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Quand il entra dans la cabine, le plancher, maculé de sang et de bouts de chair, racontait le douloureux combat qui s’était livré ici. Car au début de la nuit, à n’en pas douter, Kaïsha avait été porteuse d’un mal ne voulant sortir sans faire de dégâts. Mais visiblement, Kwo avait réussi à extraire le rejeton en un seul morceau. Korshac entendait ses petits bruits de succion.


Kaïsha s’était trainée jusqu’à la couche pour y prendre la couverture et cacher son corps meurtri. Dessous, à hauteur de sa poitrine, quelque chose soulevait la couverture par à-coups. Un petit être qui déjà se battait pour survivre. Bien que l’enfant n’était pas de lui, à en croire les dernières révélations de Kaïsha, Korshac restait curieux de découvrir ses traits.


La femme-panthère semblait dormir. Ce qui paraissait parfaitement normal, après la dure nuit qu’elle venait de traverser. Ne voulant pas réveiller la lionne qu’elle était devenue ces dernières lunes, doucement il s’approcha et tira sur la couverture. Elle était toute mignonne avec ses petits yeux clairs écartés et ses oreilles rondes. Elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à Kaïsha, mais en miniature.


– Une fille. Que vaut une fille sur ce monde ? grommela Korshac.


Il relâcha la couverture avec dédain, ne reconnaissant d’ailleurs, dans le visage de l’enfant, aucun signe permettant de le considérer comme sa descendance.


– Si encore ça avait été un garçon...


Le doute enfin levé, il reprit les préoccupations qui l’avaient amené jusqu’ici. Se retournant vers la chaise où la clef de sa cachette était dissimulée, il fut surpris de la voir renversée. Pire, le réceptacle où la clef devait être cachée était vide. À ce moment, diverses images lui revinrent en même temps en mémoire, s’entrechoquant, et rapidement s’imbriquant comme un puzzle.


Kwo. Où était l’aomen ? Depuis cette fin de nuit, il ne l’avait point revu. Alors qu’avant, il était le premier à ramener sa tête de banane, toujours à se vanter comme un oiseau de malheur au sommet d’un mât. Attiré par les rayons du soleil traversant le sabord, il comprit.


Korshac se précipita jusqu’à sa couche. Enjambant Kaïsha, il se pencha pour soulever le matelas cousu et fourré de paille. Au lieu de trouver la porte du coffre, aménagé à même le double plancher de la cabine, fermée, elle était grande ouverte. Et des deux grosses doubles sacoches d’or entassées à l’intérieur, il n’y en avait plus qu’une, la plus légère, pesant tout juste vingt kilos.


– Sale voleur. Si j’te retrouve, j’vais t’la casser ta gueule de pélican, marmonna-t-il.


Sa voix grave perturba le sommeil de la panthérès qui posa une main sur le mollet du capitaine, surement encore dans le rêve de l’accouchement, à attraper le bras de l’aomen pour pousser. La rage de s’être fait duper fut perturbée par la chaleur inhabituelle de la main de sa belle. Car même si elle l’avait trahi, Korshac, en tuant l’orkaim et en projetant de se débarrasser du bébé, considérait déjà son honneur lavé. Alors Kaïsha pourrait reprendre sa place, tout du moins Korshac y travaillait, cherchant des raisons de lui pardonner ses infidélités.


S’approchant à son chevet pour s’assurer qu’elle n’était pas en proie à une forte fièvre, Korshac s’immobilisa, consterné. Elle était brulante, comme un âne dans le désert. Et son sommeil était loin d’être serein. Elle prononçait des mots que seuls les malades comprennent entre eux. La journée s’annonçait chargée. Korshac se releva, bien décidé à vaincre ce mal venu lui prendre sa femme-panthère.


– Narwal !!! cria-t-il, dans la direction du pont.


Korshac n’attendit point car le coq était surement à écouter, non loin de la cabine.


– Capitaine... dit-il, faisant mine d’avoir été coupé dans son occupation.


– De l’eau. Apporte-moi de l’eau.


Quelques secondes lui suffirent pour observer le sale état de la cabine. Et, croisant les yeux sévères du Grand Blanc, Narwal courut à la barrique accolée au seul mât central. Dans un seau en bois, il rapporta l’eau et la posa aux côtés de la couverture. Korshac y plongea un linge encore humide de sang et l’apposa sur le front couvert de poils safran clair. 


– Tu vas tenir bon, ma belle... Tu vas tenir, lui dit-il, d’une voix étrangement douce.


– Faut retirer la couverture, capitaine.


Korshac répondit par un air incrédule.


– Si elle a de la fièvre, j’dis, ajouta Narwal pour lever le doute sur ses intentions.


Korshac, ne voulant que le mieux pour Kaïsha, s’exécuta. Maintenant, il pouvait voir le bébé accroché aux mamelles de sa femme, se nourrir. Au sourire de Narwal, nul doute qu’il était attendri par l’enfant.


– À Daïkama, y a un temple d’Anhouryn, hein ? questionna Korshac.


Narwal, nullement perturbé par la fièvre de Kaïsha, se souvenait parfaitement qu’un tel édifice siégeait dans la capitale du pays daïkan.


– Mmh... oui, répondit-il pour rassurer son ami de longue date.


– Une fois au port, j’vais chercher une soigneuse, capitaine, ajouta-t-il.


Korshac acquiesça des paupières, ne pouvant pour l’instant, se résigner à la laisser seule. Il s’assit à ses côtés, en tailleur et lui souleva la tête, passant son bras poilu derrière le cou. Se voutant le dos pour créer une sorte de dôme rassurant, il lui parla lentement dans le creux de ses oreilles pointues.


– Je ne laisserai pas la fièvre te prendre... mon amour.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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