Ainsi disparaissait, sous les yeux effarés de Kwo, son ami et, avec lui, la lourde table criblée de flèches. Le cri de l’orkaim fut aussitôt suivi d’un lourd fracas, résonnant tel un tambour en dessous, remontant en ondes graves le long des murs du marché. Kwo en plissa les yeux de douleur. La rencontre, des muscles raidis de l’orkaim contre le plancher, vibrait encore au fond de ses oreilles. Mais, dans tout ce vacarme assourdissant, son tympan tintait d’un bruit plus aigu, plus régulier. C’était le son de rouages qui s’entrecroisent sans cesse.
– Il est à moi… à moi… C’est moi qui l’ai pris, perça la voix du voleur qu’il reconnaitrait parmi cent autres.
Kwo se dressa sur son coude, cherchant à comprendre ce qu’il y avait d’anormal dans tout cela. Au-dessus, le balourd en blanc venait de se pencher par-delà la rambarde. Il le fixa des yeux et aussitôt changea de cible, ayant finalement trouvé ce qu’il cherchait. Il pointa son long daïka dans le vide et gueula autant qu’il put, de sa fine voix aiguë :
– Tirez-lui dessus avant qu’il ne soit trop tard… Mais tirez !
De son seul bras valide, Kwo se rapprocha en rampant, jusqu’au bord, pour mieux comprendre. Les bras tendus, tenant prêts leurs arcs bandés, les guerriers attendaient. Ils attendaient, la tête tournée vers le chef archer, l’ordre qu’il hésitait à donner.
– Tirez, j’ai dit… tirez, TIREZ ! insistait le ventripotent colosse, piétinant d’énervement.
Tous les regards suivaient en même temps quelque chose, quelque chose qui pour eux n’était autre qu’une menace, à voir la noirceur de leurs yeux. Quelque chose qui, par une force inconnue, montait. Soudain, apparurent, dépassant le balcon, les yeux ahuris de l’orkaim, dont la tête montait comme par magie. Il était là assis, tel un oiseau sonné, tombé de sa coquille.
– À moi, j’ai dit !
Derrière, l’esclavagiste ratrid actionnait une manivelle faisant monter un plancher entier. La fin du balcon que Kwo et Yurlh croyaient être un piège pour fuyards n’était autre que la colonne d’un élévateur pour cage à esclaves.
– À moi, il est à moi ! continuait Chamanoukélif, tout en haletant de l’effort qu’il fallait pour actionner le monte-charge.
« La chance, la chance de Xyle revient enfin nous entourer, pensa Kwo en tâtant encore le galond d’or dans sa chemise. »
Oubliant dans l’euphorie son bras handicapé, sur lequel il s’appuya pour se relever, il fut rattrapé par ses nerfs, marquant de la douleur son incapacité. Il tira de suite sur l’autre qui agrippait un petit poteau. Et, sans même réfléchir, il courut pour sauter sur ce qui semblait assez dur pour supporter un ratrid, un orkaim et une table fracassée.