- Tu voudras bien prévenir les autres, Jess ? Je ne pense pas que j’en aurai la force.
Evidemment, j’accepte. Mais est-ce que moi j’en aurai la force. Je n’en sais rien.
Cela fait des heures que nous courrons d’hôpital en hôpital. L’horreur est tout autour de nous mais nous ne la voyons pratiquement plus. Il y a du sang et des blessés partout, des cris de douleurs et des appels au secours, mais je ne peux m’arrêter. La peur et l’inquiétude me bouffent et me forcent à courir plus vite. Est-ce que tu es là ? Est-ce qu’ils t’ont secourue ? J’ai froid. Je suis frigorifiée et l’angoisse ne me quitte pas. J’essaye de rester forte et de ne pas penser au pire mais ça m’est presque impossible. Je vois tous ces blessés, je les entends décrire l’horreur de ce qu’ils ont vécu et je ne peux m’empêcher de paniquer encore plus. Où es-tu ?
J’arrête une infirmière à l’air hagard, elle n’on plus ne semble pas y croire. Mais je n’ai pas le temps pour ses doutes. Je te cherche et chaque seconde compte. Elle ne sait pas où tu es et une nouvelle vague de affolement me submerge. Mais où es-tu bon Dieu ?! Pitié, faites que tu ailles bien, que tout cela ne soit qu’un malentendu.
A l’accueil, ils sont assiégés et la pression à laquelle ils sont soumis les rend infects. Oui, on sait, c’est une situation de crise. On sait que vous faites de votre mieux. Mais nous on a des questions. Des questions si importantes qu’elles nous en déchirent le coeur et les poumons. Pourquoi vous êtes si cruels, pourquoi n’avez-vous pas de réponse ? Où sont-ils ? Que leur est-il arrivé ? Nous sommes des dizaines agglutinés là, nos coeurs battant à tout rompre, noyés sous l’angoisse de vous avoir perdus. Mais pour le moment vous êtes seulement disparus et c’est presque un soulagement.
Mon téléphone sonne et c’est ta mère. Je décroche immédiatement, la terreur et le soulagement se disputant la place dans mon esprit.
C’est peut-être le douzième message que je t’envoie. Pourtant tu ne réponds toujours pas. Mon sang se glace alors que le présentateur télé continue à décrire ce qui se passe dans ce quartier où tu es censée te trouver. Des fous, des malades, des terroristes, ont sorti leurs armes et ont dégainé, mitraillant tout sur leur passage. Ça nous a semblé irréel au début. Des tirs dans Paris ? C’est quoi ce délire ? La mafia marseillaise serait-elle remontée dans le nord ? Et puis il y a eu les explosions.
Très vite ça a arrêté de nous ahurir et ça a commencé à nous effrayer. Ce quartier dont ils parlent, ces rues et ces terrasses, ce sont celles que tu aimes. Ce sont celles où tu te rendais. Alors je t’ai écrit pour te prévenir. Surtout, reste où tu es, il ne fait pas bon être dans les rues. Tiens-moi au courant surtout, fais moi-signe pour m’assurer que tu vas bien. Mais rien. Alors je t’ai appelée et ça a sonné et sonné, encore et encore, sans que jamais tu ne décroches. Et ça c’est pas ton genre. C’est vrai, t’es occupée, tu manges avec une de tes copines mais d’habitude tu réponds. Pas immédiatement, c’est sûr, mais si on s’acharne, en général tu décroches et tu nous engueules parce qu’il faudrait qu’un jour on apprenne à se passer de toi. Mais là tu ne réponds pas et ce n’est pas normal. Un vague d’inquiétude me traverse. Et si… Je t’appelle une deuxième, une troisième, un onzième fois. Mais rien. Et tu ne m’écris pas non plus. Tu reste silencieuse et moi je panique.
Je sens des frissons d’angoisse me traverser. Mon corps pèse une tonne et mon coeur bat la chamade. Réponds, je t’en supplie, réponds. Autour de moi, les autres aussi s’agitent. L’ambiance de la fête est morte sur le coup quand on a réalisé que tu étais dans ce coin là. Le silence est lourd et les chuchotements nous semblent assourdissants. On ne se regarde pas, on évite de se parler de peur de vraiment céder à la panique. Et puis finalement mon téléphone sonne et tout le monde sursaute. Mais ce n’est pas toi. C’est ta mère et elle part à ta recherche. Et nous, on l’accompagne, le coeur rempli d’une angoisse indescriptible et les jambes nourries de l’énergie du désespoir.
On est presque tous là et franchement, il ne manque que toi. Il faut dire qu’avec ton rire trop bruyant, tu sais animer nos soirées et leur donner de la vie. Franchement qu’est-ce que tu fous ? On t’attend, nous. Je prends mon portable et t’écris. Tu seras là en deuxième partie de soirée, me dis-tu, avant tu dois aller retrouver une amie pour dîner. J’essaye de te convaincre de ne pas y aller et de nous rejoindre tout de suite, j’ai tellement de choses à te raconter, il y a pas mal de potins, tu sais. Tu es curieuse et veux en savoir plus mais je ne te dis rien, ces infos représentent argument le plus important dans cette négociation. Tu es plus têtue que moi cependant et me réponds finalement que tu nous rejoindras après.
« T’inquiète, je me dépêche. Je mange en vitesse et je vous retrouve. On a une table réservée au Petit Cambodge. »