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— Alexander Wills est comment au lit ?

Je m’étouffe à moitié avec la gorgée de thé que je viens d’avaler. A travers mes larmes, je la fusille du regard. C’est quoi cette question ? C’est un peu comme si je lui demandais comment était son mari. Bon, d’accord, je n’ai pas besoin de poser ce genre de question car Jill adore parler de sa vie sexuelle. Des endroits insolites où ils couchent ensemble. Des positions qu’ils découvrent et aiment pratiquer. Malheureusement, nous savons tout.

 

En reprenant mon souffle, je me dis que je suis bête d’avoir cru être à l’abri. Je savais qu’elle reviendrait tôt ou tard à l’attaque. Je suis certaine que Jill a fait exprès d’aborder le sujet que maintenant, au bout de trois heures que nous sommes chez elle.

Depuis la fin du repas, les enfants jouent à l’étage dans l’immense salle de jeux. Ils sont sous la surveillance de Tilda, la nourrice finlandaise, que je plains très sincèrement.

Nous sommes toutes les quatre installées dans le jardin d’hiver de l’immense demeure de l’ère Victorienne, assises sur des canapés autour de la table basse qui regorge de victuailles. La cuisinière ne fait jamais les choses à moitié quand nous venons. Lucia, la vieille italienne adore cuisiner des plats et desserts de son pays natal.

Peggy qui est assise en face de moi à côté de Jill et Karen qui me tient compagnie sur le canapé, tentent de dissimuler leur fou rire derrière leur tasse de thé. Quant à Jill, son verre de vin rouge à la main, elle attend une réponse en ne me quittant pas des yeux.

— Alors ? insiste-t-elle avant de boire une nouvelle gorgée de vin.

— Tu sais très bien que je ne vais pas te répondre, réplique-je en me redressant pour donner plus d’impact à ma réponse.

J’essaie de prendre un air digne, ce qui est peine perdue avec mes cheveux en bataille, mes joues rouges, et mes yeux toujours larmoyants à cause de ma quinte de toux.

— J’en conclus donc qu’il est nul au lit. Cela ne m’étonne pas ! J’ai entendu dire, que plus ils sont célèbres, moins ils sont pas doués avec ce qu’ils ont dans le pantalon, affirme-t-elle en souriant.

— Je n’ai pas dit ça ! je réplique un peu trop rapidement.

C’est à ce moment précis que je me rends compte que je viens de me faire avoir comme une novice. Jill m’a conduite exactement là où elle voulait me conduire. Elle est forte. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’avec les filles, nous lui disons qu’elle aurait pu faire fortune en avocate. Elle sait comment mener un interrogatoire, et recueillir toutes les confidences possibles.

 

Je me mords l’intérieur de la joue. Je ne tiendrais jamais cinq minutes face à plusieurs journalistes. Pourtant, avec mon métier, j’ai déjà donné des interviews, mais j’ai de plus en plus l’impression que ceux que je fréquente dans le milieu littéraire où j’évolue sont totalement différents de ce que fréquente Alexander régulièrement. Les joues rouges, je cache mon embarras en prenant un cornet dans un des plats présents sur la table. Si je mange, je n’aurais pas à répondre. Nous sommes d’accord que ce n’est pas poli de répondre la bouche pleine.

— Donc ?

Mais merde ! Elle ne peut pas laisser tomber ! Je plisse les yeux en l’observant pendant que je mâche avec une application suspecte le morceau de biscuit que j’ai dans la bouche.

Je me force à cacher mon trouble lorsque des flashs de la seule nuit que nous avons passée ensemble remontent à la surface, fuyant l’endroit où j’essaie de les enterrer depuis cette nuit.

J’ai à nouveau l’impression de revenir quelques années en arrière, dans ce lit, de sentir à nouveau ses lèvres sur mon corps. Je ressens la moindre de ses caresses. Mon corps frisonne malgré moi.

 

Je n’ose plus regarder les filles en face, alors, je fixe la tasse que je tiens précautionneusement entre mes mains. Mes joues sont rouges.

— C’est bien ce que je pensais.

— Tu ne disais pas le contraire, il y a tout juste cinq minutes ? s’amuse Peggy.

— Je voulais pousser Léa à nous l’avouer, explique Jill.

— Je ne comprends pas pourquoi tu as arrêté tes études de droit. Tu serais un vrai requin dans une cour de justice.

Jill se contente de hausser les épaules.

— Je préfère passer mes journées à faire les boutiques.

Malgré ses paroles, je décèle quand même des regrets. Jill nous a déjà avouée qu’elle avait peur de vieillir, et de perdre l’intérêt de son mari. Malgré son apparence de femme matérialiste, Jill est quelqu’un qui a peu confiance en elle. Elle a peur de ne pas s’en sortir si son mari décidait de divorcer. Bien sûr, elle plaisante à chaque fois en disant qu’elle retrouverait rapidement un autre mari, mais je sais que ce n’est que pour cacher son angoisse. Je me promets d’en discuter avec elle très rapidement.

— Pour en revenir au sujet du jour, reprend Peggy en déposant son portable qu’elle n’arrive jamais à quitter très longtemps sur la table. Bien sûr que cela se voit qu’il est très doué au lit. Cet homme dégage quelque chose d’animal, de sexuel. Je ne vous dis pas le nombre de fois où juste en regardant un de ses films, je me retrouve tout excitée. Je le préfère en sang, torse nu et en sueur. La prochaine fois que je le vois, je vais lui dire merci. Non, je vais envoyer Bill le faire. C’est lui qui passe du bon temps grâce à Alexander.

 

Les filles éclatent de rire. Moi, je souris juste parce que je suis tiraillée entre deux sentiments. Le premier est bien sûr l’amusement. Le second, j’ai plus de difficulté à l’identifier. Peut-être de l’agacement parce que je sais que Peggy ne doit pas être la seule à fantasmer en regardant ses films.

— Je ne sais pas comment tu fais, continue Jill en vidant son verre de vin rouge, je ne pense pas que je pourrais laisser John faire ce travail. Je suis trop jalouse. Je me suis d’ailleurs arrangée pour renvoyer la nouvelle secrétaire de la boite parce que je l’ai surprise à lui faire du rentre dedans. Alors, un mari connu dans le monde entier. Hors de question !

— C’est une question de confiance, intervient Karen, en jetant un coup d’œil attendri à Jenny qui dort dans l’écharpe qu’elle porte toujours. Je fais confiance à Ben quand il voyage pour le travail, et lui me fait confiance. Je sais qu’il m’aime, cela me suffit amplement. Léa, ajoute-t-elle en déposant une main compatissante sur la mienne, cela se voit que vous tenez l’un à l’autre. Il ne t’a presque pas quitté des yeux pendant toute l’heure. J’ai même cru qu’il allait tuer Jay juste parce qu’il t’a faite rire.

Je rougis. Alexander est bel et bien doué surtout si mes amies qui sont si perspicaces n’y voient que du feu.

« Bien sûr qu’il est doué, c’est son métier de faire semblant ! », persifle ma conscience.

— De toute façon, s’il te fait du mal, il aura affaire à nous trois.

— C’est certain, ajoute Karen en me souriant.

— Totalement ! On ne touche pas à notre Léa, confirme Peggy.

Je souris à mes amies. Nous trinquons toutes les quatre.

 

Pendant qu’elles discutent du prochain voyage de Jill, mon regard se perd à l’extérieur. Je regarde le jardin si bien entretenu par une armée de jardinier. Il n’y a pas une branche plus longue que les autres, pas une feuille qui dépasse des arbustes.

— Pourquoi un mariage si discret ? Même ton père n’est pas invité.

Karen et Jill hochent la tête. Je pince les lèvres en soupirant.

— Ce n’est qu’une étape, je réponds doucement. Un bout de papier.

Karen sursaute en entendant cela. Elle se redresse et me regarde comme si j’étais une créature mythologique.

— Je n’en reviens pas ! Tes personnages sont toujours si romantiques, si amoureux, si vrais, et toi, leur autrice tu es si terre à terre. J’espère que tu ne tiens pas ce genre de discours devant tes autres lecteurs au risque de devoir écrire du thriller.

Je pouffe de rire. Karen a raison lorsqu’elle dit ça. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que je suis très fleur bleue. Mais, la situation ne s’y prête pas.

— Vous partez en lune de miel ? Tu fais un enterrement de vie de jeune fille ?

J’ai la tête qui tourne avec toutes leurs questions. Elles n’en reviennent pas que je me marie demain sans rien ne leur avoir dit avant.

Au moment où je réponds qu’il est hors de question que nous partions en lune de miel, je perds Jill qui me fixe avec effroi. Et lorsque j’ajoute qu’il est bien trop tard pour un enterrement de vie de jeune fille, elles lèvent toutes les trois les yeux au ciel.

 

— Tu as au moins choisi de la lingerie pour demain. Quelque chose pour lui en mettre plein la vue et qui change de l’ordinaire ?

Je m’étouffe à nouveau avec ma gorgée de thé. C’est décidé, jusqu’à mon départ, je ne mangerai plus ni ne boirais quoi que ce soit. C’est trop dangereux.

Je vais me contenter de les regarder échanger des commentaires et anecdotes concernant leurs propres mariages et lune de miel.

 

Une partie de moi meurt d’envie de leur dire que ce mariage n’est qu’une façade pour la presse. Que c’est pour ça que personne ne sera présent à la mairie à part les témoins. Leur expliquer qu’une fois la cérémonie terminée, et les papiers signés chacun rentrera chez soi pendant que Alexander et moi nous nous occuperons de ranger les cartons avec ses affaires dans la chambre d’amis. C’est là qu’il dormira en attendant que les travaux d’aménagement du grenier soient lancés.

Leur avouer qu’il n’y aura pas de lune de miel car il est hors de question que nous couchions ensemble. Leur confier qu’il est proche de moi que lorsque nous sommes en public. J’éloigne le souvenir des baisers que nous avons échangés dans mon salon. Il n’y avait personne à ce moment-là, juste nous deux, mais je suppose qu’il s’entraînait pour le repas avec sa famille. C’est pour ça que je ne vois pas l’intérêt d’investir dans de la lingerie.

Leur livrer que lorsque je vais rentrer de la mairie, je vais enlever la robe que Jack m’a créée, que je vais la ranger pour l’utiliser à une autre occasion, car, pour une fois Jack a suivi mes demandes à la lettre, même si cela lui a brisé le cœur. Elle est simple, très simple. Tellement simple que je peux sans soucis la faire passer pour une robe d’été. Qu’après, je passerai quelque chose de confortable et attendrai le samedi matin avec impatience pour revoir Eleanore.

Que j’ai peur. Peur pour la suite. Nous allons devoir apprendre à vivre tous ensemble avec les habitudes de chacun. Ce ne sera pas facile, et je suis morte de trouille.

Cependant, je ne dis rien, et souris à mes amies qui continuent de parler, et de me donner des conseils.

 

Lorsque la nourrice nous informe que les enfants commencent à fatiguer, et nous demande l’autorisation de les installer dans la chambre, j’en profite pour prendre congé en prétextant un surplus de travail.

J’embrasse chaleureusement mes amies en me disant que la prochaine fois que nous nous verrons, les choses auront changé. Elles me promettent de m’envoyer des messages pour nous féliciter Alexander et moi.

 

A l’extérieur de la maison, je porte Eleanore à moitié endormie jusqu’à la voiture en regardant de tous les côtés pour voir si des paparazzis sont à proximité. Voilà que je deviens parano !

Je grince des dents à cette pensée. Je la dépose doucement dans le siège auto et l’attache. Eleanore me sourit et ferme les yeux.

Déjà fatiguée par les jours à venir, je roule silencieusement jusqu’à la maison. A l’intérieur, j’allonge Eleanore dans sa chambre pour une courte sieste vu l’heure. Je vais la déposer dans une heure chez Jack et papa.

Je me change, prends une douche et descend préparer le repas du soir lorsque quelque sonne à la porte. Je me dépêche de me rendre dans le hall d’entrée.

C’est un livreur qui tient un bouquet de fleurs dans les mains.

— Miss Lewis ? demande-t-il, en essayant de vérifier avec ses deux mains prises mon identité sur l’appareil qu’il essaie de tenir dans le bon sens.

— Oui, je réponds sans quitter le bouquet de fleurs des yeux.

Il est immense. Même le livreur qui est charpenté a du mal à le tenir en équilibre le temps de me faire signer le bon de réception.

— Je peux le porter à l’intérieur, il est très lourd.

Je secoue la tête en souriant et tend les bras. Le livreur me tend le bouquet que je tiens précautionneusement dans mes mains. Lorsqu’il le lâche, en restant tout prêt pour le réceptionner si je le lâche, je sens le poids de l’ensemble. Cela me coupe le souffle.

Je salue le livreur qui s’éloigne et rentre à l’intérieur. Je ferme la porte avec le pied gauche.

 

Dans le couloir, je peine à me rendre dans le salon vu le poids du vase. Je suis contente lorsque je dépose sur la longue table de la salle à manger. Il y a du béton dedans ou quoi ?

Le bouquet est magnifique ! Les fleurs sont blanches et rouges. C’est une merveilleuse composition. En l’observant avec attention, j’aperçois sur la droite une carte bleue qui tourne sur elle-même. Les mains légèrement tremblantes, je décroche la carte et la lis à haute voix.

Pour me faire pardonner.

Alex.

 

Je lève les yeux au ciel en déposant la carte sur la table, et me penche en avant pour sentir le bouquet. Il sent tellement bon. Le vase est torsadé et brille comme du cristal ce qui m’étonnerait quand même.

Pour ne pas le déplacer, je tourne autour de la table pour observer la création sous toutes les coutures.

Je suis presque revenue au point de départ lorsque je remarque autre chose d’accrocher sur une branche artificielle rouge qui vient agrémenter la composition.

C’est un écrin long et fin. Je fonce les sourcils.

— Il n’a pas osé, je marmonne en le décrochant.

Je pince les lèvres avant d’ouvrir la boite. A l’intérieur, il y a un bracelet en argent décoré de rubis et un petit mot accroché dans la boite.

J’ai pensé à toi en le voyant.

 

Je grince des dents en observant le bracelet qui est bien trop beau pour moi. Je lui ai dit pourtant que je ne voulais pas qu’il m’offre des cadeaux aussi chers ! Je ne veux rien de lui, à part la possibilité de garder Eleanore à mes côtés, et donc de partager ma maison avec lui. Je soupire et me laisse tomber sur une chaise près de la table. J’attrape mon téléphone posé pas loin et compose son numéro.

J’inspire un grand coup pendant que cela sonne et me lève de la chaise.

Il décroche à la première sonnerie.

— Léa, murmure-t-il.

— Alexander.

— Tu vas bien ? Tu es partie si rapidement tout à l’heure.

— Oui, ça va. Merci pour le bouquet, mais tu sais que je ne peux pas accepter le bracelet.

Je l’entends soupirer.

— Pourquoi pas ?

— Parce que je ne veux pas que tu dépenses de l’argent pour moi. Ce n’est qu’une façade ! Je ne suis d’ailleurs pas certaine de réussir à faire semblant.

— Léa...je suis tellement désolé pour les articles de journaux. Ne...ne m’abandonne pas demain, s’il te plaît.

Il soupire. Je l’imagine sans mal se passer nerveusement la main dans les cheveux. Je me laisse tomber sur le canapé, replie mes jambes sous moi, fixe la cheminée avant de murmurer d’une voix lasse :

— C’est tellement épuisant. Je ne suis pas certaine de réussir à faire la différence entre les gens qui voudront être avec nous pour nous, et ceux qui voudrons profiter de ta célébrité.

 

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