L’obscurité, celle qui recouvre notre vue lorsque l’on ferme les yeux, jamais on ne s’y habitue. Et c’était encore plus difficile pour un enfant des plaines ensoleillées du Sud, qui vivait au sein de la nature où le soleil annonçait la nouvelle journée, celui qui éclairait le visage rayonnant de sa mère.
Depuis neuf sillons, il vivait prisonnier au fond d’une fosse sombre. Sa lumière à lui était le visage de sa maman. Seul au fond d’un trou, avec pour uniques compagnons deux chiens, couverts d’un tissu bleu, blanc, violet ou vert, ils attendaient, séparés par des volets de bois, le moment du repas.
Et pourtant, il avait eu bien plus de temps qu’il en fallait pour l’oublier, ce visage. Car, il n’avait que six sillons quand on l’avait arraché aux yeux de sa mère pour le jeter au fond d’un trou humide. Nourri de haine et de violence, seul le sourire ensoleillé de sa maman était là pour l’apaiser les nuits de solitude.
Même en étant devenu une machine à tuer, l’obscurité était un ennemi qui ne couinait pas de douleur. Il le savait bien. Par contre, les chiens qui sortaient de derrière les volets aboyaient eux, souffraient d’avoir à partager leur pitance avec un enfant fort et hargneux. Car derrière leurs crocs, suintant la bave des affamés, ne pouvait se cacher une parcelle du sourire de sa maman.
Et, quand plus grand, on l’habilla d’un carcan de métal, pour aller gagner son pain sur un champ de bataille, les chiens bleus, blancs, violets ou verts à quatre pattes s’étaient redressés et marchaient debout, dressant de longs bras de bois aux griffes en fer.
C’était comme dans la fosse, le moment du repas était annoncé au son des cornes, les volets se levaient et le champ se baignait de lumière rouge. Celle de la lune qui éclairait la rencontre sanglante entre l’enfant et les chiens de guerre.
Une fois vainqueur, il pouvait retourner manger au fond du trou. Dans sa sombre demeure, le cuissot de viande entre les mains, il se repaissait, accompagné d’un souvenir, qui au fil des sillons, s’estompait. Pire était le temps du sommeil, seul, où il ne pouvait s’endormir qu’en écoutant le ronflement d’autres de ses frères orkaims.
Et puis vint cette nuit, celle où la corne ne les rappela pas pour manger. Cette nuit où chacun de ses frères tomba l’un après l’autre. Cette nuit où il alla chercher, chez l’un de ces chiens, la délivrance. Car, de toute façon, il avait compris que jamais plus il ne reverrait sa mère. Le souvenir de son visage avait disparu de sa mémoire.
Mais la mort lui avait finalement joué un vilain tour. Ce fut ce petit picotement sous le menton qui le sortit de son sommeil. Autour, encore et toujours régnait l’obscurité. La peur de retourner dans cet univers sordide, dans cette fosse, l’étreignit.
Et soudain, blanc et lumineux, lui sourirent les courbes douces et chaleureuses d’un visage d’abord inconnu. Il fallait que ce soit elle. Il en allait de son salut. Il cria moïma !, maman en toïma, la langue des orkaims.