— Idiote !
Et encore, le mot est trop faible à mes yeux !
Étendue près d'Eleanore dans notre lit deux personnes, je me pose de nombreuses questions en fixant le plafond. La tête sur l'oreiller, les deux mains croisées contre mon ventre, mes pouces se tournent encore et encore autour. Ces mouvements inconscients de mon corps m’évitent de hurler.
Notre chambre n'est pas très grande, mais c'est amplement suffisant pour nous deux. Nous ne sommes pas difficiles. C'est d'ailleurs une chose qui me tient à cœur dans l'éducation de ma fille. Malgré l'argent que je gagne grâce à mes livres, il est hors de question qu'elle devienne un enfant roi ! Je veux lui apprendre la valeur de l'argent, la joie de l'effort et du travail accompli.
La chambre se compose d'un grand lit en bois avec une magnifique tête de lit sculptée à la main. Elle représente une scène de la révolution Jacobite. Sur la droite de la porte, il y a une vieille armoire avec une penderie et des étagères. Deux tables de nuit terminent de décorer cette chambre très accueillante. La salle de bain est commune avec les deux chambres voisines. Elle se trouve dans le couloir à quelques pas d'ici. J'aime cette ambiance bon enfant. Je me revois dans mes jeunes années en voyage avec papa et Jack lorsque nous partions camper en France et en Belgique.
J'observe le plafond depuis deux heures. Il s'illumine de temps en temps lorsqu'un éclair vient se refléter dans les vitres de notre chambre. Bien sur, j'ai conscience que de fixer ce plafond ne m'aidera certainement pas à répondre à mes interrogations. Comment ne me suis-je pas rendue compte que la plupart des médias de notre pays parlaient régulièrement de l'amitié entre les deux acteurs ? Peut-être est-ce simplement parce que je fuis la presse et certains torchons racoleurs !
Je tourne la tête vers Eleanore qui bouge légèrement dans son sommeil. Lentement, je remonte la couverture sur ses épaules. L'air s'est rafraîchi depuis ce matin. La radio a annoncé ce matin que des mesures avaient été prises dans le comté pour éviter les gros dégâts. Par précautions, toutes les routes sont fermées à la circulation sauf urgence. Je soupire. Mon cœur se serre, elle lui ressemble vraiment. C'est pour ça, que supporter ces deux jours en sa compagnie….
D'ailleurs, le plus important à mes yeux est de garder Eleanore dans la chambre ce qui, la connaissant relève de l'impossible. C'est une enfant trop pleine de vie pour rester enfermé dans un endroit confiné. Elle a besoin, à son âge, de dépenser sa grande énergie. Et surtout, plus sociable que moi, elle aime la compagnie de Jane, Tom et Angela.
— Tu n'as plus qu'à prendre sur toi et décompter les heures, je marmonne.
Parlons-en, des heures : elles semblent me narguer en s'écoulant si lentement que j'aurais sans doute le temps de faire le tour de l'hôtel avant qu'une seconde soit écoulée.
Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Je ne suis pourtant pas une méchante personne. Je ne pense pas être égoïste. Que du contraire, je donne toujours de belles sommes d'argent aux diverses associations du pays. Je lutte pour que les filles puissent avoir les mêmes chances que les garçons, qu'elles puissent choisir ce qu'elles aimeraient faire dans la vie.
Alors pourquoi ?! Pourquoi ? Cette question revient sans cesse à mon esprit tel un leitmotiv.
Le sommeil aussi se joue de moi en décidant de me fuir comme il le fait pour l'instant. Deux heures sont déjà bien entamées et je ne dors toujours pas. Doucement, pour ne pas la réveiller, j'enlève la main d'Eleanore agrippée à mon bras et me glisse sans bruit hors du lit. Sur la pointe des pieds, je prends mon peignoir et l'enfile. Je regarde vers le lit pour vérifier que la petite dort toujours. Une fois rassurée, j'attrape sur la petite table en bois, mon cahier de notes ainsi que le crayon qui l'accompagne toujours avant de sortir de la chambre sur la pointe des pieds.
Je sais qu'à cette heure-ci, je ne vais croiser personne. Et surtout pas lui ! tout le monde doit dormir d'un sommeil juste et réparateur malgré le bruit extérieur et la tempête qui fait rage. Le couloir éclairé par des veilleuses est calme et aucun bruit ne vient rompre le silence de la nuit. Je m'avance pieds nus sur le parquet pour me rendre dans le salon, je suis certaine de trouver dans cette pièce l'apaisement et le réconfort dont j'ai besoin. Je suis contente de voir que la pièce est belle et bien vide de tout occupant et qu'un feu accueillant ronfle dans la cheminée. Celui-ci illumine la pièce d'ombres.
Je me sens déjà plus calme. Je vais m'asseoir en tailleur face au feu. J'ai besoin de sentir celui-ci m'entourer et me bercer comme pour me dire que tout va bien se passer, que je ne dois pas avoir peur. Je m’adosse à la table basse en bois où sont disposés quelques fleurs fraîches et des magazines divers et variés qui font plaisir à chaque occupant de l'auberge. Il y en a sur la politique, le cinéma, la haute couture, la finance, etc...de vieux classiques, écornés par les multiples manipulations sont aussi présents sur la table.
— Bon, je murmure en déposant le cahier sur mes jambes. Voyons un peu ces personnages.
Je continue la description des personnages de mon nouveau roman que je dois présenter dans neuf mois à mon éditrice. J'observe le feu et laisse mes pensées vagabonder loin de cette pièce. Me perdre ainsi dans l'imaginaire est quelque chose de facile pour moi. C'est un art dans lequel je brille depuis mon enfance et qui est ma façon de fonctionner pour écrire mes romans.
L'intrigue se déroule pendant la seconde Guerre Mondiale sur le sol français. C'est une histoire d'amour entre une jeune française et un soldat anglais qui n'a pas demandé à être là. Je vois, se dessiner devant mes yeux le personnage principal. Il est très beau et quelque peu flegmatique comme tout bon anglais qui se respecte. Plus le personnage apparaît devant moi, plus je me rends compte qu'il ressemble étrangement à quelqu'un que je connais.
— Hors de question, je marmonne en secouant la tête comme une enfant têtue !
Plongée dans les méandres de l'écriture, je ne fais pas tout de suite attention aux bruits dans la pièce. C'est au bout de quelques secondes, que je me stoppe, le crayon figé dans ma main droite. Les sourcils froncés, je pose doucement mon cahier sur ma droite. Sans me tourner, je connais déjà l'identité de la personne qui se trouve à quelques mètres de moi. Je fronce les sourcils. Suis-je censé dire quelque chose ? J'ouvre et ferme la bouche à plusieurs reprises. En fait, je pèse le pour et le contre. Je suppose que si je ne me tourne pas et ne dis rien, c'est un peu comme s’il ne se trouvait pas dans la même pièce que moi ? Non ?
Au final, c'est plus fort que moi. Je tourne la tête vers l'endroit d'où le toussotement vient, juste au moment où un éclair illumine la pièce. Alexander est appuyé contre le mur. Son pied droit est posé contre celui-ci, il sourit. Il porte un pantalon de pyjama bleu ainsi qu'un t-shirt de la même couleur. Mal à l'aise, je tourne à nouveau la tête vers le feu. Je n'ai pas envie qu'il reste dans la même pièce que moi. Mais, qui suis-je pour décider qui a le droit ou pas de se trouver ici ? C'est juste que je n'ai pas vraiment envie de le voir là, dans un moment où je me sens si vulnérable. Il vient briser un moment de travail, je ne supporte pas ça.
Au bout de quelques secondes, j'entends ses pas se rapprocher. Il s’assied dans le fauteuil à ma gauche. Si je lève légèrement la tête, je croiserais son regard. Bien sûr, je n'en ai pas envie. Je ne rêve que de fuir le plus vite et loin possible de lui. Aussi loin que soit possible la distance terrestre d'un pôle à l'autre. Bon, d'accord, j'exagère un peu..disons que deux océans ce serait pas mal.
Je fixe mon cahier de notes en sentant la chaleur du feu sur ma peau et à travers mes vêtements de nuit. Peut-être que si je ne dis rien, il partira.
— Je vois que je ne suis pas le seul à ne pas trouver le sommeil, il murmure.
Toujours le même timbre de voix, je pense en fixant le feu. C'est quelque chose qui m'a marqué chez lui à l'époque.
Comme je ne dis rien, il ajoute amusé :
— Tu sais, faire la conversation pour deux ne me dérange pas. C'est même passionnant.
Je pince les lèvres pour ne pas sourire. Quand cette envie s'envole, je murmure doucement.
— Que veux-tu Alexander ?
Je lève les yeux. Grave erreur ! Le regarder dans les yeux n'est pas mortel comme dans certains mythes mais, c'est une erreur impardonnable de débutante. Je suis prête à parier qu'avec un regard comme le sien, on peut obtenir tout ce qu'on veut sans difficulté.
Il fronce les sourcils et ajoute :
— Rien, j'ai eu la même idée que toi. Venir dans le salon me réchauffer près du feu.
Il passe de nombreuses fois sa main droite dans ses cheveux...comme à l'époque. Cela doit être un tic chez lui.
— Je vois, je réponds en me levant.
Je ne vois pas bien ce que je peux dire de plus. « Tu as bien raison, le temps est pourri ! Tu crois que c'est la conséquence du changement climatique ? ». Non !
— Bonne nuit, j'ajoute en m'éloignant pour quitter la pièce le plus rapidement possible.
Je suis près de la porte lorsqu'il me pose une question qui me cloue sur place.
— Pourquoi Léa ?
Sa question sonne comme une prière. Je me tourne vers lui. Je ne comprends pas le sens de sa question ou peut-être que si mais, j'ai besoin d'être certaine que nous parlons de la même chose tous les deux. Pourquoi quoi ? Pourquoi la pluie tombe-t-elle ? Pourquoi le jour vient après la nuit ? Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne peux pas m'empêcher de le questionner du regard. Est-ce-que c'est possible qu'il soit au courant pour Eleanore ? Pourtant, ce n'est pas possible, il n'a pas pu reconnaître cet enfant. Les deux fois où nos chemins se sont croisés depuis son arrivée, son visage était soit caché par ma main, soit par son masque. Ou alors, est-il possible que Jane a fait le rapprochement et qu'elle lui en ai parlé ? J'ai envie de grogner de frustration. Toutes ces questions tournent dans ma tête et me donnent la migraine.
— Pourquoi quoi ? Je demande sur la défensive.
Mon corps est tendu à l'extrême. Il s'est mis en mode défense comme s’il avait peur de sa question. Je croise les bras contre ma poitrine en signe inconscient de protection.
— Pourquoi es-tu partie ce matin-là ?
Il pose sa question doucement sans me quitter des yeux. Le ton de sa voix m'interpelle comme si cette question était quelque chose de primordiale pour lui mais, je ne peux pas lui donner de réponse. Pourquoi je suis partie ? Bonne question !
Qu'est-ce-que je peux bien lui dire ? Lui dire que c'est parce que j'ai eu trop honte de m'être comportée comme cela ? La réponse est celle-ci mais, il n'a pas besoin de savoir.
J'ouvre la bouche pour lui mentir lorsqu'un pleure attire mon attention. Je lui jette un dernier regard et quitte la pièce précipitamment. Dans le couloir, je cours pour rejoindre la chambre où Eleanore est assise sur le lit. Les cheveux sur le visage, elle renifle. Elle a dû faire un gros cauchemar.
Cinq minutes plus tard, elle est à nouveau endormie dans mes bras.
Je sais...Alexander doit savoir. Il mérite de savoir.
Dehors la tempête continue de se déchaîner !
Peur.
Un éclair traverse encore ma chambre !
Peur.
Une branche vient de frapper encore et toujours contre la fenêtre de la chambre !
Peur.
Le bruit des vagues qui s'écrasent contre les rochers essayant sans doute de les briser arrive toujours jusqu'à nous !
Peur.