— Il exagère ! je peste en pliant avec des gestes vifs les vêtements trempés.
J’ai hâte de rentrer à la maison pour les faire sécher correctement. La partie maniaque de mon cerveau ne supporte pas de les savoir dans ce sac. Mais, et même si je sais que Bridget serait plus qu’heureuse de s’en occuper pour moi le temps que je dépose son fils à l’aéroport, je ne me sens pas encore prête à lui demander ce genre de service. Et puis, savoir que j’aurais des choses à faire en rentrant ce soir apaise un peu mes nerfs à vif. Ma maniaquerie ressort principalement quand je suis stressée ou en colère, et c’est clairement le cas pour l’instant.
Je ne comprends pas pourquoi Alexander prétend que cette sortie au parc était une mauvaise idée, alors qu’il s’est autant amusé qu’Eleanore et moi, et ça, ça m’énerve ! Je veux bien lui accorder que sa célébrité doit être un fardeau ! Pour autant, Eleanore doit-elle être privée de son enfance ?
Assise sur le bord du lit, j’enlève les chaussettes humides que j’ai toujours aux pieds et les dépose délicatement sur le sol. Je me retiens de soupirer d’aise en passant les sèche. C’est tellement plus agréable. J’adore jouer dans la neige, me traîner par terre ne me dérange pas, cependant, j’aime encore plus pouvoir porter des vêtements secs. A croire que mon humeur est aussi en accord avec mon corps, car je me sens un peu plus calme depuis que j’ai changé de vêtements.
Lorsque tout est rangé – correctement – dans le sac, je jette un rapide coup d’œil à la chambre de l’acteur. Il y a de nombreuses étagères où se mêlent de nombreuses figurines de différents univers de comics. Bien sur, les univers Marvel et DC cohabitent, mais ce ne sont pas les seules. Alexander, fan de Comics, je l’ignorais. Mais après tout, je ne le connais pas vraiment. De nombreux Mangas et bandes dessinées remplissent les étagères côtoyant des classiques de la littérature et plusieurs partitions de guitare.
Je me mords l’intérieur de la joue pour me retenir de regarder de plus près le titre de chacun des livres présents sur les étagères. De ceux qui sont le plus visible, je reconnais des auteurs comme Hemingway ou King. Auteurs qui se trouvent aussi dans mes – trop – nombreuses bibliothèques de mon bureau. Même si je sais qu’il ne faut pas se fier aux apparences, je ne vois pas Alexander comme un littéraire. Musicien, oui. Je me souviens de cette guitare dans sa chambre. Mais, je ne le vois pas vraiment dévorer des livres comme je peux le faire quand je n’écris pas. Une autre hypothèse est que ce sont des achats scolaires datant de pendant ses études.
Au final, je m’en moque.
Qui veux-tu persuader de ça ?
Comme je sais que je ne peux pas me cacher éternellement dans cette chambre, même si j’en ai très envie, je soupire et me dirige vers la porte pour rejoindre les autres membres de la famille au rez-de-chaussée.
Tu peux le faire !
Si je continue de le répéter, je vais peut-être finir par le croire, non ? Cela ne m’empêche pas de le répéter encore et encore en tournant la poignée. Je sais qu’Alexander n’osera pas lancer les hostilités devant sa famille et donc, avec un peu de chance, nous n’aurons cette conversation qu’à son retour de voyage. Ce qui, me laissera clairement le temps de me calmer et de poser par écrit mes arguments. Ce qui est dingue, c’est que je suis forte pour improviser des scènes pour mes romans. Les dialogues sont ma spécialité, mais trouver la bonne réplique dans la vraie vie est une tout autre histoire. C’est la catastrophe le plus souvent dans une parfaite réplique du poisson hors de l’eau. Et bien sûr, comme si ce n’était pas suffisamment rageant, je trouve toujours quoi dire, plusieurs jours plus tard.
La vieille porte en bois grince. Je grimace. Les gonds de cette dernière auraient bien besoin d’un coup de pouce pour éviter ce bruit plus que dérangeant et qui, ne m’arrange pas du tout.
C’est bien ma chance !
Alexander qui – apparemment – attendait mon retour, tourne la tête vers moi. Son visage est soucieux. Rapidement, il quitte le mur où il est appuyé et se dirige vers moi de sa démarche féline. Lui aussi s’est changé. Il porte un pantalon noir et un t-shirt blanc qui met en valeur son torse musclé. Hypnotisée par ses mouvements, je ne le quitte pas des yeux pendant qu’il s’approche de moi. De toute façon, toute tentative de fuite est vouée à l’échec, et je me vois mal me barricader dans sa chambre jusqu’à l’heure du départ pour l’aéroport.
—Maintenant que tu n’as plus froid, nous allons parler !
Il dépose ses deux mains sur mes épaules et me fait reculer. Il n’a pas élevé la voix, non, ce n’est pas son genre. Pourtant, il y a une certaine autorité dans celle-ci que je ne lui connaissais pas. Mais après tout, est-ce-que je le connais vraiment ? Aujourd’hui en est encore une fois la preuve. Ses mouvements pour me faire reculer sont lents, dans la retenue, sans doute pour éviter que je m’étale sur les fesses au milieu de la chambre. De toute façon, même si je suis très fâchée contre lui, je sais que si je tombais, il serait là pour me retenir.
Ses yeux ne quittent pas les miens. Ils me scrutent, analysent la moindre de mes expressions. Alors, - même si c’est très difficile-, je tente de garder un visage impassible. C’est perdu d’avance car ce que je ressens se lit toujours sur mon visage. Je n’arrive pas – comme lui – à contrôler ça. C’est souvent handicapant et encore plus, dans ce genre de situation. Sans rompre le contact avec mon corps, il ferme la porte d’un geste du pied gauche. Ce contact me dérange surtout depuis que j’ai compris que son corps a un drôle d’effet sur le mien. J’ai peur de cette proximité qui m’empêche de réfléchir. Je suis en colère, et il est hors de question que l’attirance que nos deux corps ont l’un pour l’autre m’empêche de m’expliquer avec lui. Surtout maintenant, que je n’ai plus la possibilité de fuir cette conversation.
— Tu veux parler, mais pour dire quoi ? je lâche en me dégageant d’un mouvement d’épaule.
Je recule le plus loin possible de lui. Hors de question de me laisser distraire par sa présence surtout si nous devons aborder ce sujet qui fâche.
Alexander ne me retient pas. Ses mains restent quelques secondes en l’air, toujours dans la même position, comme quand elles étaient sur mes épaules. A présent, il n’y a plus mes épaules, c’est le vide qu’elles rencontrent. Il ne dit rien, mais son regard me fait clairement comprendre que je viens de le blesser. Sans me quitter des yeux, il ramène ses mains le long de son corps, avant de se passer de nombreuses la main droite dans ses cheveux en bataille.
— Allez Alexander, je t’écoute, je l’encourage, en croisant les bras contre ma poitrine.
J’ai trouvé refuge contre son bureau en bois. Ce dernier se trouve à droite de la seconde fenêtre de sa chambre. Fenêtre qui donne directement sur la rue. Un immense poster des Stones en concert à Londres est accroché juste au-dessus du meuble. En appui contre ce dernier, je fais glisser mes pieds sur le parquet pour évacuer ma nervosité. Comme ce n’est pas facile de parler avec l’ongle du pouce en bouche, je préfère bouger mes pieds.
Le dos contre le mur, à gauche de la porte, Alexander ne me quitte pas des yeux. Sa mâchoire est crispée, ses yeux légèrement plissés qui me rappelle un félin prêt à bondir sur sa proie, sa ride du souci a fait son grand retour. Je ne suis donc pas la seule à être mal à l’aise en ce moment. Sans me quitter des yeux, il se passe les deux mains dans les cheveux en soupirant.
— Tu vas me rendre fou. Je suis désolé, vraiment désolé que nous ayons été interrompus et obligés de fuir.
Alexander quitte le mur pour faire les cent pas dans la pièce avant de se stopper face à moi. Je ne peux pas reculer davantage, et c’est bien dommage. Alors, comme deux duellistes, nous nous faisons face dans une attitude totalement hostile. Une ligne invisible divise la chambre en deux. Sa partie et la mienne. Son avis et le mien. Sa tête de mule et la mienne.
Une partie de moi – celle qui déteste les conflits – est ravie qu’il s’excuse aussi rapidement. C’est un moyen comme un autre de désamorcer la situation avant que cela n’aille trop loin.
— Alexander ! Tu ne comprends rien de rien ! Tu penses vraiment que c’est pour cela que je t’en veux ? Tu penses vraiment que c’est ce qui provoque ma colère ?
C’est un peu raté pour la discussion calme et sereine.
Apparemment oui, car il m’observe la bouche légèrement ouverte et les sourcils froncés.
— Tout ne tourne pas autour de ta personne.
Ma voix monte dans les aigus. Je suis toujours calme, même dans les situations tendues. Et pourtant, je perds le contrôle de mes émotions. Tout est chamboulé depuis le retour d’Alexander dans ma vie.
En le fusillant du regard, je tente de cacher comme je peux mes mains qui tremblent. Je ne veux pas lui montrer qu’il gagne du terrain, car je ne suis pas forte pour ce genre de chose.
Mon grand-père paternel me disait souvent quand j’étais enfant, qu’il aimait ma grand-mère, et encore plus quand elle était en colère. Ses yeux étaient plus brillants, sa voix plus envoûtante. Elle dégageait quelque chose de sauvage qui plaisait à mon grand-père. Elle qui était toujours si calme et posée.
Je n’ai jamais compris comment la colère pouvait rendre quelqu’un encore plus beau. Je suis d’ailleurs certaine que je dois ressembler à une folle sortie de l’asile. Dans les aigus, ma voix ressemble au croassement d’un crapaud. Mes yeux sont sans doute rougis. Cela me donne l’air d’avoir trop abusé de l’alcool. Non, clairement, je ne comprends pas.
— Tu n’es pas en colère à cause de la sortie gâchée ?
Alexander parle doucement. Il me fait penser à un dresseur qui ne veut pas effrayer l’animal sauvage qu’il a en face de lui.
— Non Alexander, je ne t’en veux pas pour ça, réponds-je sèchement. Nous ferons Eleanore et moi avec ta célébrité, car elle va de pair avec ta passion.
Ma voix, en écho à la sienne est redevenue plus douce. En m’entendant dire cela, Alexander souffle, et esquisse même un sourire.
— Cependant, ma fille ne sera pas privée de son enfance par ta faute.
Aïe !
A la grimace qu’il fait, il vient de comprendre le fond du problème. Il sait comme moi, que nous allons entrer dans le vif du sujet. Celui où nous n’arrivons pas à être d’accord.
— Tu viens de dire que cela n’avait pas d’importance.
A son tour d’être sur la défensive. Son corps se tend. Il serre les poings contre ses cuisses et recommence à faire les cent pas.
— Avec elle, oui. Pas avec ta mentalité.
Je croise les bras contre ma poitrine en le fusillant du regard lorsqu’il se stoppe dans son mouvement pour me fixer avec étonnement.
— Léa, c’est trop dangereux.
Il est en colère. Je le vois. Je sais qu’il ne comprend pas pourquoi je ne veux pas me ranger à son avis. Pourtant, j’entends ce qu’il me dit. Je sais les dangers que nous risquons, mais je reste persuadée que c’est possible de trouver un juste milieu.
— Pourquoi donc ?
Alexander se passe une main lasse dans les cheveux avant de répondre.
— Les paparazzis, les journalistes, les fans...je dois continuer la liste ou tu as enfin compris ?
Un rire nerveux s’échappe de ma bouche. Ce sont toujours les mêmes arguments auxquels il s’accroche avec force.
— Tu me fais rire Alexander. Es-tu à ce point certain de vouloir protéger Eleanore en agissant ainsi ?
Faites que je ne me sois pas trompé sur lui.
— JE NE VEUX QUE SON BIEN !
Son corps est à deux pas du mien. Si je tends la main, je touche son torse. Il est impressionnant et imposant quand il est en colère. Ses yeux lancent des éclairs. Je m’étonne de ne pas encore voir des dents tomber sur le parquet vu la force avec laquelle il serre la mâchoire.
— NON ALEXANDER, C’EST TOI QUE TU VEUX PROTÉGER !
Je m’emporte à mon tour. Niveau sonore, mes cris n’ont rien à envier aux siens. Alors que je le fixe méchamment, le souffle court, des larmes traîtresses s’invitent dans mes yeux. Je déteste la colère et les cris. Je préfère le calme et la douceur. Je hais ressentir ce violent tsunami d’émotions.
Mon corps entier n’est plus que tremblement et larmes. Je savais que mon corps n’allait pas supporter longtemps cette tension avant de craquer. C’est tellement nouveau pour lui et moi.
A travers mes larmes que je tente – en vain – de lui cacher, je vois diverses expressions passer sur le visage de l’acteur. La colère fait peu à peu place à de l’inquiétude. Il hésite à s’approche de moi pour me consoler. Il fait deux pas avant de se stopper. Il secoue la tête et recule. A force de se passer les mains dans les cheveux, j’ai peur qu’il ne devienne chauve. Dans ses yeux c’est la guerre. Je vois qu’il lutte, qu’il ne sait pas quoi faire.
— Laissons tomber cette conversation pour l’instant, murmure-t-il en avançant prudemment vers moi.
Maintenant qu’il est devant moi, je n’ose plus le regarder alors, je fixe mes chaussettes. Je sursaute lorsqu’il dépose doucement sa main sous mon menton et relève mon visage rougi par les larmes vers lui. Je suis certaine que de la morve menace de s’échapper à grands flots de mes narines.
— On n’est pas un couple comme les autres. Nous, ce n’est pas pour la cuvette des toilettes qu’on se dispute.
Malgré moi, je souris un peu. Mon corps continue de trembler comme une feuille.
— Je n’aime pas me disputer avec toi, continue-t-il, en glissant sa main dans mon dos pour doucement me rapprocher de lui.
Ses mouvements sont lents. Il ne me quitte pas des yeux, peut-être pour jauger mes sentiments. Son autre main caresse tour à tour mes deux joues, et essuie mes larmes.
— Je ne supporte pas de te voir pleurer. Et encore moins de savoir que c’est à cause de moi.
Doucement, il me sert contre lui. La tête contre son épaule droite, je respire son parfum pendant qu’il me caresse les cheveux. Malgré ma colère, et les émotions contradictoire que je ressens à son contact, Alexander m’apaise.
— Et puis, je dois faire preuve de beaucoup de sang-froid quand tu es en colère. Tu es encore plus belle quand tu laisses tomber tes barrières.
De surprise, je lève les yeux vers lui. Alexander me sourit en me dévorant des yeux. J’écarquille les yeux quand je me rends compte qu’il est sérieux. Il n’a donc pas été effrayé par mes croassements et ma tête de harpie.
Mon pouls s’accélère quand ses yeux descendent vers mes lèvres. J’avale difficilement ma salive pendant qu’il approche son visage du mien. Avec sa main dans mon dos, il me rapproche encore un peu plus de lui.
— Tom, je suis contente de te voir.
Perdu dans notre bulle, le visage à quelques millimètres l’un de l’autre, nous sursautons en même temps. Il est sans doute l’heure de partir à l’aéroport si Tom vient d’arriver. Alexander dépose son front contre le mien en souriant et me serre contre lui. Nous restons ainsi pendant plusieurs minutes, juste en profitant de la chaleur de l’autre.
— Nous devons y aller, je murmure en me dégageant doucement de ses bras.
En soupirant Alexander acquiesce et me suit hors de la chambre.