Sur le tournage, Alexander me présente à chaque personne que nous croisons. Sa main ne quitte la mienne que pour serrer une main. Il semble connaître tout le monde dans cette fourmilière à taille humaine. De l’acteur à l’éclairagiste en passant par les stagiaires. Il a un mot gentil pour chacun. Nous recevons des félicitations à tout va et de nombreux « je comprends mieux pourquoi tu es parti » et leurs différentes variantes selon le degré de complicité entre les deux personnes. Le tout – bien sûr – toujours accompagné d’un clin d’œil complice ou d’une tape sur l’épaule.
— Comment va ta petite Pénélope ? demande Alexander à un homme qui porte un plateau avec plusieurs gobelets de café fumant.
— Elle va très bien, merci. Déjà deux semaines, elle grandit à une vitesse folle. OUI, J’ARRIVE, ajoute l’homme en haussant la voix pour se faire entendre malgré le bruit. Désolé, je dois y aller. Bonne journée à vous !
Le plateau toujours dans les mains, il s’éloigne rapidement.
— On continue ?
J’acquiesce. Nos doigts toujours entrelacés, je le laisse me faire découvrir son univers.
Lunettes de soleil sur le nez, nous traversons une longue place où plusieurs personnes s’activent au pas de course.
— C’est dans ce hangar qu’on va tourner aujourd’hui, m’explique-t-il en me montrant une porte métallique du doigt.
Dès que nous en croisons un nouveau, il m’explique ce qui s’y trouve. Le lieu de tournage de telle ou telle scène, l’endroit où est stocké le matériel, …
Je suis tellement impressionnée. Je n’ai pas assez de deux yeux pour tout voir.
— Vingt minutes Alex !
Joe ne s’est pas arrêté pour dire ça, il continue son chemin comme s’il n’avait pas été là. Mon ventre se tord un peu à l’idée de me retrouver seule pendant que l’acteur sera en train de tourner. J’ai peur de la curiosité des gens. Peur de ne pas trouver la bonne répartie. Perdue dans mes pensées, je laisse Alexander me guider.
Comme s’il avait ressenti mon malaise, quelques secondes plus tard, profitant d’un lieu où il n’y a pas de passage, Alexander m’attire dans un coin sombre et me serre fort contre lui.
— Je dois aller me préparer, murmure-t-il en déposant son front contre le mien. Cela me fait tellement plaisir que tu sois là. N’hésite pas à demander à Joe si tu as besoin de quelque chose.
Il ne me laisse pas le temps de répondre et m’embrasse langoureusement. Mes jambes tremblent tellement que je m’accroche avec force à ses épaules. Je n’ai jamais ressenti ça avec un autre homme. Bien que je n’aie connu que deux hommes.
A bout de souffle, nous nous séparons. Il dépose rapidement ses lèvres sur les miennes et me guide vers Joe qui va prendre le relais pendant sa journée de travail.
J’observe le réalisateur et le directeur de la photographie zigzaguer entre les acteurs. Ils s’arrêtent près d’Alexander et lui montre quelque chose. L’acteur regarde dans la direction indiquée et hoche la tête. Lorsque celui-ci s’éloigne, la maquilleuse vient faire des retouches sur son visage avant de s’éclipser rapidement pour ne pas gêner.
— Scène 47, première !
Je sursaute légèrement au clap bruyant et me concentre sur la scène qui se joue devant moi.
Alexander marche dans une sorte de jungle. Peu d’éléments de décor sont présents. Je suppose qu’ils vont ajouter le reste par ordinateur. Le visage blessé, les bras en sang, il fait semblant de se créer un passage dans des branchages imaginaires représentés par des sortes de tiges en plastique. Le décor tout autour de lui est vert. Beaucoup plus facile pour incruster des éléments de décor au moment du montage.
Comme c’est un domaine que je connais peu, j’écoute avec attention tout ce que Joe m’explique.
— COUPÉ !
— Cinq minutes de pause, annonce l’assistant du réalisateur dans son mégaphone.
Joe et moi sommes assis derrière l’écran de contrôle. Qui est, d’après ce dernier, le meilleur endroit pour tout suivre. Je ne quitte pas Alexander des yeux pendant que son assistant m’explique ce que l’éclairagiste est en train de faire. L’acteur chahute avec trois hommes. Ils se poussent, se taquinent en riant. Mon cœur se réchauffe. Je souris. Il a vraiment l’air dans son élément et à sa place sur un plateau de tournage.
Finalement, je suis contente d’être venue aujourd’hui. C’est l’occasion de le découvrir autrement. Comme s’il avait senti mon regard sur lui, Alexander lève les yeux vers moi et me sourit. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
Je l’aime.
Cette pensée s’impose avec force dans mon esprit. Il n’y a plus de doute possible sur les sentiments que je ressens pour lui.
Malgré la distance et le bruit, nous ne nous quittons pas des yeux. Lui aussi m’aime ! Cela se voit à la façon dont il me regarde.
— TOUT LE MONDE A SA PLACE. ON LA FAIT EN UNE SEULE PRISE.
— Scène 50, première.
Je fronce les sourcils sans quitter le plateau des yeux.
— Comment peut-on être à la scène 50 alors qu’il y a deux minutes nous étions à la 47 ? je questionne Joe.
— Elles sont presque identiques, c’est plus facile de la tourner maintenant que quand le plateau sera démonté, chuchote-t-il pour ne pas perturber le tournage.
Ce n’est pas bête !
Quelques secondes plus tard, je regarde Alexander se battre avec les trois hommes avec qu’il riait pendant la pause. Ils ne rigolent plus du tout. Ils sont dans leurs rôles respectifs. On dirait des danseurs. Leur chorégraphie est magnifique à regarder. Chaque geste est calculé. Chaque mouvement précis.
Pourtant, et même si je sais que c’est du cinéma et qu’il n’est pas vraiment blessé, je ne peux pas m’empêcher de grimacer à chaque fois que je vois l’acteur tomber au sol après avoir reçu un coup prévu dans le scénario.
Alexander est impressionnant. Imposant. Charismatique. Magnifique. Je suis incapable de détourner les yeux. Je comprends enfin ce que voulait dire Peggy en disant qu’elle se sentait à chaque fois toute chose quand elle regardait une scène de combat avec lui. Mon mari transpire le sex-appeal.
J’ai depuis longtemps occulté la question de savoir pourquoi son personnage se promène torse nu dans la jungle. Bien sûr, mon esprit d’autrice espère sincèrement qu’ils vont inclure une explication logique dans le film.
Son corps est en sueur – merci le maquillage - , mon cerveau en profite pour m’envoyer des images de nos corps à corps où son torse était dans le même état.
On se calme le corps !
Tous ses muscles sont bandés par l’effort. Sans vraiment se blesser, ils doivent donner l’aspect que le combat est réel. Il y a quelque chose chez Alexander qui le rend dangereux.
Et hyper sexy ! lance ma conscience en s’éventant le visage avec la main.
Sans le quitter des yeux, je bouge légèrement sur ma chaise en serrant les cuisses. Il est hors de question que je commence comme ça. Je refuse de mouiller ma petite culotte chaque fois que je le vois à moitié nu à l’écran.
Mon estomac ne me trahit jamais quand il s’agit d’heure. Je sais d’avance qu’il est presque midi aux grognements – pas du tout discrets – de mon estomac. Heureusement pour moi qu’un plateau n’est que rarement silencieux. Je bouge légèrement sur ma chaise et continue de regarder mon acteur de mari jouer la comédie.
— COUPE !
— Pause déjeuner ! Une heure et pas une de plus, les gars ! Je veux que ce soit dans la boîte avant la nuit.
Maintenant qu’il a donné ses consignes, le réalisateur enlève son casque que son assistant – qui le suit comme son ombre – range près de l’écran de contrôle. Joe s’est éclipsé depuis une demi-heure et je ne sais pas où il se trouve actuellement. C’est pareil pour Alexander que j’ai perdu de vue dans l’attroupement qui s’est formé près des acteurs.
Toujours assise, je me contorsionne pour essayer de l’apercevoir sans succès pour l’instant. Je me mords la lèvre du bas en scannant la foule des yeux. Je ne sais pas si le mieux est que je reste assise ici ou que, je tente de me retrouver seule dans les immenses studios de cinéma. Je suis en train de peser le pour et le contre de chaque option lorsqu’une main attrape la mienne. Je sursaute et lève les yeux vers son propriétaire, qui n’est autre qu’Alexander qui me sourit mystérieusement.
D’un mouvement de la main, il m’aide à me lever et m’invite à le suivre. Main dans la main, nous fendons la foule. Ou plutôt, la foule s’écarte sur son passage et moi, je ne fais que suivre. D’ailleurs, ses jambes sont beaucoup plus grandes que les miennes et j’ai beaucoup de difficultés à le suivre.
— On n’a pas beaucoup de temps, m’explique-t-il en m’entraînant à sa suite.
C’est à ce moment-là que je fais attention à ce qu’il tient dans l’autre main : un panier en osier.
Les studios sont comme une petite ville. Tout le monde prend son repas presque en même temps. Je vous laisse imaginer une seconde le monde que ça fait.
Au bout de dix minutes de marche rapide et un sacré point de côté pour moi – quand je disais que je n’étais pas sportive –, Alexander se stoppe près d’un bâtiment en briques rouges. Il n’y a qu’un escalier de secours en fer qui dépasse de la façade. Il s’assied au milieu de ce dernier. Je fronce les sourcils. En voyant mon regard interrogatif, il me confie en me tendant la main :
— C’est le meilleur endroit pour manger.
En souriant, je viens le rejoindre. Je m’assieds deux marches plus bas que lui. Le panier est sur la marche qui nous sépare. Panier qui est vraiment rempli. J’écarquille les yeux au moment où il l’ouvre. Qui va manger tout ça ?
— Joe ne savait pas quoi te prendre, avoue Alexander en riant.
Nous profitons du repas pour discuter. Alexander me questionne sur ma matinée. Pendant que je lui raconte avec autant d’enthousiasme qu’une enfant qui va dans son parc d’attractions préféré, il me sourit tendrement.
— Je ne vais plus regarder les films de la même manière, je dis en souris.
— Surtout pas ! Il faut conserver ton âme d’enfant, me taquine-t-il, en soulevant le panier qu’il déplace sur la marche au-dessus de lui.
Maintenant qu’il n’y a plus d’obstacles entre nous, il descend d’une marche, place ses jambes de chaque côté de mon corps et m’attire contre lui.
Mon dos contre son torse, je ferme les yeux. Définitivement, je me sens bien avec lui.
— Léa ?
— Oui, Alexander ?
— Tu veux bien me redire ce que tu m’as dit ce matin après que je t’ai dit que je t’aimais ?
J’ouvre les yeux et fixe le bâtiment en face.
— Si je te le dis, ça va perdre de sa magie, j’élude en souriant.
Il rit et me sert plus fort contre lui. Je sais qu’il est déçu, mais il ne me le montre pas. Alexander est comme ça. Je sais qu’avec lui, je peux prendre mon temps avant de lui dire ces mots si importants.
Son téléphone bipe, il ne nous reste que quelques minutes pour profiter de notre bulle de tendresse. Il va être l’heure pour lui de retourner travailler.
— Il faut que ça fasse vrai !
Et tu ne veux pas non plus qu’il lui saute dessus ?
Je me renfrogne sur mon siège. C’est un sentiment nouveau que je ne connaissais pas avant Alexander : la jalousie.
Je sais pourtant que ce n’est que de la comédie. Qu’ils jouent un rôle, mais le voir embrasser cette actrice magnifique me retourne l’estomac. Et bien sûr, ce bourreau de réalisateur leur fait jouer la scène encore et encore.
Entre deux prises, ils rigolent tous les deux pendant que les maquilleurs refont des retouches sur leurs visages. Au moment où l’actrice lui caresse doucement l’avant-bras, je me mords l’intérieur de la joue. C’était vraiment une très mauvaise idée de venir aujourd’hui. Je déteste ce sentiment. Je ne veux pas être jalouse.
Au moment où ils tournent à nouveau la scène, je décide de m’éclipser.
— Je vais prendre l’air, je ne me sens pas très bien, je souffle à Joe.
— Tu veux que je vienne avec toi ?
Je secoue la tête et, le plus discrètement possible, je me faufile vers l’extérieur.
Lorsque l’air frais vient me fouette le visage, je me sens fière de rien avoir renversé ou bousculé sur mon passage.
Maladresse : 0 Léa : 1
Devant le hangar, je regarde à gauche et à droite pour décider où me rendre. L’envie est trop tentante de retourner à l’endroit où nous avons pris le repas de midi. Cet endroit un peu isolé où je pourrais remettre mes idées en place.
En marchant, je me secoue mentalement. Ce n’est que du cinéma. C’est un faux baiser. Pour la plupart, de fausses caresses car je n’ai pas rêvé celles que l’actrice lui a faîte pendant la pause. C’est son métier et je dois faire avec. C’est ce que je me répète en m’éloignant.
— Léa, attend !
Je sursaute, me stoppe et me retourne. Alexander court dans ma direction alors qu’il devrait être en plein travail. Moi qui pensais avoir été discrète, apparemment, pas assez pour l’acteur qui a encore une fois interrompu le tournage pour moi. Je me sens coupable.
— Tout va bien ?
Il dépose ses deux mains sur mes joues et observe mon visage avec attention. Ses yeux sont inquiets. Ils me sondent pour percer le mystère de ce départ précipité.
— Le décalage horaire, je prétexte. Tu n’aurais pas dû interrompre le tournage pour voir comment j’allais, ce n’est pas…
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que ses lèvres impatientes se posent sur les miennes. Au bout de quelques secondes, je suis incapable de me souvenir de ce que je voulais dire.
— ALEX ! RAMENE TON CUL MUSCLE ICI !
En grognant, il se détache de ma bouche, se tourne vers la voix et lève son index pour indiquer qu’il arrive.
— Je dois retourner travailler. Ne bouge pas d’ici. Joe arrive, il va te conduire à ma caravane pour que tu puisses te reposer un peu. Tu risques de ne pas beaucoup dormir cette nuit, ajoute-t-il avec un clin d’œil.
Mes joues se colorent. Mon bas-ventre se contracte d’anticipation. Alexander s’éloigne de quelques pas avant de revenir vers moi pour déposer à nouveau ses lèvres sur les miennes.
— T’embrasser est plus qu’une drogue.
Joe et moi marchons en silence jusqu’à la caravane d’Alexander. Je l’en remercie. Je n’ai pas envie de lui expliquer pourquoi je suis partie aussi rapidement du hangar. Je me sens si honteuse d’avoir ressenti ce sentiment de jalousie. Il m’a consumé tellement fort que j’ai dû sortir pour réussir à respirer à nouveau.
— Tu l’apaises.
Nous approchons de plusieurs caravanes. Les sourcils froncés, je me tourne vers Joe.
— Alexander est différent depuis que tu es entré dans sa vie. Plus posé, plus joyeux. Tu as rallumé la petite flamme qui s’était éteinte dans ses yeux pendant sa période sombre.
Je rougis. Je suis touchée par les paroles de Joe.
Pendant que je cherche quoi dire, nous nous stoppons devant une grande caravane.
— C’est ici, dit-il en ouvrant la porte de cette dernière. Je dois retourner sur le tournage, mais n’hésite pas si tu as besoin de quelque chose, ajoute-t-il en me tendant sa carte où se trouve son numéro de téléphone.
— Merci, Joe !
Le pied sur la première marche, on se sourit.
Je suis partagée. Je suis contente d’être loin de cette scène à tourner. Mais en même temps, je suis mal à l’aise de pénétrer dans son intimité. C’est son idée, mais quand même !
Je n’ai jamais eu l’occasion d’entrer dans ce genre d’endroit. D’ailleurs, j’imaginais l’intérieur plus basique. Alors que c’est tout le contraire, c’est vraiment magnifique. Très cosy.
Il y a une table avec deux banquettes qui se font face. Un coin cuisine. Une salle de bain au fond et, ce que je soupçonne d’être la porte d’une chambre. Il y a une corbeille de fruits frais sur la table. Une guitare est posée sur la seconde banquette ainsi qu’un cahier de musique et un crayon posé sur ce dernier.
Toujours debout près de la porte menant à l’extérieur, j’hésite encore deux secondes avant de m’asseoir sur la banquette libre. L’intérieur de la caravane sent comme Alexander. Son parfum est présent partout. Il m’apaise et m’aide à réfléchir.
J’ai été immature de ne pas réussir à faire face. Alors que je sais qu’il m’aime vraiment et que ce n’est que du cinéma.
Je me promets de lui en parler. Surtout que, je veux vraiment que nous ayons un avenir ensemble. Je refuse de me rendre malade pour ce genre de chose.
Je lui fais confiance. Hors de question de faire machine arrière à la première difficulté.
D’ailleurs, je ne regrette pas ce séjour. Alexander était content de ma surprise. Rien que pour ça, je suis vraiment heureuse d’avoir écouté Jack et d’être venue.
— Je peux savoir ce que tu fiches ici ?
Je quitte la fenêtre des yeux pour les poser sur une jeune femme vêtue simplement d’un bustier noir et d’un porte-jarretelles.
Ses cheveux noirs sont coupés au carré. Ses yeux bleus clair me fixent avec défiance. Son maquillage a un peu coulé mais malgré ça, elle est carrément canon. Mon ventre se tord.
Elle se tient devant la chambre que j’aperçois maintenant que la porte est ouverte. Les draps sont défaits.
Trop abasourdie, je réponds simplement :
— j’attends Alexander.
— Moi aussi, répond-elle en allumant une cigarette. On fait souvent la sieste ensemble...si tu vois ce que je veux dire.