Summary: 
Montage avec des images libre de droits par mes soins
Maya ne s'attendait pas à trouver un cadavre dans un champ de coquelicots. Sa voisine Inge se doutait de quelque chose et Olivia aurait préféré découvrir le meurtrier elle-même.
Mais une chose est sûre, c'est un cas pour l'inspectrice Augustine Pinson.
Categories: Whodunit,
Policier, Thriller, Espionnage Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Aucun
Challenges: Series: Plus d'un cas pour Augustine Pinson
Chapters: 5
Completed: Oui
Word count: 16547
Read: 15199
Published: 17/04/2021
Updated: 05/05/2021
Story Notes:
Bonjour, bonjour !
J'ai (enfin) fini de traduire cette petite enquête que j'ai offert à ma mère l'été dernier. Je vous le dis directement : elle n'a pas vraiment aimé ^^ (ce qu'à la relecture je comprends en fait).
Bref, tant que vous n'avez pas de grandes attentes, je vous souhaite bonne lecture et merci d'être là !
1. Chapitre 1 : Maya by Carminny
2. Chapitre 2 : Olivia by Carminny
3. Chapitre 3 : Frank by Carminny
4. Chapitre 4 : Henri by Carminny
5. Chapitre 5 : Augustine by Carminny
Chapitre 1 : Maya by Carminny
En ce petit matin, le soleil brillait déjà fort au-dessus des champs. La journée promettait de devenir très chaude, mais pour le moment cela ne dérangeait pas Maya. Elle profitait de la légère brise qui faisait bouger les coquelicots. Les oiseaux gazouillaient dans les buissons et les seuls bruits de moteurs que l’on entendait venaient de loin. La jeune femme tendit son visage dans un rayon de soleil. Quel calme, quelle brise agréable, quels beaux coquelicots rouges !
– Bon, se reprit Maya et se détourna.
Elle devait se rendre au travail et ne pouvait pas rester indéfiniment ici. Elle siffla pour appeler son beagle Penny. Mais le chien ne lui lança seulement un regard en travers. Maya l’appela encore une fois sans plus de succès. D’habitude, Penny écoutait bien mieux que cela… Surtout si elle sentait une friandise derrière l’obéissance. Maya fronça les sourcils. Qu’avait en tête son petit chien ?
La première chose qu’elle vit fut une chaussure qui dépassait du champ de coquelicots, puis sa respiration s’arrêta un instant. Ce n’était pas qu’une chaussure. C’était un cadavre ! Une jeune femme, peut-être même encore une fille, était couchée dans le champ à côté de sa promenade quotidienne. Elle peinait à y croire. Elle attacha la laisse au collier de Penny et la tira loin du corps. C’était dégoûtant qu’elle avait reniflé un mort. Sortant son téléphone de sa poche, elle espéra qu’elle avait encore suffisamment de batterie. Comme la plupart de ses collègues, elle chargeait toujours son portable au bureau. Pourquoi y pensait-elle maintenant ? Elle devait appeler la police. Elle tapa rapidement le 17. Ça sonnait. Maya n’avait aucune idée de ce qu’elle devait dire. Comment signalait-on qu’on avait trouvé un cadavre ?
– Poste de police Beernheim, bonjour. Que puis-je faire pour vous ?
– Euh, balbutia Maya. Je viens de trouver un cadavre. Dans les champs derrière Brunnweiler.
Pendant un instant, seul le silence lui répondit, puis le policier de l’autre côté de la ligne se racla la gorge.
– J’aurais besoin de votre nom et de votre position.
– Maya Baustaet. Avec a-e et un t à la fin.
Répondre à des questions tellement habituelles avait quelque chose de rassurant. Elle précisait toujours comment écrire son nom puisqu’il en existait tellement de différentes. Maintenant, elle devait se concentrer sur comment expliquer où elle se trouvait. C’était plus compliqué mais la police en avait besoin pour venir.
– Si vous venez de la direction de Beernheim, vous devez traverser Brunnweiler en entier. Après le panneau de sortie du village, un chemin part à droite. Je me trouve au bord du champ de coquelicot, du côté du village. Il devrait être assez facile à trouver.
– Merci, je vous envoie mes collègues. En attendant, je vous demande de ne bouger et de ne rien toucher afin de ne pas effacer d’empreintes. Ne vous inquiétez pas, nous arrivons aussi rapidement que possible.
Le policier raccrocha et Maya resta seule avec son téléphone dans la main. Il n’y avait personne autour d’elle. Elle était seule avec le cadavre d’une femme, seulement un peu plus jeune qu’elle. La peur que le meurtrier revienne et la tue aussi l’envahit. Mais elle ne pouvait pas partir, elle devait attendre que la police arrive, sinon ils ne trouveraient jamais la femme. Même si les policiers étaient partis immédiatement du poste, ils prendraient au moins vingt minutes avant d’arriver. Elle devait tenir bon.
Maya réfléchit un instant puis s’assit de l’autre côté du chemin avec Penny. Ici, il n’y avait que peu de chance qu’elle efface des empreintes importantes. Il était clair par contre, qu’elle n’irait pas au travail aujourd’hui. Elle allait appeler et ensuite il ne lui restait plus qu’à attendre.
Les policiers avaient pris les empreintes sur le chemin et le corps, et même si Maya avait des doutes sur l’utilité de tout ceci, le fourmillement d’activité le rassurait. Ces gens avaient l’air de savoir ce qu’ils faisaient. Ils avaient notamment sorti le corps des fleurs. Maya avait du mal à en détourner le regard. Cette vue la dégoûtait et pourtant elle dévisageait le corps comme si sa vie en dépendait. Elle avait justement reconnu qu’il s’agissait d’une jeune femme. Elle lui donnait qu’une vingtaine d’années. Le corps portait une petite robe rouge et des chaussures à talon noires qui détonaient ici sur ce chemin de terre. Son visage était blanc, probablement parce qu’elle était déjà morte depuis un bon bout de temps, et contrastait avec sa chevelure noire. Son maquillage avait coulé et une grande tâche sombre s’était formée sur sa poitrine. Une sueur froide descendit dans le dos de Maya. Rapidement elle détourna la tête et se concentra sur les policiers qui l’avaient jusqu’à maintenant quasiment ignorée.
– Nous avons fini, chef. Doit-on ranger et envoyer le corps à l’analyse ?
– Bien. Stéphane disait que l’inspectrice Pinson voudrait voir d’elle-même. Elle aurait déjà dû arriver d’ailleurs… Rangez le matériel. Nous attendons encore trente minutes.
Maya caressa le poil court et dur de Penny. Elle aurait aimé demander si elle avait le droit de partir mais elle était convaincue que ce ne serait pas le cas. Après tout, elle allait encore devoir faire sa déposition. Qui décidait de cela ? Qui pouvait-elle demander ? Probable à cet inspecteur qui s’était perdu en route. Si seulement il avait appelé pour laisser des instructions. Elle n’avait aucune envie de rester plus longtemps que nécessaire au lieu du meurtre.
Pile à ce moment-là, une voiture arriva par le chemin irrégulier. Maya l’observa aves curiosité. Peut-être que son attente morbide finirait enfin. Tenant Penny court à la laisse, elle se leva pour mieux voir. Le véhicule s’arrêta derrière les voitures de police et une femme d’âge mûr en sortit. Un petit chien blanc la suivit. Penny tira, voulant se précipiter vers le nouvel arrivant.
– Ah, inspectrice Pinson ! Vous nous avez trouvés !
Maya dévisagea l’inspectrice, plutôt sceptique. Elle n’était pas d’avis qu’un chien avait quelque chose à faire sur le lieu d’un meurtre, surtout s’il ne s’agissait pas d’un chien de police. En plus, cette inspectrice ne ressemblait pas du tout à ceux des films. Elle portait tout simplement l’uniforme classique des policiers. Maya était déçue. Pour une fois qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire, elle ne recevait même pas un inspecteur digne d’un film. L’inspectrice échangea un court hochement de tête avec le policier le plus haut gradé puis se dirigea vers Maya et le cadavre.
– Vous pouvez tout regarder tranquillement, Augustine. Le relevé des empreintes est déjà passé. La victime a probablement été tuée avec un couteau. Nous ne savons pas encore de qui il s’agit mais nous y travaillons. Voici Madame Baustaet qui a trouvé le corps. Madame Baustaet, l’inspectrice Augustine Pinson.
Maya regarda dans le léger sourire de la policière. Maintenant qu’elle était face à elle, elle voyait enfin un détail non conforme à l’uniforme classique, un foulard bleu clair autour de son cou. Bizarrement, elle trouvait cela rassurant que l’inspectrice n’était pas totalement ennuyante. Mais à la réflexion, qui portait un foulard en juin ? Penny tira pour renifla le terrier blanc qui avait suivi l’inspectrice.
– Bonjour, fit Maya, une boule dans la gorge.
Elle ne savait pas pourquoi mais soudain la présence des policiers ne lui paraissait plus aussi rassurante. Que se passerait-il s’ils pensaient que c’était elle qui avait tué la femme ? L’inspectrice, qui était restée muette et se contentait de sourire et de tout observer avec ses yeux froids, ne l’aimait certainement pas. Sinon elle lui aurait dit bonjour, non ?
Le policier se détourna pour parler avec ses hommes, tandis que l’inspectrice dévisagea Maya de haut en bas. Maya déglutit. Elle avait l’impression d’être passée aux rayons X. C’était ridicule de se sentir intimider par une femme qui faisait plus qu’une tête de moins et qui ne pouvait pas l’accuser puisqu’elle était innocente. Elle avait agi comme elle le devait. Pourquoi avait-elle l’impression d’être suspectée ?
– Peut-être pourriez-vous expliquer à l’inspectrice comment vous avez trouvé le corps, Madame Baustaet ? proposa le policier tout en observant les autres.
L’inspectrice hocha la tête et lui adressa un nouveau sourire. Maya ne comprenait pas elle-même pourquoi ce petit sourire un peu gêné l’énervait. Il la mettait mal à l’aise et lui donnait l’impression d’être demandée de pardonner quelque chose. Mais quoi ? De l’avoir déjà condamnée ? Elle détestait des opinions faites trop tôt. Elle essayait d’afficher un air avenant.
– Que voulez-vous savoir ? demanda-t-elle.
L’inspectrice ne semblait pas l’écouter et cherchait frénétiquement quelque chose dans ses poches. Puis elle se tourna même vers son collègue et lui fit d’étranges signes de main. Maya en fut vexée. Elle avait attendu presqu’une heure et là on ne l’écoutait même pas. Elle en viendrait presque à regretter de ne plus être seule avec la femme morte. Au moins elle, elle ne se moquait pas d’elle. Mais apparemment même le cadavre était devenu inutile. Recouvert par un linceul, les policiers le plaçaient dans une des voitures. Elle espérait ne pas perdre encore davantage de temps avec cette inspectrice qui ne l’aimait pas depuis le début. Pouvait-elle être accusée du meurtre juste parce qu’un policier ne l’aimait pas ? Pas vraiment. Elle avait quand même un mauvais sentiment. L’inspectrice se tourna enfin vers elle et lui tendit le bloc-notes qu’elle avait récupéré chez son collègue. Celui-ci partit après un hochement de tête. C’était quand même une drôle de conversation.
« Qu’est-ce que vous faisiez ici ? Comment vous êtes-vous aperçue du corps ? »
Maya laissa glisser son regard du bloc-notes sur l’inspectrice. Si c’était une blague, c’était une mauvaise. Elle voulait enfin faire sa déposition et rentrer chez elle. La journée était déjà suffisamment gâchée. L’inspectrice avait arrêté de sourire et son regard était aussi prudent que froid. Elle devait savoir quelque chose et voulait vérifier si c’était vrai. Si seulement elle aussi savait !
– Et vous pouvez prendre ma déposition ?
Elle avait des doutes. Dans son imagination une déposition n’était jamais prise au beau milieu d’un champ de coquelicot par un inspecteur criminel, mais plutôt dans un bureau par un secrétaire. Elle n’était donc pas étonnée quand son vis-à-vis secoua la tête et lui montra, quelques instants plus tard, trois phrases proprement écrites.
« Pour cela vous devrez passer au poste de police aujourd’hui ou demain. Je voudrais vous demander ce que vous savez sur le meurtre. Pour trouver le meurtrier. »
Maya regarda dans les deux yeux pâles qui la fixaient calmement. Pour la première fois, il lui traversa l’esprit que l’inspectrice pourrait n’être ni froide et ni antipathique. Au contraire, elle lui paraissait bien gentille et compréhensive, ce qui était bien plus dangereux pour tout meurtrier qui lui faisait face. Etrange, ce changement de perception puisqu’elle n’avait pas changé son attitude d’un poil. Pouvait-ce s’agir d’une empathie culturelle qui s’imposait à Maya à cause du handicap de son vis-à-vis ? Elle lança un regard vers Penny puis vers l’inspectrice. Il faudra bien qu’elle réponde à ses questions mais l’idée ne lui plaisait pas. Elle se sentait en position de faiblesse et détestait cette impression. Si seulement elle pouvait lui trouver un point faible, ou la rendre nerveuse… n’importe quoi qui lui permettrait de reprendre le dessus sur cette situation désagréable.
– Je peux détacher mon chien ?
Penny trépignait au bout de sa laisse et elle n’allait certainement pas réussir à lire les petites lettres de l’inspectrice avec dix kilos décidés de faire connaissance avec le terrier blanc qui était sagement assis aux pieds de sa maîtresse. Celle-ci haussa les épaules. Maya s’exécuta donc et observa Penny se jeter sur l’autre chien. L’inspectrice suivit les deux chiens du regard mais quand Maya croisa son regard clair, elle cligna des yeux, légèrement gênée, et fit un geste l’incitant à commencer à parler.
– Alors, raconta Maya. Ce matin, j’ai promené Penny, le chien. Je passe ici chaque matin avant de partir au travail. Je voulais justement rebrousser chemin, là dans ce virage, quand Penny a senti quelque chose et a refusé de me suivre. Je suis donc venue voir et j’ai trouvé la morte. Seules ses jambes dépassaient du champ. Evidemment, j’ai immédiatement appelé la police. C’est tout.
Elle inspira un grand coup, soulagée d’avoir dit tout ce qui pouvait être intéressant. Elle ne serait pas plus embêtée que cela maintenant, non ? L’inspectrice lui montra l’emplacement du cadavre et la regardait d’un air interrogateur.
– Oui, exactement là, confirma Maya presque malgré elle. Elle était cachée par les coquelicots jusqu’à ce qu’on soit pile devant elle. Je trouve que ça avait l’air comme si elle avait été cachée ici.
L’inspectrice hocha la tête et se pencha sur les traces encore bien visibles. Maya inclina la tête et chercha à dissimuler son agacement. Elle n’avait pas envie de passer toute la matinée ici. Les traces avaient déjà été analysées par l’équipe spécialisée. L’inspectrice n’était pas du tout obligée de les réexaminer pendant qu’elle lui parlait. C’était quand même un peu abusé. Heureusement qu’il y avait les coquelicots pour la divertir. Leur couleur rouge était éclatante maintenant que le soleil avait un peu monté. Chaque pétale semblait réfléchir la lumière et l’envoyer dans l’infini…
Elle sursauta quand l’inspectrice se racla la gorge juste en face d’elle. Avec ce petit sourire énervant car s’excusant d’avance, elle lui montrait son bloc-notes.
« Que pensez-vous du champ de coquelicots ? »
Maya faillit éclater de rire mais réussit à se contenir. Peut-être que l’inspectrice était bien tout aussi folle que ses collègues dans les films. Et probablement tout aussi intelligente. Il se posait la question pourquoi elle cherchait à connaître son opinion sur le champ de coquelicots. Pensait-elle qu’elle avait tué cette femme et caché dans les coquelicots ? Elle haussa les épaules. Elle devait rester sur ses gardes et dès que possible trouver un détail pour prendre le dessus. Juste au cas où.
– Il est magnifique, admit-elle. Ce rouge est tout simplement parfait. Surtout avec ce soleil !
Pendant qu’elle parlait elle ne quitta pas l’inspectrice des yeux mais celle-ci se contentait d’acquiescer de la tête et de regarder le champ. La plupart des autres policiers étaient déjà parties, seuls deux conversaient encore à côté d’une voiture. L’inspectrice inscrivit sa prochaine question.
« Mais pourquoi, à votre avis, cacher ce corps dans les coquelicots ? »
Maya haussa les épaules. D’où est-ce qu’elle était censée savoir cela ? Quoiqu’une réponse évidente s’imposa dans son esprit. Si elle l’aidait, l’inspectrice devrait bien la considérer comme innocente, non ?
– A cause de la robe. Impossible de la cacher quelque part d’autre, elle aurait été bien trop visible. Mais alors, cela voudrait dire que le meurtrier savait qu’il y avait un champ de coquelicots ici. Est-ce qu’elle a été tuée ici ou seulement été déposé là ?
L’inspectrice avait opiné et lui répondit comme si elle était concernée : « Ce n’est pas encore sûr mais les deux sont possibles. Il n’y a pas assez de traces sang pour conclure rapidement. »
A nouveau, Maya ressentait cette impression de danger. C’était absurde puisque l’inspectrice se concentrait à nouveau sur son bloc-notes et ne la regardait même pas. Elle essayait de passer outre cette oppressante sensation en examinant la policière à la recherche de faiblesse. Son père disait que quand on ne pouvait pas être fort, il fallait s’arranger pour que les autres soient encore plus faibles. Cela lui avait toujours réussi.
« Je suppose que vous ne connaissez pas la morte ? »
Une question facile que Maya put nier facilement. Evidemment qu’elle l’aurait dit si elle l’avait reconnue. Enfin, c’était exactement le type de femme que Frank trouvait irrésistible. Mais il valait mieux que l’inspectrice ne l’apprenne jamais sous peine de s’imaginer qu’elle avait un motif de meurtre. Heureusement qu’elle était déjà passée à la question suivante sans remarquer son trouble.
« Je vais devoir vous poser une question très classique. Ne le prenez pas personnellement, je suis obligée de la poser à chacun. Où étiez-vous hier soir ? »
Maya acquiesça doucement. Elle s’attendait à cette question depuis le début. Pire, c’était celle qu’elle pensait devoir répondre en premier. Quelle belle coïncidence que pour une fois, elle avait des témoins.
– Hier soir, fit-elle mine de réfléchir à voix haute. Je suis partie tard du bureau et j’ai donc rejoint directement des amis au restaurant où on s’était donné rendez-vous. Comme cela se passe, j’y suis restée plus longtemps que prévu et suis allée me coucher dès que je suis rentrée.
« Quel restaurant ? Avec qui ? A quelle heure êtes-vous arrivée chez vous ? »
– Au chasseur bleu à Watteheim. J’y retrouve chaque mois Kim Polski et Léonie et Florian Brant. Ils peuvent le confirmer, je pourrais vous laisser leurs numéros de téléphone dans ma déposition.
« Ce serait très gentil. »
Maya était soulagée que cette réponse claire n’ait pas éveillé la suspicion de l’inspectrice. Elle semblait être exactement le type pour ce genre de raisonnement mais elle continuait comme si de rien n’était.
« Croisez-vous d’autres personnes pendant votre promenade ? »
– Bien sûr, Maya était surprise par la question. Presque tout le monde a un chien dans ma rue. Les chemins de l’autre côté du village sont plus jolis mais on doit traverser la grande route pour y arriver et cela ne vaut pas la peine pour la petite promenade du matin. Si vous voulez des noms, il y a ma voisine Olivia Kramer, et puis Inga Ringl et les Lahner en face. Mais je crois que c’est tout en fait… C’est eux que je croise.
Elle haussa une nouvelle fois les épaules. Était-ce réellement important maintenant ? A nouveau l’impression que l’inspectrice lui tendait un piège l’envahit. Elle savait exactement ce qu’elle faisait et voulait l’accuser à tout prix. N’est-ce pas ?
« Merci pour votre coopération. Vous pourrez faire votre déposition au poste. » L’inspectrice lui sourit légèrement puis se tourna en direction du champ de coquelicots. Maya comprit qu’elle pouvait partir mais son envie de quitter l’endroit avait disparu. Elle avait besoin d’enfin prendre sa revanche sur cette sensation d’être suspectée.
– Je peux vous poser une question ?
Elle n’avait qu’une seule chance de frapper juste. De déterrer un secret que l’inspectrice ne voulait pas qu’il se sache. Un secret qu’elle pouvait utiliser pour s’en sortir au cas où elle l’accuserait. Elle aimait découvrir les secrets des autres et l’inspectrice devait en posséder plein. Son mutisme était beaucoup trop évident pour être utilisable mais ce foulard bleu ciel qui la narguait depuis le début… L’inspectrice lui adressa un regard légèrement étonné mais acquiesça en silence.
– Vous n’avez pas beaucoup trop chaud au soleil avec votre foulard ? Je veux dire, j’ai déjà l’impression de fondre alors que je suis bien moins habillée que vous…
Maya ne savait pas à quoi elle s’attendait réellement en lançant sa provocation. Qu’elle soit arrêtée immédiatement ? Qu’elle touche un sujet sensible ? Que l’inspectrice soit gênée ? Ce qui était certain, c’est qu’elle ne s’attendait pas à une réaction aussi… neutre. Un secret était toujours quelque chose que les personnes voulaient garder cacher. Il n’y avait aucun intérêt à cacher quelque chose si cela ne nous dérangeait pas que tout le monde le sache. Et un foulard en plein été, Maya trouvait cela plus que suspect.
L’inspectrice avait comme un sourire amusé aux lèvres en dénouant le foulard. Maya la fixait avec étonnement. Pourquoi lui dévoiler un secret comme si c’en n’était pas un ? Enfin, maintenant il était trop tard pour faire demi-tour. Elle devait exploiter cela comme elle le pouvait. L’inspectrice ôta le foulard sans hésitation. La seule chose qu’aperçut Maya fut une profonde cicatrice qui lui barrait la gorge. Tout juste trop haut pour être cachée par un col, elle était trop basse pour pouvoir expliquer le mutisme. Son seul espoir était qu’il y avait une histoire désagréable derrière. Elle leva un sourcil interrogateur.
« Un entraînement raté, nota l’inspectrice sur son bloc-notes. Mauvaise esquive d’un coup de couteau. »
Franchement décevant… Maya la remercia néanmoins. Elle allait trouver un moyen de reprendre le dessus, de se venger du sentiment d’infériorité, de culpabilité qu’elle avait ressenti. En attendant, elle se battait en retraite. Augustine Pinson était déjà retournée au champ de coquelicots, son foulard à nouveau mis. Maya allait trouver. Elle ne se laissait pas juger comme ça.
Chapitre 2 : Olivia by Carminny
Author's Notes:
Bonne lecture !
Olivia Kramer était en train d’arroser ses roses quand elle vit sa jeune et belle voisine traverser la rue à toutes jambes et disparaître dans sa maison sans même la saluer.
– S’est levée du mauvais pied aujourd’hui, commenta-t-elle en direction de Willy.
Willy était le meilleur labrador du monde, et si son mari l’avait choisi peu avant son décès, elle avait l’impression qu’à travers le chien au pelage doré, elle lui parlait encore. Willy agita brièvement la queue tout en tendant le nez dans le soleil matinal. Olivia arrosa la dernière plante, celle avec les jolies petites fleurs jaunes.
– Allez, Willy, on va se promener.
La vieille femme sortit par le portillon du jardin et traversa la rue pour sonner chez la petite Inge. Elle était peut-être parfois un peu bizarre quand elle prêtait des pouvoirs magiques aux différentes pierres et couleurs, mais elle aimait se promener et Willy aimait son chien Nessie.
– Inge ! vociféra-t-elle donc. T’étais déjà dehors ?
– Non, j’arrive, répondit quelques instants plus tard la voix aigüe de sa voisine. Je dois juste transporter mon tigre côté sud.
En attendant, Olivia dévisagea d’un air inquiet le jardin de devant de sa voisine. De loin, il n’avait pas l’air si horrible que ça, mais là elle remarquait que les buissons laissaient tomber leurs feuilles et que les différents attrapes-poussière pendaient lamentablement dans la brise. Elle allait arroser ici aussi. Nessie, le berger australien, la salua en remuant tout son corps quand Inge sortit enfin de la maison.
– Je sens d’atroces vibrations dans l’air aujourd’hui, déclara-t-elle dramatiquement. Quelque chose va arriver et le tigre blanc nous protègera de problèmes avec la justice. Espérons-le.
Olivia hocha la tête, prétendant un intérêt qu’elle était loin de ressentir, et laissa glisser ses pensées vers d’autres sujets pendant qu’elles empruntèrent le chemin des champs. Inge était un peu bizarre mais caché entre ses délires liés au feng-shui, à la lecture d’aura et autres idées ésotériques, elle possédait une incroyable intuition pour les gens. Elle l’avait déjà remarqué plusieurs fois même si la première concernée ne semblait se rendre compte de rien. Par exemple elle conseillait toujours les bonnes fleurs à ses clients et avait même déjà empêché un cambriolage chez Olivia en suspectant une étrange vibration. Inge avait donc vu ou entendu quelque chose qu’elle n’arrivait pas à placer mais que son inconscient avait identifié comme bizarre ou dangereux.
– Ton aura est devenue légèrement jaune, commenta la fleuriste. Tu t’inquiètes ?
– Je réfléchis juste ce que pourrait avoir causé les vibrations négatives… Je n’ai rien remarqué d’inhabituel. Eventuellement le fait que Maya soit passée de mauvaise humeur avant…
– Attends voir, l’interrompit Inge. Là-bas, aux coquelicots, c’est là que les vibrations sont le plus fort.
Olivia fronça les sourcils. Quelque chose de mauvais s’était produit là-bas ?
– Y a pas l’Augustine aussi ?
– Tu veux parler de l’inspectrice Augustine Pinson, la fille du pasteur de cette église dans la forêt ? Je crois que tu as raison. Cette aura lumineuse…
Olivia n’écouta pas davantage. Si Augustine était là, cela signifiait que l’intuition d’Inge que quelque chose de terrible s’était produit était réelle. Après tout, elle s’occupait de meurtre et d’autres évènements grave dans toute la région autour de Beernheim. Et cela signifiait qu’il y avait eu un meurtre à même pas un quart d’heure de sa maison ! C’était excitant !
D’un pas rapide, les deux femmes s’approchèrent. La plus âgée reconnut maintenant indéniablement l’inspectrice qui rampait au sol.
– Augustine ! l’appela-t-elle. Qu’est-ce que tu fais ici ? Y a-t-il eu un meurtre ?!
La policière se tourna vers eux et leur envoya un sourire avant de se relever. Olivia s’approcha et fut immédiatement interceptée par le petit terrier Sénèque. Le caressant, elle examina les environs. Aucune trace d’un cadavre ou d’un meurtre. Elle retourna son regard vers Augustine qui s’était époussetée sommairement et avait sorti son calepin. Est-ce qu’elle l’avait déjà vue sans un de ces petits carnets ?
« Bonjour, Olivia. Je ne savais pas que vous viviez de ce côté-ci. »
– Seulement depuis trente ans, sourit la vieille femme. Je vous présente Inge Ringl, ma voisine. Elle avait un drôle de présentiment ce matin.
– Ce n’était pas un présentiment, s’offusqua la concernée. Les vibrations en provenance de ce champ sont réellement chargées de mauvaises intentions. Elles polluent notre rue !
Olivia aperçut enfin l’endroit où le cadavre avait dû être. Des traces sanglantes se dessinaient sur le sol entre des coquelicots écrasés. Autour se trouvaient d’innombrables traces de pas et de roues.
– Qui a été tué ?
Augustine haussa les épaules. Qu’est-ce que cela signifiait maintenant ? La police ne savait-elle pas qui était mort ? Ou n’y avait-il pas eu de meurtre ? Olivia observa attentivement les coquelicots. Puis, avant qu’elle ne puisse demander des détails, elle s’aperçut de l’expression sur le visage de sa voisine.
–Qu’est-ce qu’il y a ?
– Le coquelicot est un symbole de la souffrance, de la dépendance mais aussi de la mort, expliqua Inge d’un air effaré. Le meurtrier devait le savoir. Ce lieu est empli de tragédie et de jalousie et de méchanceté. Il y a une raison pour laquelle le cadavre était ici.
Olivia couvrit sa voisine du regard. Elle avait un peu mauvaise conscience. Après tout, Inge devait être la seule à s’y connaître en symbolique des plantes. Mais c’était absurde de penser qu’elle puisse avoir tué quelqu’un, n’est-ce pas ? Elle ne risquerait pas son karma pour une raison futile. Pourtant c’était étrange qu’elle savait avant tous les autres. Elle devait identifier ce qu’elle avait remarqué et qui l’avait fait déduire le drame. C’était la seule manière pour qu’Inge ne soit pas accusée alors qu’elle paraissait coupable.
– Tu es la seule qui puisse penser à cela. Les autres ne voit qu’une magnifique mer rouge faite de fleurs.
« Avez-vous remarqué quelque chose hier ou aujourd’hui ? »
Pourquoi avait-elle cette impression bizarre ? Comme si Augustine savait tellement plus que ce qu’elle voulait leur dire. Comme si elle n’était pas en train de papoter avec elles mais plutôt comme si elle les interrogeait. Comme si elles étaient des suspectes, toutes les deux. Il pouvait ne pas y avoir eu de traces de roues avant que la police n’arrive. Le meurtre pouvait ne pas avoir eu lieu ici. Le cadavre pouvait avoir été caché ici. Et cela signifiait que le meurtrier était probablement passé par leur rue. Que c’était excitant !
– Tu nous suspectes ?! s’enquit-elle avant de se rendre compte qu’évidemment c’était le cas puisqu’il s’agissait de son travail et qu’elle habitait suffisamment proche. Bien sûr que tu le fais. Tout à l’heure, j’ai vu ma voisine Maya Baustaet rentrer de sa promenade de bien mauvaise humeur. Mais hier soir… Je devrais mentir pour dire que j’ai remarqué quelque chose d’inhabituel. En même temps, je me suis couchée à vingt-et-une heures trente et me suis immédiatement endormie.
Olivia hocha la tête pour souligner ses paroles. C’était vrai. Elle ne s’était doutée de rien. Au contraire de Inge visiblement. Une petite sollicitation suffit ensuite pour encourager la fleuriste à raconter sa version des faits. Elle commença aux vibrations particulièrement dérangeantes en provenance de ses voisins, les Meyer, qui l’avaient empêché de méditer correctement toute la journée du jeudi.
– Vers six heures du soir, les vibrations agressives ont enfin diminué et j’ai pu construire un nouvel attrape-ondes. Pour cela, j’utilise des plumes et des perles…
Elle s’interrompit en interceptant le regard sévère d’Olivia. Elle avait déjà entendu les explications pour attrapes-poussière et elles duraient toujours très longtemps et étaient toujours très ennuyantes. Elle préférait entendre parler de ce meurtre.
– Enfin bref. Voilà. J’ai commencé tout juste de fabriquer cet attrape-ondes, un vert pour porter chance, quand Maya Baustaet est rentrée du travail et a tout perturbé avec son aura rouge vif. Elle rigolait nerveusement. Pas du tout comme d’habitude mais cela devait être elle. Qui serait-ce d’autre ? En tout cas, elle est entrée dans sa maison et je ne l’ai plus entendu. Les Lahner sont rentrés, lui d’humeur rose, elle encore à moitié au travail. Puis il y a eu un petit cri et ces horribles vibrations noires ont commencé. J’ai essayé de localiser leurs origines. Sans succès. Elles étaient partout et surtout en direction des champs. Je ne pouvais pas sortir, elles étaient trop fortes, même avec ma tortue. J’ai pris quelques herbes pour me calmer. La dernière chose que j’ai entendu avant de m’endormir était une porte de voiture qui claque. Ah non ! Il y avait aussi encore une dispute dans la rue et des aboiements et un train. Ce matin, je me suis réveillée avec ce sentiment oppressant qu’il s’était passé quelque chose de mauvais et une vision claire sur ces vibrations négatives.
Olivia réfléchit. Elle ne se souvenait de rien mais c’était tout à fait plausible. Après tout, elle possédait, malgré son âge, toujours encore d’un sommeil profond. Cela pouvait être vrai. Mais alors, qui était la victime ? D’où venait-elle ? Et à quel point les dires d’Inge étaient fiables ? En réalité tout le monde aurait pu être dehors. A côté d’elle, Augustine semblait songeuse mais se saisit rapidement de son stylo.
« Quelles herbes avez-vous prises ? »
De cette question, Olivia supposa qu’elle n’avait pas confiance dans ce témoignage. Il était vrai qu’il pouvait tout à fait s’agir d’hallucinations… On avait besoin de s’habituer à Inge. Celle-ci supposa apparemment que la policière s’y intéressait pour des raisons personnelles car elle lui répondit avec beaucoup trop de détails. Elle espérait seulement que ce n’était rien d’illégal… Pauvre Inge, elle allait encore avoir des problèmes sans comprendre pourquoi. Mais avant qu’elle ne puisse intervenir pour sauver les meubles, Augustine changea de sujet.
« Quelle aura Madame Baustaet avait-elle ce matin ? »
Olivia écarquilla les yeux. Est-ce qu’elle rêvait ? Une aura, même si le témoin y croyait, ne pouvait pas constituer une source fiable. Aucun policier ne pouvait y croire ! Elle secoua la tête en se rendant compte de sa bêtise. Evidemment qu’Augustine n’y croyait pas, elle utilisait juste la même méthode qu’elle : entrer dans le jeu d’Inge pour lui soutirer des informations. Comment avait-elle pu supposer qu’Augustine ne tenterait pas une technique aussi connue ?
– Rouge éclatant, répondit Inge comme si c’était tout à fait ordinaire de répondre à une telle question. Ou non, plutôt un rouge dense, sanguinolant. Avec des nuages noirâtres. Oh non ! Vous croyez que…
Elle avait pris une expression d’incrédulité digne d’un dessin animé. Les pensées d’Olivia tournaient à cent à l’heure. Est-ce que Maya pouvait commettre un meurtre ? A sa propre frayeur, elle devait bien s’avouer que oui, elle pouvait se l’imaginer. C’était une idée atroce mais tout à fait imaginable. Elle voyait bien la petite Maya au tempérament si échauffée rentrer un soir et trouver Frank au lit avec une autre femme, et prendre des mesures extrêmes. Oui, ce n’était pas impossible qu’elle tue quelqu’un dans sa colère. Maya n’était certainement pas violente mais si elle était trompée ou s’énervait vraiment… C’était tellement facile de pousser quelqu’un dans les escaliers ou de le poignarder. Elle en pensait capable même Inge si quelqu’un brisait son dragon de jade.
« Je ne crois rien du tout. Je demande seulement ce que vous avez vu. Puis-je vous demander à toutes les deux de passer au poste de police aujourd’hui ou demain afin de faire votre déposition ? »
– Bien sûr, confirma Olivia. Avec plaisir.
« Merci beaucoup. Nous vous tiendrons informer. »
Olivia convenait que rester plus longtemps ici serait louche et décida de parcourir son jardin, dès qu’elle rentrerait, à la recherche d’un indice. Après tout, elle habitait juste à côté de la suspecte principale ! D’après Inge du moins. Cela dit, un tout chacun pouvait s’arrêter avec sa voiture et décharger un cadavre. Personne n’avait dit qu’elle avait été tuée dans leur rue. Il y avait seulement le fait qu’il n’y avait pas de traces de pneu dans les champs et que les seules maisons proches étaient les leurs. Mais même si le meurtrier était venu à pied depuis leur rue, ce qui n’était pas sûr puisqu’il y avait aussi le chemin venant de la route principale, il devait avoir transporté le corps d’une manière ou d’une autre. En plus, il n’y avait pas de traces de sang sur le sol !
– Je trouve ça horrible que quelqu’un puisse faire une chose pareille, remarqua Inge. On devrait pourtant croire que tous les humains peuvent vivre ensemble dans la paix et l’harmonie. Je crois que nous du moins, je veux parler de toute la rue, nous devrions méditer ensemble afin de retrouver notre paix intérieure.
D’accord, Olivia abdiquait. Si Inge était la meurtrière, elle était aussi une actrice hors pair. Et très douée d’accuser quelqu’un d’autre l’air de rien. Ce qui ne devrait pas vraiment être compliqué pour elle puisqu’elle tenait souvent lieu de confidente à son magasin de fleurs. Elle n’avait plus que la peine de choisir le coupable adéquat. Restait la question du motif… Mais on ne pouvait certainement avoir la réponse à cette interrogation qu’une fois qu’on savait qui était la victime.
– Je viendrais un peu plus tard pour arroser, affirma-t-elle en quittant sa voisine. Et nous pourrons aller au poste de police ensemble, hein ?
– Je nous prépare une tisane-détente, décida sa voisine. C’est certainement mieux si on se débarrasse entièrement des ondes négatives. Tu penses que je devrais apporter un attrape-ondes aux Baustaet ? Peut-être que ça les aidera.
– Ça ne peut pas faire de mal, Olivia haussa les épaules. A toute.
Elle fit entrer Willy dans la maison et passa directement dans le jardin. Peut-être qu’elle pouvait apercevoir quelque chose chez ses voisins. Après tout, ses seuls voisins étaient les Baustaet puisqu’elle habitait la dernière maison, mais il s’agissait quand même des suspects principaux. Elle devait trouver quelque chose. Elle le voulait tellement, elle adorait les romans policiers et maintenant qu’elle avait un crime sous la main… Une opportunité pareille ne se présenterait peut-être plus jamais.
Comme elle ne s’imaginait pas espionner sans avoir une bonne raison de se trouver à l’endroit, elle se dirigea tout d’abord vers sa cabane de jardin. Elle y gardait tous ses outils. Ça ne ferait pas de mal à sa haie d’être coupée. En entrant dans la cabane, elle s’effraya. Quel désordre ! C’était comme si un cyclone était passé dans l’endroit et avait tout ravagé. La brouette était renversée, les cisailles et la scie jetées à terre, le tuyau d’arrosage à moitié déroulé et noué. Comme si quelqu’un avait cherché quelque chose et ne l’avait pas trouvé. Olivia inspira longuement pour se calmer. Cela avait certainement à voir avec le meurtre. Ce ne pouvait pas être un hasard. Elle passa précautionneusement au-dessus du bazar. Un tout chacun aurait pu entrer puisqu’elle ne fermait la porte qu’avec un petit verrou extérieur. A l’époque où Wilhelm gardait encore la scie électrique et la tondeuse ici, ils avaient mis un cadenas plus solide, mais depuis le temps il n’était plus qu’accroché à la fenêtre.
Un détail attira son attention. Une couleur brune rougeâtre dans sa brouette. De la rouille ? Non, jamais aucun de ses outils n’avait osé rouiller. Et de toute manière, elle l’avait prêtée à Maya pas plus tard que la semaine dernière et tout avait été parfait. A Maya ?! Olivia se pencha pour mieux voir, tout en évitant de toucher quoique ce soit. Il ne fallait pas effacer la moindre trace… La brouette n’était pas rouillée. Elle était sanglante. Non pas remplie de sang mais indéniablement tâchée du liquide séché. Olivia ne réfléchit pas davantage et se précipita dans sa maison et vers le téléphone. Elle devait appeler la police. Elle avait trouvé comment le meurtrier avait transporté le cadavre. Dans sa brouette !
– Olivia ! résonna alors la voix aigue d’Inge. Viens m’aider !
Etrangement elle avait l’impression que ça ne venait pas d’en face mais plutôt de la maison d’à côté… Qu’est-ce qu’Inge faisait déjà chez Maya et Frank ? Ne voulait-elle pas récupérer des énergies positives avant ? Leur avait-elle tout raconté ? Et quelle était la probabilité qu’ils la croyaient ? Elle fixa le téléphone dans sa main puis l’emporta. Ça servait à ça les téléphones sans câble, non ?
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en regardant la scène qui se jouait devant ses yeux.
Inge, d’habitude si rêveuse, pointait un doigt accusateur sur la voiture de Maya. Maya et Frank se tenaient à côté, la première à la fois énervée et confuse. Le cabriolet rouge si chic était bien stationnée le long du trottoir, mais la camionnette d’Inge juste devant était indéniablement cabossée. Maya devait l’avoir touchée, c’était la seule explication.
– Maya a ruiné ma voiture, gémissait Inge. C’est une voiture sensible, elle doit être traumatisée par le choc !
– C’est du n’importe quoi, statua Maya. Je m’en souviendrais si je l’avais touché hier soir et ce n’est pas le cas.
Frank avait passé un bras autour des épaules de sa femme qui protestait vivement. Une fois de plus, Olivia devait s’avouer qu’ils formaient un couple réellement charmant, la belle Maya au tempérament de feu et le grand Frank au caractère inébranlable. Il la regarda avec inquiétude.
– Tu avais un peu bu hier soir, non ? Ne se pourrait-il pas que tu n’aies pas remarqué…
– Voilà ! Son aura rouge foncé ne ment pas. Elle est coupable !
– Frank, je n’étais pas bourrée, qu’est-ce que tu sous-entends ! Tu me l’as reproché hier soir et c’était faux, et c’est toujours encore faux aujourd’hui ! Je ne sais pas à quoi tu joues mais je n’ai bu que deux verres de vin !
Olivia fronça les sourcils. Quelque chose se passait et elle ne pourrait pas dire quoi. Son regard se posa sur le téléphone qu’elle tenait encore en main. La police. Augustine saurait quoi faire. Elle ignora ses voisins qui continuaient à se crier dessus et entra le numéro du poste de Beernheim. Il valait mieux en finir rapidement avant que les esprits ne s’échauffent davantage.
Chapitre 3 : Frank by Carminny
Frank Baustaet couvrait sa Maya d’un regard inquiet. Elle n’était vraiment pas dans son état normal. Vibrante de colère, les yeux toujours encore écarquillés, elle semblait sous le choc. Qui pourrait aller bien après avoir trouvé un cadavre ? Et maintenant l’affaire avec la voiture d’Inge Ringl. Il ne s’était pas attendu qu’elle provoque un scandale en pleine rue, elle était bien plus le type à lancer le mauvais œil sur eux. Et ce n’était pas quelque chose qu’il craignait particulièrement. Et maintenant la pragmatique Madame Kramer avait appelé la police qui les avait convoqués séance tenante. Il était ravi.
Il appuya sur la pédale de gaz pour distancer la camionnette fraîchement cabossée qui contenait les deux femmes. Qu’elles se perdent en chemin, il n’était pas responsable d’elles. Et puis cela ne pouvait être qu’un avantage si Maya racontait sa version en premier. Ou plutôt que lui racontait la sienne. Il était évident que Maya ne pourrait pas les convaincre de son innocence. Il devait donc l’aider et parler avec la police dans son dos. Il espérait juste qu’elle ne se collerait pas à lui une fois arrivé au poste. Non, franchement, il ne voyait pas comment sa version pourrait convaincre le plus naïf des policiers. Les deux voitures étaient cabossées et sa femme dans un état épouvantable. Il allait expliquer qu’elle s’était retrouvée avec des amis, qu’elle n’avait quasiment rien bu mais que le vin devait être plus fort que d’habitude et qu’ils avaient tous de la chance qu’il ne s’était rien passé sur le chemin de retour. Ils s’étaient disputés à ce sujet dès son retour à la maison. Elle ne s’en souvenait plus très bien et en avait honte puisque cela ne lui arrivait jamais. C’était la meilleure défense qu’il pouvait fabriquer dans les délais. Ils allaient lui croire.
Il stationna la voiture et constata avec satisfaction que les autres n’étaient pas en vue. Il ouvrit galamment la porte à son épouse puis se dirigea vers l’accueil.
– Bonjour, comment puis-je vous aider ?
– J’aimerais faire ma déposition à propos d’un accident qui vient d’être rapporté.
Le policier feuilleta dans ses notes et tapota un endroit avec son stylo.
– Dans la rue des champs ? Je vous demanderais d’attendre un peu. L’inspectrice Pinson a demandé d’être présente.
Frank acquiesça. Il ne savait pas qui était cette inspectrice et pourquoi elle voulait assister à une déposition sur un accident mais au fond cela l’arrangeait. Il n’aimait pas discuter avec des larbins.
– Je pourrais utiliser ce temps pour faire ma déposition sur la découverte du cadavre de ce matin, proposa Maya. J’ai déjà été interrogée, on m’a dit de venir ici.
Frank serra doucement la main de son épouse. Elle était si courageuse. Elle pensait encore à ses devoirs dans une situation pareille, alors que tout ça l’avait tellement secouée. Le policier d’accueil hocha la tête.
– Premier bureau à droite.
– Tu veux que je t’accompagne ? s’enquit-il inquiet.
S’il était honnête, il préférerait attendre à l’accueil, mais en même temps partir avait des avantages considérables. Comme ne pas croiser ses voisins qui ne tarderaient pas à arriver. Il n’avait aucune envie de se retrouver à nouveau face aux mesdames Kramer et Ringl. Elles étaient toutes les deux convaincues qu’il voulait leur poser des problèmes et surtout ne pas payer la réparation. Ce n’était pas faux mais son assurance s’en occuperait très bien. Il était là seulement pour faire sa déposition, ce qui devrait pourtant leur plaire puisqu’il reconnaissait la faute de sa femme. Enfin bon, elles ne le croiraient pas de toute manière.
– Ça va aller, affirma Maya en lui souriant.
Elle disparut dans le couloir pendant que Frank s’affala sur une des chaises en plastique réservées aux visiteurs. Il espérait juste que l’inspectrice ne le ferait pas trop attendre et parlerait en personne avec lui. Après tout, il ne s’agissait pas seulement d’un petit accrochage en voiture. Il devait à tout prix éviter qu’on ne l’accuse du meurtre. Qu’est-ce qui semblerait plus logique que de le suspecter lui ? Il était le plus beau et le plus fort homme de la rue et il s’agissait quand même d’une jeune femme plutôt mignonne qui avait été tuée à proximité s’il avait bien suivi. Evidemment tout le monde pouvait confirmer qu’il n’était pas du type à agir émotionnellement et certainement pas à tuer quelqu’un pour un motif aussi vague que des sentiments, mais cela ne suffisait pas à apaiser ses craintes. Lui, le grand, le magnifique, l’ambitieux Frank Baustaet, l’avocat couronné de succès, avait peur de la police et des accusations. Si la rumeur qu’il était impliqué dans un meurtre commençait à circuler, sa carrière en prendrait un coup. Et c’était hors de question.
– Bonjour, monsieur Baustaet !
Frank leva le regard et vit, non pas les deux folles qui avaient vraiment dû se perdre, mais d’autres voisins. Lucas et Aline Lahner étaient les voisins idéaux. Ils n’avaient aucune particularité. Ils étaient ennuyants, calmes et polis. Ils ne se mêlaient pas de ses affaires, ils coupaient la haie de leur côté et ils incitaient leur caniche aboyant à se taire. Vraiment des voisins parfaits.
– Bonjour, madame et monsieur Lahner. Quel bon vent vous amène ?
– Aucun bon vent, répondit Lucas Lahner d’une voix sombre. C’est cette affaire de meurtre à côté de chez nous. Vous n’êtes pas là pour cela ?
– Si si, se dépêcha de confirmer Frank. Je ne pensais juste pas qu’ils prendraient le risque qu’on se croise.
Il n’avait aucune envie de leur raconter l’accident de voiture s’ils n’étaient pas au courant. Après tout, Maya serait gênée si tout le monde savait.
– Mais c’est plus logique. Ainsi ils peuvent mieux comparer nos témoignages.
Frank se rappelait pourquoi il n’était pas ami avec les Lahner. L’homme était énervant. Certes il était un scientifique de renom mais cette manière de juger les choses d’un ton condescendant le prenait à rebrousse-poil. Peut-être que c’était cela la base de leur bonne entente : s’ignorer car aucun d’eux n’aimait converser avec les autres.
– Cela nécessiterait aussi qu’on soit tous interrogé par le même policier, retorqua-t-il juste pour avoir raison.
Le policier de l’accueil l’appela pile au moment où les deux folles à la camionnette cabossée entraient. Il se sauva en direction du couloir. Le bureau qu’on lui indiqua n’était pas celui dans lequel Maya parlait et il en était soulagé. Il préférait qu’elle n’entende pas ce qu’il allait dire. Elle allait penser que c’était une trahison de ne pas croire en son innocence. Il préférerait ne pas avoir à dire ce qu’il avait préparé mais il devait le faire pour eux deux. Il ne pouvait pas ne rien faire, n’est-ce pas ?
Dans la petite pièce sans fenêtre l’attendait un policier. Le bureau ressemblait carrément à une cellule d’interrogatoire de films : trop petite et trop éclairée.
– Bonjour, essaya-t-il de saluer sans montrer son stress.
– Bonjour, monsieur Baustaet, répondit le policier. Asseyez-vous, je vous en prie. L’inspectrice Pinson est en retard, nous pouvons tout de fois commencer.
Frank acquiesça. Ça pouvait lui être égal au fond qui lui était là ou non. Il voulait parler au plus haut gradé possible mais si l’inspectrice croyait ce que lui rapportait son collègue, c’était bien aussi. Il suffisait qu’il soit convainquant.
– Alors, l’accident de hier soir.
Le policier le regarda bizarrement comme s’il avait parlé chinois. Peut-être que finalement il était là à cause du meurtre et pas pour l’accident de voiture ? Ils devraient communiquer un peu plus dans ce poste. Il s’interrompit mais le policier l’encouragea à poursuivre.
– Je suis rentrée un peu tardivement à la maison. Ma femme n’était pas encore là mais elle m’avait prévenue qu’elle retrouverait des amis après le travail donc ça ne m’a pas choqué. Elle est rentrée un peu plus tard et indéniablement bourrée. Je pense que c’est pour cela qu’elle ne se rappelle pas d’avoir touché la voiture de Madame Ringl. Mais c’est tout ! Vous devez me croire, ce n’est pas du tout le genre de ma femme de prendre le volant après un dîner alcoolisé. Ça ne lui était encore jamais arrivé ! Je ne sais pas ce qui s’est passé durant cette soirée mais elle était complètement dans le vent. Elle… elle était complètement à côté de ses pompes…
La porte s’ouvrit à sa droite et il s’interrompit de nouveau. Jouait-il suffisamment bien l’époux triste et déçue par le comportement de sa femme ? Ils devaient lui croire. Il devait être convainquant. La policière qui entra et referma rapidement la porte derrière elle devait être l’inspectrice Pinson. Il la dévisagea pendant qu’il se leva et lui donna la main. Ses cheveux bruns parsemés de mèches blanches avaient certainement été attachés en un chignon sévère à un moment de la matinée mais il se défaisait comme si elle était déjà levée depuis longtemps et qu’elle avait beaucoup bougé. Au contraire de ce qu’il avait pensé d’après les films, elle portait le simple uniforme de police et non des habits civils comme cela aurait sûrement été plus pratique. Il ignora consciencieusement le foulard bleu ciel qui avait tant perturbé Maya. Sa femme détestait avoir l’impression de passer au deuxième plan par rapport à quelqu’un d’autre. Elle voulait s’imposer. Lui n’avait pas ce besoin. Il savait quand il avait la main. Et quand il regarda dans les yeux simplement gris de l’inspectrice, il était certain qu’elle comprendrait ce qu’il lui dirait.
Sans un mot, elle prit place à côté de son collègue et fixa l’écran d’ordinateur sur lequel devait être noté sa déposition jusqu’ici. Le policier, il ne s’était pas présenté d’ailleurs, lui adressa un signe de tête.
– Vous pouvez continuer. Quels sont les matricules des véhicules ?
Frank les nota sur une feuille et regarda calmement les deux policiers. A quel moment l’inspectrice allait-elle poser les questions ?
– Comment avez-vous remarqué que votre femme était perturbée ? demanda le policier.
– Vous n’êtes pas marié, je suppose, Frank le regarda de travers.
– Non…
– On le sait tout simplement, développa-t-il. Elle avait les cheveux en bataille et les nerfs à vif. Evidemment que j’ai remarqué qu’elle n’allait pas bien. On se connait depuis dix ans !! La dernière fois qu’elle avait cette expression sur son visage c’était quand son ex l’avait trompée.
Son regard attentif passa d’un policier à l’autre. Il remarqua qu’il se tripotait les mains et les étendit pour prouver sa sérénité. Il ne devait pas avoir l’air trop nerveux. Mais pas complètement détendu non plus – même si ce n’était pas un souci à cet instant. L’inspectrice Pinson tapa quelque chose à l’ordinateur. Son collègue la fixa un instant, la surprise se peignant sur son visage, puis acquiesça. Il était probable qu’ils lui demanderaient s’il savait pourquoi sa femme était dans cet état. Il pourrait alors affirmer que non. Ou il pouvait lui faire part de ses doutes. Du cri qu’il avait entendu dans les champs avant qu’elle ne rentre.
– Et ?
– Quoi et ?
– L’avez-vous trompée ?
Frank sourcilla. Il ne s’était pas attendu à cette question. Que devait-il dire ? Oui avec Julia. Oui avec Elvire. Oui avec deux femmes en même temps. Non. Trop de possibilités et aucune ne semblait réellement arrangeante pour sauver les apparences. Il se racla la gorge.
– Peut-être qu’il se pourrait que….
– Donc oui. Avec qui ?
– Je trouve que cela devient trop personnel. Est-ce vraiment la déposition pour l’accident de voiture de ma femme ?
Il sentait la nervosité monter. D’un seul coup, il avait perdu le contrôle de la situation. Il ne savait plus quoi dire, quoi faire, quoi penser. Il comprenait maintenant ce que Maya avait essayé de lui décrire. L’angoisse qui lui prenait au ventre. Les yeux froids qui le fixaient comme s’ils lisaient en lui. Il avait l’envie de prendre ses jambes à son cou. Mais l’inspectrice ne le lâchait pas du regard. Pas non plus lorsqu’elle traça quelques mots sur une feuille et la lui tendit.
« Qui parle d’un accident ? Avec qui trompez-vous votre femme ? Préfériez-vous que nous la cherchions ? »
Oui, Frank comprenait que Maya se soit sentie offensée et qu’elle avait essayé de déstabiliser l’inspectrice. Lui voyait bien que c’était peine perdue. Il était bien plus calme et calculé que son épouse. Il n’allait pas se battre pour une question de fierté froissée. Il avait seulement besoin de répondre à la question. Honnêtement en plus puisqu’ils allaient vérifier. Ils allaient tout trouver.
– Avec Julia Moser.
Le policier jeta un regard à sa collègue. Qu’est-ce que cela signifiait encore ? Pensaient-ils maintenant que… ? Ou savaient-ils déjà ? Il aurait pu leur dire ce qu’il pensait mais c’était mieux s’il ne le faisait pas. Il fallait juste veiller à ne pas se rendre plus suspect. En répondant aux autres questions.
– Quand est-ce que vous l’avez vue pour la dernière fois ?
– Avant-hier. Nous voulions nous retrouver demain soir.
– Que pensez-vous des coquelicots ?
Hein ? C’était quoi le rapport ? Il se souvenait vaguement que Maya baragouinait quelque chose à propos d’un champ de fleurs mais ça ne pouvait pas être important, non ?
– Ce ne sont pas ces fleurs rouges dans les champs ? Elles sont bien jolies mais fanent très rapidement.
– Votre petite-amie, connaît-elle votre adresse ?
– Je suppose. Sinon elle est dans les Pages Jaunes.
– Est-ce qu’elle vous a déjà rendu visite sans prévenir ?
– Quoi ? Frank se leva d’un bond. Vous croyez que c’est ça qui est arrivé ? Que ma Maya a tué Julia ? Non, non, non ! Si Julia était passée chez moi et qu’elle se serait retrouvée en face de Maya… Non, je ne veux pas y croire. Julia prévient toujours et Maya n’est pas comme ça. Ah non, pas Maya.
– Calmez-vous, monsieur Baustaet ! Nous ne pensons rien du tout, nous ne nous intéressons seulement aux faits. Jusqu’ici nous cherchons encore l’identité de la victime…
L’inspectrice lui tendit une nouvelle feuille mais il n’avait aucune envie de la lire. Le policier la tira vers lui et la lut d’une voix ferme.
– Par contre, vous êtes déjà le deuxième qui ne peut pas nier que votre épouse pourrait en être capable.
Frank passa le regard du policier à l’inspectrice. En croisant le sien, de la sueur froide apparut dans son dos. Elle le suspectait, il le savait. Pouvait-il lui en vouloir ? Maya aussi avait eu l’impression qu’elle la suspectait d’emblée. Le plus important c’était de se sortir de cette situation délicate.
– Maya a du tempérament mais elle ne commettrait pas de meurtre ! protesta-t-il un peu tardivement.
Il devait se calmer et reprendre le contrôle de ses paroles et de ses pensées. Il était tellement inébranlable d’habitude. Il se rassit.
– Je suis désolé, je…
– C’est naturel, le rassura le policier. Pardonnez-moi.
Frank jeta un regard de biais à l’inspectrice qui le dévisageait fixement. Il inspira profondément et se concentra sur le policier qui avait l’air moins expérimenté. Il lui parut clairement pourquoi ils étaient deux à l’interroger : non seulement c’était pour qu’il ne puisse pas ignorer les petits papiers de l’inspectrice – quelle idée ! – mais aussi parce qu’il s’agissait d’un exercice en situation réelle pour le plus jeune. Mais au fond il s’en fichait. Il voulait partir et rentrer. Il avait suffisamment parlé et se sentait maintenant las.
– La prochaine question ?
– Combien de temps sortez-vous avec Julia Moser ?
Frank avait l’impression d’être dans un cocon blanc. Il avait surréagi avant mais c’était normal et maintenant il n’avait plus d’énergie. Les questions de routine qui viendraient encore étaient normales si un homme trompait sa femme.
– Environ trois mois.
– Et votre épouse n’est pas au courant ?
– Non. On ne se rencontrait qu’à l’extérieur.
– Où étiez-vous hier soir ?
Evidemment qu’ils devaient poser cette question. Il avait quand même espéré qu’ils l’oublient. Il était suspect et n’avait donc aucune possibilité de ne pas répondre.
– Au cinéma.
– En bonne compagnie ?
Frank se retint de justesse de se mordre les lèvres. Il aurait dû nommer Elvire comme petite-amie. Il n’avait aucune idée comment leur expliquer la situation maintenant. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Il baissa la tête comme s’il était gêné. Il ne l’était pas d’avoir une femme et deux amantes. Il ne voulait juste pas que tout le monde soit au courant. Surtout pas Maya. Il les aimait toutes.
– Avec Elvire Wolph.
La mâchoire du policier descendit. Frank fixa l’inspectrice avec son sourire le plus magnifique. Elle devait bien céder à ce sourire. Aucune femme ne lui résistait. Les dernières années l’avaient prouvé. Mais Augustine Pinson leva seulement un sourcil et lui tendit une feuille.
« Quel film ? Acteurs ? Réalisateur ? Dans quel cinéma ? »
Il aurait dû essayer plus tôt. Avant qu’elle ne sache qu’il n’était pas libre – trois fois en plus. Il devait juste encore sortir de toute cette histoire. Il haussa les épaules.
– Aucune idée. Une romance quelconque pendant qu’un bateau coulait. C’est Elvire qui l’a choisi. J’avoue m’être endormi à un moment…
Le policier était toujours bouche-bée tandis que l’inspectrice fit quelques notes sur l’ordinateur. Il sentait que c’était fini pour de bon maintenant. Et effectivement, il reçut une dernière feuille de papier :
« Merci pour votre coopération. Veuillez, ni vous ni votre femme, ne pas quitter le pays dans les prochains temps. »
End Notes:
Un commentaire ? Une suspicion de coupable ?
Chapitre 4 : Henri by Carminny
– Julia est quoi ?! Henri Moser regardait fixement les deux policiers qui avaient interrompu sa calme matinée de travail. Quoi ? Qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
Il se tourna vers la porte du bureau de son chef mais celle-ci était toujours encore fermée. Il ne voulait en aucun cas avoir des problèmes pas seulement parce que la police était là à cause de lui – ce n’était jamais bonne publicité – mais aussi parce qu’il parlait au lieu de travailler. Julia ! Sa grande sœur bien-aimée. Que lui restait-il si ce qu’ils lui disaient était vrai ? Elle ne pouvait pas être morte. Pas sa grande sœur si forte, si courageuse, qui s’était toujours occupée de lui et qui lui avait permis de se rapprocher de son rêve de devenir avocat. C’était grâce à elle qu’il était ici, il ne devait pas perdre cet emploi qui était son plus beau cadeau. Scribe de Philippe Bastian. Ce n’était que le premier pas vers la défense de petits cas. Sa sœur était la meilleure personne au monde, la plus importante aussi. Elle ne pouvait pas avoir été assassinée.
– Votre sœur a été assassinée hier soir. Nous avons pu l’identifier grâce à des photos mais officiellement c’est vous qui devez le faire. Vous êtes son dernier parent en vie, non ?
– Oui mais…
Henri cligna faiblement des yeux en direction des policiers. Il se sentait tellement petit. Il n’était rien sans Julia. Il n’aurait plus d’importance pour personne… Qui allait l’identifier quand il mourrait ? Que devait-il faire maintenant ? Le bureau devenait flou et il tenait un mouchoir à la main. Julia… Sa grande et courageuse Julia. Julia qui l’avait toujours pris dans les bras et endormi d’une berceuse, même quand il la réveillait en plein milieu de la nuit. Julia qui avait travaillé à côté de l’école pour qu’un jour il puisse faire des études de droit. Julia qui l’avait emmené au zoo, qui l’avait poussé à la balançoire, qui l’avait aidé pour les devoirs, qui avait fait des gâteaux avec lui alors qu’ils préféraient tous les deux le salé. Julia. Henri sanglota. Pourquoi le monde était-il aussi cruel ?
– Qu’est-ce qui se passe ici ?
Henri reconnut la voix de son chef mais cela n’avait plus d’importance. Il avait perdu Julia, perdre son poste n’était que logique. Comment pouvait-il continuer de vivre sans elle ? Une main se posa sur son épaule.
– Qu’avez-vous fait à mon scribe ? tonna la sévère voix entraînée de l’avocat par-dessus sa tête.
Il leva son regard rempli de larmes vers son chef. Il était si fort et si admirable. Il voulait devenir comme lui. Mais avec Julia à ses côtés… La réponse du policier était si neutre, sans aucune émotion, comme s’il avait déjà annoncé une centaine de fois des nouvelles pareilles. Henri ravala un sanglot pendant que ses poils s’hérissaient dans sa nuque. Peut-être que c’était le cas.
– Sa sœur a été tuée.
– Quoi ?!
La voix de maître Bastian était anormalement aiguë. Peu importe. Il se moucha. Julia… Les larmes à peine taries se remirent à couler de plus belle. Il n’avait même pas pu demander des informations. A travers le rideau de larmes il vit une photo de Julia en robe rouge. Elle était belle entourée de tous ces coquelicots. Elle aimait les coquelicots. Sa belle chevelure brune ondulait entre les tiges. Elle avait l’air de dormir. Tout simplement de dormir…
Maître Bastian et les policiers parlaient autour de lui mais il ne comprenait pas ce qu’ils disaient. La main de son chef reposait toujours sur son épaule, lien frêle mais réconfortant avec la réalité si cruelle, et de nouveaux mouchoirs lui étaient toujours tendus par un des policiers. Ses yeux brûlaient et sa tête pulsait. Il ne pouvait pas accepter cela. Julia ne pouvait pas… Et pourtant il ne voyait aucune raison pour laquelle il pourrait être dans cette situation si ce n’était pas vrai.
Enfin, il reprit un peu conscience de ce qui l’entourait. Maître Bastian qui le couvait d’un regard soucieux. Les autres personnes dans la pièce : les policiers mais aussi les deux secrétaires de l’étude et même le concierge. Les dossiers ouverts sur son bureau. Il travaillait tranquillement pendant que son monde s’effondrait dehors.
– Bon, tout le monde retourne au travail, décida Maître Bastian après un regard vers lui.
Henri n’en était pas mécontent que les autres devaient partir. Il savait ce qui venait maintenant. Il devait être interrogé et c’était probablement mieux de n’y mêler le moins de personnes possibles. Le policier à côté de lui, celui avec les mouchoirs, fit de drôles de gestes avec les mains. Il s’essuya les yeux pour découvrir qu’il s’agissait premièrement d’une femme et deuxièmement certainement de la cheffe des autres. Maître Bastian plaça son visage juste à côté du sien.
– L’inspectrice Pinson va te poser quelques questions. Tu lui répondras de ton mieux, d’accord ? Il ne se passera rien de grave. Je suis à côté avec ses collègues. Ils ont besoin de consulter quelques testaments. Si jamais tu as besoin de moi, tu appelles, oui ?
Henri réussit à hocher la tête avant que des larmes lui remontaient dans les yeux. Pourquoi Julia ?! C’était injuste ! Elle n’avait jamais rien fait à personne, elle voulait toujours faire du bien aux gens qu’elle croisait. Julia était un ange et maintenant elle n’était plus là. C’était aussi simple que ça. Il n’avait même pas remarqué qu’elle n’était pas rentrée la nuit dernière. Il réceptionna un nouveau mouchoir. Il s’essuya les yeux puis sentit un petit tapotement contre sa cuisse. Un petit chien blanc s’était mis debout contre lui et semblait vouloir le réconforter avec sa petite patte toute douce. Henri cligna des yeux. Le chien cligna des yeux puis posa la deuxième patte avant sur sa cuisse.
– C’est votre chien ?
La policière hocha la tête et Henri caressa la tête du chien ce que celui-ci semblait prendre comme une invitation à grimper sur ses genoux. A sa grande surprise, il dut sourire. Julia aussi aimait les chiens. Il s’essuya les yeux une nouvelle fois et s’estima ensuite capable de répondre aux questions sans fondre en larmes. L’inspectrice avait déjà poussé un bloc-notes dans sa direction. Il supposait qu’il devait y inscrire son nom et son adresse… Il ouvrit la bouche pour lui demander quand il vit qu’il y avait déjà quelque chose d’écrit.
« Son nom est Sénèque. Il aide souvent pour les enquêtes. Je vais vous poser quelques questions qui m’intéressent mais je crains que mes collègues en aient des plus formelles un peu plus tard. Vous aimez énormément votre sœur, non ? »
Henri regarda la policière. Elle ne pouvait pas parler ? Il rougit à la pensée qu’il était surpris et que c’était peut-être mal placé. Il devait avouer qu’il était curieux aussi mais jamais il n’oserait demander directement. En même temps, il ne s’imaginait pas du tout comment c’était possible. Julia parlait tout le temps. Elle lui parlait de ses journées de travail, de ses clients qui voulaient des coupes de cheveux improbables ou des colorations absurdes. Il lui parlait des dossiers, des textes qu’il recopiait au propre, des testaments qu’il devait fermer. En tout cas, il n’y avait jamais de silence dans leur appartement.
– Oui, répondit-il tout simplement parce que c’était vrai. Elle est tout pour moi.
« Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? »
– Hier matin. Nous avons pris le petit-déjeuner ensemble puis marché ensemble jusqu’à la rue principale, comme chaque matin. Elle travaille au salon de coiffure à l’angle vers la gare, alors que moi je pars dans l’autre direction pour venir ici. Elle m’a dit qu’elle allait encore sortir avec un ami le soir et qu’elle rentrerait tard. Je m’en suis réjouie parce qu’ainsi je pouvais jouer à l’ordinateur et commander une pizza sans la déranger. Mais maintenant… Je voudrais qu’elle soit restée à la maison. C’est une pensée horrible que je me suis amusée à tirer sur des vaisseaux spatiaux alors qu’elle se battait pour sa vie ! Je me sens tellement nul. J’aurais dû la protéger !
Les larmes étaient de retour dans ses yeux. Il avait été un mauvis frère, c’était évident. Et maintenant il était seul. Julia était partie. Pour toujours. Sénèque renifla sa joue avant d’y passer un coup de langue réconfortant. Il enfouit son visage dans son pelage. C’était beaucoup plus doux que ce qu’il s’était imaginé. C’était comme si tant qu’il avait le visage blotti contre le petit corps chaud personne ne pouvait lui dire des vérités horribles. Julia aurait certainement aimé avoir un chien s’ils avaient eu plus de temps et plus d’argent.
Quand il releva la tête un bon bout de temps plus tard, le bloc-notes l’attendait devant lui. Il avait oublié l’inspectrice. Il lui jeta un regard de travers mais elle ne semblait pas en être vexée et lui sourit simplement.
« Vous n’y êtes pour rien. Elle avait sa vie et vous la vôtre. Vous ne pouviez pas savoir que quelque chose de tel arriverait. Nous essayons maintenant de trouver le coupable pour que cela ne se reproduise plus. D’accord ? »
Il acquiesça légèrement et se baffa intérieurement. Julia aurait voulu qu’il aide et il voulait lui porter justice. Donc il devait aider la police. Et Julia n’aimait pas qu’il pleure.
– Je veux juste que ce n’est pas vrai. Je pourrais probablement même vous pardonnez si vous me disiez que ce n’est qu’une vaste blague et que Julia est encore en vie. J’aimerais tellement la revoir !
« Malheureusement je ne peux pas vous le dire. Vous verrez encore son corps plus tard mais ce n’est pas la même chose. Vous étiez seul chez vous hier soir ? »
Henri fixa le cou du chien. Est-ce qu’elle venait vraiment de lui demander un alibi ? Sa sœur adorée était tuée et il avait besoin d’un alibi. Il acquiesça de la tête. C’était vrai et personne ne pouvait le confirmer puisque c’était très peu probable que le livreur de pizza se souvienne de lui et leur voisine nierait tout en bloc juste pour leur faire du mal. Lui faire du mal.
« Connaissez-vous le testament de votre sœur ? »
– Elle n’en avait pas, dit Henri. Elle n’avait pas prévu de mourir maintenant.
Il refoula les larmes qu’il sentait poindre. Il avait une boule énorme dans la gorge. Comment pouvait-il encore parler, encore respirer ? Il se moucha. Julia n’aimait pas qu’il pleure. Elle n’aimait pas que quiconque pleure. Elle voulait juste que tout le monde soit heureux. Et maintenant elle était morte. Il renifla et se saisit, reconnaissant, du mouchoir que lui tendait la policière. Est-ce qu’elle avait une réserve illimitée ?
« Que pensez-vous de champs de coquelicots ? »
Comme le champ dans lequel Julia était morte ? Ou comme les fleurs préférées de Julia ?
– Julia, fit-il d’une voix tremblante. Elle adorait les coquelicots. Elle a accroché une grande image dans la cuisine, avec des vaches qui sont debout dans des coquelicots et broutent. Je me suis toujours demandé si elles en mangent vraiment. Je veux dire, nous aussi on mange des pains au pavot mais je crois avoir lu qu’en quantité suffisante c’était une drogue. J’ai planté un petit carré de coquelicots sur notre balcon pour Julia. Mais maintenant… Je crois que je ne veux plus jamais voir des coquelicots sans penser à Julia… Pourquoi vous vous intéressez au champ en fait ? Vous croyez que ce n’est pas par hasard que Julia a été… là-bas ?
Henri fixa l’inspectrice plein de doutes. Les coquelicots étaient depuis toujours liés à sa sœur. Cela ne risquait pas de changer maintenant. Chaque coquelicot allait lui rappeler sa mort avec la violence d’un coup de couteau. Mais il se sentait moins mal. Parler de sa sœur lui faisait du bien. Il devait être fort pour elle.
« Votre sœur n’a pas été tuée dans le champ de coquelicots, son corps y a juste été déposé. Il est à supposer que ces fleurs auraient donc une symbolique particulière. Je cherche si quelqu’un en sait quelque chose et s’il y a un lien avec votre sœur. »
– Ah, Henri hocha la tête. Je vais pouvoir vous aider pour la symbolique. Comme dit, Julia adorait ces fleurs rouges et je lui ai offert un jour un cahier sur la symbolique à travers le monde. En Chine par exemple, les pavots sont un symbole de calme, de de beauté et de succès. Mais c’est aussi l’interprétation la plus belle et la plus positive… En Grèce antique, ils étaient le signe du dieu des rêves Morpheus. C’est à partir de là que le christianisme a déduit son sens : le repos éternel.
« Vous avez une mémoire exceptionnelle. »
– Oui enfin, rougit Henri. Je m’en souviens surtout parce qu’on l’a affiché au grand sur un mur du salon. Julia voulait toujours garder à l’esprit que rien n’est infini et qu’il fallait profiter pleinement de chaque jour.
L’inspectrice hocha la tête et prit quelques notes. Puis comme si cela n’avait aucune importance elle lui posa sa question suivante.
« Connaissez-vous un certain Frank Baustaet ou sa femme Maya ? »
Henri fixa la policière dans les yeux. Il n’avait pas remarqué à quel point ses yeux étaient clairs et attentifs. On pouvait certainement s’y perdre sans jamais trouver un fond, sans jamais découvrir qui elle était réellement. Pour la première fois, il ne pensait pas au fait que Julia était morte pendant quelques minutes. Il devait juste répondre à cette question et ne pas se laisser abandonner dans son deuil. Julia ne le voudrait pas. C’était quoi la question déjà ? Il lança un regard sur le papier – c’était pratique quand même. Qu’est-ce qu’elle avait à voir avec le reste ?
– Oui, je le connais. C’est lui qui m’a permis d’avoir ce travail. C’est le meilleur avocat de toute la région Beernheim. Je pense que tout le monde qui travail dans le domaine a déjà entendu parler de lui. Je l’ai contacté cet hiver quand j’ai dû arrêter mes études de droit pour lui demander si je pouvais travailler chez lui. Comme secrétaire ou scribe ou quelque chose du genre. Il m’a répondu, apparemment il connaissait Julia, et m’a conseillé à maître Bastian quand il cherchait un nouveau scribe. Je lui dois toute ma reconnaissance.
A nouveau, l’inspectrice hocha juste de la tête avant de passer au sujet suivant. Henri caressa la tête du chien qui affichait un air comme s’il comprenait tout ce qu’ils disaient. Avait-il souvent assisté à des interrogatoires ? Connaissait-il chaque déroulement, chaque question, chaque ondulation de voix dans les réponses ?
« Connaissez-vous des ennemis à votre sœur ? »
Le chien connaissait-il déjà le meurtrier de sa sœur ? Avait-il senti ce que les humains essayaient encore de découvrir ? De quels ennemis l’inspectrice parlaient ? D’où pourrait-il le savoir ? D’après lui, Julia était la plus gentille et la meilleure personne au monde. Que devait-il s’imaginer sous ce terme ? Apparemment sa perplexité se lisait sur son visage car l’inspectrice rajouta quelques mots sous sa question.
« Un ancien petit-ami possessif ou une collègue jalouse par exemple. »
Soulagé, Henri secoua la tête. Non, ni l’un ni l’autre n’était arrivé. Sa sœur n’était pas quelqu’un qui éveillait la jalousie autour d’elle. Quoique maintenant qu’il y pensait, elle avait plein de qualités que les autres pourraient vouloir. Sa beauté, son humour, son travail honnête comme coiffeuse, sa bonne relation avec son petit frère, son sens des responsabilités, sa modestie et sa bonne humeur. Peut-être qu’il y avait plus de personnes jalouses de Julia que ce qu’il ne pensait.
– Je ne pourrais citer personne, commença-t-il lentement. A la limite, notre voisine, Madame Peppers, mais elle n’est pas méchante et ne ferait jamais quelque chose qui pourrait lui nuire. Elle ne nous aime juste pas parce qu’on est deux jeunes personnes indépendantes qui n’ont pas besoin d’aide. Elle n’aime pas les jeunes personnes de manière générale et nous encore moins parce qu’on ne correspond pas à ses clichés. Elle nous mettrait à dos la police sous prétexte qu’on fasse du bruit après vingt-deux heures mais elle ne tuerait jamais Julia. Quelle idée ! Alors elle n’aurait plus personne sur qui s’énervait.
Il s’interrompit. Julia était morte et c’était indéniablement. Sénèque lui lécha la main. Il se racla la gorge puis continua à parler pour refouler ses larmes.
– Julia a toujours été populaire auprès de ses camarades de classe. Par contre je ne connais pas ses collègues au salon de coiffure. Julia m’a parlé d’eux mais aucun n’avait l’air particulièrement jaloux ou ambitieux… Ou plutôt ils me paraissent bien plus sympas que mes amis ne l’ont jamais été. Je ne sais pas. Elle ne m’a jamais rien raconté de ses rencontres romantiques. Peut-être que cela la gênait de m’en parler ? En tout cas, je sais qu’elle sortait avec quelqu’un, peut-être aussi avec différentes personnes. Comme elle ne m’a rien dit de précis, je suppose que ce n’était rien de sérieux…
Il rougit légèrement. Cela l’arrangeait qu’ils n’aient jamais parlé de ce sujet. Lui aurait été gêné à coup sûr. La policière lui sourit. Apparemment elle comprenait ce qu’il essayait de dire. Peut-être qu’elle aussi avait un petit frère à qui elle ne disait pas tout ?
« Combien de temps travaillez-vous ici ? » changea-t-elle de sujet sans aucune transition.
– A peu près trois mois. J’ai commencé le 20 mai.
« Merci. Je n’ai plus de questions, mais je vous demanderai de rester à notre disposition. Nous vous tiendrons au courant de la suite de l’affaire et de la date quand vous pouvez organiser l’enterrement. »
– C’est moi qui vous remercie.
Henri s’essuya le visage et caressa le petit chien blanc qui l’avait tellement aidé à garder la face. Sa famille lui manquait. Son père, sa mère, sa sœur… Où était passé le temps de son enfance ? Julia…
Chapitre 5 : Augustine by Carminny
Augustine fixa la tâche sombre sur son bureau. C’était une tache de sang qui ne voulait pas partir. Elle se souvenait encore exactement quand elle y était arrivée il y a de cela cinq ans. Elle n’était revenue dans la région que depuis très peu de temps et était en colère contre le monde entier. Elle ne voulait pas être là avec tous les mauvais souvenirs. Une époque révolue à présent. Elle réajusta son foulard. Elle devait plutôt se concentrer sur l’enquête en cours.
Qu’est-ce qu’elle savait jusque-là ? La victime était une jeune coiffeuse sans histoire du nom de Julia Moser. Elle vivait avec son petit frère, n’avait ni ennemis ni amis proches, et entretenait une liaison avec Frank Baustaet en échange du travail de rêve de son frère. Ce dernier point était certainement le plus intéressant pour l’enquête. Après tout le cadavre avait été trouvé par l’épouse de cet homme, à quinze minutes à pied de leur maison. Il apparaissait un peu trop dans cette affaire pour que cela n’ait rien à signifier. Il y avait deux réponses : soit quelqu’un essayait de les accuser, soit l’un des deux était un meurtrier particulièrement stupide. Cela dit, rien n’excluait le fait que c’était les deux à la fois.
L’arme du crime n’avait pas été identifiée mais elle n’avait aucun doute sur le fait que tout le monde possédait un couteau à pain d’environ vingt-cinq centimètres dans sa cuisine. En tout cas, elle avait mesuré le sien et ceux de ses collègues et ils y correspondaient tous. Et, elle avait aussi essayé cela, un couteau sanglant ressortait propre du lave-vaisselle. D’accord, elle n’avait pas utilisé du sang humain, elle s’était contentée de ce que le boucher avait à lui proposer. La quantité avait pourtant dû correspondre et donc l’expérience devait être valable. Ce n’était pas une preuve mais la plaie sur le cadavre ne laissait pas beaucoup d’espace à une interprétation large de l’arme. La victime avait été poignardée donc il fallait quelque chose de pointu. La lame devait en outre être dentelée et la taille de la plaie correspondait. Indéniablement un couteau à pain. La seule chose étonnante était qu’il s’agissait de la seule blessure. L’autopsie n’avait rien donné d’autre. Et à l’endroit où le corps avait été trouvé il n’y avait pas plus de sang que cela. La victime ne devait pas s’attendre à être attaquée. Elle ne s’était pas défendue.
Elle avait trouvé comment le cadavre était arrivé dans le champ de coquelicots. Les traces sur le sol avaient été claires : le meurtrier n’avait pas utilisé de voiture, mais l’avait amené à pied avec un engin à une seule roue. Une brouette. La brouette de la voisine des Baustaet. Le laboratoire avait déjà identifié le sang à l’intérieur comme celui de la victime. Les traces menaient vers la bonne rue. Soit le meurtre y avait été commis, soit le cadavre avait été emmené jusque-là en voiture. Donc cela ne signifiait rien, à part que quelqu’un essayait d’accuser quelqu’un de cette rue, ou que le meurtrier ne pensait vraiment à rien.
Mais pourquoi se donner la peine d’emmener le cadavre jusqu’au champ de coquelicots ? Cela devait avoir une signification pour le meurtrier. Mais laquelle ? Evidemment il y avait aussi la possibilité que c’était juste à la recherche d’une cachette adéquate pour la robe rouge. D’après elle, le hasard était trop grand qu’il s’agissait des fleurs préférées de la victime. Sans parler de la symbolique que beaucoup de personnes connaissaient en plus. Cela pouvait être le hasard mais le hasard ne tuait pas. Qu’est-ce que le frère avait dit ? Calme, beauté et succès. Tout pouvait correspondre à Julia. Mais de tous les suspects ces trois mots faisaient penser à Frank Baustaet. Et la dernière symbolique du coquelicot était la mort. Comme dans meurtre.
Bon, c’était bien beau tout ça mais ce n’était pas ça qui allait lui fournir des preuves. Elle avait besoin de faits et de preuves pas d’une interprétation nébuleuse de symboliques. Et ces preuves, elle n’allait pas les trouver du côté des pavots. Elle allait reprendre d’un point de vue objectif. Elle avait quelques indices et elle devait les trouver.
Quels suspects avait-elle ? Toute la ville et ses alentours. Chacun pouvait avoir commis ce meurtre. Mais qui avait un motif ? Qui aurait pu vouloir tuer Julia Moser ? De manière générale, il y avait deux motifs classiques : l’argent et l’amour. Son frère et son amant.
Henri Moser était le dernier membre vivant de sa famille, héritier des maigres épargnes de sa sœur. Cela pouvait être un motif mais il travaillait, adorait sa sœur et ne semblait pas avoir davantage de projets. Il n’avait pas d’alibi mais il avait semblé réellement attristé et choqué en apprenant la mort de sa sœur. Non, Augustine ne pensait pas qu’il avait le mental de tuer sa propre sœur.
Frank Baustaet, son amant, n’avait en théorie aucun motif pour son meurtre. C’était souvent la bonne réponse mais ici il ne semblait y avoir aucune raison. Julia ne sortait avec personne d’autre, il n’avait aucune concurrence et il n’aurait eu aucun problème de la quitter puisqu’elle ne sortait avec lui que pour permettre à son frère d’accéder au travail de ses rêves après qu’elle n’avait pas pu lui financer ses études. Il était probable qu’elle ne l’aimait même pas. En tout cas, tout cela ne présentait pas de motif. Et surtout pas de raison pour le faire aussi proche de sa maison.
Il n’y avait pas de collègues ou amis jaloux non plus, ses collègues avaient tout vérifié, demandé à tout le monde. Tous aimaient Julia et personne ne lui connaissait des ennemis. C’était à désespérer ! Souvent il y avait trop de suspects, trop de motifs, et là il n’y avait personne. Personne n’aurait eu une raison de tuer Julia Moser et pourtant tout le monde aurait eu l’occasion.
Il y avait quelque chose d’étrange dans toute cette histoire. Comme si ce n’était pas la victime qui était au centre du meurtre mais plutôt le couple Baustaet. Ils avaient trop de lien avec l’enquête. La femme découvrait le cadavre et alertait la police. Elle ne savait rien mais était directement hostile. Ensuite la brouette qui avait servi à transporter le cadavre était trouvé dans le jardin voisin. Une dispute sur un accident de voiture éclatait et ils arrivaient tous les deux au poste de police pour en témoigner. Et, au contraire de ce qu’on pourrait penser, Frank Baustaet ne soutenait pas sa femme qui maintenait son innocence mais déclarait avec ferveur que la veille elle avait bu et n’avait pas été dans son état normal. Il n’avait pas été très discret non plus en essayant de leur faire croire qu’il croyait que sa femme avait tué son amante. Toute cette histoire d’accident était absurde. Monsieur Baustaet, qui allait devoir payer, acceptait sa faute et pourtant ils s’étaient tous rendus à la police comme s’il fallait résoudre une dispute. Comme si le meurtrier voulait attirer l’attention sur quelqu’un de cette rue.
Pourtant il n’y avait pas beaucoup le choix dans cette petite rue d’extrémité de village. Madame Olivia Kramer, dont la brouette avait été utilisé, était indéniablement innocente. Elle s’était précipitée à la recherche de preuves avec un enthousiasme sans égal. De préférence, elle aurait voulu débusquer le meurtrier elle-même. De plus, elle avait eu Julia Moser comme élève en primaire et était beaucoup trop pragmatique pour un tel meurtre. C’était plutôt mademoiselle Inge Ringl qui pouvait avoir l’air instable psychologiquement. Par contre, elle n’avait jamais vu la victime et ne pouvait pas voir la moindre goutte de sang sans paniquer. C’est ce qui avait attiré l’attention d’Augustine sur son bureau d’ailleurs. Non, Inge Ringl était incapable de transporter un corps sanglant durant vingt minutes et de le toucher en plus. Les deux autres couples qui habitaient la rue étaient ennuyeusement normaux, avaient des alibis, ne connaissaient pas la victime et leurs descriptions de la soirée concordaient. Oui, ils étaient vachement suspects à ses yeux et pourtant elle ne pouvait pas les accuser raisonnablement.
La seule chance pour le meurtrier d’accuser quelqu’un était le couple des Baustaet. Mais qui était visé ? Frank ou Maya ? Ou est-ce qu’il se pourrait, si on possédait un esprit bien tordu, que l’un d’entre eux était le meurtrier et tentait de s’accuser pour être écarté ? La grande question, comme dans chaque enquête, était la suivante : qu’est-ce qu’avait-pensé le coupable ? Jusqu’à quel point était-il tordu et à partir d’où elle s’enfonçait dans le ridicule ?
Officiellement les deux avaient un alibi et leurs descriptions de la soirée correspondaient en surface. Ses collègues n’avaient rien pu trouver de faux et pourtant elle avait la certitude qu’il y avait quelque chose qui ne collait pas.
Maya Baustaet disait avoir passé sa soirée avec des amis. C’était vrai et lesdits amis l’avaient confirmé indépendamment les uns des autres. Mais, entre le moment où ils s’étaient séparés et la dispute entre elle et Frank dans la rue, il restait suffisamment de temps pour rentrer, poignarder quelqu’un et effectuer l’aller-retour jusqu’au champ de coquelicots. Son alibi ne suffisait donc pas. Frank Baustaet prétendait être allé au cinéma avec Elvira Wolph. Sa copine confirmait ainsi que le portier du cinéma. Cependant Frank se serait fait remarquer et à l’entrée et à la sortie par une impertinence déplacée. C’était louche. Personne n’aimait se faire remarquer dans un couloir de cinéma. Alors deux fois ? C’était quasiment une construction d’alibi ! Et comme ils avaient été voir Titanic, il avait eu le temps de sortir discrètement, de commettre le meurtre, de retourner chez lui, de cacher le corps et de retourner au cinéma. La question était : est-ce qu’il l’avait fait ?
Elle devait reconstruire le déroulement de la soirée. C’était la manière dont les incohérences allaient se faire remarquer. Les voisins avaient entendu tôt dans la soirée une voiture et une voix de femme qu’ils avaient supposé appartenir à Maya Baustaet. Cependant elle-même disait ne pas y avoir été. Il y avait donc la possibilité qu’il s’agissait de Julia Moser. A ce moment-là Frank Baustaet prenait l’apéritif chez Elvire Wolph, ce qui n’était donc pas fiable. Plus tard, il y avait eu un cri que tout le monde devait avoir entendu mais auquel personne n’avait réagi et évidemment personne n’avait regardé l’heure. Non, ce n’était pas vrai. Olivia Kramer n’avait rien entendu mais s’était couchée à vingt-deux heures. Donc le cri, et le meurtre, devaient avoir eu lieu après. Cela pouvait être pendant la séance de cinéma de Frank et Elvire, ou après que Maya ait quitté ses amis. Plus tard encore, ils devaient être rentrés, d’abord Frank puis son épouse. L’un ou l’autre avait touché la voiture d’Inge Ringl et ils s’étaient disputés dans la rue. Ensuite le calme était revenu dans la rue.
Les deux auraient pu tuer Julia Moser pendant qu’ils prétendaient être ailleurs. Restait à savoir lequel cela pouvait avoir été. Ou pourraient-ils être à deux ? Evidemment, en tant qu’épouse jalouse et trompée, Maya avait un motif plus important. Mais pourquoi Elvire Wolph aurait-elle couvert Frank Baustaet dans ce cas ?
Son regard se posa sur la feuille sur son bureau. Le résumé des testaments de ces trois-là. Leurs dernières volontés en disaient long. L’homme partageait sa fortune en deux, une moitié pour chacune des deux femmes – et rien pour Julia ? – tandis que les deux femmes lui laissaient leur totalité. Il était certain que Maya Baustaet ne savait rien de l’existence de l’amante. Celle-ci s’en fichait probablement de l’argent. Elle en avait visiblement suffisamment. Aurait-elle pu vouloir éliminer la concurrence ? Mais alors pourquoi Julia Moser qui ne retenait pas Frank plutôt que l’épouse qui était bien plus dans son chemin ?
Augustine cligna des yeux. Elle avait une idée. Et si c’était Elvire Wolph qui essayait d’accuser Maya Baustaet pour la faire dégager par la police ? C’était possible. C’était plus que possible et cela l’arrangerait certainement.
Malheureusement elle avait un alibi autrement plus solide que son amant puisque le portier du cinéma avait pu décrire chacun de ses trois passages aux toilettes en détail. En fait, c’était encore plus louche. Il n’empêche qu’elle ne pouvait pas avoir quitté le cinéma. Avait-elle convaincu Frank Baustaet de tuer sa femme ? Ou avait-il ses propres raisons ?
Il était maintenant évident que l’accident de la veille ne servait pas uniquement à annoncer son retour à la maison à toute la rue mais aussi à désigner sa femme comme coupable. Son témoignage pouvait donc être utilisé comme une preuve. Il avait commis le meurtre et Elvire Wolph l’avait aidé.
– Augustine ! La porte s’ouvrit dans un grand fracas sur Julius. Nous avons les vidéos de surveillance du cinéma ! La voiture de Frank Baustaet est partie puis revenue !
L’inspectrice acquiesça avec un sourire satisfait. C’était bien ce qu’elle avait déduit et c’était une preuve formidable. Evidemment, il se pouvait aussi que quelqu’un d’autre l’ait empruntée mais c’était tiré par les cheveux.
Pour finir proprement, il lui faudrait néanmoins parler à cette Elvire Wolph. Grâce à un de ces prodigieux hasards, ce fut cette même personne qui entra dans son bureau d’un pas décidé.
– Madame l’inspectrice, je dois vous parler.
Augustine haussa un sourcil interrogateur. Cela l’étonnait un peu puisque lors de son interrogatoire, elle s’était enrobée dans un silence glacial et avait refusé de lire ses questions. Elvire Wolph la fixa droit dans les yeux et lui déclara :
– Frank Baustaet voulait mon argent. Il a voulu accuser sa femme de meurtre pour pouvoir divorcer malgré son refus. Ensuite il pouvait m’épouser moi. J’imagine que je n’aurais pas fait long feu non plus. Vous devez me protéger contre ce fou furieux !
Augustine lui adressa un sourire impassible. Elle connaissait cette ruse vieille comme le monde. Ce changement d’attitude était trop visible pour passer. Le mensonge trop clairement exprimé dans le regard. L’argument trop basique et trop louche. Si c’était vrai, elle serait trop amoureuse pour s’en rendre compte.
« Merci pour votre confiance. Vous êtes donc en état d’arrestation. »
End Notes:
Alors ? Vous l'aviez deviné ?
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