Recueil corallien by MadameGuipure
Summary:

 

 

Dans un décor idyllique, seize aventuriers s’affrontent.

A la fin, il n’en restera qu’un !

Recueil des épreuves d’immunité du concours « Koh-Lanta, l’île des HPFiens »

 

 

Image libre de droit de ketart sur Pixabay, modifiée par moi-même

 


Categories: Contemporain, Projets/Activités HPF, Concours Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Koh-Lanta, l'île des HPFiens
Chapters: 4 Completed: Non Word count: 3889 Read: 11364 Published: 14/04/2021 Updated: 17/06/2021

1. Une bouffée de liberté by MadameGuipure

2. Les potos de Polo by MadameGuipure

3. Des perspectives nuageuses by MadameGuipure

4. Il était une fée by MadameGuipure

Une bouffée de liberté by MadameGuipure
Author's Notes:

Thème : le personnage doit surmonter un obstacle, celui de votre choix, qu'il soit physique ou psychique, en faisant preuve de volonté 

 

Contraintes :

- Ne pas utiliser la lettre V

- Sensibilité : insérer au moins deux verbes de chaque sens

- Langage : un personnage doit s’exprimer dans un langage soutenu

- Choisir un mot imposé dans la liste suivante et ne pas utiliser les autres : composition, culinaire, créativité, goût, odorat, passion, organisation, pâtisserie, feu

Laure pourrait mourir pour une cigarette. Elle pourrait même tuer de ses mains. Ce besoin impérieux s’était pointé soudainement, sans s’annoncer et, depuis, elle est incapable de penser à autre chose.

Fébrile, elle s’adosse contre le muret. Elle a oublié ses clefs. Elle a bien choisi son jour pour ça. Louis est en déplacement professionnel. Personne ne pourra la faire entrer. Mais souhaite-t-elle réellement entrer ? Elle soupire. Son chez-elle aurait dû être son cocon et ces clefs auraient dû être les clefs du bonheur.

Lorsqu’on lui demandait, il y a quelques années, où elle s’imaginait dans dix ans, elle n’aurait certainement pas songé à cette destinée. A même pas trente ans, elle habite une grande maison bourgeoise dans une banlieue dortoir, est mariée, propriétaire d’un labrador et d’une Renault Espace. Il ne manque plus qu’une ribambelle de têtes blondes bruyantes et braillardes.

Où s’est-elle égarée ? A quel embranchement s’est-elle trompée de direction ? Cette existence n’est pas la sienne, ce n’est pas possible. Ce n’est pas ce à quoi elle aspirait.

Elle fixe la grille qui se tient face à elle. Un muret de pierres blanches immaculées, surmonté d’une palissade en fer forgé d’un noir profond, le tout couronné de pics autour desquels s’enroulent les branches épaisses d’une glycine centenaire. Comme toutes les maisons du quartier, c’est une authentique barricade qui protège la demeure, comme pour mieux dissimuler le fait qu’elles ne sont que des mouroirs où la monotonie tue à petit feu.

Elle a l’impression que le goût âcre et si particulier de la cigarette est en train d’imprégner sa bouche. Elle peut quasiment sentir le parfum de tabac. Elle est même persuadée d’être en train de contempler cette fumée qui lui chatouille le nez et lui pique les yeux. Est-ce le fruit de son imagination ou a-t-elle entendu le crépitement si particulier d’une clope qui se consume ?

Elle tourne folle. Il n’y a pas d’autre explication possible.

Juste une bouffée, une toute petite bouffée. C’est une nécessité. Une bouffée de liberté.

Elle renifle désespérément ses doigts, à la recherche de cette senteur si réconfortante de tabac froid, alors que cela fait des années qu’elle a arrêté de fumer. Mais rien. Elle ne sent plus rien, si ce n’est la naphtaline et l’ennui.

Elle caresse délicatement les pierres, tiédies par le soleil de juin. Elle n’a pas le choix, il faut qu’elle escalade pour rentrer chez elle, pour rejoindre son train-train morne et insipide. Elle sait que la porte de la maison, elle, n’est pas fermée. C’est comme ça ici. On se retranche derrière des portails hauts comme le ciel pour ensuite afficher une fausse confiance en l’être humain.

Il n’y a jamais de cambriolage ici, et c’est pour ça qu’ils s’équipent tous d’alarmes dernier cri. On respecte l’intimité des gens, ici, et c’est pour ça qu’ils se cachent derrière ces palissades. Il ne se passe jamais rien, ici. Et sur ce point, ils n’ont pas tort.

Cet assaut de la grille de fer forgé pimentera sa journée, son année même. Elle en est rendue à ce point. Escalader une clôture est l’apogée de son existence.

Alors, elle part à l’abordage. Elle se hisse sur le muret et agrippe les pics. Le parfum de glycine est entêtant. Un moineau qui picorait un quelconque insecte sur les branches s’enfuit, effrayé par cette intrusion sur son domaine. Elle réussit à poser son pied droit sur la palissade. Bien sûr, il a fallu qu’elle soit en jupe ce jour-là.

Ces jeunes, toujours en train de se donner en spectacle… De purs histrions ! Qu’ont-ils donc à se conduire ainsi ? C’est la déliquescence de la société.

La sorcière d’à côté. Sérieusement ? Elle est sortie de sa tanière pile à ce moment. Cette femme d’un autre siècle a des idées bien arrêtées sur les comportements appropriés ou non. Laure l’entend, mais ne l’écoute pas. Et ce manque de réaction irrite encore plus la mégère.

Cela me dépasse. De mon temps, jamais une femme n’aurait paradé de cette façon, affichant ses dessous aux yeux de tous. C’est d’un licencieux !

Laure ne se rebiffe pas et, sans un mot, elle empoigne la glycine. L’écorce est rugueuse sous ses paumes et des échardes s’y fichent. Ses deux pieds sont désormais sur la palissade, posés de façon instable entre les pics et les branches. La sorcière s’éloigne en ergotant, alors que la jeune femme admire le panorama. Cette maison aurait pu être magnifique, si elle n’était pas aussi fade, aussi fade que son quotidien.

En soupirant, elle s’élance et enjambe les pics et les fleurs pour poser son pied gauche de l’autre côté, puis le droit. Et d’un bond, sans réfléchir, elle se laisse tomber. La chute sur l’allée dallée est douloureuse. Et cette douleur la réchauffe, comme si elle la réanimait. Elle a l’impression de ressentir quelque chose pour la première fois depuis longtemps. L’air qui entre dans ses poumons est plus saisissant que d’habitude. Elle réapprend à respirer. Elle renaît.

Alors, le cœur battant et les genoux écorchés, elle se précipite en direction de la bâtisse. Les portes claquent et des bruits de course se font entendre. Jamais cette calme rue de banlieue n’a été aussi animée.

Laure refait apparition dans le jardin. Soulagée et chargée, elle franchit encore une fois la grille, mais par la porte cette fois. Oubliée la peur de l’inconnu. Elle se jette à l’eau. Elle passe de l’autre côté du portail et ferme la porte, sans s’inquiéter du fait qu’elle a encore une fois oublié ses clefs, mais, cette fois, de façon délibérée. Des sacs dans chaque main et le labrador à sa suite, elle part. Elle part, sans un regard derrière elle. Elle part, et elle ne rebroussera pas chemin.

End Notes:

Goût : imprégner, pimentera, picorait

Odorat : sentir, renifle

Toucher : chatouille, caresse, agrippe

Ouïe : entendu, écoute

Vue : fixe, contempler, admire

 

Merci à Aleyna pour la relecture !

Les potos de Polo by MadameGuipure
Author's Notes:

Contraintes

Le détail des contraintes est en notes de fin !

Merci à Aleyna et Juliette pour leur aide et leur relecture ! Et merci à toute l'équipe jaune pour cette négociation fluide ❤

Polo est un beau poteau de Saint-Malo. Il se dresse courageusement sur la plage du Sillon, entourés de ses deux mille quatre-vingt-dix-neuf potos. Les Hommes leur donnent parfois des surnoms plus poétiques : brise-lames, pieux ou pilotins de garde. Mais Polo est un poteau, et fier de l’être.

Depuis plus de deux cents ans, tous ensemble, ils observent la côte malouine, veillent sur elle. Il y a Paco, Pablo, mais aussi Pedro et tant d’autres. La vie n’est pas facile. Ils affrontent les marées, les tempêtes et la pluie qui les fouettent. Mais depuis peu, un nouveau mal les guette. La mérule est parmi eux. Cinq-cents d’entre eux sont déjà touchés par la maladie. Certains ont des syndromes avancés, comme Pepito qui est recouvert de masses blanchâtres et ouateuses et qui commence même à entendre des voix. Un effluve de mort empeste l’air. Hier, Pierrot les a quittés, petit pilot parti trop tôt.

Ah comme les paisibles jours d’antan lui manquent ! Les embruns parfumaient l’atmosphère, les mouettes se délectaient des restes de pique-nique oubliés sur la plage et les êtres humains admiraient cette horde de poteaux qui faisaient l’identité de Saint-Malo. Nul n’ose maintenant les approcher, de crainte de ramener la mérule dans leur foyer. Ils sont des poteaux pestiférés.

Beaucoup de ses potos aimeraient fuir. Mais pour aller où ? Et comment ? Les poteaux n’ont pas de petons. Et puis, Polo refuse de laisser les berges sans protection. Mais surtout, il est hors de question de laisser sur le bas-côté ses cinq-cents potos patraques. Parole de beau poteau de Saint-Malo, il ne permettra plus à personne de péricliter !

Enfin… Si Pierre-Enzo pouvait périr, Polo ne s’en plaindrait pas. Il ne peut plus le voir, toujours en train de vanter les mérites de l’homéopathie contre le champignon qui les attaque. Un vrai bobo ce poteau.

A ses côtés, malgré les hurlements du vent, Polo distingue les pleurs de Po. Po est un poltron. Il est hypocondriaque et est persuadé d’avoir attrapé la mérule. Il est même à deux doigts de dévorer tous les granules de Pierre-Enzo.

Rien ne sert d’avoir peur, il leur faut être méthodiques, structurés, trouver une organisation, une solution. Ils ne peuvent pas se laisser contaminer sans rien faire ! Bien sûr, Patio le patriarche veut jouer au patron. Puisqu’il a été le premier à avoir été planté sur la plage, il pense qu’il peut présider leur peloton de poteaux.  C’est d’ailleurs lui qui a lancé cette réunion au sommet, sur laquelle Polo n’est pas vraiment concentré.

— Mes chers potopriotes, l’heure est grave…

Toujours aussi pompeux, ce Patio

— Pignouf ! Pachyderme ! Parasite !

Patrizio est de la partie. On va se poiler.

— Nous…

— Plouc ! Poubelle ! Pantouflard !

— Je disais donc…

— Patate ! Pirate ! Pintade !

Mais même les mots d’esprit exquis de Patrizio n’arrivent pas à arracher un sourire à Polo. Il est en manque de contact humain. Il n’y a guère que Pierig qui se risque désormais à les fréquenter. Sa Maman lui répète régulièrement de ne pas les toucher, mais le garçon de cinq ans n’en fait qu’à sa tête. Polo est presque sûr d’être son petit préféré. Souvent, Pierig le patouille et le papouille. Il papote et plaisante avec lui. Et il prononce des paroles précieuses. Selon lui, Pikachu ne va pas tarder à rappliquer. Le pétillant et pétulant Pokémon sauvera leur peau de poteau puisque ses puissants pouvoirs électriques pourfendront cette pathologie pernicieuse.

Alors, Polo patiente. Il est un poteau persévérant et optimiste. Il est persuadé que le proverbial Pikachu se pointera.

End Notes:

Nombre de mots (d'après ce compteur) : 620

Vue : observent, voir

Ouïe : entendre, distingue

Toucher : fouettent, touché, attrapé, patouille

Odorat : empeste, parfumaient

Goût : dévorer, se délectaient

 

Les brise-lames de Saint-Malo existent bel et bien, et 500 d'entre eux doivent être remplacés (à ma connaissance ils n'ont cependant pas la mérule). La rumeur court que ces 500 anciens poteaux vont être revendus à des particuliers et une pétition a même été lancée pour qu'ils ne soient pas vendus à la pièce.

Des perspectives nuageuses by MadameGuipure
Author's Notes:

Ce texte est la suite de la première épreuve de confort (Une bouffée de liberté). Nous retrouvons donc Laure qui avait oublié ses clefs et avait escaladé son portail avec panache, pour finalement décider de tout plaquer. 

 

Les contraintes de cette épreuve étaient

 

 

Merci à Aleyna pour la relecture, à Omi et Catie pour ce concours et GO les jaunes ❤

Soulagée, Laure appuie sa tête contre le hublot et observe la mer de nuages que l’avion survole. 


Elle l’a fait. Elle a quitté Louis, même s’il ne le sait pas encore. Elle a claqué la porte de cette maison et de cette vie si fades. Elle est partie. Ne sachant pas bien que faire une fois le seuil du portail passé, elle a sauté dans un taxi et a demandé à être conduite à l’aéroport, puis elle a pris le premier avion  qui venait. Enfin, le troisième avion pour être exacte. Le premier était à destination de Stockholm – or elle avait envie de soleil – et le deuxième était complet.


Et voilà, elle est là, dans un vol pour l’île de la Réunion, pas vraiment confortablement installée dans son siège de deuxième classe. Que c’est grisant ! Une nouvelle vie s’ouvre désormais à elle. Ivre d’excitation, elle ne tient pas en place. Toutefois, elle n’ose pas déranger les gens assis sur sa rangée pour aller sautiller dans l’allée. Alors, pour compenser, elle tord ses mains et tapote le sol avec son pied droit. Tapote tant et si bien que tous ses voisins la foudroient du regard. Ils peuvent enrager, râler, maugréer, rien ne pourra fendiller sa gaieté. On dit qu’il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage. N’est-ce pas ce qu’elle vient de prouver ? 

Elle a eu le courage de reconquérir sa liberté, et le bonheur se trouve sans aucun doute au bout du chemin.


Cela fait tellement longtemps que Laure n’a pas pris l’avion qu’elle ne réalise pas vraiment qu’elle est actuellement à plusieurs pieds au-dessus du plancher des vaches. A vrai dire, à part pour les traditionnelles vacances en Bretagne chez les beaux-parents, elle n’a pas bougé de cette maison de malheur depuis des années. Mais ça y est, c’en est fini de cette abrutissante routine ! 19h, retour à la maison après une journée de travail, puis cuisine, en respectant le planning hebdomadaire des repas. 19h30, dîner. 20h, le journal télé. 22h, coucher, que le film du soir soit terminé ou non. L’exception qui confirme la règle le vendredi soir avec des plats à emporter, achetés chez l’italien du coin de la rue et mangés devant la télévision. Pizza margherita, tous les vendredis. Puisqu’elle a eu le malheur de choisir ce plat la première fois, c’est ce que lui ramène Louis chaque vendredi soir depuis bientôt quatre ans. Fini, c’est fini. Elle est libre, et cette liberté l’électrise.


Pour calmer son euphorie, elle se décide à allumer l’écran face à elle. Comme pour son billet d’avion, elle choisit presque le premier film qui lui tombe sous la main. Une histoire à l’eau de rose défile devant ses yeux, mais Laure n’y est pas vraiment attentive. Régulièrement, elle tourne sa tête vers le hublot pour observer les nuages. Quelles surprises l’attendent sous cette couche de coton ? Quelles aventures la guettent sur la terre ferme ? Une voix outrée la tire de ses rêveries et brise le silence ouaté qui règne dans l’avion.


— Mademoiselle, si je vous admoneste, c’est bien parce que vous avez fait une erreur et que vos justifications sont plus que nébuleuses !


Un monsieur d’une cinquantaine d’années est en train d’invectiver une pauvre hôtesse de l’air. Le genre d’homme hautain et coincé qui s’intègrerait très bien chez moi, estime Laure. Mon ex-chez moi, se reprend-elle.


— Nul besoin de palabrer plus longtemps ! J’ai payé pour être en première classe, il est donc hors de question que je me satisfasse d’un siège en classe économique.


L’homme disparaît vers le fond de l’avion, suivi par l’hôtesse visiblement paniquée. Même si sur le fond, il n’a pas tort, la forme de ses lamentations hérisse Laure. Est-ce que cela l’aurait tué d’être un minimum poli ? Sa bonne humeur commence à s’émousser. Force est de constater qu’il y a des crétins partout, et pas juste dans cette banlieue dortoir qu’elle vient de fuir.


Elle a dû s'assoupir quelques instants, puisqu’elle est réveillée par son voisin qui la secoue alors qu’un stewart tente, en vain, de tendre le bras suffisamment loin pour poser un plateau-repas sur sa tablette. Affamée, elle se jette sur le dîner. Ce n’est pas du grand art culinaire, mais ce plat a une saveur de liberté et d’audace. Rien à voir avec la pizza du vendredi.


En mangeant, elle a une pensée pour son chien, enfermé dans la soute de l’avion. A-t-il assez de nourriture ? Elle culpabilise un peu du fait de lui imposer un voyage de douze heures en avion, lui qui est habitué à gambader dans le jardin.


Une pensée négative en entraînant une autre, elle réalise qu’elle n’a pas prévenu son chef de son absence, et qu’il va bien falloir qu’elle appelle ses parents pour leur expliquer la situation et qu’ils ne s’inquiètent pas de sa disparition. Et puis, Louis. Que va-t-elle bien pouvoir lui dire ? Comment justifier cette décision qui semble sortir de nulle part ?


Soudain, elle étouffe. Il faut qu’elle sorte de cet avion, elle a besoin d’air libre. Il faut qu’elle rentre chez elle. Quelle mouche l’a donc piquée ? Elle vient de tourner le dos à une vie confortable, sans aucune raison valable, si ce n’est l’ennui. Peut-être n’était-ce pas de l’ennui qu’elle ressentait dans cette maison, mais juste un doux sentiment de sécurité ? Finalement, quel mal y avait-il à tout planifier ? Les actions irréfléchies ne mènent pas à grand-chose, elle devrait le savoir. Pourtant, sur un coup de tête, elle a dépensé des centaines d’euros pour partir à la Réunion où elle n’a ni logement, ni contact.

 

Elle essaye de reprendre pied en respirant profondément et en fixant le paysage à travers le hublot. Ces nuages, ces foutus nuages qui dissimulent tout. Elle n’a plus aucune visibilité sur son avenir, même le lendemain est totalement flou. Inspiration, expiration. Inspiration, expiration. L’angoisse lui noue l’estomac et pèse sur ses poumons. Il ne sert à rien de s’affoler. Elle ne peut de toute façon rien faire pour l’instant. Il lui faut attendre d'atterrir pour prendre une quelconque décision. Attendre, et espérer. Plus que dix heures avant que les nuages ne se dispersent.

End Notes:

“Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage”, Périclès

 

Acrostiche d’un sport d’au moins six lettres : EQUITATION dans le troisième paragraphe

 

Sentiments : soulagée, excitation, outrée, paniquée

Il était une fée by MadameGuipure
Author's Notes:

Contraintes

 

Comme toujours, merci à Omi et Catie pour ce concours, et merci à Juliette pour sa relecture et sa magnifique idée de titre

D’après les adultes, Valentine est une rêveuse. Rêver, c’est tout ce qu’elle fait de ses journées. Le docteur qu’elle a vu quand Maman est partie a dit que c’était normal, que dans son labyrinthe de livres, il ne pouvait pas en être autrement et que toutes ces aventures couchées sur les pages qui l’entourent ne pouvaient que stimuler son imagination. Et puis, selon lui, cette créativité lui permet de surmonter son traumatisme. Valentine n’a pas trop compris de quoi il parlait, mais il a raison sur un point : elle vit entourée de romans, de contes et autre manuels scientifiques compliqués.

Il y a toujours eu beaucoup de livres à la maison, mais, depuis que Maman n’est plus là, les murs sont comme faits de papier. Partout, il y a des piles et des piles d’ouvrages multicolores. Les rares fois où Papa sort de son bureau, c’est d’ailleurs pour acheter d’autres romans qui surélèveront les montages de livres qui les encerclent. Parfois, Valentine a peur que toutes ces pages l’avalent et l’étouffent.

Peut-être que si les livres la dévoraient, elle rejoindrait Maman ? Papa dit qu’elle est au ciel, sûrement comme toutes les féées qui peuplent les contes que Valentine lit à longueur de temps. Elle ne comprend pas tous les mots qu’elle déchiffre, mais elle est fascinée par les dessins qui accompagnent les textes. Dans une de ses histoires préférées, il y a une féé qui ressemble beaucoup à Maman. Elle a de longs cheveux blonds presque roux, et une robe aussi jaune que le soleil. Valentine est sûre que c’est elle. Un soir, elle a arraché la page qui représentait cette fée pour pouvoir dormir avec. Papa s’est fâché très fort parce qu’il ne faut pas abîmer les livres. Et puis, il lui a expliqué que les fées veillaient toujours discrètement sur nous, et donc qu’il n’y avait pas besoin d’une page de livre. Maman est là, invisible, et protège sa petite fille.

Valentine n’a pas encore réussi à voir Maman sous sa forme de fée, mais elle joue souvent avec le lutin. Il ne veut pas lui donner son nom, mais il dit qu’il est le meilleur ami de Maman dans sa nouvelle vie. Il ressemble un peu aux lutins du Père Noël qu’elle a vus sur des images, mais il ne lui offre jamais de cadeau. Il est très rigolo et fait plein de bêtises. D’ailleurs, Papa la gronde souvent parce qu’il pense que c’est elle qui les a faites, ces bêtises. Il ne la croit pas quand elle lui explique que c’est le lutin qui a changé tous les livres de place ou qui a mis du sucre dans la soupe.

Mais cet après-midi, Valentine n’a pas le cœur à rire ou à jouer. Un seul sentiment l’étreint. Peur. Peur démesurée. Elle est terrorisée. Le ciel est noir. La maison est toute sombre. Comme s’il faisait déjà nuit. Dehors, ça gronde plus fort que Papa. Parfois, des éclairs font flamboyer le ciel noir. Le lutin n’est pas là pour la rassurer. Et Papa est enfermé dans son bureau avec ses livres. Valentine espère que Maman veille vraiment sur elle et la protège. Ses pouvoirs de fée doivent sûrement être plus forts que l’orage ? Elle s’est cachée sous la table de la cuisine avec son doudou. Mais Doudou ne suffit pas du tout à la calmer et à la consoler. Son cœur bat très fort et très vite, elle sursaute à chaque grondement de tonnerre. Un bruit venu de nulle part la fait bondir encore plus haut que les fois précédentes. Elle se recroqueville encore un peu plus, ferme les yeux et serre fort Doudou dans ses bras. Soudain, la porte d'entrée s'ouvre et claque violement contre le mur, faisant crier de terreur Valentine. Elle voit une ombre s'avancer sur le sol, elle veut fuir, mais elle ne sait pas où aller. Alors, elle ferme les yeux à nouveau et pense à Maman en espérant qu'elle l'entende et la sauve.

— Valentine ?

Ce n’est pas la voix de Maman. Ou alors sa voix de féé est bien différente de celle qu’elle avait avant. Et puis, Valentine ne voit aucune paillette ou étincelle. Si c’était Maman, il y aurait forcément des paillettes, non ? Quand les féés se déplacent, il y a toujours une poussière brillante et scintillante autour d’elles.

Valentine, où te dissimules-tu donc petite friponne ?

C’est la voisine, Valentine a fini par reconnaître sa voix. Elle se terre encore un peu plus sous la table, et croise les doigts pour qu’elle ne la voit pas. Elle n’aime pas la vieille dame. Elle critique toujours la façon dont Papa tient la maison et râle sur le fait que Valentine ferait mieux de travailler à l’école plutôt que de rêvasser. Et surtout, elle ne croit pas en l’existence des fées, des lutins et autres dragons. Quand Valentine lui explique que Maman va bientôt revenir, mais qu’elle aura des ailes et une baguette magique, comme marraine la bonne fée, la voisine la regarde avec pitié.

Cesse immédiatement ces sottises et sors de ce méandre d’ouvrages Valentine ! Je suis venue m’assurer que l’orage ne te tourmentait pas excessivement.

A contre-cœur, Valentine quitte sa cachette et rejoint Madame Iratus. Elle est moche et elle fait peur, comme les sorcières des contes. Elle porte une espèce de capuche transparente qui ressemble à un sac plastique et un énorme imperméable kaki, tellement grand qu’on dirait qu’il l’a avalée. Une flaque d’eau s’est formée à ses pieds et Valentine se dit que le lutin aurait sans doute utilisé cette petite mare comme piscine.

Où est ton père ma petite ? S’est-il encore enfermé dans son antre en te laissant seule ? N’es-tu pas trop effrayée par cet épouvantable orage ?

— Je ne suis pas vraiment seule, Madame Iratus. Vous savez, ma Maman veille toujours sur moi sous sa forme de féé, et puis le lutin ne va pas tarder à venir me rejoindre pour jouer. Il doit avoir peur de l’orage lui aussi, c’est pour ça qu’il n’est pas là. Et puis…

Oh Valentine, tu sais parfaitement que les lutins et les fées n’existent pas, je me suis déjà montrée on ne peut plus claire à ce sujet, la coupe Madame Iratus. Il est temps pour toi de grandir. Ton père m’entendra, il ne veille vraiment pas assez sur toi.

La voisine s’éloigne en grommelant dans sa barbe, évitant de justesse une pile de livres qui menace de s’écrouler. Décidément, Valentine ne l’aime pas du tout cette vieille dame. Bien sûr que les fées et les lutins existent, surtout sa Maman et son meilleur ami. En attendant le retour de Madame Iratus, elle se plonge dans son conte préféré, effleurant du doigt les morceaux résiduels de la page qu’elle a déchirée et qui représentait sa Maman sous sa forme de fée. Quand Maman reviendra, elle fera disparaître cette vieille sorcière d’un coup de baguette magique et de poussière de fée.

End Notes:

J'espère que, comme Valentine, vous croyez toujours aux fées et aux lutins  ❤

J'espère aussi que les éléments de mon image sont assez clairement présents, deux d'entre eux sont sans doute moins évidents : le livre de contes ouvert est le conte préféré de Valentine (avec la page déchiré) et le fond gris est représenté par l'orage qui rend le ciel presque noir

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