May 5th,2276-10h20 am
« Sors-nous de ce merdier, vite, dit Chiyoko à l'intercom.
- Je fais ce que je peux. »
Le vaisseau était assailli par des missiles venus impacter le bouclier de protection, le faisant tanguer d'un bord à l'autre.
« Mets la gomme ! s’exclama Tyron. Je viens de calculer des coordonnées pour nous sortir de là. Magne. »
Natalia lança la séquence automatique d'allumage des turbines EN, et le vaisseau accéléra à une vitesse vertigineuse, se mettant enfin hors de portée des missiles inconnus.
« Chiyoko à la passerelle, ordonna Natalia. Merci de me faire un rapport détaillé des avaries au plus vite. »
L’intéressée fit le tour de toute la partie mécanique et électronique, dont elle avait la charge, et édita un rapport complet sur l'état du navire.
« Rien à signaler, révéla-t-elle en arrivant sur la passerelle après avoir parcouru les coursives au pas de course. Tous les systèmes sont opérationnels, ce vieux tas de ferraille a bien tenu le coup.
- Bien, et au niveau énergie ?
- À 40 %, en phase de rechargement, l'énergie noire (EN) est abondante dans ce secteur, dans quatre heures environ, on aura le plein. »
Natalia s'autorisa à souffler un peu pour faire retomber son niveau d’adrénaline après avoir été rassurée sur l'état de son vaisseau.
*
Ce vaisseau spatial, fabriqué par la compagnie AIRBUS TECH COMP de Toulouse, est de classe A+. C'est un vaisseau d'exploration de 930 tonnes, doté d'un générateur à trous de ver, fonctionnant à l’énergie noire, pour les voyages interstellaires très lointains (une vitesse aux 2/3 de la vitesse lumière est requise avant chaque passage). Des turbines propulsives à énergie noire ou plasma l'équipent également pour la navigation conventionnelle. Sa vitesse maximum est de 1,2 fois la vitesse lumière atteinte au bout de 15 jours seulement. Ce qui en faisait lors de sa construction, et qui en fait toujours, le navire le plus rapide de la flotte terrienne, à présent disparue. Cette nef est également équipée de ce qui se faisait de mieux en informatique à cette époque, à savoir un système informatique à trame biologique que tous ont fini par appeler C.L.A.I.R. (Computer Linear Airbus Industrie Reseach).
Pour sa protection, il est constitué d’une batterie de missiles défensifs, d'une portée de cinq unités astronomiques, couplée à des leurres magnétiques et thermiques. Pas de système offensif en revanche, ses missions se consacrant uniquement aux missions de recherches et d'explorations.
Ce navire spatial, baptisé TERRA 4 en son temps, est maintenant vieillissant et fait partie de l'un des deux derniers survivants de la flotte. Cela lui octroie le rôle d’un des derniers espoirs des 60 millions de terriens de la planète, afin de trouver un endroit habitable correct quelque part dans les étoiles leur permettant de s'y installer.
Cette mission a été affectée à Natalia (RUS), commandant de bord et pilote, secondée respectivement par Tyron (USA), le navigateur et ingénieur communications, ainsi que de Chiyoko (JAP), mécanicienne et médecin de bord. Trois membres d'équipage rompus au métier et soudés par des années d'aventures communes.
*
« On a eu de la chance, rassura Chiyoko. Ça a bien secoué.
- En effet. Personne n'aurait parié que ce système, découvert et mis en évidence dans la galaxie d'Andromède par les télescopes en orbite terrestre, puisse être habité. On vient de le découvrir à nos dépends. En même temps, il faut se mettre à leur place : comment aurions-nous réagi si un vaisseau inconnu venait flirter avec notre périmètre de sécurité ?
- Ça veut dire aussi, renchérit Natalia, que nous ne sommes pas les seuls à venir les visiter, vu les défenses mises en œuvre pour nous repousser.
- C'est évident ! approuva Chiyoko. Cela signifie donc également que des mondes sont habités par des êtres visiblement intelligents un peu partout dans l'univers. On peut en conséquence s'autoriser à penser que d'autres peuvent être vierges et habitables quelque part et que l'un d'entre eux pourrait convenir pour nous accueillir. »
Tout le monde s'émet devant la première preuve de vie extra-terrestre, même si de fortes présomptions en ce sens avaient eu cours depuis pas mal de temps, mais toujours sans confirmation directe.
« Chiyoko, préviens-moi lorsque nous aurons fait le plein en énergie, demanda Natalia. Maintenant que nous avons la preuve de l'existence d'autres mondes, j'aimerais retourner chez nous pour envoyer un message d'espoir sur terre et qu'ils se préparent mentalement à partir. »
- Surtout que les trois super-cargos survivants, basés en orbite lunaire, doivent être en phase d'achèvement d'aménagement pour emmener le plus d'habitants possibles, ajouta Tyron. Oui, on va faire ça, et puis on reviendra explorer le secteur plus en détail. Je demande à C.L.A.I.R. de préparer les coordonnées de notre retour tout de suite.
- Attend, intervint Natalia, répondant à une soudaine intuition. Fait nous émerger à environ quinze jours-lumière de la terre. Nous ne connaissons rien d'eux : si jamais ils nous suivent, je ne voudrais pas leur révéler la position de notre bonne vieille Terre.
- Oui, c'est logique. Tu as raison, comme toujours. C'est d'ailleurs pour ça que tu es commandant de bord », lui lança-t-il sous forme de boutade.
Elle sourit à la réflexion. C'était devenu un jeu entre eux au fil des mois à se côtoyer, et cela décontractait l'atmosphère de temps en temps. De plus, elle savait qu'elle ne lui était pas indifférente.
Chiyoko revint après avoir interrogé l'ordinateur qui contrôlait tout le système énergétique de l'appareil et avisa le commandant que TERRA 4 serait à 100 % de sa capacité énergétique d'ici une heure.
Tyron informa l'ordinateur des coordonnées de retour pour faire s'ouvrir le « trou » spatio-temporel à quinze jours-lumière de la terre. Après contrôle, Natalia n’avait plus qu’à demander à C.L.A.I.R. de lancer la séquence de transfert puis de laisser la magie opérer.
*
Ce système de bonds dans l'espace-temps a été mis au point en l'an 2153, par un ingénieur de physique quantique, le professeur Alexandre Dubreuil en domptant une caractéristique spatio-temporelle déjà soupçonnée en 1935 par de certains Albert Einstein et Nathan Rosen(1). Pour simplifier, cela postule que l'espace peut être « plié » et ainsi faire se toucher deux points de l'univers distants de plusieurs milliers d'années-lumière, le voyage devenant ainsi quasi instantané. Super dans la théorie, mais cela a mis du temps à être démontré, et encore plus pour être compris et appliquer. Les équipes de Dubreuil ont découvert par la même occasion le moyen de récolter, stocker et utiliser l'énergie noire présente dans toutes les strates de l'univers à divers degrés de concentration. Cette énergie est indispensable pour la création de ces trous temporels, appelés aussi « trou de ver », extrêmement voraces en énergie.
Malheureusement, les hommes étant ce qu'ils sont, les vieilles guerres intestines sont revenues sur le devant de la scène pour d'obscures raisons religieuses, territoriales et identitaires. Il n'a pas fallu longtemps, tout au plus une décennie, pour tout réduire à néant à coup de bombes à hydrogène, biologiques et chimiques. Les conséquences de l'utilisation massive de ces armes ont été telles qu'elles en sont devenues incontrôlables et que la population de la planète est passée de plus de neuf milliards à soixante millions quinze ans plus tard, et s’avère être en diminution contrôlée depuis lors.
Une des graves conséquences de cette extermination massive a été la disparition de toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à la connaissance et à l'élaboration de ces principes quantiques. C'est ainsi que la Terre s'est retrouvée avec seulement deux vaisseaux d'exploration encore en état de naviguer et de trois super-cargos en orbite autour de la Lune, attendant la découverte d'un nouveau lieu de vie outre-mondes. Tous les autres navires ont été soit détruits, soit sont tombés en panne, les seuls techniciens encore en vie étant incapables d'en comprendre les technologies utilisées pour les réparer.
*
Sur demande de Natalia, l'ordinateur fit accélérer le vaisseau jusqu'au deux tiers de la vitesse lumière, condition indispensable pour le passage par le trou de ver. Soudain, le motif du ciel étoilé changea, indiquant le transfert terminé.
Immédiatement, toutes les alarmes se déclenchèrent et un message lancinant fût diffusé dans des hauts parleurs situés dans tout le vaisseau :
« DÉPRESSURISATION ACCIDENTELLE DE TERRA 4 ! PRENEZ VOS DISPOSITIONS ! RENCONTRE AVEC UN OBJET INCONNU ! PRESSION RESTANTE 80 % EN CHUTE RAPIDE… 70 %... DEPRESSURISATION ACCIDENTELLE DE TERRA 4 ! SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE ET DE PROPULTION INOPÉRANTS… PRESSION 60 %… »
Instinctivement, chacun enfila son casque et le verrouilla, louant le protocole qui voulait que les transferts spatiaux temporels se fassent avec la combinaison spatiale. Natalia, qui paraissait inconsciente sur le sol de la passerelle, fut la seule à ne pas suivre les consignes.
« Natalia, mets ton casque vite ! » lui intima Tyron.
Voyant qu'elle ne répondait pas, le navigateur se douta que son commandant n'allait pas bien et s'approcha d'elle pour l'aider. Il lui mit son casque, le verrouilla et constata son absence de réactions.
« Chiyoko, s'il te plaît, il faut l'emmener au bloc et voir ce qui ne va pas, implora-t-il. Je vais me débrouiller pour stabiliser et rétablir la pression, puis tenter découvrir ce qui a bien pu se passer. »
La médecin de bord emmena donc Natalia inconsciente au bloc infirmerie tant bien que mal, elle l'installa sur le lit du bloc opératoire et pressurisa la pièce, qui était indépendante du reste du vaisseau et heureusement encore opérationnelle. Une fois la pression équilibrée, elle retira le casque de Natalia et la déshabilla entièrement.
« Merde ! » glapit-elle en voyant une tâche de sang sur le T-shirt près de la poitrine de la victime.
Chiyoko bascula un appareil en forme de cage au-dessus de la victime et lança le protocole automatique de diagnostic.
Divers palpeurs invisibles firent un check-up complet, et après deux interminables minutes, celui-ci tomba, sans appel.
Natalia venait juste de tomber dans un coma profond, causé probablement par un minuscule trou, impossible à détecter sans scanner. Quelque chose l'avait traversée de part en part en passant près du cœur. La trace laissée, caractéristique d'un choc puissant qui avait nécrosé les chairs autour de l’orifice, était également visible.
Tyron éteignit les alarmes et interrogea C.L.A.I.R. sur la cause de la dépressurisation. Il apprit que la rencontre avec un objet dont la taille ne dépassait cinq molécules de diamètre et qui avait transpercé tout le vaisseau à deux cent mille kilomètres par seconde était à l’origine de la défaillance. À cette vitesse, même un objet aussi petit disposait de suffisamment d’énergie pour faire des dégâts considérables.
« Merde, le tableau de bord indique pourtant que bouclier est activé », se plaignit le navigateur.
La procédure voulait en effet que le bouclier soit désactivé pendant la phase de transfert puis automatiquement réactivé lors du retour dans l'espace conventionnel.
Un rapport complet informa également Tyron que cette rencontre avait détruit le contrôleur pilotant le système de propulsion, l'ordinateur supervisant tout le programme de gestion des énergies du TERRA 4, ainsi que diverses autres « babioles » de moindre importance.
Après avoir localisé les points d'entrée et de sortie de l'objet de la taille d'une tête d'épingle, le navigateur demanda à C.L.A.I.R. d'envoyer un robot de maintenance dans l'espace pour réparer les avaries de la coque.
Chiyoko revint sur la passerelle pour informer son collègue du coma de leur amie et commandant de bord, ainsi que des circonstances dans lesquelles cela était survenu.
Il en fut complètement abasourdi. Il aimait beaucoup Natalia pour son franc-parler, sa simplicité et sa façon de répliquer aux petites réflexions amusantes avec lesquelles il la taquinait. Sa présence lui manquait déjà, et aussi pour une autre raison.
« Je sais, confia Chiyoko, à moi aussi ça me fait mal. Je l'aime beaucoup également et elle me manque aussi. Alors ? C'était quoi le souci ?
- Une particule moléculaire nous a transpercés de part en part. Le robot de maintenance est en train de réparer le blindage et la coque du vaisseau. On pourra rétablir la pression sous peu. Mais il y a pire.
- Pire que la blessure de Natalia ?
- Oui : cette saleté a bousillé le système de propulsion et d'énergie, révéla Tyron. Pour faire court, on fonce aux deux tiers de la vitesse lumière en ligne droite, sans rien pourvoir faire.
- Et le stock de pièces détachées ? proposa Chiyoko.
- On n’a pas ça en stock, ce sont des éléments indestructibles normalement. C'est fait exprès pour justement éviter les pannes sur des systèmes sensibles fragiles, mais ce cas précis n'est jamais arrivé d'après la base de connaissances de l'ordinateur.
- Et le bouclier ? Il est sensé nous protéger, pourquoi cette particule est passée au travers ?
- Honnêtement, je n'en sais encore rien avoua le navigateur. À priori, il est en fonction, tous les indicateurs en attestent, et C.L.A.I.R. n'a pas enregistré de dysfonctionnement.
- On a dû être percuté à la sortie du trou de ver juste avant que le bouclier ne se réactive, je ne vois que cette possibilité.
- Regardes, » l’invita-t-il en pointant l’extérieur cockpit.
L'avant du vaisseau s'illumina de milliers d'étoiles filantes sans doute en traversant un nuage de poussières, attestant de son bon état de fonctionnement.
Tyron s'installa à la console et demanda à C.L.A.I.R. de lui faire visionner le dernier déroulement de la traversée sur l'écran principal. Ils lui firent repasser la séquence plusieurs fois sans rien détecter, et durent finalement se rendre à l'évidence de la pertinence de la théorie de Chiyoko.
« C'est vraiment le comble de la malchance, déplora-t-elle. C'est à se demander si quelqu'un ou quelque chose nous en veut.
- Ne dis pas de bêtises, c'est juste qu'on n’a pas eu de bol. C'est le genre d'incident qui n'est jamais arrivé, alors…
- ATTENTION ! ATTENTION ! fit la voie improbable de l'ordinateur. VEUILLEZ EFFECTUER UNE MODIFICATION DE TRAJECTOIRE… IMPACT SUR OBJET PRÉVU DANS DIX-SEPT JOURS, SEIZE HEURES ET VINGT-HUIT MINUTES.
- C.L.A.I.R., mets-nous en visuel l'objet percuté, ordonna Tyron.
- Sans doute un météore sur notre trajectoire, » supposa Chiyoko.
Après quelques secondes, s'afficha en hologramme 3D le Système Solaire avec la Lune en point de mire pour la collision anticipée.
Aucun des deux n'avait envie de parler, digérant l'information. Celle-ci signifiait tout simplement la fin du satellite et, par voie de conséquence, de la Terre.
« RÉPARATION DE LA COQUE TERMINÉE… PRESSURISATION DU VAISSEAU 15 %… 17 %
- Merde, ce n’est pas vrai ! C.L.A.I.R., recalcule notre trajectoire, il y a sûrement une erreur ! Les probabilités pour que cela arrive sont infinitésimales.
- RECALCUL EFFECTUÉ… IMPACT DANS DIX-SEPT JOURS, SEIZE HEURES ET DIX-SEPT MINUTES. PRESSURISATION VAISSEAU EN COURS… 30 %
- C'est pas possible, s’exaspéra Chiyoko. Il y a quelque chose à faire ? Non ?
- Toute la propulsion et le système de navigation sont en rade, et nous n'avons pas de pièces détachées. C'est foutu, assura Tyron d’un air défaitiste.
- On peut déjà prévenir la Terre de ce qui risque de se passer si on ne trouve pas de solution. Vu la vitesse des ondes radios, elles arriveront un peu avant l'impact et ils auront peut-être le temps de réagir.
- OK. C.L.A.I.R., il faut envoyer le message suivant en direction de la terre dans la fréquence d'urgence.
- À l'intention de la Terre, ici le TERRA 4 de retour d'exploration d’Andromède. Nous avons subis une grave avarie non réparable au sortir d'un trou de ver. Notre vaisseau est en perdition, lancé à pleine vitesse dans votre direction. Notre trajectoire coupe l’orbite lunaire au point d'impact. Il nous est impossible pour le moment d'influer sur notre vitesse ou notre trajectoire. Faites en sorte d'évacuer le plus de monde possible et de vous éloigner du système planétaire rapidement. À la réception de ce message, vous n'aurez que huit jours à votre disposition pour évacuer. C.L.A.I.R. vous transmet également les coordonnées d'un système habité que nous avons découvert dans la galaxie d’Andromède. Nous ne sommes plus seuls. Faites néanmoins attention : leur système de défense est solide. Je vous souhaite bonne chance à tous.
Tyron, navigateur du TERRA 4.
- Ah oui, je voulais également vous signaler que notre commandant de bord est à l'infirmerie et que…
- PANNE DU MODULE ÉMETTEUR DE LA RADIO… SEUL LE MODULE DE RECEPTION RESTE ENCORE OPERATIONNEL…
- Merde, jura Tyron, il ne manquait plus que ça ! Au moins on aura eu le temps de les prévenir, on pourra toujours recevoir leur réponse avant… »
Après la diffusion du message, les deux amis réfléchirent à une solution pour dévier légèrement le vaisseau, ne serait-ce que des quelques microns suffisants pour, avec la distance, permettre un évitement total. Bien sûr, eux-mêmes ne seraient pas sauvés et seraient condamnés à errer pour l'éternité dans le cosmos ; mais au moins, la Terre serait préservée.
« Et si on envoyait les robots de maintenance sur un côté du vaisseau et qu'on les faisait pousser ensemble sur la coque pour dévier un peu la trajectoire ? proposa Chiyoko.
- On va demander à C.L.A.I.R. de s'en occuper.
- OPÉRATION IMPOSSIBLE… LA POUSSÉE ENGENDRÉE PAR CES ROBOTS DE MAINTENANCE S’AVÈRE NETTEMENT INSUFFISANTE POUR INFLUER SUR NOTRE TRAJECTOIRE… »
Chiyoko et Tyron en eurent les jambes coupées
« Comment ça ! Même en les faisant pousser pendant une semaine ? Insista la médecin de bord. Il n'y aurait pas moyen de dévier de notre trajectoire ? On a juste besoin d'une seconde d'angle pour qu'à l'arrivée on se soit éloigné de la Lune de quelques centaines de kilomètres.
- Oui, je suis d'accord, approuva son ami. Mais si C.L.A.I.R. le dit, c'est que ça ne marchera pas. Il faut se rendre à l'évidence et trouver autre chose.
- Au moins, si on n’arrive vraiment pas à dévier de notre trajectoire, nous n'aurons pas à errer pour l'éternité si. On ne se rendra même pas compte de l'impact. Je veux dire…on ne souffrira pas. »
Tyron ne répondit rien. Il s'en foutait en fait : il n'avait plus de famille qui l’attendait, plus d'amis avec qui écumer les bars des villes terriennes… Tous avaient été terrassés par les conséquences dramatiques du dernier conflit. Sa seule famille à présent était les deux autres membres d’équipage avec lui à bord du vaisseau. Deux êtres qu'il aimait beaucoup, dont une particulièrement, et qui était déjà mal en point.
Chiyoko respecta son silence, sûre qu'il pensait aux implications de leur destruction programmée. Comme lui, elle n'avait plus de lien la rattachant au plancher des vaches, sauf peut-être un cousin éloigné dont elle n'avait plus de nouvelles depuis des années. Les trois explorateurs avaient souvent partagé leurs problèmes, dévoilant leurs âmes torturées. Ils connaissaient tout ou presque les uns des autres.
« PRÉSSURISATION TERMINÉE… CONDITION DE VIABILITEE RESTAURÉE…
- Si on allait voir Natalia ?» suggéra Tyron en s'élançant dans la coursive un peu rapidement.
Sa démarche particulière n'échappa pas à Chiyoko. « Il enrage d'être impuissant face à cette situation », se dit-elle.
« Tout était pourtant bien parti, avec la découverte de ce système dans la galaxie d’Andromède, mais voilà que cette saloperie nous rattrape. »
Ses pensées divaguèrent jusqu’à arriver à la conclusion que tout cela devait finir par arriver un jour où l'autre. Que les Hommes avaient tout fait pour en arriver là, malgré les mises en garde, les prémices de la catastrophe. La collision de TERRA 4 avec la Lune allait avoir des répercutions dramatiques pour la planète. La force gravitationnelle qui maintenait le tout en place allait être complètement chamboulée lorsque le satellite se verra pulvérisé par la puissance de l’impact.
Il était fort probable que cette bonne vieille Terre quitte son orbite pour partir vers le grand voyage intersidéral. Ou alors, le Soleil l'attirerait plus près de lui et elle plongerait dans les couches abritant le siège des réactions thermonucléaires où elle finirait vaporisée. De toute façon, peu importe l'issue, celle-ci serait fatale à toute forme de vie connue dès les premiers instants suivants l'impact.
Chiyoko reprit ses esprits et finit par rejoindre Tyron auprès de Natalia.
« Alors, comment va-t-elle ? S’enquit-elle.
- Son état est stationnaire, l’informa le navigateur. Ses blessures ne la mettent plus en danger. Le robot à bien travaillé. Malheureusement, le choc a été si violent que le cerveau s'est mis en mode survie en entrant dans le coma.
- Il faut juste attendre alors.
- Oui… Juste attendre… Au moins elle a l'esprit en paix.
- Son activité cérébrale est intense, comme si elle rêvait ou qu'elle réfléchissait, releva la médecin de bord en observant les instruments.
- Mais bon sang, finit par exploser Tyron, qu'est-ce qu'on a fait pour mériter tout ça ?
- À ton avis ? répliqua Chiyoko. Ça fait des centaines d'années qu'on se fout de ce que notre planète peut endurer. Nous en payons aujourd'hui le prix, et le prix fort, appuya-t-elle. Elle nous a prévenus, à maintes reprises. Mais nous n'avons pas su ou pas voulu l'écouter. Je sais, ça paraît dingue, c'est comme si quelqu'un voulait que ça se termine ainsi.
- Il reste les vaisseaux en orbite autour de la lune, rappela son ami d’un ton positif. Espérons qu'ils auront une chance de partir avant que…
- Ils vont avoir 8 jours pour se barrer fissa. Aux dernières nouvelles, ils étaient quasiment prêts, une petite quantité de terriens devraient donc s'en sortir.
- Heureusement que l'on a pu leur donner les coordonnées de notre découverte. »
Après une semaine à essayer de réparer TERRA 4, les deux membres d’équipage durent se rendre à l'évidence : leur sort était bel et bien scellé. Les instruments détruits par la collision étaient complètement hors d'usage. On leur refusait même le moyen de saborder le vaisseau en le faisant exploser.
Tous les systèmes prévus pour cela dépendaient du facteur puissance, qui était actuellement indisponible.
Plus aucune solution ne leur était venue à l'esprit, alors que le compte à rebours débitait ses jours, heures et minutes inexorablement.
« Je pense que même notre destruction ne sauverait pas notre planète, avança Tyron. Au lieu d'avoir un vaisseau entier en pleine poire, ils l'auraient en millions de débris de toutes sortes arrivant à la même vitesse.
- Je ne suis pas d'accord, objecta Chiyoko Qu'une partie de ces débris les atteignent, certes, mais une grosse quantité aura été dispersée par l'explosion, et donc sortie de la trajectoire de notre système. C'est sûr, il y aurait des dégâts, mais je pense qu’ils seraient mesurés et sûrement beaucoup moins graves que les prévisions.
- IMPACT AVEC LA LUNE DANS NEUF JOURS, UNE HEURE ET DOUZE MINUTES.
- Ohhhhh ! Et C.L.A.I.R. qui nous rappelle sans cesse notre fin. Ça m'horripile, s’exaspéra-t-elle.»
*
« Que pensez-vous de ce message de TERRA 4 ? » questionna le commandant de la base lunaire chargé de la préparation au départ des trois vaisseaux de transport.
- Le message reçu est clair et explicite, commenta l'officier responsable des communications Georges Wood. De plus, les identifiants radio utilisés, liés au message, attestent qu'il s'agit bien du TERRA 4, sans doute possible. Le rapport de maintenance, attaché automatiquement à chaque communication, signale qu'ils ont bien été percutés par un objet au sortir du trou de ver, que leur nef a dépressurisé et qu'un des robots de maintenance a été envoyé dans l'espace pour réparer les avaries. Il est aussi fait état dans ce rapport d'une panne générale sur leurs moyens de propulsion et de navigation. Bref, s'ils ne trouvent pas de solution pour dévier légèrement de leur trajectoire, c'est une balle de fusil de neuf cents trente tonnes qui nous arrive dessus à la vitesse de deux cent mille kilomètres par seconde.
- Donc, si je comprends bien, il faut écarter l’hypothèse probable, du fait de leur découverte, d'une prise de contrôle par une intelligence inconnue pour nous empêcher de mener à bien notre projet.
- Effectivement, c'est bien le navigateur de bord Tyron qui nous a envoyé ce message. Le rapport de maintenance fait également état que le robot chirurgien du bord a effectué une opération de trois heures, ce qui laisse supposer que l'un d'eux a été grièvement blessé. Après, la liaison a été coupée.» Le commandant réfléchit quelques instants et pris sa décision :
« Bien, je veux que nous soyons prêts à appareiller dans sept jours, soit deux avant la date prévue de l'impact. Je veux que nous soyons loin quand ça arrivera. Prétextez ce que vous voulez pour avancer la date du départ. Surtout, pas un mot sur la situation. Je ne tolérerai aucune fuite : je ne veux pas me retrouver avec une émeute à gérer. Toutes les permissions à compter de maintenant sont annulées, et je veux que vous mainteniez toutes vos équipes dans leurs services respectifs. Les communications avec l'extérieur doivent être également coupées et réservées à mon usage uniquement. Le premier qui parlera de quoi que ce soit à l'extérieur de cette base restera ici sans recours possible. De toute façon, le sort de la Terre et de ses habitants restant est scellé. Il vaut mieux qu'ils ne sachent pas ce qui se prépare. Ça vous paraîtra peut-être cruel, mais on ne peut pas sauver tout le monde. Croyez bien que si c'était possible, je mettrais tout en œuvre pour ça. Exécution. »
De toutes parts dans le centre de commandement, les officiers prirent leurs dispositions et donnèrent leurs ordres pour se conformer aux nouvelles directives.
John Orwell, commandant responsable de cette base lunaire, était encore athlétique pour son âge, la soixantaine passée, et avait bien bourlingué au cours de sa vie, dans toutes sortes de vaisseaux de tous tonnages. L'urgence de la situation, et la fin dramatique qui se préparait, n'avaient en rien entamé ses capacités d'analyses. Il avait toujours pris les décisions qui s'imposaient au cours de sa vie, même si c'était parfois difficile, comme la présente situation. Et à ses yeux, seul ce choix s'imposait.
« Georges, vous êtes vraiment certain de ce scénario qui se prépare ? S’inquiéta le commandant Orwell. Je m'en voudrais de m'être trompé et d'avoir pris la mauvaise décision. Je dois donner l'impression que je reste indifférent au sort des millions de gens qui vont rester ici, dans l'ignorance de ce qui va leur arriver, déplora-t-il en regardant la planète bleue au travers du grand hublot en épais kevlar transparent.
- Ne vous inquiétez pas, c'était la seule chose à faire, lui assura l’officier radio. Quant à l'impression que vous pouvez donner, ne vous en faites pas. Vous êtes quelqu'un d'apprécié de tous, et personne n'émettra le moindre doute là-dessus. De toute façon, cela n'aura bientôt plus d'importance.
- Merci Georges, vous êtes quelqu'un de bien, gratifia le commandant. Je vais à présent regagner ma cabine, j'ai quelques préparatifs à faire. Veillez à ce que personne ne vienne me déranger pour le moment, je dois préparer l’allocution que je ferai à tous les personnels des vaisseaux, une heure avant notre départ. Continuez quand même à transmettre au TERRA 4 un message reprenant mes décisions, pour qu'au moins ils sachent que nous nous en soyons tirés. »
*
Tyron et Chiyoko partageaient un dîner léger dans la chambre de Natalia, afin d'essayer de faire en sorte qu'elle puisse ressentir leur présence à ses côtés.
« Son activité cérébrale est très active, fit remarquer Chiyoko. Tu crois qu'elle se rend compte de ce qui nous arrive ?
- Je ne pense pas, et tant mieux, avoua son ami en regardant tendrement leur commandant.
- Tu en pinces pour elle pas vrai ! »
Il réfléchit un instant
« Oui, j'en suis amoureux, et je n'aurais plus jamais l'occasion de le lui dire, avoua-t-il finalement, étranglé par cette boule qui montait dans sa gorge. Faut-il être stupide d'attendre et d'attendre encore pour dire à une personne qu'on l'aime ?! Maintenant, c'est trop tard. »
Chiyoko lui prit le bras.
« Ne t'en fais pas, tu ne la laisses pas indifférente non plus. Elle attendait d'être rentrée chez nous pour te le dire. En fait tu vois, voyant que tu n’osais pas, elle allait prendre les devants. »
Il resta complètement abasourdi par cette nouvelle.
« Et tu ne m'a rien dit ! s’emporta-t-il.
- Eh ! Entre filles, on a nos petits secrets ! Et puis sans blague, tu n'avais rien remarqué ?
- Non rien ! Je vais dans ma cabine, annonça-t-il en se retournant de colère. Et fous moi la paix ! »
Chiyoko entendit claquer ses pas déterminés sur le sol métallique de la coursive. Elle était triste que cela se termine ainsi, mais Natalia lui avait fait jurer de ne rien dire. Elle ne voulait pas que leur mission en pâtisse, mais ensuite…
Tyron s'enferma dans sa cabine et laissa éclater toute sa rage en frappant le lit du poing. Pourquoi cela se terminait-il de cette façon ? À la porte d'une rencontre, d'un bonheur peut-être, trop longtemps cherché et jamais trouvé. Merde alors ! Saloperie d’existence !
« IMPACT AVEC LA LUNE DANS UN JOUR, TROIS HEURES ET DOUZE MINUTES ! », annonça C.L.A.I.R., imperturbable aux peines de cœur de l’équipage.
*
Olivier se promenait au bord de la Dolphin River, qui se jetait dans le lac Winnipeg dans le comté du Manitoba, vers le centre du Canada. C'était une belle fin de journée de printemps, ses deux petites filles marchaient tranquillement près de lui, épuisées par cette longue balade le long du cours d’eau, mais heureuses d'être là.
Ils furent bientôt en vue de la petite clairière qu'ils avaient investie lors de leur arrivée. Une tente, devant laquelle crépitait déjà un feu de camp, avait été dressée en son centre. Ses deux filles le lâchèrent et partirent en courant rejoindre leur campement.
Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés pour faire ce genre de sortie, et ils comptaient en apprécier ces bons moments. La maman des deux fillettes était décédée un an plus tôt, et tous tentaient de se reconstruire comme ils pouvaient en ces temps difficiles. Ils habitaient, pour diverses raisons, à des centaines de kilomètres les uns des autres et profitaient à fond de ces trop rares moments.
Le soir était déjà bien avancé et c'est assis autour des flammes que tous trois mangeaient tranquillement de délicieux épis de maïs grillés.
« Regardez la Lune comme elle est bizarre ce soir ! » s’exclama soudainement la petite Wendy.»
Son père et sa sœur Cindy tournèrent leurs regards vers la Lune, dont l'habituelle blancheur s'intensifiait rapidement jusqu'à en devenir aveuglante. Soudain, contre toute attente, le satellite explosa en millions de fragments.
« Oh mon Dieu, paniqua Wendy. Pourquoi la lune a explosé ? Qu'est ce qui se passe ?
- Je ne sais pas », lui avoua son père.»
Il comprit aussitôt les conséquences titanesques que cela allait avoir sur la Terre dans les minutes à venir : l'onde de choc allait ravager toute la surface de la planète, exterminant tout sur son passage et mettant un terme à leur sortie familiale. Sur le moment, il s'interrogea sur le pourquoi d'un tel événement, puis, se dit que ça n'avait aucune importance et, qu'il y avait plus urgent à gérer.
« Venez dans mes bras mes chéries, invita Olivier. N'ayez pas peur. Ce n'est pas très grave. Ça va s'arranger, vous verrez. »
Elles allèrent se blottir près de lui pour chercher un réconfort, une protection, qui ne serait que temporaire.
« Dis papa, tu crois qu'on la reverra un jour Maman ? demanda Cindy, la plus petite, les yeux remplis de larmes.
- Très bientôt, la rassura-t-il. Oui, très bientôt
- Tu me promets?
- C'est promis, » obtempéra-t-il, trop heureux d'avoir eu la chance d'être aux côtés de ses filles pour vivre ces derniers instants.
*
May 14th, 2276-3h52 pm dans une dimension parallèle
Tommy, quatorze ans, était confortablement installé dans un fauteuil en cuir haut de gamme au cœur d'une représentation tridimensionnelle de son vaisseau de commandement. Il regardait impuissant les effets de ses décisions sur le drame qui se préparait dans la trame holographique de l'univers qui l'entourait. Ce nouveau jeu qu'il venait d'acquérir était fabuleux. Les vendeurs ne lui avaient pas menti en affirmant que c'était, à ce jour, le seul capable de faire ressentir à ses utilisateurs les vraies sensations des personnages qui y participaient.
En effet, Tommy s'était rendu compte que grâce à ce fauteuil, la combinaison et le casque qu'il avait enfilés pour jouer, il pouvait éprouver de la peur, de la joie, de la colère, et même la souffrance de chaque personnage, qu'il pouvait incarner à loisir.
Le but de ce jeu s’avérait très simple en fait : il suffisait de définir une mission de départ et de la soumettre au jeu pour que celui-ci se lance. En l’occurrence, Tommy avait opté pour une partie de recherche et découverte d’une nouvelle planète habitable dans une autre galaxie.
La particularité était que seuls les personnages du jeu, dirigés par une intelligence artificielle extrêmement performante, prenaient les bonnes ou mauvaises décisions pour mener à bien la mission. Quelques moyens de contrôle étaient bien à sa disposition pour essayer d'influer sur son cours, mais seulement transmissibles aux avatars sous forme de rêves ou d'intuitions. Libre à eux, ensuite, d'en tenir compte ou pas. De plus, des impondérables pouvaient survenir à n'importe quels moments, comme dans la vraie vie.
Tommy observait impuissant le vaisseau fou et incontrôlable qui allait percuter la petite lune de cette planète d'ici une minute. Il avait bien essayé en vain d'influencer le commandant de bord avec des rêves pour trouver une solution coûte que coûte, mais n'avait pas réussi.
Les trois vaisseaux en orbite autour d'elle avaient pris le large. Ils se trouvaient à présent à l'abri, et en route pour une galaxie appelée Andromède, où l'équipage du TERRA 4 avait découvert un système habitable.
La minute écoulée, il vit le petit satellite devenir blanc avant de disparaître dans une explosion titanesque. Par le contrôle de zoom et de positionnement du jeu, le jeune garçon put s'approcher du lieu du drame et se rendre compte de ses effets. L'onde de choc ultra puissante résultante de l’impact frappa la planète après quelques minutes, et vaporisa instantanément dans le vide sidéral l'atmosphère que possédait cette dernière.
« Woah la vache ! Ça, c'est de l'explosion ! Il est vraiment super ce jeu », s’enthousiasma Tommy, qui n’avait qu’une seule hâte : recommencer une nouvelle mission dans un autre secteur de cette galaxie.
L'explosion, toujours en cours d'expansion, laissa apparaître un texte en filigrane que le jeune garçon eu du mal à voir. Puis ça s'éclaircit et il put y lire :
FIN DE PARTIE
(1) Albert EINSTEIN (1879-1955) a suggéré l'existence de trous de vers par des procédés purement mathématiques et n’ayant jamais été démontrés.
Références WIKIPEDIA, mots clés : trou de ver, Albert EINSTEIN
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