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– … pour qu’un jour ça lui éclate à la gueule ! criait Kaïsha de toutes ses cordes vocales.


Kwo aurait voulu attraper les mots au passage pour qu’ils n’arrivent jamais aux oreilles du capitaine.


À peine venait-il de lui demander d’aller aider Kaïsha qu’elle proférait déjà des menaces à son encontre. Pour sûr, ce n’était le jour de personne, comme si Kaïsha était décidée à tous les condamner, à les emporter tous avec elle. Car Korshac n’allait pas laisser passer ça sans victime. Mais, où avait-elle la tête ? se répétait Kwo inlassablement.


Espérant la calmer, il faisait mine de l’écouter avec des non et des oui de la tête. Ce genre de mimiques habituellement fonctionnait bien avec le commun des mortels. Il lui passa la main sur le ventre en espérant calmer sa rancœur, pour qu’elle se rappelle qu’elle portait en enfant, un petit être faible sans défense face au Grand Blanc.


– Kwo, je ne peux pas encore mentir ! continua Kaïsha.


« Eh ben là, c’est le pompon ! Si Korshac entend celle-là, il me tranche la tête sur le champ. Il va croire que j’étais dans la confidence. Que moi, simple homme d’équipage, j’ai aussi participé à cette mascarade, en ne le prenant pour rien d’autre qu’un dindon. »


C’en était trop pour Kwo qui plongea subitement dans un stress extrême et sentit ses yeux trembler et se remplir de larmes.


– Je sais, mais l’enfant… répondit Kwo, en espérant par la compassion, la faire taire. 


« Mais, non, je ne sais rien, moi. Rien du tout. Mais que j’suis bête s’il a entendu ça, alors j’suis un aomen raide, se répétait Kwo tentant de rattraper ses propres mots, sortis dans la panique. » 


Et pour couronner le tout, un silence de mort s’étendait sur la galère, portant haut et fort le son des pas, lourdement décidés à en découdre, du capitaine.


« C’est bon, il vient. Il va me fendre le crâne avec son hachoir. C’est sûr, pensa Kwo, tout en observant la position de détresse de Kaïsha. »


– … tu lui diras, Kwo.


– Quoi ? s’interloqua-t-il, voyant qu’entre ses jambes, quelque chose commençait à vouloir sortir.


Et s’il parvenait à la faire accoucher et si Korshac, marchant de tout son poids, n’avait rien entendu ?


– Continue Kaïsha… continue. Il peut sortir, dit-il avec dans les paroles le vœu pieux que cela réussisse.


– Et si…


Mais elle s’évanouit et, avec elle, tout espoir de sortir indemne de la colère noire du capitaine. Dans la panique, Kwo reprit ses esprits et parvint à garder la tête froide. Passant en revue la cabine du capitaine, un attribut sur la table ronde attira son attention. C’était une bouteille de poisson noir.


« Cet alcool pur serait capable de réveiller les morts, se convainquit-il. »


Il n’avait pas tort. Le poisson noir était réputé l’alcool le plus fort des côtes de la Mer Déchirée. Il se dressa aussi vite qu’il put afin d’attraper la bouteille et revenir réveiller Kaïsha avant que ne surgisse le Grand Blanc, sans nul doute décidé de l’exécuter sur le champ.


La main dessus, prêt à coller le goulot aux lèvres de Kaïsha, il vit le fenestrou ouvert dans la coque. Les lueurs rouges du crépuscule l’appelaient à s’enfoncer dans l’horizon plus serein du marécage. Xyle ne l’avait pas quitté. Si la galère s’était échouée dans le marais, c’était pour lui offrir une chance de s’enfuir, lui qui craignait, en eaux profondes, la noyade. Très vite, la nuit couvrirait son départ et Korshac aurait d’autres préoccupations que de partir à sa poursuite.


Avec l’œil aiguisé du rusé personnage qu’il était, il regarda dans la petite pièce s’il ne trainait pas une bourse ou une sacoche qui n’attendrait qu’à l’accompagner dans son escapade nocturne.


Et alors ? Korshac et Kaïsha lui avaient dérobé la seule pièce d’or qu’il était parvenu à économiser. Ce ne serait que reprendre ce qui lui était dû, avec les intérêts, se disait-il, la tête sous la couche du Grand Blanc.


À peine avait-il découvert une petite trappe, recelant surement un copieux trésor, qu’il entendit plus fort les pas du capitaine se dirigeant bel et bien vers la cabine. Pas le temps de l’ouvrir et de la vider, Kwo prit le risque de rester et s’élança pour tomber, à genoux, aux côtés de la tête de Kaïsha.


Au moment où Korshac poussa la porte entrouverte, Kwo tenait la tête de sa douce, façon de lui montrer son visage évanoui, pensant l’attendrir une fois de plus.


– Elle est morte ? questionna le capitaine, avec beaucoup de crainte dans la voix.


Kwo reprenait son souffle et surtout tentait de calmer son cœur qui battait trop vite, de peur d’être percé à jour. Le capitaine venait, une fois de plus, de céder au charme de Kaïsha et Kwo se félicitait de son stratagème. Toutefois, la réponse qu’il lui donna, de façon hésitante, restait tremblotante, craignant que Korshac ne comprenne. Alors, toujours pour mieux le berner, il dévoila ses mains maculées de sang d’avoir aidé Kaïsha dans le début de son travail. Et dans sa réponse, il ajouta une pointe d’espoir.


– Son cœur bat encore…


Alors ça, il n’en savait foutre rien ! Mais l’espoir fait vivre, dit-on. Et Kwo n’avait jamais vu ni entendu qu’un mari cocu ait occis sa femme en accouchant du bâtard du voisin.


– Elle va revenir…


Et il le savait mieux que quiconque pour avoir été à maintes reprises ledit voisin… Avec tous les bâtards qui couraient sur la terre, ça se saurait si les cocus étaient des bourreaux sans cœur.


– Elle ne tiendra pas longtemps…


« Juste pour te dire que dans le court laps de temps qu’il te reste, à partager sa vie, ne gâche pas tout sur un coup de tête, ne soit pas une crapule. »


À entendre sa réponse, Korshac autorisait Kwo à étriper l’enfant à sa place. C’était gagné.


– T’es dans les lunes ou quoi ? Trouve un moyen de la réveiller. Je vais m’occuper de nous sortir de la mélasse, continuait le capitaine.


« C’est parfait, se dit Kwo. Occupe-toi de ton navire. Cela me laissera tout le temps de révéler ton trésor et de prendre le salaire de ces deux sillons d’esclavage. La nuit est venue de vous tirer ma révérence. »


Quand le capitaine revint. Kwo avait eu le temps de verser le poisson noir dans un petit bol en bois. Mais avant, il avait essayé de soulever la trappe. La trouvant fermée, en vain il avait cherché partout la clef qui avait le pouvoir de l’ouvrir et malheureusement dut revenir auprès de la femme-panthère. Il tenait alors la tête de Kaïsha, réfléchissant où ce bourru connard avait bien pu cacher sa clef, car il ne la portait pas sur lui, à son souvenir.


Et puis, la solution lui vint, tout naturellement, alors qu’il soutenait toujours avec ses cuisses la tête de Kaïsha, tout en parlant avec Korshac. Cette garce devait surement connaître la cachette de la divine clef, pensait Kwo.


Tout en donnant des ordres au capitaine lui-même, Kwo se convainquit qu’en soulant Kaïsha, l’ivresse, associée à la haine, seraient porteuses de révélations.


– Je crois pouvoir la sauver… Allez… vite ! en termina Kwo, de sa fine voix rusée.


À peine le capitaine quittait la cabine pour partir honorer les demandes de l’aomen, que la femme-panthère papillotait déjà des paupières, réveillée par les effluves de l’alcool de poisson pourri.

Note de fin de chapitre:

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