Pendant que Eleanore et Alexander jouent avec la luge, je regarde autour de nous. Je veux m’assurer qu’aucun paparazzi ne soit dans le coin pour nous gâcher ce moment.
Voilà que je deviens parano à mon tour.
Et cela ne me rassure pas de penser ça. Bien sûr, en tant que maman, je suis toujours attentive à ce qui entoure Eleanore, ne sait-on jamais, surtout actuellement. Mais devoir regarder tout le temps autour de nous et observer le comportement et l’attitude des gens qui sont dans les parages n’a jamais été dans mes habitudes. Je suppose qu’il y a un début à tout.
Je suis vite rassurée par mon inspection des alentours - vous pouvez m’appeler Colombo -, il n’y a que quelques badauds qui se promènent. Principalement des couples avec ou sans enfants qui se baladent main dans la main. Rien de très alarmant pour Alexander qui s’amuse comme un fou.
Pour immortaliser ces moments de complicité, je sors mon appareil photo de mon sac et les mitraille. L’avantage avec un appareil numérique, c’est que je peux faire le tri plus tard sur mon ordinateur, et ne garder que les meilleurs clichés. J’en ai un autre, un beaucoup plus gros qui fait de plus belles photos, mais est moins pratique pour le transporter discrètement. Eleanore prend de la neige avec ses moufles, qu’elle tente de lancer sur son papa, sans vraiment y arriver alors, Alexander se rapproche au fur et à mesure pour l’aider à le toucher. Il semble détendu, même si, je vois de temps en temps son regarder sonder avec attention les alentours, avant de reporter son attention sur Eleanore.
— Maman, crie cette dernière, en me montrant la neige qu’elle tient dans sa moufle.
Ses joues et le bout de son nez sont rosis par le froid. Elle est trop mignonne.
— J’arrive.
Pendant plus d’une heure, nous jouons à la bataille de boules de neige, à faire de la luge, et à se poursuivre. Une famille ordinaire qui s’amuse au parc.
— Je commence à avoir froid, je murmure à Alexander.
Il vient de me plaquer au sol. Son corps musclé est à moitié allongé sur moi. Eleanore, debout à nos côtés frappe dans ses mains pour saluer la performance de son papa qui a eu des difficultés à m’attraper. Elle et Alexander font équipe ce qui ne me rend pas du tout jalouse – peut-être un peu – bon d’accord, beaucoup -.
Avec mes vêtements chauds, je suis protégée du froid, mais, et même si dans ma position je vois Eleanore, je préfère être debout au cas où. Alexander, qui ne me quitte des yeux que pour surveiller notre fille, dépose un baiser sur le bout de mon nez avant de se relever d’un mouvement élégant. Debout au-dessus de moi, il tapote ses gants noirs contre ses cuisses, et me tend les mains que je prends dans les miennes. D’un geste, il me relève et me réceptionne contre lui.
Ses bras entourent mon buste qu’il tient serré contre lui. Je glisse mes mains dans sa veste en cuir ouverte, et les dépose dans son dos. Son parfum boisé m’apaise. Je me sens bien, si bien qu’une petite voix me dit qu’il serait possible que nous arrivions à former réellement une vraie famille tous les trois.
Je suis assise sur la luge avec Eleanore entre mes jambes lorsqu’un cri me glace le sang.
— C’EST ALEXANDER WILLS !
Ébahie, choquée, je jette un regard paniqué à Alexander. Il n’y a plus aucune trace de l’homme joyeux qu’il était il y a encore quelques minutes. Son visage est fermé, ses traits sont durs. Il est en colère. En colère contre lui-même, d’avoir cédé à ma demande de venir ici. Il lâche la corde de la luge et s’éloigne le plus possible de nous. D’un geste discret de la main, il me fait signe de nous éloigner. Il ne veut sans doute pas que nous soyons bloquées par cette horde.
Rapidement, une troupe de curieux se forment autour de lui en hurlant. Quelques personnes – les plus horribles à mes yeux terrorisés – le touchent comme s’il était un animal ou un objet sur un étal d’un marché. Ces mains sont partout, elles touchent son visage, son torse, ses mains. Je vois le dégoût qu’il ressent pour tout ça. Cependant, il cède aux caprices hystériques pour attirer l’attention sur lui afin de nous permettre de partir rapidement. Il pose pour des photos, signe des autographes.
Ma respiration se bloque dans ma gorge quand s’ajoutent les paparazzis – qui ne devaient finalement pas être si loin – à cette masse humaine.
Alexander.
Eleanore et moi sommes suffisamment loin pour que nous passions pour des gens quelconque. Une mère et sa fille qui profitent de la neige pour venir jouer au parc.
— C’est de la folie, dit une dame à son mari.
— Le pauvre homme ! répond ce dernier en l’invitant à continuer leur promenade.
Je sais que je dois reculer encore, mais je n’arrive pas à quitter Alexander des yeux. Mon cœur est douloureux de le savoir là-bas. Je voudrais pouvoir l’aider et le sortir de là ! Malheureusement, je ne sais pas quoi faire et, je suppose que crier « au feu » ne sera pas suffisant pour calmer ces gens.
Un trou dans le rassemblement lui permet de rencontrer mon regard. Cela ne dure que deux minutes, mais je comprends le message. Nous devons Eleanore et moi faire une retraite discrète vers la voiture. Il a sans doute trouvé le moyen d’échapper à ces fous, mais attendra que nous soyons à l’abri pour le faire.
— ELLES SONT LA !
Les paparazzis aussi ont compris le message. Ils arrivent en courant vers Eleanore et moi et nous entourent en gueulant.
L’avantage, c’est que je sors de ma transe et me remets à marcher vers la voiture. Pour aller plus vite, j’abandonne la luge, tant pis pour les souvenirs. Eleanore est bien trop importante pour me laisser ralentir par un objet encombrant.
— Qu’est-ce-que cela fait d’être mariée à Alexander Wills ?
— Vous vous êtes mariée avec lui parce qu’il est célèbre ?
— Regarde par ici poulette.
— La presse parle depuis plusieurs mois de sa relation avec sa collègue Katie Oliver, cela ne vous fait rien ?
Je grimace lorsqu’un nouveau flash m’aveugle. Malgré ma tête baissée, je les reçois en pleine figure. Je comprends maintenant pourquoi les stars se promènent souvent avec des lunettes de soleil sur le nez.
En évitant de glisser sur le sol enneigé, je replace mon écharpe qui cache le visage d’Eleanore. J’ai eu le réflexe de lui mettre dès le début. Dans mes bras, elle se cache dans mon cou et me serre très fort. Tout ça est tellement nouveau pour elle et si effrayant ! Ces cris ! Ces questions !
Je ne m’arrête pas car je sais que si je me stoppe, nous n’arriverons plus à nous échapper de cette folie humaine. Alors, je fonce tête baissée droit devant moi en espérant qu’ils nous laissent passer sans résistance.
Je retiens difficilement un cri de victoire lorsque je touche la voiture du bout des doigts. Nous avons atteint notre délivrance. Je la déverrouille, me hâte d’ouvrir la portière pour placer Eleanore dans son siège auto. Ce qui, avec ces lumières de malheurs, n’est pas facile à faire.
Mes mains tremblent, une boule douloureuse s’invite dans ma gorge pendant que je cherche à tâtons l’attache de la ceinture. J’ai envie de pleurer et de hurler. Leur hurler de nous laisser vivre nos vies. Leur hurler que nous sommes des êtres humains, et pas des morceaux de viande. Toutefois, même si j’en ai envie, je ne dis rien car j’ai trop peur de pleurer devant eux si j’ouvre la bouche pour leur adresser la parole. Pour diminuer cette envie, je mords l’intérieur de ma joue si fort que du sang se mélange à ma salive. Je sais que je dois m’endurcir, surtout si je veux tenir sur la durée.
— Ma puce, nous allons faire un jeu, je murmure à Eleanore en attrapant mon pull de rechange dans le sac. Tu vas te cacher en dessous pour faire peur à papa.
Les yeux rougis et trempés, elle acquiesce doucement, et se cache sous l’habit. Je suis certaine que cela la rassure de faire ça.
Alexander arrive au moment où je ferme ma portière. Il ressemble à un guerrier qui fend la foule d’ennemis sur un champ de bataille. Il est effrayant avec ses yeux qui lancent des éclairs. Les paparazzis doivent penser la même chose, car ils s’éloignent de lui.
Mon cœur se réchauffe un peu lorsque je vois qu’il tient ma luge dans sa main droite. Il a pris le risque d’être à nouveau ralenti par ce troupeau pour la récupérer alors que j’étais prête à l’abandonner ici.
Un type bedonnant au pantalon treillis et à la grosse veste verte lui lance quelque chose que je n’entends pas. Directement, il braque son appareil photo sur Alexander qui lève le majeur de sa main libre vers lui.
La luge dans le coffre, il entre dans la voiture et allume le moteur sans desserrer les dents.
Pendant qu’il roule, le silence devient pesant et pourtant, je n’ose rien dire parce que je ne sais pas quoi dire pour l’apaiser. Il marmonne des paroles inintelligibles en serrant le volant très fort. De temps en temps, il me lance des regards furieux qui me donnent envie de me ratatiner sur mon siège.
— Nous n’aurions pas dû venir ici !
Il a raison, je le sais. Pour autant, devons-nous rester cloîtrer chez nous ? Devons-nous arrêter de vivre ? Ne plus nous amuser ? Hors de question !
— Peut-être, mais ma fille ne cessera pas de vivre à cause de ta carrière, je réplique avec colère.
Je n’ai plus du tout envie de me ratatiner sur mon siège, bien au contraire ! Je croise les bras contre ma poitrine. Je ne regrette pas ce que je viens de dire car c’est en partie vrai. Ses phalanges blanchissent à mesure où il serre de plus en plus fort le volant. Il n’ajoute rien et le silence retombe dans l’habitacle.
Du coin de l’œil – parce qu’il est hors de question que je le regarde – je le vois fixer quelques secondes le rétroviseur central avant de sourire.
— Tu joues à cache-cache ma chérie ? lui demande-t-il d’une voix douce.
— Bouh papa.
Eleanore sort de sous le pull et lui sourit. Le rire de l’acteur emplit la voiture, mais je sens que le cœur n’y est pas. Il rigole pour ne pas lui faire encore plus peur.
Pendant le reste du trajet, je n’ouvre la bouche que pour parler à Eleanore, jamais à Alexander. C’est sans doute immature, mais je suis trop fâchée pour faire autrement. Son attitude m’exaspère. Et de toute façon, Eleanore a besoin d’exprimer ce que nous venons de vivre avec ses mots d’enfant. C’est important qu’elle le fasse là, pendant que c’est encore frais dans son esprit afin que nous puissions lui expliquer et tenter de l’apaiser le plus possible.
Lorsqu’il stoppe la voiture devant la maison de ses parents, j’attrape le sac de vêtements à l’arrière et me de dépêche de monter les marches du perron. Je jette un regard morose autour de moi. J’espère sincèrement que les paparazzis ne nous ont pas suivis jusqu’ici.
Alexander me suit rapidement en tenant Eleanore dans ses bras. Nous n’avons pas encore atteint la moitié de l’escalier que Bridget apparaît. Elle devait sans doute guetter notre arrivée. Elle est aussi élégante que le jour de notre première rencontre : robe en laine bleue, collant et – même si ça casse un peu le style – chausson à pompons roses.
Comme dans un film d’espionnage, elle nous demande si nous avons été suivis. Même si je n’ai pas le cœur à rire, je souris malgré tout. Ma vie est vraiment devenue n’importe quoi. Quand Alexander lui affirme que c’est bon, elle jette un regard circulaire à la rue en pinçant les lèvres avant de nous faire entrer à l’intérieur de la maison.
Une fois à l’abri, elle nous embrasse les uns après les autres.
— Vous venez de passer à la télévision, explique-t-elle. Quelle bande d’ignobles personnages !
Je suis totalement d’accord avec elle. Pendant que j’enlève mes bottes et ma veste, Alexander s’occupe de faire la même chose à Eleanore. Bridget dépose nos bottes sur un paillasson et se dépêche de pendre nos vestes.
Droite comme un I, je regarde droit devant moi. Je sais qu’Alexander m’observe, je sens la chaleur de son regard sur ma peau, mais je ne tourne pas la tête.
— Léa, commence-t-il doucement.
— Pas maintenant !
Lorsqu’elle revient à nos côtés, je souris à Bridget qui nous invite à la suivre au salon où Richard regarde la télévision. Assis sur le canapé, il peste contre les paparazzis. Lorsqu’il nous remarque, il se lève, nous embrasse, et récupère Eleanore dans les bras de son fils. Pendant qu’il l’éloigne pour lui montrer les nouveaux jouets qu’ils ont achetés pour Eleanore et ses cousins, Bridget nous montre d’un signe de la main l’écran plat où notre mésaventure passe en boucle sur la chaîne nationale.
Mes jambes tremblent au moment où je me vois, Eleanore dans mes bras, j’y suis paniquée, effrayée.
« Ce n’est pas moi, ce n’est pas possible ! », je pense sans quitter les images des yeux.
Je sursaute lorsque je sens la main chaude d’Alexander frôler la mienne. Je lève les yeux vers lui. Il me regarde avec inquiétude, et me sourit timidement en rapprochant ses doigts des miens. Je stoppe son geste en me reculant et en demandant :
— Bridget, je peux utiliser une chambre pour nous changer Eleanore et moi ?
— Bien sûr ma chérie, viens.
Eleanore dans ses bras, elle me guide à l’étage pendant que le père et le fils discutent dans le salon.
Les murs remplis de cadres photos où, je suppose la fratrie Wills doit apparaître ne me tentent pas. Comme une automate, je suis Bridget qui discute joyeusement avec Eleanore.
A l’étage, il y a un long couloir de nuit où il y a trois portes à droite et trois à gauche. Bridget avance jusqu’à la dernière porte à droite, et l’ouvre.
— C’est la chambre de ton papa, explique-t-elle en déposant Eleanore sur le sol.
Cette dernière regarde autour d’elle avec intérêt et curiosité. C’est ce que j’aurais fait aussi, mais pas aujourd’hui. J’ai juste envie que cette journée se termine le plus vite possible.
Je m’approche, m’accroupis devant elle, et commence à la déshabiller. Je lui enlève son pantalon, ses collants, son pull, son sous-pull et sa petite chemisette blanche. Eleanore se laisse faire sans rien dire. Quand nos regards se croisent, elle me sourit un peu tristement. En petite culotte à cœur, elle vient se blottir dans mes bras. Je la serre très fort contre moi. Je crois que nous en avons besoin toutes les deux.
— Tu as dû avoir peur.
Ce n’est pas une question. Assise sur le lit, Bridget ne me quitte pas des yeux.
Elle a vu les images à la télévision, elle a vu mon visage terrorisé. Pendant que je hoche la tête, elle caresse doucement mon bras avant de me serrer contre elle. Je profite de son étreinte maternelle. Barbara, ma mère ne m’a jamais fait de câlin même quand j’étais triste. C’est nouveau, et cela me fait un bien fou.
Pendant que j’habille Eleanore, elle me parle des jumeaux et de leurs bêtises. Je sais qu’elle fait ça pour me changer les idées, et ça fonctionne. Je me sens déjà un peu mieux.
Lorsqu'Eleanore est habillée, je m’apprête à lui demander si elle veut bien descendre avec Bridget pour me laisser le temps de me changer, quand je me rends compte que son fils nous a rejoint. Il est debout près de la porte de sa chambre et ne me quitte pas des yeux.
— Man’ tu veux bien descendre avec Eleanore ? Je dois parler à Léa.
— Bien sûr mon chéri, répond-elle, en donnant la main à Eleanore qui s’y accroche et la suit.
Mon corps passe en mode défense. Je croise les bras contre ma poitrine pendant qu’elles sortent de la pièce. Une fois la porte fermée derrière elle, je sors les vêtements du sac en espérant qu’il parte rapidement de la chambre.
— Je dois me changer, dis-je en sortant mes vêtements du sac.
— On doit parler, réplique-t-il, en s’approchant lentement de moi.
— J’ai froid ! Et je ne veux pas parler avec toi.
Ma voix tremble légèrement. Je lui fais face et le fusille du regard. Il fait pareil. Je suis d’ailleurs certaine qu’il va protester, mais il n’en fait rien. Il m’observe quelques instants en se passant les deux mains dans les cheveux. Il est nerveux. Il secoue la tête, tourne les talons et sort de la chambre. Avec un peu de chance, il sera descendu quand je sortirai d’ici.