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Le prêtre, au visage repoussant, se trouvait au chevet de Kaïsha. Il avait étalé par terre un tissu sur lequel il déposait des objets étranges sortis de sa mallette en bois. Korshac, encore essoufflé d’être revenu à la hâte au navire, n’avait jamais vu un tel prêtre s’entourer, pour ses soins, d’autant de camelote. Son regard passait d’un cône en bois au sourire niais de Narwal qui hochait la tête afin de lui assurer que tout était parfaitement normal. Le prêtre tira d’abord, avec ses doigts, sur les paupières puis sur les lèvres pour observer l’intérieur de la bouche de la femme-panthère.


Des gestes à la portée de tous, se disait Korshac qui commençait à plisser les yeux de méfiance. Narwal, quant à lui, se grattait les squames sur la tempe de nervosité. Le borgne avait des allures de charlatan et Korshac ne tarderait pas à sortir de ses gonds. Quand enfin, il prit le cône et enfonça le petit orifice dans son oreille droite puis apposa la partie plus large sur la poitrine de Kaïsha, ce dernier geste eut raison de la patience du capitaine. Korshac attrapa Narwal par le col de la chemise pour le sortir de la cabine.


– Tu me l’as trouvé où celui-là ? Devant une roulotte à vendre ses miracles en bouteille ? lui gueula-t-il dans l’oreille.


Narwal vibra des paupières, de peur de se prendre la raclée qu’il méritait. Puis, l’idée lui vint de répondre.


– La prêtresse d’Anhouryn me l’a recommandé...


Il était rare chez Narwal d’avoir de l’aplomb. Aussi, le capitaine prit le temps de réfléchir et jeta un coup d’œil pour voir si le prêtre allait enfin entonner une prière. Ce n’était nullement le cas. Il continuait d’apposer son cône sur les seins de Kaïsha, tout en les tâtant du doigt.


– T’es sûr ? Car en ce moment même, il pelote ma femme sans vergogne. Tu l’aurais pas plutôt déniché dans le rade où t’as passé la nuit ?


La clairvoyance du capitaine imposait le respect. Et, Narwal inclina la tête pour regarder ses pieds, comme un petit garçon qu’on gronde.


– J’vous l’jure, capitaine. Je l’ai trouvé dans une sorte de temple, pas dans la taverne.


S’ensuivit une forte claque à l’arrière du crâne.


– D’la Main-Ouverte ? Eh ben, on va voir lequel de nous deux aura la plus grosse main ouverte, termina Korshac, avant de rentrer dans sa cabine, décidé à en finir avec l’imposteur.


L’homme était debout et tenait entre ses bras le bébé qui dormait. Sa face immonde, rongée par la maladie et l’œil vide, contrastaient avec le visage mignon de la petite fille-panthère. Korshac avait la paluche grande ouverte, prête à baffer la tête de cet homme qui se faisait passer pour, sans aucun doute, qui il n’était pas.


– Elle est si mignonne, cette petite, dit-il dans un parfait élinéen, percevant chez le maître du navire une tension plus que dangereuse.


Korshac le dévisageait, lui laissant encore le temps de quitter le navire par le pont, plutôt que par-dessus bord.


– Mignonne, mais pas innocente. Cette fièvre vient du bébé qu’elle a mis au monde. Je puis vous l’assurer.


Était-ce ce qu’il voulait entendre ? Quoi qu’il en soit, les paroles du pseudo prêtre eurent l’effet immédiat de détendre la main de Korshac ainsi que les muscles de son bras jusqu’aux épaules.


– J’ai coupé le cordon qui était encore là, à l’affaiblir. Voyez vous-même.


En effet, le cordon blanc-bleu encore visqueux sortait du ventre de la petite fille. Korshac n’entendait rien à la mise au monde des enfants. Alors, ce que le charlatan racontait sonnait comme vérité à ses oreilles.


– Tenez, je vous la donne. Il faut la tenir à l’écart de sa maman, si vous voulez la sauver.


Korshac la repoussa de la main, éprouvant une sorte de dégoût pour cet enfant qui lui prenait sa bien-aimée.


– Je vais la vendre. Connaîtriez-vous acheteurs ?


– Ça ne manque pas ici. Vous pourriez en tirer un bon prix, répondit-il d’un air désintéressé.


Tout en posant le bébé sur le fauteuil à côté, le prêtre retourna nettoyer les chairs sanguinolentes et répugnantes qui étaient restées par terre, non loin des jambes de Kaïsha.


– Regardez les dégâts qu’elle a faits, ajouta-t-il en transvasant le placenta dans le seau d’eau devenu de sang.


Korshac l’écoutait faiblement et comprenait que l’odeur provenait de ce qu’il manipulait et non de sa douce. Reprenant espoir, l’instinct de marchand revint, d’autant qu’il était en mal d’argent.


– Vous êtes d’ici. Vous devez connaître quelques bourgeois désireux d’élever une enfant panthérès selon leurs désirs de Daïkans.


La face grignotée par la maladie se retourna. Elle affichait l’œil de la réflexion. Cet homme en savait plus qu’il ne le laissait paraitre. Et Korshac le discerna.


– Peut-être que j’aurais un acheteur...


– Eh bien, c’est parfait. Une fois terminé, vous allez me le présenter, s’empressa de dire le Grand Blanc.


Le prêtre de la Main-Ouverte émit une grimace de désapprobation, tout en se levant pour jeter le contenu du seau par le sabord.


– Mmh, je crains qu’il ne soit pas ici en ces temps propices à la guerre.


Puis, il se détourna des yeux du capitaine. Korshac fronça les sourcils et proposa :


– Mais, il va revenir. Peut-être pourriez-vous l’acquérir pour lui ?


Le rebouteux retourna à genoux par terre et se remit à nettoyer le plancher avec le linge sale de sang et de bouts de chair. Après quelques gestes amples et circulaires sur le sol, le prêtre balança sa tête pour acquiescer, puis se tourna une fois encore.


– Ce peut être une éventualité. Mais combien en voulez-vous ? dit-il avec sa joue gauche qui pendait plus que la droite, tellement la peau était distendue par le mal.


Korshac plissa les yeux, fit mine d’attendre, de calculer, alors qu’il savait parfaitement combien il lui fallait pour boucler l’achat des rameurs qui lui manquaient.


– Quatre-cents galonds, pas moins.


L’étonnement du prêtrillon semblait sincère, bien qu’il était difficile à Korshac de saisir la finesse des expressions dans ce visage ravagé.


– C’est le double du prix que j’espère la revendre.


– Allez, allez ! Le prix des esclaves a été multiplié par trois, avec le blocus de l’Empire. Un bébé femme-panthère, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Les femmes esclaves tuent leurs enfants pour ne pas avoir à les élever en cage. J’en sais quelque chose pour avoir acheté ici ma compagne. Quatre-cents galonds, c’est peut-être le prix que vous atteindrez. Alors, je vous en offre trois-cents. En quelques jours, vous pouvez vous faire cent galonds.


Le prêtre lui aussi plissa les yeux, cachant l’orbite vide par une fente de peau. On aurait dit qu’un œil noir s’était formé derrière. Korshac en tressaillit.


– Deux-cent-soixante-seize galonds, et ce sera ma dernière offre, capitaine.


D’un moinillon désintéressé, il venait de soutirer le prix d’une dizaine d’esclaves. C’était plus qu’il n’espérait. Korshac tendit la main. Le prêtre de la Main-Ouverte tendit la sienne, brillante du sang de la panthérès, et scella la transaction avec l’œil avide d’avoir remporté une importante affaire.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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