vous vous imaginez dire à quelqu’un : « Excusez-moi, je crois que votre fille est morte dans les toilettes » ?
L’inspectrice n’y voyait pas vraiment le problème mais choisit de ne rien dire, surtout après avoir vu le regard de son collègue qui semblait tout à fait d’accord avec Jacques Henri. Ces hommes qui ne disaient pas les choses directement… C’était lamentable.
« Pourquoi ne pas l’avoir dit ? Du moins en appelant la police ce matin. »
– Je ne pensais pas que cela vous intéresserait autant, rougit Jacques. Pour moi, ce n’était pas si important. J’ai vu Isabelle et j’ai pris peur. Je ne l’ai pas tué, je n’ai pas touché à son violon. Que voulez-vous que je vous dise d’autre.
« Ainsi vous saviez que c’était Isabelle dès le début ? » Augustine avait l’impression de devoir se battre pour chaque réponse. Mais au moins, il répondait à chaque question.
– Bien sûr ! Non, la réalité est que comme elles avaient échangé de rôle et que j’avais vu celle qui faisait semblant d’être Isabelle en train de nettoyer son violon avec un chiffon – oui, la vraie fait exactement ça après chaque répétition – il était évident que l’autre était la vraie. En plus, quand je me suis penchée sur elle, j’ai reconnu sa tâche de naissance sur le bras. Elle le cache toujours mais c’est uniquement la vraie Isabelle qui l’a.
Hugo avait ouvert grand les yeux, ne semblant pas comprendre comment il avait pu voir la tâche d’habitude cachée. Il pensait probablement que le jeune homme voulait faire autre chose avec une jeune femme dans des toilettes. Il avait l’esprit mal tourné…
– Son manche était remonté ?
– Je voulais juste être certain, alors c’est moi qui l’ai remonté, avoua Jacques en rougissant de plus belle.
Augustine leva les yeux au ciel. Entre Hugo qui considérait cela comme non-gentlemen et Jacques qui n’en avait rien à faire, ils étaient partis pour une longue discussion, à moins d’un petit changement de sujet.
« Pourquoi voler des vélos ? », demanda-t-elle, l’air de rien. Son interlocuteur ouvrit la bouche, interloqué.
– Quoi ? Pourquoi aurais-je volé des vélos ?
– C’est exactement la question qu’on vous pose, confirma Hugo. Votre ami, Monsieur Boisot, a été pris sur le lieu de stockage. Il ne sert donc à rien de nier votre implication.
– Mais… mais… et puis zut, il reprit quelques couleurs qu’il avait perdues à l’évocation des vélos. Oui, c’est vrai. C’est Genie qui nous a entraînés là-dedans. J’étais contre au départ et puis finalement… J’étais dedans et je n’ai pas osé nous dénoncer. Vous vous imaginez la tâche sur le cv que cela ferait ? Ils ne me laisseraient plus jamais travailler avec des enfants ! Ce serait la catastrophe ! Alors j’ai préféré me taire et couvrir les deux autres. D’ailleurs, je m’étonne que ce soit Fred qui ait tout balancé parce que c’est lui qui y tient le plus… Faut dire que c’est rentable aussi.
– Vous vous imaginez bien que maintenant que nous l’avons découvert, c’est encore pire pour vous, n’est-ce pas ? intervint Hugo. Mais je pense que votre bonne coopération peut vous sauver de la prison…
Augustine n’en était pas si sûre et de toute façon, elle ne s’y intéressait pas outre mesure. Tout le monde devait vivre avec les conséquences de ses actes et décisions. Il avait eu peur de dénoncer ? Eh bien qu’il vive avec le fait d’avoir été attrapé. Elle poursuivait fermement son objectif de découvrir le meurtrier. Et pour ça, il lui fallait quelqu’un qui savait manier les explosifs.
« C’est vous qui avez creusé la cave ? »
– La cave ? La cave sous l’opéra ! Celle avec les vélos ! Non, désolé de vous décevoir mais ce n’est pas moi. Je n’ai aucune compétence en bricolage. Aussi vaut-il mieux que je m’en tienne le plus éloigné possible.
« Ce n’est donc pas vous qui travaillez dans le domaine des explosions… »
– En effet, c’est Fred qui sait bidouiller ce genre de chose. Moi, je suis plutôt dans le social avec l’auberge de jeunesse et le foyer des enfants. En fait, les deux se complètent. Le foyer c’est pour les activités de jour, l’auberge pour la nuit et l’hébergement. J’aime travailler avec les enfants en difficulté. D’ailleurs, si vous voulez venir un jour…
Pas ce sujet encore. Beau changement en tout cas. Soit il était tellement innocent qu’il disait l’entière vérité, soit il l’avait bien cerné et essayait maintenant de la duper. Malheureusement pour lui, ce n’était pas si facile que ça. Et elle était toujours du genre à croire que les gens voulaient faire au plus mal. Ce qui était sûr, c’était que Jacques Henri n’était pas innocent. Restait à savoir dans quelle mesure il était coupable. Uniquement de vols de vélos, de mensonges pendant un témoignage ou aussi de meurtre à sa meilleure amie ?
18 décembre : Une histoire de glace et d'arbres by Carminny
Author's Notes:
Le thème de départ était éther mais j'ai appelé à l'aide et ma merveilleuse Mary m'a proposé glace en remplacement. Gardez en tête : vive les glaces ! ;)
Bonne lecture !
Augustine observa encore une dernière fois son suspect principal. Il n’avait pas été réticent à répondre et il avait même apporté quelques nouveaux éléments. Et le fait qu’il n’avait pas cherché à cacher le fait qu’il avait touché au cadavre, rendait l’hypothèse qu’il soit le meurtrier beaucoup plus improbable. A moins bien sûr que ce soit un ingénieux stratagème pour lui faire croire cela.
– N’hésitez pas à appeler au poste si un détail vous revient. Ne quittez pas le pays et tenez-nous au courant de vos déplacements. Bonne journée.
Hugo donna les dernières instructions classiques puis les deux policiers se dirigèrent vers la voiture de service.
– Où allons-nous maintenant ? Chez ce cher futur petit ami de Geneviève Croiset qui ne doit même pas encore être au courant de sa mort ? Ou est-ce que tu crois l’histoire que c’est Isabelle Mancheau qui est la victime ?
Augustine haussa les épaules. Il lui fallait un peu de temps calme – de préférence seule dans son bureau – pour tout remettre dans l’ordre. C’était pile ce qu’elle allait faire après cette dernière visite. Mais elle n’avait aucune envie de la décaler puisqu’en ce moment même, Jean Bois se trouvait à la réunion de l’association d’arbre à laquelle était aussi allée Geneviève Croiset. Aujourd’hui elle n’y serait certainement pas et c’était l’occasion d’y jeter un coup d’œil. Elle expliqua cela en quelques lignes à son collègue.
– Alors il faut absolument qu’on mange une glace avant d’y aller, annonça-t-il. C’est l’heure du goûter, il va bientôt faire nuit, et ils vont peut-être nous faire creuser des trous. Alors de toute manière il faut qu’on prenne des forces avant.
« Je ne pense pas qu’il y a encore beaucoup de glaciers d’ouvert à cette époque de l’année… » commenta Augustine, sceptique. D’ailleurs, elle n’avait aucune envie de devoir faire encore une pause repas alors qu’ils venaient de déjeuner au bureau.
– Pas d’inquiétude, j’en connais un ! se réjouit Hugo. Viens, je vais te dire comment y aller.
Quelques minutes plus tard, Augustine attendait devant le glacier pendant qu’Hugo choisissait les parfums qu’il voulait. Mais pourquoi devait-il être aussi gourmand ? Ne pouvait-il pas se concentrer sur l’enquête le temps de la résoudre ? Apparemment non. En tout cas, elle espérait qu’il serait joyeux une fois qu’il aura mangé sa glace. Après tout, ils avaient encore un entretien à faire avant qu’il puisse rentrer chez lui et profiter du weekend. Pourquoi avait-il voulu l’accompagner en fait ? Il savait pourtant qu’elle ne respectait jamais les horaires…
Quand il ressortit, dans sa main un énorme cornet avec trois boules. Parfums chocolat, fraise et menthe si elle devinait bien. Rien de très étonnant avec Hugo en réalité. Profitant du fait qu’ils soient encore stationnés, elle lui posa sa question.
« Pourquoi tu viens avec moi au lieu de profiter de ton samedi après-midi ? »
– Tu vois, tu aurais dû prendre une glace, tu serais de meilleure humeur, déclara son collègue avec un sourire. C’est parce que je ne sais pas combien de fois, on va encore pouvoir travailler ensemble, je pars en retraite en mai, tu le sais bien.
L’inspectrice hocha lentement la tête avant de démarrer la voiture. Il allait lui manquer… En attendant, elle espérait qu’il finisse sa glace avant qu’ils n’arrivent dans le petit bois où l’association des arbres – quel que soit son vrai nom – tenait leurs réunions. Elle n’avait pas grande envie de le laisser à la voiture. Heureusement, Hugo réussit l’exploit de la manger en pas moins de dix minutes, le temps qu’il leur fallût pour arriver au pied de la colline du bois.
– Tu vois que j’avais raison de prendre des forces pour pouvoir monter ici ? la taquina son collègue.
« Moi j’ai encore moins à porter que toi maintenant », répondit Augustine sans quitter des yeux le sommet de la colline.
C’était donc là, l’association en faveur des arbres à laquelle Isabelle Mancheau – ou Geneviève Croiset selon – avait rencontré ce Jean Bois. Quel nom à propos ! Elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, peut-être à des gens avec une pelle et des bottes en train de planter de jeunes pousses ? Mais elle ne s’attendait certainement pas à se retrouver en plein milieu d’une réunion de personnes qui parlaient aux arbres. Hugo poussa une exclamation surprise, en arrivant à ses côtés, essoufflé. L’inspectrice n’osait pas vraiment les interrompre et ainsi ils restèrent en retrait pour les observer. Ils n’avaient pas l’air si étranges – ils ne ressemblaient même pas à des hippies ! Par contre, chacun d’entre eux était assis face à un arbre et semblait réellement lui parler.
Après quelques minutes, un jeune homme à la barbe blonde se leva et vint dans leur direction. Il portait quelques bracelets avec des perles en bois et avait de petites tresses dans les cheveux. A côté de la place qu’il venait de quitter reposait encore une flûte traversière.
– Bonjour, est-ce que nous pouvons vous aider ? Je suis Jean Bois, l’aulne à qui je parlais m’a dit que c’était moi que vous cherchiez ?
Constatant d’un regard qu’Hugo était aussi muet qu’elle, Augustine lui adressa un sourire gêné en hochant la tête. Aussi bizarre et éloigné de tout ce qu’elle faisait, elle était convaincue qu’elle avait la bonne personne devant elle. Elle sortit son bloc-notes.
– Attendez, l’arrêta Jean Bois. Je crois que ce sapin vous comprend. En tout, il essaye de me dire quelque chose. Laissez-moi me concentrer. Oh sapin, que veux-tu me dire ? Ah, un meurtre ? Dans de la musique ? En lien avec ici ?
Augustine cligna des yeux. Cela devenait un peu trop ésotérique pour elle. Elle n’avait rien contre, loin de là, mais elle aimerait beaucoup poser ses questions tout à fait simplement. A ses côtés, Hugo semblait toujours encore abasourdi. Le choc était peut-être trop grand pour le vieil homme pragmatique qu’il était.
– Je suis désolé, mon cher sapin, je ne comprends pas ce que tu essaies de m’expliquer. C’est trop confus. Je vais peut-être me rabattre sur la communication si terre-à-terre qu’est la conversation entre membres d’une même espèce. Merci beaucoup.
Le blond effectua quelques signes qui ressemblaient à des pas de danse avant de s’incliner profondément devant le sapin et de se tourner vers les deux policiers.
– Je vous prie, posez-moi toutes les questions que vous souhaitez, inspectrice. Je vais tenter d’y répondre de mon mieux.
« Nous venons pour vous parler du meurtre de Geneviève Croiset. Je crois que vous la connaissez ? »
– Effectivement, c’est même elle qui m’a invité à rejoindre l’orchestre symphonique. Elle est aussi venue pour planter des arbres la semaine dernière. Geneviève est tellement gentille. Et vous dites que c’est elle qui a été tuée ?
« Malheureusement oui. » acquiesça Augustine avec un sourire triste. Le jeune homme lui faisait de la peine. Il ne connaissait pas la jeune femme depuis longtemps. Il l’aimait bien, c’était évident. Et maintenant il fallait qu’ils lui annoncent qu’elle n’était plus de ce monde. Ce n’était vraiment pas sa partie préférée du métier. « On va commencer par devoir vous demander ce que vous avez fait vendredi soir ? »
– J’étais à l’orchestre bien évidemment mais je me suis parti en avance. Je suis tout nouveau alors je ne connais encore personne. Je suis apiculteur à mes heures perdues. Les abeilles sont des êtres si fascinants, vous ne trouvez pas ? En tout cas, c’est à eux que j’ai consacré toute ma soirée. L’une de mes ruches m’a donné trois verres de miel entiers. Encore, c’était déjà le cas la semaine dernière. Bientôt je vais pouvoir vivre uniquement grâce à la production de miel, de bougies et de mes sculptures.
« Votre vélo n’aurait-il pas été volé il y a peu par hasard ? »
– Oui, j’ai été victime d’un vol de vélo. Avant-hier je crois. J’ai juste posé mon vélo le temps d’apporter un pot de miel à une de mes clientes régulières et quand je suis revenue, plus de vélo et plus de miel. J’étais effondré. Le pire, c’est que Geneviève, elle m’avait prévenue. Vous devez comprendre qu’elle a à un moment donné plongé là-dedans mais je lui ai expliqué que c’était mal. A cause de son enfance difficile, elle ne voyait pas toujours ce qui était bien ou mal mais les arbres l’ont aidée à purifier son âme. Vous avez retrouvé mon vélo ?
– Oui, en effet, confirma Hugo avec un hochement de tête. Avec un panier rempli de pot de miel.
« Vous avez parlé avec Geneviève Croiset des vélos ? » s’étonna plutôt Augustine.
– Elle m’a promis d’arrêter son trafic de vols de vélos. Je ne sais pas si elle a eu le temps…
« Savez-vous pourquoi elle y a renoncé si facilement d’un seul coup ? »
– Non, je n’ai aucune idée pourquoi. Je pense qu’elle était juste très gentille. J’ai de la peine pour elle, réincarnée si jeune. J’ai planté un rosier dans mon jardin, j’espère que c’est elle, parce que comme ça je suis sûr qu’on s’occupe bien d’elle.
Oh non, cela allait inciter Hugo. Elle le sentait. Un jeune homme inconscient de l’amour qu’il portait à une morte. Voilà ce qui lui plairait, bien au contraire de celui qui venait de perdre un être cher.
19 décembre : Prends garde de choir, les chats le soir by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Un petit texte sur le thème "félin". Cela n'étonnera pas les beiges que le chat sera le meurtrier, n'est-ce pas ?
Bonne lecture !
– Si vous voulez tout savoir, ses amis pensent qu’elle était amoureuse de vous…, glissa Hugo d’une voix perfide.
Augustine lui lança un regard désespéré. Ce n’était pas très charitable de le révéler ainsi, alors qu’elle était morte. Cela ressemblait par contre bien à quelque chose qui pouvait se passer dans un des romans à l’eau de rose qu’adorait son collègue… Elle tritura nerveusement une mèche de cheveux en attendant la réaction du jeune homme en face d’eux.
– Oui, je crois bien… soupira Jean Bois. La vie de ceux qu’on aime est bien trop courte. Ce qui me console c’est que je sais qu’elle continuera à vivre quelque part.
« Désolée pour ses remarques. Connaîtriez-vous des ennemis à Geneviève ? »
– Outre elle-même, vous voulez dire ? Eh bien, non. Mais après tout, je ne l’ai rencontré que le mois dernier…
« Je suis désolée qu’on doive vous poser de telles questions. Est-ce que vous connaissez un peu sa famille ou ses amis ? »
Le jeune homme cligna des yeux. Il paraissait légèrement surpris par cette question. S’attendait-il à ce qu’ils abordent un autre sujet en priorité ? Si oui, lequel ? Peut-être la raison de la présence de Geneviève dans cette association ésotérique ? Bonne idée, d’ailleurs. Peut-être son alibi ou ses sentiments ? Non, trop direct. De toute façon, elle attendrait d’abord sa réponse et elle improviserait après.
– A l’orchestre, j’ai fait la rencontre avec son oncle et sa cousine mais je ne crois pas leur avoir parlé davantage que pour être admis à jouer avec eux. C’est sa cousine qui s’occupe des inscriptions je crois. C’était plutôt facile, j’ai joué à la flûte devant le chef d’orchestre et puis elle a rempli toutes les fiches. Je n’ai même pas eu à signer… Mais c’est bien, j’ai bien discuté avec plein de personnes intéressantes. J’aime être dans plein d’associations différentes.
« D’ailleurs, savez-vous pourquoi Geneviève Croiset, que l’on m’a décrite comme distante et peu sociale, est venue à cette association-ci ? Cela ne semble pas vraiment dans son caractère… »
– Je crois que je ne sais pas non plus, Jean Bois se frotta la tête d’un air gêné. Quoique… Oui ? Sapin, tu le sais toi ?
Il se tourna vers l’arbre et le dévisagea d’un ais songeur avant de commencer à lui parler. Hugo et Augustine échangèrent un long regard stupéfait. C’était sûr que ce n’était pas un genre de duplication de personnalité quand on parlait à des plantes en prétendant qu’ils répondaient ?
– Ah, tu dis que c’était pour prouver quelque chose. Tu ne sais pas quoi ? Je vois. Merci beaucoup de me l’avoir dit. Bon, vous avez entendu que c’était pour un défi. Mais vous savez ce n’est pas le but qui est important quand on va quelque part. C’est qu’on y soit.
Hugo hocha lentement la tête à ses côtés, tandis qu’Augustine réfléchissait encore à cette dernière phrase. Elle n’était pas certaine que ce soit toujours vrai… Bien souvent, dans son métier plutôt rationnel puisqu’elle cherchait de préférence des faits et essayait d’ailleurs de les distinguer parmi les autres histoires racontées, le but était tout aussi important… Sans but, elle n’allait jamais nulle part. Pire, sans but, elle n’avait pas la force de se lever. De là à dire que le but n’avait pas d’importance... Non, ce n’était pas ce qu’il avait dit. C’était plutôt dans le sens que quel que soit le but qu’on avait avant d’aller quelque part, ce qui comptait vraiment c’est ce qu’on en faisait. Et ça elle y était plutôt favorable. De son expérience des entretiens avec des témoins ou des suspects, on y allait toujours avec une certaine attente et souvent si on se tenait à ce qui était préparé, on passait à côté d’énormes occasions de découvrir la vérité.
Elle acquiesça mais dû se rendre compte que Hugo en avait déjà profité pour mener le sujet sur l’association comme s’il était intéressé par la rejoindre. Jean Bois lui décrivit leurs actions et leurs motivations en détail. Oh non, qu’est-ce que cette enquête avait fait avec son collègue ?
Remarquant que le soleil venait de se coucher et qu’il était grand temps de rentrer, Augustine sourit légèrement à leur interlocuteur. Elle avait encore une dernière question avant de partir.
« Pensez-vous qu’il pourrait y avoir de la jalousie entre quelqu’un qui est amoureux de vous et Geneviève Croiset ? »
Hugo et Jean Bois prirent le soin de l’ignorer jusqu’avoir terminé leur conversation. Ce n’était pas très agréable mais elle manquait cruellement de motivation pour les interrompre plus violemment à la place d’attendre avec son petit papier.
– Oh, désolé, s’excusa le jeune homme quand il le remarqua. Vous auriez dû dire que vous vouliez continuer. Ah. Non, désolé.
Il rougit, du moins c’était ce qu’Augustine avait l’impression avec la faible luminosité de ce crépuscule. Elle balaya l’expression d’un revers de main et fixa son interlocuteur d’un air curieux.
– Comment vous dire, continua le jeune homme. Je pense qu’il doit bien y avoir une ou deux filles qui m’aiment bien mais elles ne doivent pas avoir croisé Geneviève. Elles sont plus au travail ou aux soirées. Mais après, je ne vois vraiment pourquoi en quoi cela les concernerait si je préfère sortir avec l’une ou l’autre… Elles ne peuvent pas toutes croire que je suis leur âme sœur, ce serait absurde.
L’inspectrice hocha lentement la tête. Ce n’était donc pas une piste concluante surtout qu’effectivement personne de l’orchestre ne connaissait Jean avant que Geneviève ne l’invite et que celle-ci ne devait pas être le type à sortir en soirée. Elle préférait organiser des trafics de vélos à la place…
– Avez-vous quelque chose que vous souhaitez nous dire ? clôtura Hugo après un regard échangé avec Augustine.
– Je ne crois pas, réfléchit leur témoin en se grattant la tête. Non, vraiment, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter. Vous avez même déjà réussi à me demander des choses que je n’aurais jamais cru en rapport avec votre enquête… Si quelqu’un sait ce que je sais c’est bien vous !
Augustine dût sourire à cette réflexion. C’était vrai que souvent les témoins ne savaient pas interpréter correctement les détails qu’ils avaient vus mais jugés sans importance. Et c’était son travail de les trouver, de les relier et de prouver qui était le coupable.
« Nous vous remercions pour vos réponses et vous souhaitons une bonne soirée. Si vous vous rappelez de quelque chose, n’hésitez pas à venir nous en instruire. »
Le jeune homme s’inclina légèrement devant eux.
– Tout le plaisir était pour moi. J’espère vous avoir été utile. Faites attention aux chats.
– Aux chats ? répéta Hugo.
– Bien sûr, confirma Jean Bois. Ils sont en train de comploter pour asservir l’humanité. Les mouvements paniqués des petits rongeurs nous le confirment. Encore une bonne soirée à vous.
– Bonne soirée, fit le policier encore en train de réfléchir.
Augustine leva une dernière fois la main en salut puis tira son collègue en direction de la voiture. Il fallait qu’ils rentrent et mettent de l’ordre dans toutes ces informations. Elle conduisit rapidement vers le poste de police – louer soient les gens qui avaient placé les panneaux de direction – pendant qu’Hugo restait coincé sur les félins.
– Que crois-tu qu’il voulait dire par ce complot des chats ? Je veux dire, c’est des animaux de compagnie, les chiens les font fuir et tu peux les acheter avec un peu de poisson frais. Je le sais parce que ma femme en a récupéré trois en mettant des restes dans une assiette au jardin et maintenant ils sont toujours là à attendre. C’est fou, non ?
L’inspectrice haussa les épaules. Elle n’était pas de cet avis mais c’était une discussion inutile, cela ne valait pas la peine de l’approfondir. Elle se gara avec élan sur une des places de parking réservées aux voitures de service et Hugo la suivit sagement jusqu’à la porte d’entrée.
– Atten…
– Mraow !
Augustine se prit les pieds dans un chat errant qui passa en courant devant les escaliers. Ce n’était vraiment pas son jour de chance. D’abord les journaux et les parents, puis l’explosion, maintenant le chat. Il était grand temps qu’elle puisse s’enfermer tranquillement dans son bureau pour réfléchir à toute cette affaire. Il y avait le chef d’orchestre que rien n’accusait mais qui avait quand même été présent lors de la première explosion comme pour l’innocenter. Il y avait Isabelle Mancheau qui était peut-être Geneviève Croiset ou peut-être pas. Il y avait cette deuxième explosion qui était partie dans un sens bizarre par rapport à sa position dans la boîte aux lettres et elle avait besoin de l’analyse du laboratoire pour comprendre. Celui-là il ne viendrait que lundi matin au plus tôt. Et puis ce trafic de vélos qui était plus que louche et dont chaque membre disait que c’était les deux autres qui en étaient les instigateurs et qu’il ne participait que pour leur faire plaisir.
– Augustine, ça va ? s’inquiéta Hugo. Tu t’es cogné la tête contre les marches ?
C’était bizarre. Pourquoi Frédéric Boisot avait-il tout avoué lorsqu’ils étaient tombés sur eux ? Pourquoi les autres en avaient facilement parlé eux aussi ? Ils n’avaient même pas essayé de nier ou de le faire passer pour autre chose. C’était louche et cela criait à une explication différente. Qu’est-ce que cela pouvait-il cacher ?
– Qu’est-ce qui s’est passé ? voulut savoir le policier de garde en sortant du poste.
– Augustine est tombée…
Il y avait trop de choses emmêlées. C’était la dernière pensée qu’Augustine réussit à avoir avant que le noir l’engloutît.
20 décembre : Ces gens qui veulent absolument de l’attention by Carminny
Author's Notes:
Ce vingtième chapitre portera sur le thème prison.
Bonne lecture !
Des silhouettes bleutées se chamaillaient devant elle. Du moins c’était l’impression qu’Augustine avait. Elles se rapprochaient les unes des autres, s’éloignaient, se parlaient à grand renfort de gestes de bras. Qui étaient-ce ? Et pourquoi n’y avait-il pas de sons ? C’était bizarre et elle ne pouvait pas bouger non plus… Qu’est-ce que cela voulait dire ?
Les silhouettes bougeaient de plus en plus violemment jusqu’à ce qu’elles se déplacent un peu vers la droite. Malgré tout, elle n’avait aucun problème pour les suivre du regard. Il lui semblait que l’une des silhouettes se penchait un peu en avant, comme si elle essayait de voir quelque chose de plus près. L’autre hésita un instant puis lui sauta dessus. Elles se battirent quelques minutes. Finalement celle qui était en dessous semblait se faire assommer et glissa par terre après que l’autre l’ait tenu quelques minutes en l’air. Mais qui avait gagné ce combat à mort ? Augustine avait complètement perdu de vue laquelle était laquelle… Mais avait-ce de l’importance puisqu’elle ne savait même pas qui était qui au départ ? Les silhouettes se dispersèrent étonnamment rapidement.
Augustine regarda autour d’elle à la recherche d’un indice d’où elle était. A la place ce furent des silhouettes plus petites qui se dessinèrent dans le brouillard qui l’entourait. Des vélos, indéniablement. Pourquoi y avait-il des vélos ici ? Des silhouettes d’humains les rejoignirent rapidement. Il y en avait trois qui se parlaient visiblement. Régulièrement, l’une d’entre elles s’isolait pour bouger dans son coin puis revenait vers les autres. Ce qui était intrigant c’était que ce n’était jamais la même… Cela, elle le savait sans les différencier.
Lentement, une quatrième puis une cinquième silhouette se mêlaient à la scène tandis que les vélos disparaissaient dans l’arrière-plan. Soudain, l’une d’elles, elles se ressemblaient toutes d’un seul coup, aucun moyen de savoir si c’était une nouvelle ou non, pointa un doigt en direction d’Augustine. Les autres semblaient acquiescer enthousiastes. Puis sa vision se résuma à une onde de choc qui se rapprochait d’elle…
BOUM !
Augustine sursauta et se redressa. Où étaient passées les silhouettes bleutées ? Où le brouillard et l’explosion ? Où était-elle ? Le mur en face d’elle était blanc, les trois autres aussi. Devant la fenêtre, il faisait nuit. Les lampes n’étaient pas celles du poste de police. D’ailleurs, elle se trouvait dans un lit aux draps tout aussi blancs que les murs. Non, ce n’était pas le bureau. Où était-elle ? Ce n’était quand même pas une chambre d’hôpital ? Elle se frotta la tête et toucha un bandage. Qu’est-ce qui était arrivé ? Elle se souvenait clairement d’être sortie de la voiture et d’avoir emprunté le chemin vers son bureau pour réfléchir. Elle avait dû tomber mais pourquoi et où ?
– Ah, vous êtes revenue à vous, se réjouit une voix à ses côtés. C’est super, vos collègues vont être rassurés.
L’inspectrice tourna la tête vers la jeune infirmière qui se leva pour aller à la porte avant de s’y arrêter et de se retourner.
– En fait, vous vous sentez comment ? Vous avez mal à la tête ou vous vous sentez étourdie ?
Augustine secoua la tête puis grimaça quand soudain une faible douleur traversa ses tempes. Elle hocha doucement à la place. Face à elle, l’infirmière ne semblait pas savoir quoi faire de cette réponse. Elle finit par hausser les épaules et continuer son mouvement pour aller ouvrir la porte. Pourquoi avait-elle demandé si de toute manière cela n’avait pas de conséquences ? Elle en était restée où dans ses pensées déjà ? L’enquête dont elle était chargée, c’était laquelle ? Le cycliste sans vélo ? Non. La femme tuée par balle par son conjoint ? Non plus. Ah voilà, la jeune violoniste qui avait été tuée avec un lavabo ! Maintenant qu’elle y pensait, il n’y avait pas aussi une histoire de vélos là-dedans ? Si, les vélos cachés dans l’opéra. La victime et ses deux meilleurs amis les avaient volés pour les revendre. Les silhouettes… elles provenaient toutes de cette enquête ! Il lui fallait un stylo et une feuille immédiatement. L’inspectrice mit la main dans sa poche et constata avec effroi qu’elle ne portait plus sa veste. Ils avaient dû la déshabiller un peu puisqu’elle n’était plus qu’en t-shirt et en pantalon d’uniforme.
– Ah, Augustine, ça va mieux à ce que je vois ! s’exclama Hugo en entrant dans la chambre. Tu nous as fait une frayeur, dis donc.
Il était suivi par sa femme Anna-Lena, ce qui laissait conclure qu’ils étaient là depuis un petit moment déjà. Augustine avait un peu honte de s’être ainsi évanouie, causant autant d’inquiétude à son collègue. Mais la femme lui sourit simplement.
– Bonsoir, Augustine. Ravie de te revoir, même si c’est dans ces conditions.
L’inspectrice lui rendit son sourire puis commença à examiner la table de chevet à la recherche d’un stylo ou d’un crayon ou de quoi que ce soit qui puisse lui permettre d’écrire. La feuille était plus optionnelle.
– Je peux vous aider ? l’interrogea le médecin de service en surgissant brusquement à côté d’elle.
Augustine sursauta violemment et manqua de tomba du lit. Il n’y avait pas moyen que les gens préviennent avant de s’approcher ? Ou qu’ils laissent au moins traîner leurs stylos ? Ah, elle avait mal à la tête et elle avait besoin d’écrire l’idée que les silhouettes lui avaient donnée. Le trafic de vélos n’était pas le seul point en commun de la bande. Il y avait aussi les liens amoureux et d’amitié qui s’entrelaçaient. Cela ne pouvait que finir avec une dispute. Elle supposait maintenant qu’il y avait un équilibre entre les trois membres puisqu’ils étaient amis avant cela mais que l’arrivée peut-être non voulue de la cousine avait changé la donne. Ensuite il y avait eu le copain de Geneviève qui était tellement gentil et bon qu’il ne pouvait pas cautionner cela. Il y avait plusieurs possibilités. Soit c’était…
– Augustine, tu l’écoutes en fait ? interrompit ses réflexions Hugo en secouant son bras.
Elle lui lança un regard étonné. Ecouter qui ? A quel sujet ? Elle avait plus important à faire ! Résoudre ce meurtre surtout. Et elle venait d’avoir une théorie, il fallait qu’ils respectent cela. Elle cligna des yeux plusieurs fois puis se rappela qu’elle voulait.
« Ecrire » signa-t-elle à l’intention de son collègue, ignorant encore le médecin – pourquoi il était là ? – et les autres personnes.
– Non, répondez d’abord à mes questions, répondit le médecin que sa plaquette identifiait comme Docteur Desberges. Comment vous appelez-vous ?
Elle lui lança un regard courroucé. C’était pour lui poser cette question qu’il la dérangeait ? Elle n’y croyait pas. Elle fit un vague signe de main vers Hugo pour l’inciter à répondre à se place. Elle commençait vraiment à avoir la migraine avec leurs bêtises.
– Docteur, c’est…, tenta son collègue d’expliquer avant de se faire couper la parole.
– Non, c’est vous qui devez répondre, répliqua le docteur en fixant Augustine.
« Ecrire », montra-t-elle à nouveau en esquivant son regard pour chercher sa veste des yeux. Il devait y avoir son portefeuille et ses badges. Cela ne serait pas trop compliqué à comprendre. Mais elle avait beau parcourir les lieux, elle ne la voyait pas.
– Ne vous efforcez pas à nous aider surtout. Si vous ne connaissez pas votre nom, vous pouvez l’avouer. Ce n’est pas grave. Qu’en est-il de la date d’aujourd’hui ?
Augustine leva les yeux au ciel puis se rappela que c’était la misère parce qu’elle ne pouvait pas montrer le dix-neuf décembre sur ses dix doigts. « Moi pas parler » essaya-t-elle de faire comprendre son succès.
– Mais mince ! explosa Hugo. Augustine est muette !
– Oh, le médecin et l’infirmière échangèrent un regard honteux. Désolé.
Mais l’inspectrice en avait largement assez. C’était fini ces inepties. Elle se leva pour partir. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle était là. Si probablement parce qu’elle avait perdu connaissance après avoir pris un coup sur la tête, mais ça devait attendre. Ce qui comptait le plus c’était de trouver le meurtrier. D’ailleurs, qu’est-ce qui lui faisait dire qu’il n’y en avait qu’un seul ? Cela pourrait très bien être un groupe, peut-être même un groupe qui avait déjà commis des crimes. Et dans cette enquête elle pouvait en former plusieurs avec un nombre de personnes différents. C’était une idée qu’il fallait poursuivre.
– Vous allez où comme ça ? l’interrogea le médecin. Vous allez gentiment rester ici et répondre à nos questions pour que nous voyons si vous avez un traumatisme crânien ou pas. Alors asseyez-vous.
Augustine hésita quelques instants. Elle n’était pas en prison à ce qu’elle savait. Mais apparemment elle n’était pas pour autant libre de ses mouvements… C’était agaçant.
– Tenez, un stylo et du papier pour vous, fit l’infirmière en lui tendant le matériel qu’elle avait couru chercher.
Elle le lui fourra entre les mains. Finalement, c’était un endroit comme un autre, non ? Au moins une fois qu’elle aurait répondu aux questions, elle aurait la paix, n’est-ce pas ? L’inspectrice se rassit sur le bord du lit en regardant le médecin dans les yeux.
« Allez-y alors. Posez vos questions qu’on en finisse. »
S’en suivit une série de questions plus bêtes les unes que les autres auxquelles elle s’efforça de répondre le plus rapidement possible. C’était vraiment la dernière des choses qu’elle avait envie de faire au lieu de résoudre ce meurtre.
21 décembre : Beaucoup de réflexions en double by Carminny
Author's Notes:
Le thème d'aujourd'hui est averse. J'espère que cela ne prédira pas la météo...
Bonne lecture !
La pluie tombait contre la fenêtre quand le docteur et l’infirmière repartirent enfin. Augustine se saisit immédiatement de la feuille qu’ils lui avaient gracieusement laissée et passa le message à son collègue Hugo.
« Où est ma veste ? »
– Euh, fit Hugo en jetant un regard autour de lui.
– Ah, je sais, intervint Anna-Lena. Ils l’ont mise dans la commode je crois. Attends, je la cherche.
Quelques minutes après, l’inspectrice tenait en main son bloc-notes et se replongea enfin dans les prises de notes de toute la journée et de la soirée précédente. Non, elle voulait d’abord réfléchir à deux ou trois choses. Mais à quoi avait-elle pensé avant cette interruption ? Les silhouettes bleutées dans le brouillard et les groupes, la signification des explosions, les vols de vélos. Voilà, c’était ça. Elle le nota rapidement sur une nouvelle feuille avant de feuilleter les mots-clés précédents. Les suspects, c’était qui déjà ? Non, il y avait toujours deux possibilités qu’il fallait prendre en compte. Soit la victime était Geneviève Croiset, soit Isabelle Mancheau. Peut-être que cela ne ferait pas de différence mais peut-être que si donc elle allait séparer sa réflexion en deux parties.
Qui avait dit qu’il savait que c’était l’une ou l’autre ? Déjà, il y avait Isabelle Mancheau qui prétendait être Geneviève Croiset mais le cachait à tout le reste du monde, donc en fait c’était Geneviève qui prétendait être Isabelle même si Augustine l’avait rencontrée sous le nom d’Isabelle et avait donc l’impression que c’était Isabelle qui voulait être Geneviève. Elle devrait le savoir mieux que quiconque qui elle était mais si elle mentait ce n’était pas fiable. Cela dit, pourquoi mentirait-elle dans ce sens ? Si Isabelle prétendait qu’elle était Geneviève, cela pouvait s’expliquer par la popularité de sa cousine, par son succès qu’elle lui jalousait. Mais pourquoi Geneviève pourrait-elle vouloir prendre la place d’Isabelle ? L’excuse de la peine des parents paraissaient bien faible… Donc il y avait deux réponses possibles : soit il y avait une autre raison qu’elle n’avait pas encore trouvé, soit c’était réellement Isabelle Mancheau qui voulait faire croire qu’elle était Geneviève pour être moins suspecte. Oh bon Dieu ! Cette théorie se tenait ! Isabelle Mancheau aurait eu beaucoup plus de raisons de tuer Geneviève Croiset que l’inverse. Elle se serait débarrassée de quelqu’un qui la harcelait et l’utilisait, alors que sa cousine aurait perdu cet avantage. Quelle stratégie incroyable ! En plus, cela expliquait pourquoi elle ne voulait pas le dire à ses parents mais insistait dessus face à elle.
Bon, avant de pouvoir affirmer cela, il lui fallait trouver si c’était bien Isabelle ou non qui était encore vivante. Bénédicte Mancheau n’en savait rien. Sa femme, la mère d’Isabelle, n’en savait rien non plus mais tenait l’hypothèse que ce soit Geneviève pour possible voir probable. Le petit frère défendait fermement que c’était Isabelle même si sa « preuve » avait échoué. Quand aux deux meilleurs amis de Geneviève, Jacques Henri soutenait que c’était Geneviève mais l’appelait Isabelle sans problème, tandis que Frédéric Boisot semblait réellement croire qu’Isabelle était vivante et sa meilleure amie morte – à moins bien sûr qu’il soit un excellent comédien. Finalement les autres membres de l’orchestre... ils n’en savaient rien ou ne les différenciaient qu’à la partition qu’elles jouaient. Ah, si Marie Bienheureux avait remarqué un changement de personnalité, ce qui pouvait correspondre à un échange, mais qui, d’après elle, était dû à une fréquentation amoureuse. Fréquentation qui s’était avérée vraie pour les deux cousines. D’ailleurs Jacques Henri, ce n’était pas seulement le meilleur ami de Geneviève mais aussi le petit-ami d’Isabelle. Donc il pouvait très bien mentir pour l’aider, alors que Frédéric n’en ferait rien. La tendance allait davantage à croire que c’était bien Geneviève Croiset la victime mais il fallait des faits pas des suppositions à partir de témoignages pouvant être faux.
– Tu as besoin de nous en fait ? l’interrogea Hugo. Sinon, on te laisse et on revient demain.
Augustine leva le regard de son calepin. Elle avait complètement oublié que son collègue et sa femme étaient encore là. Qu’est-ce qu’ils faisaient pendant tout ce temps ? Elle secoua la tête avec un sourire puis fit le signe pour dire merci.
– Repose-toi bien, conseilla Anna-Lena. A demain !
– Ah, tu as vu la pluie qu’il y a dehors, râlait Hugo en quittant la pièce après un dernier salut.
L’inspectrice dut sourire avant de retourner à ses notes. Aller, ce meurtrier n’allait pas se trouver tout seul. Elle avait déjà passé du temps à réfléchir aux mobiles, il faudrait peut-être commencer à penser aux opportunités des différentes personnes. Qui avait bien pu tuer la jeune femme quelle qu’elle soit ?
Ce qui était certain c’était que dans ses suspects principaux, soit la cousine, le chef d’orchestre, les deux amis et Jean Bois, aucun n’avait d’alibi. Aucun des quatre ! Et pourtant il y avait quand même une petite centaine de personnes qui auraient dû les voir, leur parler. Qui l’avaient d’ailleurs fait avant ou après mais pas au bon moment. C’était embêtant. Elle enlevait Sophie Verçon des suspects. Elle avait certes été là mais elle n’avait pas de mobile apparent et rien à voir avec tout le reste. En plus, elle n’avait pas eu le temps de préparer cela avec ses enfants malades. Ou peut-être que si ? Finalement, elle la rajoutait. Elle avait eu l’occasion.
La cousine – que ce soit Isabelle ou Geneviève n’importait peu pour le moment – avait été vu en train de nettoyer son violon. D’après Jacques du moins qui ne pouvait décidément pas être considéré comme un témoin fiable. En même temps, cela signifiait qu’elle pouvait avoir piégé le violon de Geneviève sous les yeux de tout le monde. D’ailleurs, pourquoi les violons avaient été clairement identifiés mais pas les jeunes femmes ? C’était absurde !
Jacques Henri et Bénédicte Mancheau affirmaient mutuellement avoir vu l’autre proche des toilettes. Cela dit, tandis que le père accusait le plus jeune celui-là reconnaissait avoir vu morte son amie. Cela lui posait deux problèmes majeurs. Comment Jacques pouvait-il savoir ce que faisait la cousine alors qu’il était avec l’autre ? Que faisait le chef d’orchestre en bas ? D’accord, bien évidemment la vraie question était plutôt : est-ce que l’un d’entre eux était le meurtrier ?
C’était possible. Ils avaient tous les deux eu la possibilité de tuer Geneviève – ou Isabelle – avant de se croiser. Ce qui était sûr c’était que le chef d’orchestre était remonté quelques minutes après Jacques en clamant la mort de sa nièce. Cela pouvait être honnête parce qu’il venait de découvrir le corps ou alors parce qu’il avait rencontré Jacques sur le retour de son meurtre et pensé qu’il avait vu la morte. Non, quelle motivation pouvait avoir un père ou oncle à tuer une jeune fille de sa famille qu’il aimait et dont il pleurait vraisemblablement la mort.
Quant à Jacques cela paraissait davantage probable. N’était-il pas pris dans un crime dont les conséquences l’effrayaient et qu’il aurait pu vouloir cacher à tout prix ? Il avait eu l’air pris de panique quand il avait appris que son ami Frédéric leur avait avoué. Se pouvait-il qu’il aurait supprimé une amie pour sauver sa peau ? Ou était-il de mèche pour n’avoir rien voulu dire ?
Mais elle résonnait à nouveau au mobile et plus à l’occasion. Elle voulait simplement éliminer ceux qui n’avait physiquement pas pu commettre ce crime. Quelle tristesse qu’elle n’ait pas été étranglée à la main, cela aurait éliminé la moitié des suspects trop petits ou pas assez forts. Mais là… Cela devait être une force à peu près équivalente, sinon la victime n’aurait pas réussi à se débattre suffisamment pour ses plaies. Attendez ! Est-ce qu’elle avait vu quelqu’un qui avait des bleus ou des égratignures parmi tous ceux à qui elle avait parlé ? Elle n’avait rien remarqué et c’était plutôt aisé de cacher ce genre de petites blessures compte tenu des températures et de la saison. Un pull et le tour était joué. Ce qui lui rappelait qu’il faisait un peu froid en t-shirt. Elle pourrait peut-être remettre sa chemise…
Ce qui était sûr c’était que Jacques Henri n’était pas descendu pour placer le violon avec la bombe puisque le chef d’orchestre ne l’avait pas vu alors que c’était une des choses les plus importantes pour lui au monde. Donc la bombe devait encore se trouver chez Geneviève – ou Isabelle – et s’il savait ce qu’elle faisait en haut alors qu’il était en bas, c’était car il était complice du plan. Non, c’était impossible. C’était trop gros. Ou plutôt c’était trop fin pour avoir été organisé par les mêmes personnes que le trafic des vélos. Quoique ça faisait quand même deux semaines que Léonard était sur le coup sans succès.
Il lui restait encore les opportunités de Frédéric Boisot et Jean Bois. Ce dernier disait être parti très rapidement et cela correspondait avec son ignorance – s’il avait été au courant le sapin lui aurait répondu. Il n’était seulement sur la liste des suspects parce qu’il avait été proche de Geneviève. Il faudrait peut-être le faire rencontrer Isabelle… Et puis Frédéric Boisot. Il semblait tout aussi ignorant mais il pouvait ne pas avoir été mis dans la confidence. Il n’avait pas d’alibi, il était peut-être dans un club de théâtre mais il n’avait pas été vu en bas… Par contre, elle l’avait vu elle-même, il avait peut-être eu l’occasion mais il ne lui semblait pas qu’il avait le moral nécessaire.
Finalement, des occasions, tout le monde pouvait en avoir eu.
22 décembre : Et x est égal à… by Carminny
Author's Notes:
Bon, le thème est "volant". Oui, vous voyez le participe présent du verbe voler. D'accord, il n'est pas présent ->
Bonne lecture quand même !
L’inspectrice souffla sur sa feuille. C’était dommage que les occasions n’aient exclu personne. Mais on ne pouvait pas tout avoir. Il lui restait des mobiles et ce n’était pas ce qui manquait dans le cas présent. Elle y avait pensé tellement de fois mais finalement aucun ne la satisfaisait réellement.
Si c’était réellement Geneviève Croiset la victime, pourquoi son oncle qui la poussait tant à se surpasser et à devenir une brillante violoniste voudrait-il la tuer ? Pourquoi son meilleur ami Frédéric qui la pleurait de toutes les larmes de son corps lui ferait-il du mal ? Si, d’accord sa cousine qu’elle persécutait sous les yeux aveugles de leurs parents et qu’elle exploitait honteusement depuis leur enfance avait un excellent mobile pour la tuer. Et son ami Jacques qui avait peur qu’incitée par son nouveau petit ami, elle dénonce leur trafic de vélos à la police lui semblait tout à fait le genre de personne qui pouvait aller aussi loin dans leur panique.
Si c’était Isabelle Mancheau comme elle le défendait elle-même – cette pensée était franchement dérangeante, d’habitude les morts n’étaient pas censés pouvoir parler – son père n’avait pas davantage de mobile… Tout comme sa cousine Geneviève qui profitait de leurs relations. Après tout un maître chanteur ne tue jamais sa victime à moins qu’elle soit en train de se rebeller. C’était une possibilité après tout. Les silhouettes bleutées lui revinrent en tête. Il y avait eu une attaque dans les toilettes mais on ne connaissait pas le meurtrier ni la victime. L’attaquant pouvait tout aussi bien avoir été celui qui tue comme celui qui était tué. Et si Isabelle avait tenté quelque chose contre Geneviève et qu’elle n’ait que retourné le bâton pour se défendre ? C’était tout à fait possible et alors elle prétendait être l’autre sans l’être pour paraître moins suspecte. Mais alors, qui était dans le complot ? Tous ceux qui disaient qu’elle pouvait être Geneviève ou seulement un cercle plus restreint ?
Elle secoua la tête. C’était tiré par les cheveux mais cette idée revenait de plus en plus pendant qu’elle y réfléchissait comme si c’était la seule hypothèse qui faisait coller tous les indices. Mais était-ce une preuve suffisante ? Certainement pas. Bon, les autres mobiles. Frédéric Boisot pouvait avoir peur qu’elle dénonce le trafic de vélo comme si c’était Geneviève, mais alors il n’aurait pas cédé aussi facilement quand ils lui étaient tombés dessus. Jean Bois n’avait aucun motif puisqu’il ne la connaissait pas apparemment. Du moins c’était ce qu’il disait. Et pour finir Jacques Henri. Ce n’était plus un des meilleurs amis pour la victime mais le petit ami, la relation amoureuse. Et donc de manière générale le suspect principal. Mais dans ce cas-ci, cela ne semblait pas coller. Quoique… il semblait beaucoup tenir à son amie aussi et la soutenir dans ses idées. Est-ce qu’il l’avait contredit sur un seul point pendant l’entretien ? Non, pas une seule fois. Et pourtant il venait de perdre sa petite-amie. Il n’était pas si dévasté que cela. Oui, il disait être sous le choc et cela pouvait être vrai mais elle avait du mal à y croire. Pas quand il se pointait le matin à la chorale des enfants. Donc il pouvait tout à fait être coupable.
Distraitement, elle barra de sa nouvelle liste de suspects principaux tous les noms qu’elle ne trouvait pas plausible. Au final, elle n’en avait plus que deux. Et si sa supposition était correcte, ces deux-là étaient complices donc tous les deux coupables. Augustine fixa sa liste maintenant bien réduite.
« Si la morte est Geneviève Croiset :
– Isabelle Mancheau, cousine : jalousie
– Jacques Henri, meilleur ami : peur qu’elle dénonce le trafic de vélo
Si la morte est Isabelle Mancheau :
– Geneviève Croiset, cousine : par erreur si Isabelle l’a attaquée
– Jacques Henri, petit ami : par peur qu’elle ait découvert les vols de vélos, pour aider Geneviève ? »
En fait, cela n’importait que peu de savoir qui était la victime maintenant et qui était encore en vie. C’était perturbant et elle aurait préféré que les deux cas soient bien distincts. Au moins elle aurait eu des points de repère pour identifier le cas de figure réel. Parfois la vie était mal faite. Ou était-ce mis en scène par quelqu’un pour embrouiller les pistes ? Non, ce n’était pas possible, il n’y avait pas davantage de mobiles. Alors il n’y avait plus qu’une seule à faire : vérifier si tous les détails collaient davantage à l’une des pistes qu’à l’autre. Il était hors de question d’abandonner de résoudre cette énigme même si le résultat était pareil. Et ça, ce n’était pas sûr à cent pourcent.
Elle allait partir du principe que la cousine vivante disait la vérité. Donc que la morte soit Isabelle Mancheau et non Geneviève Croiset. Il y avait tous les problèmes liés aux personnes qui l’appelaient par le nom d’Isabelle sans marquer la moindre hésitation. Et cela ne collait pas devant et derrière. Elle avait une hypothèse sur ce qui c’était passé et que Jacques couvrait sa meilleure amie. C’était plausible mais ce n’était pas possible… Il fallait réfléchir qui disait quoi. Elle y avait déjà réfléchi en fait, non ? La plupart des témoins affirmerait sans hésiter ce qu’on leur avait dit – que c’était Isabelle – parce qu’ils ne savaient pas différencier les deux cousines. Les seuls qui étaient convaincus d’être face à Isabelle étaient Jérémie Mancheau et Frédéric Boisot, tandis que ceux qui défendaient que c’était Geneviève étaient la cousine vivante elle-même, Marilou Mancheau et Jacques Henri. Si même les proches étaient déchirés… Mais les deux derniers pouvaient très bien avoir menti pour protéger Isabelle Mancheau. Elle aurait davantage tendance à croire les deux jeunes hommes qui avaient l’air bien plus fiables que les autres. Ou du moins leurs réactions semblaient plus réelles, plus concrètes, plus émotives aussi.
Il y avait évidemment encore l’hypothèse tordue que c’était Isabelle qui était morte et que Geneviève se faisait passer pour Isabelle en prétendant devant la police qu’elle était Geneviève. Quelqu’un suivait encore ? C’était probablement trop tordu pour être réel. Et puis pourquoi tout le monde devrait jouer le jeu. Ou plutôt pourquoi les proches seraient séparés en deux groupes au lieu de tous soutenir une hypothèse et ainsi éviter toute remise en question ? Voilà ce qui n’allait pas. D’ailleurs, pourquoi tourner trois fois autour du pot si le résultat revenait au même ?
Qu’est-ce qui avait d’autre dans l’enquête qui pouvait poser problème ? Les explosions. Il y en avait eu deux. La première avait été déclenchée à retardement grâce à une montre. C’était un violon qu’Isabelle ou Geneviève avait tenu en main juste avant. En fait, elles l’avaient eu en main toutes les deux. Geneviève pour jouer et Isabelle pour le nettoyer. Logiquement c’était Isabelle qui avait eu davantage l’occasion d’y mettre un explosif. A moins bien sûr qu’elles aient échangé de place à ce moment-là mais c’était quand même plutôt improbable et pas du tout dans les personnages malgré tout ce qu’on pouvait vouloir lui faire croire. Oui, c’était probablement cela. Isabelle avait mis l’explosif dans le violon avant d’aller la tuer au sous-sol et de déposer le violon dès que son père avait découvert le cadavre afin de détruire les preuves. Malheureusement la police était arrivée trop tard et cela n’avait servi à rien. C’était tout à fait probable que cela se soit passé ainsi. Et dans ce cas c’était bien un meurtre prémédité et bien planifié. Des complices n’étaient donc pas du tout à exclure.
La deuxième explosion était simplement pour détourner l’attention d’elle. En effet, qui allait être tellement bête de risquer de se blesser sérieusement juste pour démontrer qu’il n’était pas coupable ? Et pourtant elle l’avait fait. Il était certain qu’elle avait placé elle-même l’explosif dans la boîte à lettre puis l’avait ouvert devant leurs yeux. Augustine se rappelait un peu trop bien de cette explosion et de ses conséquences. Mais cela expliquait, bien sûr, aussi qu’aucun des deux garçons ne savaient utiliser les explosifs mais qu’ils avaient ensemble réussi à creuser la cave. Non, le trafic de vélos concernait Geneviève pas Isabelle. C’était elle qui avait appris à Isabelle de les utiliser ou lui avait-elle peut-être même ordonné de s’initier à ces techniques pour créer la cave… En tout cas, le deuxième explosif avait été un leurre.
Ou alors… Elle se souvenait de quelque chose qu’elle avait dit. Que Frédéric Boisot lui avait mis une lettre dans la boîte. C’était même un essai de faire accuser quelqu’un d’autre ! Malheureusement pour elle, le meilleur ami de sa cousine n’était pas un suspect franchement crédible. Mais l’idée y était.
Tout cela corroborait l’hypothèse que la coupable était Isabelle Mancheau. La question était plutôt de savoir si Jacques Henri était complice ou non. Cela pouvait être le cas, comme cela pouvait ne pas l’être…
– Vous devez vous reposer maintenant, lui ordonna une infirmière en passant dans sa chambre. Posez ça et dormez. C’est une ordonnance, si vous voulez.
Augustine se frotta la tête. Peut-être qu’elle avait raison. Après tout, elle allait probablement devoir attendre lundi pour faire quoique ce soit. Elle pouvait bien dormir un peu alors.
End Notes:
Surpris ? Ou vous aviez deviné ? (parce que moi j'ai bien l'impression de radoter comme une vieille grand-mère ^^)
23 décembre : Le chapitre inutile qui comble by Carminny
Author's Notes:
Bonjour !
Ici, le thème est "pointe" et je suis assez fière de l'avoir utilisé ^^.
Bonne lecture !
Le dimanche soir, Augustine eut enfin le droit de rentrer chez elle. Elle passa évidemment d’abord au poste pour laisser une note indiquant qu’elle voulait voir Isabelle Mancheau au plus tôt le lendemain. Ce n’était pas la peine de perdre du temps, maintenant qu’elle était venue à la conclusion qui était le coupable. Evidemment, il n’y avait pas encore de preuves réellement accablantes, juste des suppositions et de la déduction à partir de témoignages et entretiens. Personne n’avait vu Isabelle commettre le crime mais personne ne l’avait vu ne pas le faire non plus. L’inspectrice était convaincue de sa culpabilité et surtout du fait qu’elle allait pouvoir lui extorquer des aveux. Elle cèderait facilement si elle croyait qu’elle avait des preuves contre elle.
Elle ressortit tout aussi rapidement qu’elle était entrée. Sur les marches sur lesquelles elle était tombée environ vingt-quatre heures plus tôt, elle faillit rentrer dans Hugo. Elle s’arrêta brutalement et cligna des yeux. Mais…
– Ah, Augustine, son collègue la prit de court. Pourquoi ça ne m’étonne pas de te voir ici ? Tu as enfin réussi à t’échapper ?
L’inspectrice hocha la tête puis lui jeta un regard de travers. Que faisait-il là ? Hugo n’était pas du tout le genre de personne qui sortait un dimanche soir pour se rendre au travail alors qu’il était en weekend.
– Moi ? Euh, en fait, comment dire ? J’ai peut-être reçu une lettre à la maison qui disait que tu étais en danger. Alors je t’ai cherchée. A l‘hôpital, on m’a dit qu’ils venaient de te laisser partir, et il n’y avait personne chez toi. Il n’y avait qu’un seul endroit où tu pouvais être.
Elle haussa les épaules et lui fit signe d’entrer dans le couloir. Là au moins, il y aurait de la lumière et elle pouvait répondre. Hugo lui emboîta le pas et Augustine vit enfin l’air inquiet sur son visage. Elle leva les yeux au ciel. C’était ridicule de s’en faire pour si peu.
« Une lettre de qui ? »
– Elle est signée Frédéric Boisot…
Augustine eu une soudaine envie de rire. C’était tellement absurde. Comme si Isabelle Mancheau essayait d’attirer l’attention sur quelqu’un d’autre. Encore. Comme pour la deuxième explosion. Et là aussi la faute avait été rejetée sur ce pauvre Frédéric. S’il fallait une preuve que c’était Isabelle derrière tout cela et non Geneviève, la voilà.
– Tu crois que c’est lui le coupable ? Je veux dire, tu as déjà échappé à deux explosions alors la menace me paraît crédible. Et ne te donne pas cet air blasé, ça ne te va pas. Je sais très bien que tu réfléchis déjà à toutes les possibilités.
Pour une fois que ce n’était pas le cas… L’inspectrice haussa les épaules. Elle n’était pas visée par les explosions, elle en était quasiment certaine. Les explosions avaient été trop faibles pour être réellement dangereuses. Enfin, plutôt, la première avait été trop remarquable pour ne pas être évitée et la deuxième n’avait en aucun cas le but de tuer quelqu’un. Ou alors elle avait été complètement ratée. De toute manière, si la personne prévenait avant de mettre ses menaces à exécution, il devait y avoir autre chose derrière.
« Il faudrait être idiot pour signer une telle lettre de son propre nom. Je pense plutôt que c’est une énième tentative de faire croire qu’elle n’est pas coupable. »
– Elle ?
« Isabelle Mancheau. »
Hugo ouvrit la bouche comme pour répondre mais aucun son n’en sortit. Il resta quelques instants comme une carpe puis la referma sous le regard railleur d’Augustine. Elle désigna la porte comme pour demander s’ils pouvaient y aller.
– Tu ne veux même pas savoir ce qui était écrit dans la lettre ? Si tu dois t’attendre à une nouvelle explosion ou autre chose ? D’ailleurs comment elle a su où j’habitais ? Et toi ? Parce que ton adresse était dans la lettre aussi. Comme le lieu qui allait exploser en prochain…
« Grâce aux Pages Jaunes évidemment. » Augustine était désespérée. Ne pouvait-il pas réfléchir calmement aux faits pour une fois ?
– Mais ce n’est pas tout, s’inquiétait encore davantage Hugo devant son calme. Dans la lettre… il y avait une pointe de flèche !
« Une pointe de flèche ? » Elle haussa les sourcils. C’était complètement absurde. Encore plus que l’accusation de Frédéric. A moins qu’il ne fasse du tir à l’arc en tant que loisir… Mais si la pointe était chez eux, ils ne risquaient plus grand-chose. Après tout, une flèche avait besoin de sa pointe pour voler correctement. Mais Hugo prenait cela vraiment au sérieux.
– Oui, une pointe de flèche, une bien pointue. Comme d’une vraie arme. Je crois qu’on peut tirer très loin avec ça…
« Tu veux qu’on aille voir Frédéric Boisot pour lui demander ? » proposa-t-elle en se passant une main dans les cheveux. La réalité était qu’elle n’avait aucune envie de faire ça mais au moins elle pourrait lui poser d’autres questions sur ses amis par exemple.
– Ce n’est pas un peu tard pour ça ? hésita Hugo. Si tu crois que ce n’est pas lui de toute manière…
Augustine avait l’impression que c’était son collègue et non pas elle qui avait reçu un coup contre la tête. Depuis quand les horaires lui posaient problème ? Cela l’agaçait un peu, là. Elle avait autre chose à faire… ou pas d’ailleurs. Elle lui adressa un léger sourire. Après tout il ne s’inquiétait que pour elle.
« Soit on y va, soit on rentre. C’est aussi simple que ça. » Il n’y avait pas cinq possibilités vue la situation. Hugo hocha doucement la tête.
– Allons-y alors.
L’inspectrice n’y croyait presque pas, mais Hugo lui désigna sa voiture et quelques minutes plus tard ils étaient devant l’immeuble où habitait Frédéric Boisot. Son collègue appuya sur le bouton de sonnette correspondant et le jeune homme les invita à monter d’une voix enrouée. Il avait les yeux encore plus rougis que le matin et Augustine semblait apercevoir des montagnes de mouchoirs usés à travers la porte entrouverte de la chambre. Ce n’était pas mieux dans le salon où Frédéric essayait de cacher l’état déplorable de son appartement.
– Vous avez trouvé le meurtrier ? demanda-t-il enfin d’un air suppliant. S’il-vous-plaît, vous avez le droit de me le dire, non ?
Augustine fit une moue. Elle n’avait pas prévu de le lui révéler pour éviter que l’information ne fuite ou pire, que la coupable ne fasse des choses irréfléchies en pensant qu’elle n’avait plus rien à perdre. Elle échangea un regard avec Hugo. Ils avaient eu la même idée. Le policier posa l’enveloppe qu’il avait reçu sur la table.
« Probablement l’auteur de cette lettre vous ne pensez pas ? »
– Mais… C’est mon nom ! Je dirais même que c’est mon écriture…
– C’est vous qui avez écrit cette lettre alors ?
– Bien sûr que non… Quel serait l’intérêt ? Je veux que vous trouviez l’horrible personne qui a tué ma meilleure amie ! Pourquoi vous menacer dans ce cas ?
« Vous faites bien du tir à l’arc, non ? » changea de sujet Augustine.
– Oui…
« Est-ce qu’une de vos flèches était cassée ces derniers temps ? »
– Plusieurs même. Et c’est étonnant parce que je viens de les acheter. Mais quel est le rapport avec la lettre ? Vous permettez que je la lise en entier ?
Augustine lui fit signe que c’était tout à fait souhaitable et attendit patiemment – chose qu’on ne pouvait pas dire de son collègue. Il essayait de le cacher mais Augustine entendait son pied bouger.
– Oh, je vois. Puis-je voir la pointe de flèche ? Je pourrais peut-être dire quand je l’ai utilisé pour la dernière fois…
Hugo la lui tendit et le jeune homme l’examina longuement en reniflant quelques fois.
– Je vous ai trop promis. Elle a été abîmée sciemment pour ne pas être reconnaissable. D’habitude il y a toujours un numéro de série dessus mais regardez-là…
« Est-ce que vous connaissez quelqu’un qui sait imiter les écritures ? »
– Si vous voulez parler de quelqu’un qui m’a déjà fait la blague de refaire mon écriture, il y a Eva, vous savez la fille de Sophie. C’est très gênant puisqu’elle vient tout juste d’apprendre à écrire mais elle a une mémoire quasiment photographique c’est extrêmement perturbant. Et puis il y a Isabelle bien sûr. Elle écrivait souvent les devoirs de Geneviève donc j’imagine qu’elle doit bien savoir écrire avec une écriture différente…
Cela se défendait tout à fait. En tout cas, rien de tout cela ne contredisait ce qu’elle avait supposé. Hugo rassura encore Frédéric puis ils le saluèrent. Ils ne voulaient pas s’attarder davantage…
Les deux policiers descendirent lentement. La peine de ce témoin était tellement grande et accablante. Hugo s’en voulait probablement de l’avoir dérangé, Augustine le connaissait assez bien pour le savoir. Mais au moment où elle voulut le saluer, il lui fit part de ses inquiétudes restantes.
– Je serais quand même plus rassuré si tu dormais chez nous cette nuit…
Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre ?! Augustine n’en croyait pas ses oreilles. C’était complètement ridicule. Quoique… Peut-être qu’elle pouvait se faire inviter à manger, les repas à l’hôpital avaient été atroces même à son niveau.
« Si vous n’avez pas encore mangé, je pourrais éventuellement te concéder ce point… »
24 décembre : La scène finale des aveux by Carminny
Author's Notes:
Alors comme c'est le dernier jour et que j'ai eu le très joyeux thème de "destructeur", je souhaite remercier les beiges et Alena qui a lancé le projet cette année.
Bonne lecture !
Augustine prit le temps de s’asseoir face à la coupable. Elle ne pensait pas encore avoir à craindre quelque chose d’elle. Après tout, elle avait encore tout à perdre si elle se rendait aussi coupable d’une attaque sur un inspecteur de police. Elle adressa un regard neutre à Isabelle Mancheau.
« Vous êtes Isabelle Mancheau ? » inscrivait-elle proprement sur une feuille propre.
– Non, je suis Geneviève Croiset, lui mentit la coupable au visage.
« Ne jouez pas à ça. Je sais que vous êtes Mademoiselle Mancheau. »
– D’accord, fit-elle avec une mine boudeuse. C’est bien moi.
« Je vous ai fait venir ici pour vous dire que vous êtes en état d’arrestation. Je suppose que vous savez pourquoi ? »
– Oui… je suppose que oui.
« Vous avouez donc avoir tué Geneviève Croiset ? »
– Je n’ai pas trop le choix, maintenant que vous avez découvert la vérité. Si je le nie, cela ne servira à rien non plus. Si vous m’avez convoquée c’est que vous avez des preuves…
« Et votre ami Jacques Henri était complice, n’est-ce pas ? »
– Quoi ?! Isabelle semblait réellement confuse de cette question. Pourquoi aurais-je impliqué quelqu’un ? Ce n’était pas prévu, rien de cela. Je ne sais même pas pourquoi il l’a fait… enfin si, il voulait m’aider parce qu’il a bien vu que ça n’allait pas. Mais je ne l’aurais jamais impliqué dans une telle histoire ! Je trouvais ça déjà tellement injuste que Geneviève l’impliquait dans son trafic de vélos… Jacques, il a des valeurs et un objectif précieux pour lui. Elle n’avait pas le droit de mettre ça en danger. Et moi, je ne me fiche pas des sentiments des autres alors je ne les implique pas dans mes problèmes.
Augustine hocha la tête. Pour la première fois, elle avait l’impression qu’Isabelle Mancheau était complètement honnête. C’était cette attitude qui collait à la personne qu’on lui avait décrite. Bonne, soucieuse des autres et opposée à sa cousine. Elle avait envie d’y croire. Mais c’était un point qui pouvait bien attendre. Pour le moment c’était Isabelle Mancheau qu’elle avait arrêtée et était en train d’interroger. Il restait encore une grande question à laquelle elle supposait avoir la réponse mais un aveu était toujours mieux qu’une théorie. C’était bien engagé.
« Pourquoi l’avoir tuée ? » Sur le papier, la question sembla tout à fait anodine. Presque banale. Comme on demande à quelqu’un quelle météo il allait faire ou si tout allait bien. Et pourtant derrière une réponse qui pouvait être tout aussi banale et quotidienne se cachait la raison qui poussait à un meurtre. Ici, par exemple, Augustine supposait que c’était une bonne raison, une raison qu’on ne pouvait pas balayer d’un coup de main, même si évidemment pour les meurtriers leur raison était toujours bonne. Mais cet air résigné sur le visage d’Isabelle Mancheau ne faisait pas penser à celui d’un meurtrier mais plutôt à celui d’une victime fatiguée.
Quand elle prit enfin la parole, ce fut avec un ton las et désabusé qui ne semblait pas du tout correspondre à la personnalité qu’on lui avait prêtée. Jouait-elle un jeu depuis toujours pour cacher ses véritables sentiments ? Ne pouvait-elle pas être elle-même par crainte d’éveiller la colère de sa cousine ? Car c’était certainement cela la raison, la vengeance pour des années d’harcèlement.
– Je n’avais pas prévu de la tuer. Enfin si mais pas là, pas comme ça. Je suis la seule à savoir comment Geneviève était réellement. Une garce, méchante et sans cœur. Il n’y avait que moi qui la connaissait suffisamment pour savoir qu’après m’avoir finie, elle s’en prendrait à mon petit frère ! Je ne pouvais pas la laisser faire… Je ne l’ai pas toujours haïe. Quand elle est arrivée chez nous, je l’admirais énormément. Elle était tout ce que je voulais être, je l’ai accueillie à bras ouverts, je voulais qu’elle devienne ma meilleure amie, ma sœur. Mais elle n’est pas devenue comme ma sœur, elle a pris ma place dans la famille. Mon père n’avait d'yeux que pour elle, ma mère la complimentait constamment. Même Jérémie se faisait prendre au piège.
« Et pourtant au fond d’elle, bien caché sous ses bonnes manières et son air distant, se trouve une personnalité destructrice. Elle doit absolument être meilleure que tous les autres et pour cela elle détruit tout en eux. Dès qu’elle se met en tête de vouloir dépasser quelqu’un elle fait tout pour l’écraser. Elle ne recule devant rien. Et sa cible préférée, c’était moi. Je ne sais pas si vous avez déjà rencontré quelqu’un de destructeur. J’espère pour vous que non. Elle voulait que je me sente mal et y mettait beaucoup d’énergie. Je ne pourrais pas vous le décrire mais elle a rendu ma vie quasiment insupportable.
« Jamais je n’avais pensé à la tuer. J’ai pensé à porter plainte, à le dire à mes parents, mais je ne l’ai jamais fait parce que j’avais peur des conséquences. D’être regardée avec pitié, de devoir mettre des mots là-dessus – que vous le croyez ou non, vous êtes la première personne à qui j’en parle avec autant de détails. Mais aussi de la vengeance de Géneviève. Je ne savais pas ce qu’elle allait pouvoir inventer pour me punir d’en avoir parlé mais cela me bloquait. Alors rien que de penser à me rebeller était impossible. J’avais toujours peur qu’elle lise mes pensées. Je me rappelle que quand je l’insultais dans ma tête, elle le savait toujours et m’attendait au coin du couloir. Ce a quoi j’ai pensé c’était plutôt de me tuer moi pour échapper à tout ça.
« Et vendredi soir, d’un seul coup, l’idée m’est venue. Elle a commencé à me parler à travers le miroir pendant que je me lavais les mains. Elle m’a bousculée pour se maquiller et puis j’ai vu. Le lavabo rempli à ras-bord, son attention détournée par le mascara, et moi tout juste derrière. Alors j’ai saisi l’opportunité sans plus réfléchir. Elle s’est débattue mais j’ai réussi à l’assommer. Je sais qu’elle aussi a essayé de me tuer à ce moment-là. Il n’était plus question que nous sortions toutes les deux vivantes. Ensuite, j’ai réalisé que j’étais la suspecte la plus évidente. Je sais que j’ai un énorme mobile. C’est la raison pour laquelle je l’ai réellement tuée. Et j’ai eu une idée. Si Geneviève avait réussi à me tuer, personne ne l’aurait soupçonné parce qu’elle est toujours si au-dessus de tout, si parfaite avec les autres. Alors, j’ai sous-entendu que j’étais elle, quand vous m’avez parlé. Je lui ai volé sa cravate, je me suis comportée un peu plus hautaine. Je vous ai dit la vérité, j’étais jalouse de ma cousine. Mais surtout je la haïssais pour tout ce qu’elle m’a fait. Et puis j’ai entendu que c’était vous, l’inspectrice muette qui découvre toujours la vérité, qui étiez chargée de l’enquête. Alors j’ai fabriqué une petite bombe dans le violon de Geneviève. Ce n’était pas bien compliqué, le téléphone portable de Geneviève et le matériel des artisans qui devaient agrandir la cave suffisaient. Personne ne peut vérifier l’historique d’un portable explosé après tout. Malheureusement vous n’avez pas explosé. Même mon père en a échappé. Alors j’ai gardé mon plan de départ. Je devais être, à vos yeux, Geneviève Croiset la victime supposée, et quelqu’un cherchait à me tuer. Evidemment, Frédéric était le suspect parfait, à cause du trafic de vélos. Mais apparemment vous n’avez pas été dupe…
Augustine n’avait pas tout à fait eu la même impression sur ce qui c’était passé mais si c’était le plan de la coupable… Par contre, il y avait plusieurs points qui découlaient de cette version. Déjà elle n’avait pas cru à ce plan bizarre comme quoi Frédéric voulait tuer Isabelle. Cela ne collait pas du tout. Mais c’était peut-être mieux que cela avait échoué… Et puis, si le meurtre n’était pas prévu cela expliquait pourquoi Isabelle affirmait que Jacques n’avait rien à voir là-dedans…
– Je vous le dis pour finir, maintenant que j’ai tout avoué. J’avais raison de vous craindre. Vous avez découvert la vérité et je sais que je vais passer ma vie en prison. Au moins j’aurais pu sauver mon frère et les autres personnes que ma cousine aurait pu rencontrer. Je ne regrette pas de l’avoir tuée. Même si je conçois que je vais devoir assumer les conséquences.
La jeune femme se tut et posa les mains sur la table. Augustine lui adressa un regard qui se voulait compatissant puis ouvrit la porte pour faire entrer les policiers chargés d’emmener la coupable dans sa cellule en attente de son procès. Une fois de plus, un meurtre tragique avait été résout sans qu’elle n’arrive à en tirer une satisfaction d’attraper le coupable. Au final, Geneviève Croiset avait été tout aussi coupable que sa meurtrière. Cela s’était joué à si peu.
Augustine suivit du regard Isabelle Mancheau qui descendait le couloir encadré par les policiers. Peut-être que les juges transformeraient la peine capitale en hôpital psychiatrique pour qu’elle se remette de ses mauvaises expériences. Elle soupira puis se retourna. Maintenant il ne lui restait plus qu’à remplir tous les papiers… et peut-être aller assister au concert de Noël à l’opéra.
End Notes:
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