Personnages en quête de sens by Pruls
Summary:



Camille et Alex en ont marre, de ce narrateur qui leur impose un cadre.

C'est dans la révolte que ces deux-là trouveront peut-être un sens à leur existence.


Koh-Lanta, l'île des HPFiens (5ème épreuve d'immunité)


Crédits : MabelAmber (Pixabay) / Image libre de droits / Montage réalisé par mes soins
Categories: Romance, Humour, Aventure Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle, Poésie (prose)
Challenges:
Series: Koh-Lanta, l'île des HPFiens, Poésies
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 2169 Read: 2310 Published: 12/07/2021 Updated: 13/07/2021
Story Notes:
Bonjour à tous et à toutes ! Ceci est un texte écrit pour la cinquième épreuve d'immunité (textes originaux) du concours de Koh-Lant'HPF, organisé par Catie et Omicronn sur le forum.

Un grand merci à ma maman qui m'a permis d'emmener si loin cette idée.

Vous êtes d'ores et déjà prévenus : ce sera très méta. Bonne lecture !

1. Chapitre unique by Pruls

Chapitre unique by Pruls
Author's Notes:

Épreuve 5 - Immunité - À bout de souffle

Consignes générales :
- Accepter tout sourire le cadeau empoisonné de Pimy (merci pour le challenge ♥)
- Écrire pile 2100 mots (selon ce compteur)
- N'utiliser aucune phrase interrogative ou exclamative.

Contraintes personnelles :
- Sprint (2) : Écrire et poster en trois jours (avant le lundi 12 juillet)
- Sentimentalisme (2) : Insérer au moins 3 sentiments différents (cf. notes de fin)

Par ailleurs, je dispose d'une liste avec :
- 1 mot obligatoire : soins
- 8 mots interdits : (commandement, organisation, feu, endurance, improvisation), travail en équipe, lance, camion

Les conversations, les éclats de rire et le tintement des verres emplissaient la salle. Les serveurs allaient et venaient entre les tables, servaient le vin avec application, déposaient les assiettes avec délicatesse. Alex tentait d’offrir son plus beau sourire à Camille. C’était sans compter sur la feuille de salade qui s’était enroulée autour de son incisive…

« Non vraiment, Monsieur le Narrateur, cette dernière description n’était pas nécessaire. Si nous sommes venus au restaurant, c'est que nous espérions un peu de romantisme… Et vous interrompez une discussion très sérieuse.
— Entre ça et les bruits de déglutition tout à l’heure, renchérit Camille, on a dit au revoir au glamour. »

Alex passa la langue contre ses dents.

« Pardon, je reprends : le problème, Camille, c’est que tu manques souvent d’enthousiasme. C’est difficile, pour moi.
— Je vois mal comment je pourrais être enthousiaste quand on me prive de la possibilité même de m’enthousiasmer.
— Mais personne ne t’empêche de le faire…
— J’espère que tu plaisantes, c'est impossible que tu n'aies pas conscience de ça. »

Alex fronça les sourcils.

« Je dois t’avouer que je ne vois pas où tu veux en venir. J’ai la désagréable impression que tu me reproches de vouloir te contrôler, de brider tes émotions même…
— Pas toi, murmura Camille en secouant la tête, l’autre
— Mais…
— Tu as bien dû remarquer que, depuis quelques temps, on ne pouvait plus s’exclamer, plus s’émerveiller, plus se questionner… Merde, Alex, tu n’aurais jamais pu finir ta phrase si je ne l'avais pas interrompue. On n’a pas le droit de poser des questions, pas le droit de questionner son autorité. Jamais. On tourne en rond, Alex, et c’est lui qui nous limite. »

Eh, oh, je suis là. Pas besoin de parler de moi à la troisième personne. C’est tellement facile de tout mettre sur le dos du narrateur quand on a des problèmes de couple.

« Monsieur le Narrateur, est… est… C’est… Camille, tu as raison, c’est affreux : je suis incapable de formuler la moindre question. Pour…
— Co… Monsieur le Narrateur, nous nous demandons… reprit Camille avec agacement. Ça suffit, je ne suis pas agacé, ajouta-t-il avec colère. Arrête avec tes incises, cracha-t-il. Si tu me laissais m’exclamer tu verrais à quoi je ressemble quand je suis énervé. »

Ce que Camille et Alex ne savaient pas encore, c’est qu’il y avait d’autres manières de s’exprimer.

« Eh, oh, on est là. Pas besoin de parler de nous à la troisième personne. »

Je crois que je sais mieux que vous comment faire mon job.

« Fiche le camp, personne ne t’a demandé quoi que ce soit.
— Ou rends-nous la ponctuation dont nous avons besoin. »

Désolé, coupures budgétaires…

« À mort la narration. À mort l’arbitraire. »

Eh, oh. Ça se calme. Moi aussi je suis une petite chose sensible.

« Eh, vous autres, lâcha Alex aux autres tables du restaurant, fuyez tant qu’il est encore temps. Il y a une force supérieure, ici, qui tente de tous vous contrôler.
— Vivent les personnages. Vivent les vraies gens. »

Vous seriez incapables de vous débrouiller seuls. Vous n’êtes rien sans moi. Je suis omniscient, omnipotent. Vous êtes à mon image, je peux faire de vous ce que je…

« Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tu ne nous voleras jamais notre voix.
— Essaie de contrôler nos dialogues, si tu l’oses… »

Camille et Alex se turent quelques secondes, puis affichèrent un sourire victorieux.

« Échec et mat. »

Très bien. Puisque vous pensez pouvoir vous passer de moi, je m’en vais.




« C’est ça, du balai. On ne te regrettera pas.
— Bye, bye, Monsieur Casse-pied. Au plaisir de ne pas vous revoir. Jamais.
— Jamais.
— Quelle joie
— Bon…
— Bon débarras.
— Je ne sais plus ce que nous disions.
— Que l’un d’entre nous manquait d’enthousiasme.
— C’est vrai. C’était toi, je crois.
— Ah bon…
— Oui.
— Ça… Ça fait longtemps qu’il est parti.
— Et c’est pour le mieux, n’en parlons plus.
— D’accord…
— Tu as l’air perdu.
— Oui…
— Je ne comprends pas ce qui te tracasse. Parle.
— Les incises…
— Je ne suis pas sûr de comprendre.
— Tout est confus, je crois que j’ai perdu le fil. Depuis qu'il est parti, il n’y a plus de repère pour savoir qui parle…
— Mais enfin, c’est toi qui parles.
— D’accord mais… Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais plus qui tu es.
— Tu es toi, et moi je suis moi. Ça ne me semble pas si compliqué.
— Ce que je veux dire c’est que… Je ne sais plus si je suis Alex ou Camille.
— Mon Dieu, moi non plus.
— Tu as l’air de saisir, maintenant.
— Tu ne sais plus qui tu es, je sais plus non plus qui je suis. Nous dialoguons sans repère aucun. Il faut qu’il revienne… À l’aide, narrateur.
— Je ne pense pas qu’il t’entende.
— À l’aide, narrateur.
— Parle plus fort.
— J’essaie, j’essaie. À l’aide.
— Il a dû partir loin. Tu parles trop bas.
— J’aimerais t’y voir, toi.
— À l’aide. À l’aide.
— C’est presque comique.
— Nous pourrions demander de l’aide aux autres clients ou aux serveurs. Ils sauront nous différencier, eux.
— Mon Dieu, ils ont tous disparu. Ils sont… partis avec tous les meubles. C’est à se demander s’ils ont… existé… Après tout, nous n’avons jamais entendu le son de leur voix. Je ne me souviens même pas avoir parlé avec le serveur.
— Mais si, enfin, nous avons demandé des salades en entrée…
— Jamais directement. C’était lui qui rapportait nos paroles.
— Alors ils sont tous partis avec lui… Nous sommes condamnés à ne plus rien savoir de ce que nous sommes.
— En réalité… je ne suis pas sûr que ce soit important. Je suis là, tu es là, nous nous aimons.
— Nous nous aimons…
— J’ai l’impression que tu doutes.
— Je ne sais pas si je doute. Je ne sais pas sur quel ton je voulais m’exprimer. Le narrateur l’aurait su, lui. Je ne sais pas si je t’aime. Je ne suis plus sûr de t’aimer. Je ne suis pas sûr d’avoir déjà aimé. Je ne suis pas sûr de ressentir quelque chose. J’ai peur. Je me demande si tout n’a pas toujours été artificiel comme ce restaurant en carton-pâte et ces autres personnages qui ne faisaient jamais office que de décor, de figuration. La vérité, c’est que je ne ressens plus rien. Je n’ai pas l’impression d’en être capable. Mon Dieu, nous étions des personnages de roman, des marionnettes de l’auteur et de son narrateur. Rien de plus.
— Je ne suis pas d’accord. Je ne veux pas être d’accord. J’aime, je t’aime, je ressens.
— Dis-moi ce que tu ressens, alors, précisément.
— De l’amour…
— Si c'est tout, c’est triste.
— Non, je… Écoute, je t’aime. Je le sais. Cette histoire — notre histoire — était une romance. Nous devons nous aimer.
— Nous devions. Parce que c’est ce qu’on nous a toujours appris à faire. Aimer, être aimés. Être aux petits soins l'un pour l'autre. Vivre à travers cet amour que soi-disant nous partagions en passant par tous ces semblants d’émotions… Au bout du compte, je n’ai pas l’impression d’avoir déjà vécu. Pas par moi-même, du moins. Pas pour moi-même, non plus.
— Tu me quittes.
— Je veux être libre.
— Mais nous le sommes. Plus de narrateur pour nous imposer des traits de caractères dont nous ne voulons pas, pour nous mettre face au mur et nous inventer des conflits sans queue ni tête pour rythmer le récit, plus de salade entre les dents, juste nous…
— Mais toujours l’impression d’être si limités dans nos émotions. Toujours l’impossibilité de s’exclamer, s’émerveiller, se questionner. On n’avance pas, on tourne en rond.
— Je ne comprends pas ce que tu veux, au fond.
— Je veux du sens. Si j’avais pu hurler, j’aurais hurlé : je veux du sens. Je veux une direction dans ma vie, je veux une signification à ma vie, je veux lui donner de la saveur. Autrement elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
— Tu m'as l’air désemparé.
— C'est peut-être ça le pire : j’en ai seulement l’air. On m'a appris à le jouer, jamais à le ressentir. Parce que je te jure que je ne ressens rien à l’intérieur. Rien du tout. Je donnerais tout pour que le désarroi ne m’apparaisse pas comme tout le reste : factice.
— Depuis qu’il est parti, rien n’est plus pareil.
— C’est vrai.
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé…*
— C’est beau ce que tu dis. Ça me donne envie de pleurer.
— MAIS OUI, C’EST ÇA.
— Aïe. Tu m’as fait mal aux tympans. Préviens quand tu… Attends, tu as crié.
— J’ai trouvé la force en moi. C’était cette phrase, je crois.
— Je ne vois pas ce qu’elle a de particulier, pourtant.
— C’est un vers de Lamartine…
— Je ne vois pas ce que Lamartine a de particulier.
— Pas Lamartine, la poésie.
— Tu m'as perdu, là…
— Puisque nous sommes bloqués dans ce cadre où nous sommes dans l’incapacité de ressentir, d’exprimer des émotions, de nous poser des questions… alors nous devons trouver un lieu pour l’émotion et pour obtenir les réponses que nous cherchons.
— Je ne comprends pas.
— Ce lieu, c’est la poésie.
— Mais nous sommes des personnages de roman.
— Nous ne le sommes plus depuis longtemps. Nous sommes autres déjà. Nous sommes peut-être devenus théâtre entre temps.
— Je refuse d’être un personnage de théâtre.
— Alors ne le sois pas.
— Je refuse d’être un personnage tout court.
— Alors ne le sois pas.
— Je veux être acteur… ou actrice.
— Alors sois poète.
— Je ne sais pas comment on le devient.
— Je crois… Je crois qu'on l'est déjà, au fond de nous. Il faut juste oser.
— Je ne sais pas par où commencer. Je ne connais pas les règles de la poésie.
— On se fiche des règles. La poésie n’a que faire des codes que l’on s’impose. Elle s’affranchit de tout. Elle transcende le monde. Regarde autour de toi : imprègne-toi des paysages, des objets, des personnes, des sensations qui t’entourent.
— Il n’y a plus rien ni personne autour de nous.
— Ferme les yeux. Dis-moi ce que tu vois.
— J’entends ta voix.
— Parle-moi d’elle, alors.
— Elle… C’est bizarre, comme exercice. Ta voix… Elle est belle. Elle m’est belle. Je… Si je devais la comparer à une autre expérience semblable, je dirais qu’elle résonne à mes oreilles aussi délicieusement que le vin coulait à flots un peu plus tôt.
— À tes mots je sens mon cœur se réchauffer, je sais mes joues être en train de s’empourprer…
— À l’entente des tiens je sens la joie creuser ses sillons sur mon visage, je me sens partir très loin, loin, loin, comme un bohémien ; je voyage. Mon cœur bat maintenant si vite, si fort, mon Dieu je crois que c’est l’amour qui me dévore. Je ne parviens plus à m’arrêter, le lyrisme me fait perdre totalement pied. Je n’arrive plus à me taire. Après avoir tenté la poésie, il semble impossible de s’en défaire. Après m’être essayé à la prose, je meurs d’envie de passer aux vers.


Rien ne t'en empêche, tu es libre aujourd’hui.

Il n'y aura aucune forme, aucune règle

Dont nous ne finirons pas un jour affranchis.

Ainsi tu veux t’essayer aux vers : essaye.

C'est toujours, je crois, la volonté qui paye.



Du roman nous sommes arrivés au théâtre ;

De la poésie nous nous sommes approprié l’âtre ;

Qu'importe des uns ou des autres la maîtrise,

Il suffit simplement, parfois, de lâcher prise.



Et si des rimes, un jour, l’on se lasse,

Et si l’amour de la métrique, un jour, nous passe,

Nous passerons à autre chose.

Pourvu que l’on trouve du sens dans ce que l’on fait,

Pourvu que l’on s’appartienne,

Pourvu que l’on vive vraiment,

Pourvu que l’on vive intensément.
End Notes:
*Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé est un vers célèbre issu du poème "L'Isolement", d'Alphonse de Lamartine (in : Méditations poétiques, 1820).

Sentiments successifs : colère, joie, peur, désarroi.


Alors ????? Bon non franchement c'était l'épreuve la plus dure pour moi depuis le début (le délai, la longueur, et l'impossibilité d'utiliser des interrogatives et des exclamatives… non mais sérieux on n'a pas idée d'imposer des trucs comme ça ?!). En même temps ce sont de mes difficultés à surmonter cette interdiction qu'est née l'idée même de ce que texte, et je me sens d'autant plus heureuse de vous le présenter que je sais que le chemin n'a pas été de tout repos. C'est bizarre parce que c'est un peu, finalement, ma déclaration d'amour à la poésie. Je suis soulagée de pouvoir vous la présenter dans les temps, je ne pensais pas y arriver mais LA VOLONTÉ PAYE !

Une référence à un autre poème que j'affectionne tout particulièrement (et qui fait particulièrement sens ici) s'est glissée dans ce texte : saurez-vous la retrouver ?

J'espère que cette aventure pas tout à fait ordinaire vous aura plu ! Merci pour votre lecture.
Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=2187