– Tu ne vas pas t’y mettre toi auffi, à fhanter comme un oifeau ? soufflait le gaillard qui lui avait tapé la tête, avec son gourdin, six jours plus tôt dans le marais en guise de bienvenue.
Mais, Kwo continuait de siffloter, imitant les autres esclaves du marché. C’était un chant de liberté qui s’était épris de chacun des prisonniers. Le chahut avait débuté avec sa course matinale, entre les étals encore déserts de ses maîtres, pour rejoindre sa geôle. Alors, afin de n’éveiller aucun soupçon, Kwo participait à la chorale. Il sifflotait aussi dans le but d’irriter les vendeurs de chair humaine.
Le grand et gros humain n’était pas d’humeur à se laisser moquer. Et, tout en portant les écuelles de ses deux pensionnaires, il tira son gourdin pour le faire rebondir sur chacun des barreaux de la prison. En réponse, Kwo se tut. Non pas qu’il en avait peur, mais plutôt que sa proie, peu à peu, allait prendre place. Il fit mine de respirer les bonnes odeurs du plat à venir, tout en s’avançant vers la porte.
– Bah foilà. J’préfère comme fa, en bon fhien, dit le maton en rigolant.
Puis, il rangea son gourdin pour tirer la clef du trousseau pendu à sa ceinture. Elle glissait le long de la tige d’acier amovible qui permettait de mieux la rapprocher de la serrure. La clef, qui devait libérer le pêne d’un simple tour, malheureusement ne tourna point. Alors qu’il cherchait, toujours d’une seule main, à forcer sur sa clef, Kwo s’approchait le long des barreaux, comme attiré par la nourriture que le triplé tenait toujours dans son autre main.
Accaparé par la serrure récalcitrante, il ne vit pas se glisser la chemise de l’aomen dans l’anneau métallique de son imposant porte-clefs.
– Mais, tu fais quoi, fale fouine ? beugla en daïkan le molosse aux incisives absentes, tout en tentant de s’écarter de la cage.
La fière chemise jaune, même si elle craqua sans céder, le retint. Au même moment, Kwo sortit d’entre ses pieds la pince qu’il y avait cachée jusqu’à ce matin. Et sans mot dire, elle mordit avec ses mâchoires l’anneau d’acier. Ce dernier était beaucoup plus fin que le maillon du cadenas. Et investi de l’énergie de la liberté, Kwo força de tout son poids sur les deux manches.
Aussi simplement que l’on brise une branche entre ses mains, l’anneau céda. Ne comprenant nullement le plan dont il était l’acteur, le tortionnaire cherchait, à droite à gauche, comment se dépêtrer de cette torsade de tissu jaune. Mais, son gourdin, pour trancher, ne lui était d’aucune utilité.
Alors, quand il entendit l’anneau se briser net, il recula plus encore, le tordant et libérant les clefs qui, une à une, tombèrent au sol. Empêtré à toujours tenir droit ses écuelles, trop consciencieux de son travail ou peut-être trop paresseux d’avoir à refaire le repas, le maton finit tout de même par les lâcher. Mais, l’aomen était déjà par terre à tirer de son côté la précieuse clef qu’il avait eu le temps de repérer tant sa surface polie était plus brillante que les six autres.
– Rends-moi fa, fharogne ou j’vfais ! hurla la brute qui reprenait ses airs de la première rencontre dans le marais.
Il tenta, en vain, de donner un coup de gourdin car Kwo avait déjà fui auprès du barbare. Ce n’était pas encore gagné, loin de là. Il fallait enfoncer cette clef dans la serrure du cadenas. Ce qui n’était pas si simple avec le molosse qui grognait à la porte en forçant des deux mains sur la serrure. Le crochet ne tarderait pas à céder. Et pour couronner le tout, Yurlh trépignait d’impatience et bandait tous ses muscles de bientôt se sentir libre. Le gardien beuglait, et autour, d’autres avaient levé les yeux, alertés par le désordre inhabituel.
– Arrête-toi. J’vais pas y arriver si tu t’balances ! gueulait Kwo, tout en tournant la clef qui finit par ouvrir le cadenas.
Mais le plus dur était encore de sortir le maillon de l’étroit trou de la barre en fer qui bloquait, dans sa longueur, la porte de la cage de l’orkaim. Kwo aurait aimé interdire à sa tête de comprendre les mots proférés en daïkan dans son dos. Cela aurait enlevé de la panique. Et pour comble, Yurlh continuait à s’énerver, donnant peu à peu un effet de balancier à sa cage. Quand Kwo entendit derrière lui le crochet céder dans la serrure, le cadenas n’avait pas complètement terminé sa course pour libérer son ami.