Si la tour avait des allures d’entrepôt, le rond goût d’olive verte, provenant des contreforts ensoleillés d’Alacande, rendait le lieu plus somptueux. C’était là l’un des rares moyens dont avait usé Larlh Vecnys pour estomper les murs de chaux grise, gonflés par le temps et effrités en de multiples endroits, de son habitat. Unique moyen pensait-elle, maintenant que les murs avaient été déshabillés de leurs tentures de soie des Sétèkes, son pays d’origine.
Il n’y avait pas dix jours, elle croyait enfin pouvoir quitter Ildebée pour le plus beau palais de l’Empire. Mais, c’était sans compter sur ce trafiquant des mers qui s’était donné pour mission de libérer son meilleur rameur, Yurlh.
Larlh Vecnys jeta habilement une olive dans sa bouche et écrasa la chair avec précision pour seulement libérer le jus goûteux, sans pour autant mordre dans le noyau dur. Il ne restait plus que l’aigreur et le sucré pour lui faire oublier sa triste demeure.
Car les dangers entourant l’orkaim, qu’elle avait en charge de protéger, s’étaient aussitôt démultipliés, l’obligeant à reporter son départ indéfiniment.
– Tu as échangé son étroite cage pour une prison autrement plus grande, se parlait à elle-même la femme-araignée, tout en gardant une paire d’yeux sur sa proie qui se gavait à près d’un millier de kilomètres de là.
Elle avait sorti ses ficelles pour entourer deux de ses habiles mains.
– Enfin, Korshac est mort et le ciel est devenu bleu et sans nuage, tout n’est pas sombre. J’entrevois dans ta traversée du désert marin l’opportunité de rallier Élinéa, continuait de réfléchir à haute voix l’invocatrice de Chaèm.
Elle remuait ses doigts qui imitaient, par les fils tirés, des bouches imaginaires. Celle de Yurlh et la sienne se faisaient la conversation. Quand son regard de télépathe fut voilé par l’imposante stature d’un minotaure à la mine renfrognée. En plus d’être copieusement revêtu de muscles guerriers, il semblait sous l’emprise de paroles qui lui donnaient du courage.
Larlh Vecnys dut s’imposer de mieux se concentrer pour ajouter le son aux images défilant devant les yeux réservés à sa proie. Ses doigts s’animèrent alors, presque machinalement.
– Tu viens me défier, gaillard à tête de taureau, et tu oses brandir le sceptre du capitaine.
Elle se balança en avant pour que ses deux jambes touchent terre. L’instant nécessitait de ne pas rester en équilibre.
– Avance donc et prépare-toi à goûter de ma force surhumaine.
Mais alors qu’elle était prête à déchaîner, en les veines de l’orkaim, une puissante magie, une idée surgit du côté de son esprit calculateur.
– Non, dit-elle avec ses doigts, animant la bouche mandant ses paroles.
– Non, débrouille-toi et montre à ta maîtresse que tu es un homme maintenant.
Elle resta sur ses gardes, les muscles tendus, presque apeurée d’avoir pris cette décision insensée, de le laisser sans assistance. Mais n’était-il pas un puissant guerrier sanguinaire, un Hurleur qui avait remporté, dans le massacre, de multiples victoires ? Si l’action fut terriblement rapide, au point qu’elle n’aurait pu répondre avec aucun sort, elle la vit se dérouler plusieurs fois devant ses multiples facettes qu’elle avait orientées pour l’occasion. Et, elle la reverrait plus tard se dérouler dans ses souvenirs, encore et encore. Car l’orkaim parvint, en une passe de lutteur, à mettre hors d’état de nuire l’imposant minotaure, tout en lui ravissant le hachoir de Korshac.
Et quand il cria À moi Yurlh ! c’était comme s’il répétait les mêmes paroles qu’elle venait de prononcer pour se congratuler de n’avoir pas cédé à user de ses pouvoirs.
– Aujourd’hui, nous quittons cette tour affreuse. Sortez le charriot et portez-y mes dernières malles ! termina-t-elle en implantant par télépathie l’esprit de ses deux esclaves.