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YURLH

PARTIE 1 : LE REVEIL

Dans la cage d’escalier de briques rouges résonnait une voix au timbre encombré de mucosités. 


– 69ème nuit du 863ème sillon de l’Âge du Pacte, ou devrais-je dire, troisième sillon de l’avènement de l’Empire, ou mieux encore, la Nuit de…


Soudain, le vieil homme, au teint blafard, posa sa main sur la colonne centrale de l’escalier en colimaçon, pris d’une quinte de toux grasse qui résonna de tout son coffre. Deux frêles bras, mate de peau, lui maintinrent la taille. La jeune servante qui se trouvait deux marches plus bas se contenta de tenir sa langue.


– Maudit corps ! Tu ne veux donc pas te remettre. Tu veux me lâcher. Hein, c’est ça ?


Même avec tout l’énervement contenu dans ses paroles, il parlait d’une voix faible et caverneuse. Sa main gauche, recouverte d’un mouchoir de coton, quitta sa bouche pour rejoindre le croisement de son regard. Au milieu s’étalait une grosse glaire verdâtre, mêlée de fils noirâtres. La servante fut sincèrement peinée de voir la maladie ainsi gagner sur son maître.


– J’ai encore saigné. Ce n’est plus qu’une question d’une demi-lune blanche de souffrance, tout au plus.


– Vous allez vous rétablir, mon maître.


Le vieil homme se redressa et soudain croisa, dans le vitrail d’une fenêtre, son propre reflet. Son visage émacié, creusé de rides sèches n’était pas pour le rassurer. Toutefois, au fond de ses yeux noirs, brillait toujours la volonté qui l’avait amené jusqu’à cette nuit. 


– Si nous l’avons construite, c’est pour définitivement enterrer ce qui ne devrait être pour tous qu’une comptine, parla-t-il à lui-même.


– Une comptine ? souligna la servante, tout en le soutenant.


Il la regarda un bref instant. C’était une jeune fille, presqu’une enfant, aux joues pleines de vie, qui aurait pu être sa petite fille. Néanmoins, il se sentit envieux de ce corps si jeune. De suite, il balaya de la main l’idée qui venait d’effleurer son esprit et reprit cette éprouvante ascension.


Enfin, atteignant la dernière marche du sommet, il put contempler le sol dallé de marbre de la coupole des Trilunes. La décoration était grandiose, à l’image de tout ce que l’empereur des Cités Rouges bâtissait. C’était une grande salle circulaire entourée de colonnes qui soutenaient une magnifique coupole de verre à travers laquelle éclairaient les étoiles et surtout la lune rouge. Rouge, comme les vingt gardes écarlates aux imposantes armures teintées de grenat qui protégeaient leur empereur, debout devant chaque colonne.


Si sa trop jeune servante fut soufflée par le spectacle, le vieil homme se garda d’être submergé par ses émotions. Là, au milieu, sur le trône, siégeait le but de sa venue et fallait-il encore traverser cette salle trop grande pour son cœur épuisé. Il s’arcbouta sur l’enfant, la prenant par l’épaule telle une canne et avança.


Assis, en maître absolu, le Magnus Kéol prit de suite congé de ce conseiller que le vieil homme trouvait trop souvent agenouillé aux pieds de l’empereur, celui au gant blanc.


– Chèl Mosasteh, mon ami, accueillit lui-même l’empereur de sa voix suave. J’espère que le lieu est à la hauteur de vos rêves ou devrais-je dire de vos prédictions les plus ambitieuses !


L’empereur indiquait des mains, la mosaïque au sol, la coupole et les colonnes, comme à son habitude, pour donner plus d’importance à ses paroles.


– Regardez, n’est-ce pas la démonstration de toute l’affection que j’ai pour vous, pour les lunes, celles-là mêmes dont vous tirez vos pouvoirs ?


En réponse, le devin lâcha un petit sourire, qui au fil de sa récupération, s’étirait sur son visage. L’empereur, alors d’un coup se leva, quittant son trône avec vigueur.


– Vous me semblez fatigué ce soir…


Au même moment où il donnait son bras pour que le devin s’en serve en soutien, la servante s’effaça, s’agenouillant à terre, rampant pour s’éloigner des deux êtres les plus importants de ce jeune empire.


– Vous maigrissez à vue d’œil. Et je sais de mon médecin que vous ne mangez pas tout le riz au lait de chamelle qu’il vous apporte chaque soir.


Chèl Mosasteh releva le visage puisque l’empereur restait, même descendu de son trône, plus grand que lui. 


– Je le sais, oh oui.


– J’en mange autant que mon corps veuille en accepter, Khalaman, répondit le devin.


Aussitôt, une émotion s’empara de la gorge de l’empereur, à l’écoute de son prénom que seuls quelques rares proches étaient, depuis son avènement, encore en droit de prononcer.


– Je le fais venir de Zutsaim… le riz, dit-il la gorge nouée.


En réponse, le devin toucha le haut de la main impériale qui n’était pas recouverte de métal et la tapota fébrilement.


– Je sais… je sais que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour faire reculer ce qui me ronge, répondit faiblement le devin. Et même si vous ne me croyez pas, je sens les effets bénéfiques de vos médicaments…


L’empereur se mit en face de son vieux précepteur et afficha un sourire sincère.


– Chaque jour, je le sens, croyez-moi, ajouta le devin.


Khalaman ne savait plus exactement quoi penser. Lui mentait-il juste pour le rassurer, ce soir et spécialement ce soir ?


– Allez, oublions un instant les malheureux maux. Qu’ils daignent ce soir quitter votre corps et profitons. Regardez, j’ai fait placer un trône au dos du mien, disait-il en montrant l’envers du trône de marbre. 


Il y avait là encastré, un fauteuil plus étroit, molletonné de coussins soyeux. Plus petit, il ne pouvait pas recevoir un homme en armure. Mais, il était de taille aisée pour accueillir le maigre conseiller qu’était le devin.


– C’est en quelque sorte votre place : jamais en vue de ma cour, mais toujours à mes côtés pour me souffler les mots de la victoire.


– Hin hin hin, rit Chèl Mosasteh, en voyant en effet que le trône était double. 


Une attention qui le toucha encore plus. Khalaman était un être loyal envers lui. Cela, il ne pouvait en douter.


– Chèl Mosasteh, n’est-ce pas une nuit magnifique ?


Le Magnus parlait avec toute l’exubérance d’un être illuminé.


– Ce soir, cette nuit, Chèl, mon ami, nous allons terminer notre œuvre. 


– Une œuvre qui aura pris pas moins de neuf sillons à se réaliser, reprit Chèl Mosasteh.


– Oui, oui, mon ami… continuait le Magnus en levant les bras vers le dôme. Cette nuit, la lune rouge m’octroiera mon ultime pouvoir. Et tout cela, grâce à vous seul.


Chèl était comblé de voir ainsi l’homme le plus puissant du Sud lui rendre hommage.


– Pour cette nuit, il nous fallait avoir cette coupole terminée. Elle est le symbole de mon allégeance envers les lunes, envers… votre savoir. Quand vous ne serez plus, je me souviendrai à jamais de vous et cette tour en sera témoin pour les centaines de sillons à venir… les milliers ! 


L’empereur déclamait ses phrases, tournoyant dans la pièce, exprimant toute sa gratitude. Soudain, alors que la salle était baignée des lumières lunaires, une silhouette couvrit de son ombre menaçante les dalles de la pièce. Même si son passage fut bref, il jeta une sorte de froid dans la salle. Alors, se posa, sur les madriers perpendiculaires à la tour et enfoncés dans ses murs, une impressionnante créature-insecte, surmontée d’un cavalier non moins spectaculaire. C’était le méphénor des armées de l’Empire, la plus haute autorité après le Magnus Kéol, chevauchant une mantias.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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