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La musique des Beatles résonne dans la voiture. Je chante à tue-tête sans me soucier des regards curieux que me jettent les autres automobilistes que je croise aux différents feux de la capitale.

Les studios Carter se trouvent à une grosse heure de route de chez moi. Ces studios sont les plus connus d'Angleterre. Ils ont à leur actif beaucoup de films à succès. Les bâtiments sont assez imposants et s'étendent sur des hectares de terrain.

 

J'engage la voiture près de la cabine du garde qui sort en me voyant approcher.

— Bonjour, je dis en stoppant la voiture.

— Madame, me salue-t-il poliment.

Il regarde mon pass et parle dans son talkie-walkie. J'entends des grésillements et une voix lointaine lui répondre.

— Bonne journée madame.

Il ouvre la barrière et me permet ainsi d’accéder au parking visiteurs.

Je sens cette boule d'appréhension me serrer la gorge lorsque je gare ma petite coccinelle rouge entre une Porsche et une Ferrari.

Ce n'est pas la première fois que je viens ici mais, je me sens toujours autant intimidée par l'endroit. J'ai l'impression d'être toute petite à côté des nombreux bâtiments.

 

Tu peux le faire ma grande

C'est ce que je me répète plusieurs fois en vérifiant mon maquillage dans le rétroviseur central.

Mentalement prête, j'attrape mon sac à main sur le siège passager, sors en faisant attention à la voiture voisine et verrouille la mienne.

— Allez, je murmure pour me donner du courage.

Je serre mon cahier de notes dans la main droite et traverse les différentes allées extérieures du studio.

Pour les auditions, je dois me rendre dans le bâtiment B où se trouve la salle treize. C'est là, que j'ai rendez-vous avec Andréa Arnold.

 

Je sens les regards curieux de plusieurs employés qui doivent se demander ce que je fais là. Mais, je continue mon chemin en saluant poliment chaque personne qui se trouve sur mon chemin. Dans une installation pareille, cela en fait un paquet.

De temps en temps, je jette des regards aux numéros de salle pour trouver le numéro treize. C'est la première fois que je m'y rends. Les premiers rendez-vous se passaient dans les bureaux à l'entrée du site.

Au bout de cinq minutes de recherche, je me stoppe devant la porte de la salle.

Elle est entrouverte et me permet d'entendre la conversation qui vient de l'intérieur.

— Nous commencerons par l'audition des acteurs que nous avons sélectionnés pour le rôle de Robyn.

Je reconnais la voix d’Andréa. Elle est debout devant une longue table. Ses longs cheveux roux suivent le mouvement de ses pas. Un homme qui se trouve de l'autre côté de la table hoche la tête pendant qu'un employé dépose devant chacun des feuilles.

 

Toujours très ponctuelle, je suis persuadée que je suis en retard et jette un coup d’œil paniqué à ma montre. Les auditions ne commencent que dans cinq minutes.

 

Respire Léa.

Je frappe à la porte et entre timidement dans la pièce. Les personnes présentes lèvent les yeux vers moi et Andréa se lève de la chaise d'où elle vient à peine de s'asseoir pour venir à ma rencontre.

Intimidée, je reste près de la porte. Je préfère attendre qu'elle se stoppe devant moi en souriant.

 

Elle doit avoir la quarantaine et est très sympathique. Lors de notre premier rendez-vous, elle a tout de suite réussi à me mettre à l'aise. C'est une femme talentueuse mais aussi, une réalisatrice impliquée dans son travail.

— Je suis contente de vous voir. Votre aide me sera très précieuse, dit-elle en souriant.

Je rougis. C'est une habitude chez moi, n’aimant pas être le centre de l'attention.

— Voici le cahier que j'ai utilisé lorsque j'ai écrit le roman. Il pourra peut-être vous être utile pour aujourd'hui.

Elle le prend et l'ouvre pour regarder les premières pages où des portraits des personnages dessinés grossièrement avec mes faibles talents sont esquissés.

— Merci beaucoup, ajoute-t-elle en me guidant vers la longue table. Mesdames, Messieurs, je vous présente pour ceux qui ne la connaissent pas encore, Léa Lewis, la jeune femme qui nous permet d'avoir du boulot. C'est une autrice de talent.

Est-ce possible de devenir aussi rouge ? Je ne sais pas, mais mes joues me brûlent.

— Je suis loin d'égaler le talent de beaucoup d'écrivains, dis-je en souriant ravie malgré tout par le compliment.

 

— Et modeste en plus de cela, ajouta un vieil homme assis à l'extrémité droite du meuble.

Andréa se tourne vers lui et hoche la tête comme pour l'approuver. Toujours debout à côté de la scénariste, j'observe cet homme avec peut-être trop d’insistance : son visage me dit quelque chose mais je n'arrive plus à me souvenir !

— Léa, je vous présente John Carter, directeur des studios Carter, m'explique Andréa.

Ma bouche forme un « O » de surprise. C'est donc lui, John Carter. D'un naturel timide, il refuse d'être pris en photo. Celles-ci sont donc rares et il n'est donc pas facile de le reconnaître directement.

Sur sa page Wikipédia, il n'y a qu'une vieille photo en noir et blanc qui date des années cinquante lors du tournage de son dernier film en tant qu’acteur.

Je l'avoue, j'ai fait des recherches. C'était juste après avoir appris que les studios Carter voulaient racheter les droits de mon roman.

 

A vue d’œil, il doit avoir soixante-dix ans. Il a des yeux gris et des cheveux blancs qui lui arrivent aux épaules. Il y a une aura de douceur et de gentillesse qui émane de lui. Je me sens beaucoup plus calme qu'à mon arrivée dans la salle.

Me rendant compte de mon impolitesse, je m'approche pour le saluer :

— Je suis heureuse de faire votre connaissance Monsieur Carter.

— Pas de Monsieur avec moi, je préfère John, rétorque-t-il doucement en me serrant la main.

— John, je répète en souriant.

 

Andréa me présente ensuite les autres membres de l'équipe. Je connais déjà certains noms, des personnalités connues dans l'industrie du cinéma pour la plupart.

Lorsque le tour de table est terminé, elle me montre mon siège juste à la gauche du sien.

Devant moi, sur la table, je retrouve les répliques que les acteurs ont travaillées pour le rôle. Cela me fait bizarre de voir mes dialogues sur ces feuilles. Je ressens un mélange de fierté et d'appréhension. Et si au final, ils se rendent compte aujourd'hui que mon roman est un vrai navet !

 

Léa !

Mise en garde de ma conscience qui a l'habitude de mes angoisses d'autrice. Profitant de l’inattention de ma voisine de chaise, j'inspire et expire à plusieurs reprises pour éloigner cette crise qui pointe le bout de son nez. Ce n'est clairement pas le moment !

Pour détourner mon attention, j'observe la scène qui se trouve face à nous. S'y trouvent le canapé brun et le lit que j'ai décrit dans mon histoire. Je suppose que c'est pour permettre aux acteurs de rentrer plus facilement dans leur personnage.

Pendant que je jette des coups d’œil intéressés et curieux autour de moi, je vois Andréa feuilleter mon cahier de notes.

Elle ajoute de temps en temps des choses sur une feuille à côté d'elle et hoche la tête assez souvent.

 

— Pour une histoire de planning, nous allons choisir les personnages principaux, m'explique-t-elle en continuant de tourner les pages de mon cahier.

Elle se stoppe sur le portrait de Moïra.

— C'est exactement comme ça que je voyais Moïra lorsque je lisais votre livre.

Avec enthousiasme, elle passe le cahier à ses collègues qui acquiescent.

Dans l'histoire Moïra est le personnage principal. C'est une jeune anglaise de seize ans. Elle est aveugle de naissance. Blonde aux yeux bleus.

 

Nous attendons encore quelques minutes avant qu'un homme avec un immense casque sur la tête entre dans la salle et murmure quelque chose à John qui hoche la tête.

– Nous allons commencer, annonce le directeur des studios pendant que le jeune homme sort discrètement de la pièce.

 

Léa, tu n'es pas là pour observer les mouches voler.

Ma vieille amie est toujours là au bon moment. Il y a un tas de notes devant moi. Je suppose que je dois faire comme les autres et les lire. Je regarde à ma droite et vois effectivement les membres de l'équipe, le nez sur leur fiche.

Sois professionnelle !

Je sais qu'Andréa compte sur moi pour lui donner mon avis sur les acteurs encore en course. Alors, je fais comme les autres et lis les notes.

Pour le rôle de Robyn, le chanteur de l'histoire, ils sont encore cinq.

 

Quelques instants plus tard, un jeune homme entre sur scène. Guitare à la main, il s'installe négligemment sur le canapé brun et commence à chanter.

Á ce moment-là, je m'accroche à mon siège. J'en ai la chair de poule. Lorsqu'il joue son texte, je l'écoute avec attention. Á la fin de sa prestation, je me retiens d'applaudir. Surtout que, personne dans la salle ne le fait. Ils prennent tous des notes ou échangent entre eux à voix basse.

 

Tour à tour, les cinq garçons viennent sur la scène et donnent vie à Robyn.

Á mes yeux, car oui, c'est moi qui connais le mieux Robyn, trois d'entre eux n'ont pas le physique pour l'interpréter.

En revanche, le premier et le dernier sont parfaits.

Il a réussi par son interprétation à me donner la chair de poule. Et, lorsqu'il se met à chanter en jouant à la guitare un titre de Jeff Buckley, j'ai les larmes aux yeux.

 

— C'est lui, je murmure avec enthousiasme à Andréa.

 

Je me retiens de faire des bonds de joie sur ma chaise, j'ai trop peur de passer pour une folle. Alors, je me force à ne pas bouger laissant ma joie exploser intérieurement.

 

— Ce garçon correspond parfaitement à votre description de Robyn, chuchote-t-elle pour ne pas déranger l'artiste.

 

Cette matinée est étrange. C'est sans doute la plus étrange à laquelle j'ai participé.

Lorsque la dernière actrice sort de scène, je ressens un drôle de mélange.

Une sorte de trop-plein d'émotions : la joie de voir mon histoire prendre vie, la mélancolie du temps de l'écriture et l'euphorie du moment.

 

 

 

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