Voilà ce qu’il fabriquait, le monstre au cimeterre aussi long que l’aomen. Grâce aux raccourcis, il les avait pris de vitesse et se trouvait maintenant au-dessus d’eux. Les soldats montant par en dessous, la tenaille allait bientôt se resserrer. Avec un large sourire de satisfaction de les avoir retrouvés, il montra ses belles dents blanches nappées de chocolat fondu. Mais avant de dire quoi que ce soit, il saisit le barreau du sommet de l’échelle et la souleva.
– Viens par-là, petit fuyard, que je t’attrape, dit-il de sa voix fluette, nullement en adéquation avec son corps.
La peur vous oblige parfois à des gestes inconsidérés. Et plutôt que de se laisser tomber au sol, Kwo s’accrocha. C’était la peur de tomber dans le vide. Car une fois soulevé comme un fétu de paille, Kwo avait perdu ses repères. Maintenant, il se sentait inéluctablement aspiré par la force du colosse.
– Hihihi ! Prends l’échelle, répétait l’épérite sénile, derrière sa grille.
Et soudain, l’échelle se bloqua dans son ascension, aussi net qu’un crochet en fer pourrait le faire. Ce crochet n’était autre que les mains de Yurlh qui avait saisi le barreau du bas de l’échelle, bien décidé à la faire redescendre. Pour conjurer le va-et-vient orchestré par les deux colosses qui s’affrontaient, Kwo enserra les barreaux de ses deux bras, les joignant par-derrière. Gêné par la pince et les pains, il les lâcha.
Avec la force de ses deux grosses jambes, Bomboyoyo tira l’échelle, faisant par là même céder le barbare d’un bon mètre cinquante. Pour Yurlh, ce n’était qu’une défaite causée par la surprise. Il écarta les jambes, façon de les ancrer dans le sol, telles les racines d’un arbre. Et il tira de toutes ses forces. Partout sur son corps, ses muscles se tendirent au point que, dans son dos, sa blessure semblait se déchirer comme si sa peau était devenue un habit trop court pour sa personne.
Le colosse au-dessus ne put que céder face à la puissance de l’orkaim en dessous. Presque déséquilibré, il dut se mettre à genoux pour ne pas la lâcher. Surmontant la douleur, assoiffé de vaincre le géant blanc, Yurlh voulait à tout prix récupérer l’échelle, comme ensorcelé par les paroles du vieillard. Comprenant qu’il avait le dessus, il tira sur le côté l’échelle et Kwo son cavalier, poussant dans l’élan la table. La pyramide de cubes en bois s’effondra sous le regard terrorisé du marchand qui se voyait déjà puni d’avoir caché le passage tant convoité. L’effet de levier exercé par l’orkaim termina d’obliger Bomboyoyo à enlever ses mains.
Et la physique put ainsi prendre le relais. Dans un fracas qui stoppa tous les gardes dans leur ascension, l’échelle tomba de tout son long au sol, entrainée par le poids de Kwo. Malheureusement, la manière dont il s’était accroché, lui coûta un craquement dans le coude aussitôt suivi d’une souffrance atroce.
– Haaa !!!
Heureusement, Yurlh le tira par l’autre bras afin de l’aider à se remettre sur pieds. Mais quand tous deux observèrent l’avant-bras droit de Kwo tourner dans un sens inhumain, la consternation fut de conserve.
– Moi, Bomboyoyo, vous ordonne de vous rendre, reprit de réciter le colosse, au-dessus, par l’encadrure de la trappe, toujours grande ouverte.
Pour le défier, Yurlh souleva l’échelle et la lui montra en trophée, puis sortit son cri de guerre.
– Rrraurgh !!
Un cri qui résonna dans tout le marché, plus encore que le fracas du bois de l’échelle tombée à plat. La guerre avait sonné. Pour Bomboyoyo et ses soldats, il ne faisait aucun doute qu’il fallait maintenant affronter, par les armes, ce barbare.