Aline by via_ferata
Summary:

Aline, elle suicide son monde, mais lui, elle le laisse là.


Categories: Projets/Activités HPF Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: #8 - Folie
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 1812 Read: 5522 Published: 09/07/2012 Updated: 09/07/2012
Story Notes:
Participation à l'atelier d'écriture #8 - Folie

Soleil

Fou celui qui veut éclairer le soleil, fou celui qui veut amuser son âne.
Proverbe indien



Crédits photo : Autumn Sun par beyzayildirim77

Contraintes :
Mots imposés (3/5) : Tentation, drapeau, laine, aube, martyrisé

1. Chapitre 1 by via_ferata

Chapitre 1 by via_ferata
C’est cool ici. Pas que je croie à ces conneries de retour à la nature et tout ça. Lamartine, c’est bon pour l’école et les culs carrés des chaises pourries. J’ai aucune envie de dire qu’un coup de vent balayant les feuilles a fait le vide dans ma tête, ou quoi ou qu’est-ce. N’empêche, c’est cool ici.

Bon, j’avais pas mal de merde à l’esprit, à force de penser à tout ça. Aline et ses départs, Aline et ses parents, Aline et ses suicides. Tout ça, quoi.
Aline, elle disait suicide, mais c’était à moitié ça. Elle disait je suicide mon monde, mais elle n’a jamais réussi à me suicider. D’une manière ou d’une autre, elle me retenait. Je crois qu’elle m’aimait bien. En tous cas, on peut dire que je l’aimais bien, c’était pas exactement ça, mais ça y ressemblait assez pour qu’on fasse l’erreur. Entre nous, il n’y avait rien d’électrique, rien de paisible. Personnellement, j’avais juste besoin de savoir qu’elle était là, pour que mes tripes soient bien, vraiment, c’était un truc viscéral. Et attention, être là, vraiment, c’était pas un truc possessif, hein. C’était juste, ouais, savoir qu’elle était quelque part, là, dans son là à elle. Avec ça, je savais que moi aussi j’existais.
Peut-être qu’elle avait pareil. Parce qu’elle ne m’a jamais suicidé, et il faut bien une raison.

Aline, c’était l’aînée. Du coup, comme sa mère, elle avait grandi dans la chambre de l’aînée. Et ça, ça veut dire quelque chose, parce que, il faut l’expliquer, la maison avait été construite par mon père, et il avait prévu de mettre sa femme en cloque une fois. Pas plus, les finances ne le permettaient pas. Du coup, quand il a eu son cinquième, il s’est barré. Pour la parenthèse, il est parti à deux villages de là, et il a rencontré ma mère. Il l’a traînée en ville, du coup, personne ne savait qu’ils n’étaient pas mariés, ou alors ils s’en foutaient.
En tous cas, sa vraie femme, c’était une vache. Croupe large, enfants solides, mais aussi capable qu’un déchet dans le caniveau. Et on a beau admettre que, pour le coup, le Père n’a pas été classe, n’empêche qu’une autre se serait redressée, mais pas elle. On va dire qu’elle s’est mise à brouter dans son coin.
L’Aînée, avec tout ça, elle avait eu le temps d’avoir treize ans. Treize ans, c’est beaucoup, et c’est assez pour tout prendre en main. Elle a pris le premier gosse et l’a envoyé à l’école. Elle a mouché le deuxième avant de le confier à l’instituteur, et pareil tous les ans.
A force, il faut croire qu’ils ont fini par bien se connaître, le maître et elle, parce qu’il l’a demandée en mariage. Elle n’avait pas grand-chose d’autre à faire que dire oui.

Donc voilà, ils ont dû faire ce qu’il fallait, parce qu’Aline est arrivée. Aline, c’est l’aînée de l’Aînée.
Tout ça pour dire qu’elle a eu la chambre. En soi, ça aurait dû être bien d’avoir la seule chambre, mais Aline, elle aurait préféré grandir dans la buanderie ou le placard sous l’escalier, parce que, bon, faut bien imaginer, vivre dans la chambre de l’Aînée, c’est pas forcément sans histoire. L’Aînée a continué à faire des gosses, l’instituteur à continué à les faire grandir, comme les frères un peu avant, mais ça avait un côté malsain, Aline, elle aimait pas.
Puis on a grandi, et Aline, elle a eu treize ans, comme l’Aînée. Moi, j’en avais quatorze, et le Père est mort. J’étais pas mal dévasté, et elle, elle ne l’avait jamais vu. Il n’était que le connard qui avait laissé sa grand-mère avec des enfants en bas âge, ou un truc du genre. On s’est rencontré pour une histoire d’héritage, et on ne savait rien l’un de l’autre. Mais ça a été vite pour tout apprendre. Enfin, pas tout apprendre l’un sur l’autre, juste apprendre ce qu’il y avait eu avant nous. Du coup, on était sur la défensive.

Mais bon, Aline, elle avait ce côté réservé, et ses sourires de solitude, et juste un truc qui faisait qu’elle ne parlait qu’intéressant. Y a pas à dire, faut même pas raconter l’histoire de l’Aînée pour dire qu’Aline était fascinante. Et puis, bon, elle était révoltée, et ça ajoute toujours quelque chose.
D’une certaine manière, j’étais amoureux, mais c’est l’âge où ça doit se passer comme ça, ça ne comptait pas vraiment.
On a commencé à se voir, et c’était assez bizarre. Au début, c’était juste pour combler les vides et des trucs comme ça, juste les notes en bas de page des silences de notre vie, mais comme on avait des silences assez sensibles, c’est vite devenu autre chose. Façon déversoir. Je suppose qu’on avait un genre de confiance l’un dans l’autre, mais c’était pas dit texto. Y avait pas de conseils, pas de machins et pas de trucs. Juste quelques mots jetés sur la table du café. La serveuse les étalait avec son éponge quand on partait, et c’était pâteux comme tout.

Avec tout ça, on était plus ou moins proche quand l’instituteur est mort. C’était tout con, sa mort. Route glissante, chêne millénaire, et voilà qu’il était parti. Aline, elle y a vu une putain de similitude, les destins qui se rencontrent, et tout ça. L’Aînée s’est écroulée, et c’est même pas qu’elle manquait de courage, mais elle n’avait juste plus la force.

Au début, elle a cru qu’elle n’avait pas le choix, Aline, et elle est restée. Elle a tout donné. Elle m’a juste dit qu’épouser le prof, c’était pas possible. Après, elle s’est mise à crier que, merde, pourquoi elle devait faire ça. Puis elle m’a dit je dois y aller, Ferdi a besoin d’aide pour ses devoirs. C’est vraiment que quand elle a eu vingt ans qu’elle m’a dit « Je lâche tout, je suicide tout. »

Elle n’a pas vraiment expliqué, au début, mais bon, c’était nécessaire, pour elle. Les petits étaient grands, disait-elle.
Donc elle est partie. Au début, je suppose qu’elle a fait genre aube nouvelle et tout ça, façon esthétique de l’oubli, c’était assez son truc, un peu dramatique, et tout. Mais elle m’a quand même envoyé une carte pour l’anniversaire de mort du Père. C’était un peu une tradition, pour nous. Je suppose que c’était sa façon de reconnaître qu’il n’était pas que le rôle qu’il avait omis de jouer dans sa vie à elle. Ou bien c’était juste une habitude. Ou n’importe quoi. Avec Aline, tout peut être n’importe quoi.

Au début, elle a juste été dans le sud, mais il y a eu quelque chose qui l’a rattrapé, une rumeur qui lui collait aux fesses, elle disait. Elle est revenue, « c’est les vacances, je fais un saut », elle m’a tout raconté et elle est partie. En Angleterre. Là, j’étais assez sceptique, parce que, bon, l’anglais des séries, c’est bien beau, mais ça doit pas trop aider. Mais elle s’en est bien sortie, elle a commencé à travailler, elle a eu des amis, des amants, et tous les trucs que les gens ont. Enfin, ça, je le suppose, parce qu’à moins de se faire violer par un prof, elle ne me parlerait jamais de sa vie sexuelle.
Elle était là, dans son usine de traite de la laine en Irlande, mais un jour, elle s’est disputée, et elle était pas mal en tort, parce que, bon, son caractère borné n’est pas forcément le plus facile à vivre. Moi, j’adorais, mais c’était une fois par mois, clandestinement, c’est pas une mesure.
Elle était énervée, et énervée d’être énervée, et coupable d’être énervée, et énervée d’être coupable, et comme ça faisait beaucoup, elle devenait sèche avec les gens et laissait sa tête chercher mieux. Elle a donc pris des vacances pour me dire qu’elle allait en Australie, ce qui lui semblait logique vu qu’elle parlait anglais.

Donc elle est encore partie, mais pour la mort du Père, en plus d’une carte, elle a joint un collier de cuir façon surfeur. C’était une vieille blague entre nous, parce que, bon, j’ai un teint de crevette cuite et une carrure de mante religieuse. Elle disait qu’avec le collier et une chemise ouverte, j’aurais toutes les filles.
Le plus important, dans tout ça, c’est qu’elle ne m’avait pas juste envoyé une carte, et qu’au dos de l’enveloppe, il y avait son adresse, et que ça faisait tentation. C’était la première fois depuis je ne savais pas combien de temps que j’avais l’occasion de prendre l’initiative entre nous. J’en avais pas mortellement envie, mais c’était là, du coup il y avait cette impression de devoir, avec le mot inéluctable en taille douze dans les minuscules du dictionnaire. Donc je lui ai écrit. Il y avait mes questions, dedans, et mes espoirs. Ce qu’on met dans une lettre qu’on croit ne jamais pouvoir écrire, comme celles qui commencent par « je sais que tu ne liras jamais ces mots » et qui finissent par des crises de larmes.
Elle m’a répondu, et c’était juste une carte, avec le soleil couchant et des kangourous, et ça disait « On n’éclaire pas le soleil, on ne suicide pas sa mort. »
Et ça faisait mal.

N’empêche, j’ai mis pas mal de temps à la suicider, Aline.
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