À peine avaient-ils quitté le contact avec Bomboyoyo que ce dernier criait de leur tirer dessus. Fort heureusement, leur ancien propriétaire œuvrait dans leur sens, assez longtemps pour qu’ils puissent se remettre à l’abri derrière la table.
– Si à chaque escalier, le gros en blanc se poste devant, on n’atteindra jamais le second. Autant dire adieu aux toits, maudit Kwo.
Une autre volée de flèches, dont plusieurs se figèrent dans le plateau épais de la table, lui rappela leur état d’esclaves traqués. Entendant des bruits métalliques d’épées qui se frottent, Kwo tourna la tête pour observer dans leur dos. Quatre ou six hommes avançaient en rang par deux, les lames courbes tirées. L’un d’eux en possédait même deux, une dans chaque main. Il les faisait grincer l’une contre l’autre, arborant le faciès du guerrier qui veut en découdre. Mais visiblement, ils gardaient une bonne distance pour ne pas tomber sous les flèches de leurs frères archers. Le barbare aussi montrait qu’il avait tous ses sens en alerte. Il regardait derrière, dessus, dessous, et en avant pour n’être surpris par aucun attaquant.
– Des trous dans mes propriétés. Qui voudra alors me les acheter ? criait plus fort leur marchand, espérant ainsi stopper les volées commandées par le gargantuesque commandant.
Une autre de ces terribles attaques de projectiles les cloua encore une fois au plancher. Mais en plus d’en avoir près d’une dizaine qui se plantèrent dans la table. L’un d’entre eux frôla même la tête de l’aomen qui aussitôt lâcha de peur une goutte de sueur.
– Fonce, Yurlh, droit devant. On va l’prendre de vitesse ce gros porc ! cria Kwo pour conjurer la mort qui n’attendait que de lui percer la tête.
Galvanisé par les paroles de son frère d’aventures, Yurlh souleva la table et entreprit de courir avec. Passant au travers des tentures, plaquant les étals des négociants contre les grilles des prisons, projetant les tabourets par-dessus la rambarde d’habiles coups de table, les deux fuyards progressaient rapidement.
Au point que les flèches se faisaient rares, celles qui se plantaient pour décorer la table. Une table qui ressemblait plus à un engin de torture qu’à un plateau où il ferait bon manger. L’escalier suivant tardait à venir et aucun guerrier ne s’interposa pour freiner leur course d’homme-tortues.
Mais, au détour d’une tenture de chanvre, arborant le symbole de deux poings croisés reliés par une chaîne, tout de vert dessiné, un malheureux événement devait les ralentir. Le tissu mal fixé se décrocha quand il rencontra l’un des pieds de table et s’emmêla dedans. De toute sa longueur, la tenture s’abattit, les couvrant tout entier, voilant au passage leur vue. Mais, cela n’incita ni Kwo ni l’orkaim à freiner. Pire la gêne et le manque de visibilité accélérèrent leur fuite, se croyant les proies d’un piège orchestré.
Telle une tortue furieuse et aveugle, la chose se mouvait rapidement sous le regard consterné des poursuivants. Car tous pouvaient, d’en bas et d’en haut, voir que leur destination allait inéluctablement se terminer par une chute.