Lien Facebook



En savoir plus sur cette bannière

- Taille du texte +

 

La vieille horloge sonne quatorze heures, mais j'ai l'impression que nous sommes déjà au crépuscule. Je grimace en jetant un regard sombre à la fenêtre du salon. La tempête ne se calme pas ! Que du contraire, elle prend de plus en plus d'ampleur à mesure que les heures passent. A la radio, on annonce les premiers dégâts. Je soupire. La tempête force tout le monde à rester inactif. Quelques-uns en profitent pour se reposer, d'autres pour travailler ou encore lire dans leur chambre.

 

Moi, je suis assise sur le canapé du grand salon. Un feu accueillant ronfle dans la cheminée. Les flammes se balancent au rythme du vent qui souffle dehors. Cela provoque d'étranges ombres sur les murs du salons, éclairés à la bougie. Pas par soucis d'esthétisme, l'hôtel n'a tout simplement plus d'électricité depuis midi.

Jane et Eleanore me tiennent compagnie. La première est assise en face de moi, elle porte une tenue d'intérieur en flanelle rose, ses cheveux sont attachés en une queue-de-cheval très haute. Les bracelets à ses poignets brillent à la lueur des bougies lorsqu'elle tourne les pages de son magazine people. Je ne comprends pas pourquoi elle lit ce genre de torchon rempli de fausses informations, mais, elle dit préférer connaître tout le mal qu’on dit d’elle

 

La seconde, est assise à ma droite. Elle porte un legging rose et une jupe à froufrou que nous avons trouvé dans une boutique lors d'une escapade avec Jane. Un joli t-shirt blanc complète le reste de sa tenue. Elle regarde un imagier sur les animaux. Elle est concentrée. Le petit pli entre ses deux sourcils en est la preuve.

Étonnement, malgré la situation, je me sens bien. Mon esprit vagabonde et, une scène de mon prochain roman se dessine devant mes yeux. J'attrape à ma gauche mon carnet de notes et y inscris tout ce qui me vient à l'esprit : L'orage semblable aux tirs d'artillerie, les bougies pour supporter la nuit et la mort qui rôde à chaque bombes larguée par l'ennemi.

— Regarde maman, une jolie zirafe.

Je cligne plusieurs fois des yeux. Lorsque je m'immerge dans l'imaginaire, il me faut quelques secondes pour revenir à l'instant présent. Eleanore en a l'habitude.

Lorsque je suis à nouveau dans la pièce avec elles, je baisse la tête vers son livre que je regarde. La girafe mange des feuilles d'arbres dans la savane africaine.

— En effet, c'est une jolie girafe, je murmure en souriant.

Elle me sourit à son tour, contente de partager ce moment avec moi. Elle acquiesce et continue sa lecture.

 

Lorsque je lève les yeux, je me rends compte que Jane m'observe en buvant son thé vert. Son magazine est posé à côté d'elle, sur l'accoudoir du fauteuil. Je ne la connais pas depuis longtemps, mais, suffisamment pour savoir que lorsqu'elle a ce regard-là, elle hésite à poser une question qui risque de mettre très mal à l'aise son interlocuteur. Elle a raté sa vocation de journaliste.

Qu'est-ce-qu'elle va me sortir ? 

Elle ne cligne presque pas des yeux en me fixant. Je commence à être mal à l'aise par ce silence. Je me tortille sur le canapé.

Avec un petit sourire en coin, elle dépose sa tasse sur la table basse et s'assied au fond du fauteuil.

Je lui lance un regard interrogateur.

Qu'est-ce-qu'elle me veut ? 

 

Peut-être pas journaliste ! Inspecteur de police. Faire avouer les coupables lui convient beaucoup mieux. Elle a déjà la technique. Je suis prête à avouer le meurtre de Kennedy même si je n'y suis pour rien !

Au bout de plusieurs minutes de silence, elle doit juger que je suis à point car elle lance :

— Tu penses quoi de notre Alexander ?

Je sursaute et retiens de justesse la tasse de thé que je tiens dans les mains. Mon cœur ratte un battement. Je jette un rapide regard vers la porte du salon pour m'assurer que le dit Alexander n'est pas sur le point d'entrer dans la pièce et aurait pu entendre cette question.

— Pardon ?

Le sourire de Jane s'agrandit alors que le mien s'efface. Je me mords l'intérieur de la joue. Je me doute qu'elle a compris que nous nous connaissions tous les deux. Je sens qu'elle va essayer de me cuisiner pour en savoir davantage. Mais, Jane n'y arrivera pas si facilement. Pas pour l'instant !

 

La matinée a été calme. Pour mon grand bonheur, je n'ai pas croisé une seule fois Alexander. Il doit traîner quelque part dans l'hôtel avec Tom. Grâce à cela, je peux enfin me détendre un peu. Ce, qui n'est plus arrivé depuis son arrivée surprise. Bien sûr, je continue de sursauter dès que j'entends des pas qui s'approchent du salon où Jane m'a traînée presque de force quelques heures plus tôt.

— Hier, lorsque Tom t'a présenté Alexander, j'ai eu l'impression que vous vous connaissiez tous les deux, lance-t-elle innocemment.

J'avale de travers. Décidément Jane ne va pas abandonner si facilement. Je tourne la tête vers Eleanore qui continue de regarder son livre. Notre conversation d'adulte ne l'intéresse pas.

 

Je me vois mal lui dire qu'il y a trois ans, j'ai passé avec lui une nuit qui a changé ma vie.

— Je ne me souviens plus très bien, je réponds. Je crois que nous nous sommes déjà croisés, j'ajoute en fronçant les sourcils pour faire plus vrai.

Jane ne semble pas convaincue plus que ça. Elle pince les lèvres et continue de me fixer.

— Et tu penses quoi de lui ? Il est pas mal ?

Je rougis légèrement. Et merde ! Je jette un regard autour de moi à la recherche d'une bouée de sauvetage. Je n'ai pas envie de répondre à sa question. D'ailleurs, je suis certaine qu'elle connaît déjà la réponse. Alexander est très beau.

 

La délivrance vient d'Eleanore qui se frotte les yeux.

Merci seigneur ! 

C'est le signe qu'elle va bientôt s'endormir. Un coup d’œil à ma montre me confirme qu'il est effectivement l'heure de sa sieste.

Je me retiens de pousser un immense soupir de soulagement. Grâce à elle, je vais pouvoir échapper aux questions de la jeune actrice.

— Allez vient ma grande, c'est l'heure du dodo, je murmure à la petite fille qui pose son livre sur le canapé.

Je me penche en avant pour la prendre dans mes bras. Eleanore me sourit, ferme les yeux en baillant et se blottit contre moi.

— Je vais la mettre au lit, je dis inutilement à Jane.

— Tu reviens ? demande Jane en mordant dans un cookies au chocolat qu'elle vient de prendre dans l'assiette que Louise nous a apportée en même temps que nos tasses de thé.

— Je ne sais pas.

C'est un mensonge ! Je vais tout faire pour ne plus me trouver seule avec elle pour l'instant. C'est trop dangereux pour mes nerfs !

Elle acquiesce en reprenant son magazine sur l'accoudoir.

 

Dans la chambre, je dépose doucement Eleanore sur le lit. Elle se glisse dans les draps que je remonte sur son petit corps. A moitié endormie, elle me sourit, se tourne vers moi et serre son doudou contre elle.

— Dors bien petit ange, je murmure en l'embrassant sur le front.

Les yeux fermés, elle sourit déjà à moitié emportée par le sommeil. Je n'ose pas bouger alors, j'écoute sa respiration devenir lente et régulière. Mon cœur de maman se réchauffe en la regardant dormir. Son doudou qu'elle sert contre elle, ses boucles étalées sur son oreiller, son pouce qu'elle approche de sa bouche.

Doucement, pour ne pas la déranger, je me lève du lit et ferme les rideaux. De toute façon le ciel est tellement sombre avec la tempête que cela ne change rien. C'est juste une habitude. J'appuie sur la tête de sa veilleuse qui éclaire faiblement la pièce. C'est suffisant pour elle. Je me félicite d'ailleurs d'avoir pensé à la charger cette nuit avant la coupure d'électricité.

Avec des mouvements étudiés après des mois de galère à la réveiller à chaque pas pour sortir de sa chambre, je glisse mon cahier de notes hors de la poche arrière de mon jean.

Comme je suis bloquée dans la chambre pour ne plus subir l'interrogatoire de l'inspecteur Colombo, je vais étoffer les idées qui me sont venues dans le salon. J'ai rendez-vous avec mon éditeur dans quelques jours. Je dois lui présenter les premiers brouillons de l'histoire.

Je m'assieds sur le sol, le dos contre le mur pour bénéficier de l'éclairage de la veilleuse. J'attrape l'élastique sur mon poignet et attache mes cheveux en un chignon désordonné, quelques mèches rebelles ressortent ci et là. Cela m'est égal. L'important pour moi est de ne pas avoir les cheveux dans les yeux pour travailler.

Prête à commencer, j'inspire et expire à plusieurs reprises pour me détendre. Je ferme les yeux et m'apprête à replonger dans l'histoire lorsqu'un bruit contre la porte de la chambre attire mon attention. Je tourne la tête vers le lit où Eleanore continue de dormir.

Cela valait la peine de s'asseoir sur le sol, râle ma conscience qui fait des abdos.

Elle n'a pas totalement tort.

 

Sans faire de bruit, je me lève et vais ouvrir doucement la porte. Le couloir est très peu éclairé. J'ouvre la bouche de surprise. Mon cœur frappe rapidement dans ma poitrine.

Décidément, une journée sans le voir est impossible.

Tom me sourit malicieusement. Alexander, lui, se contente de m'observer. Son visage ne trahit aucune émotion. Ses yeux détaillent mon visage. Et moi ? moi, je suis mal à l'aise.

Je retiens avec difficulté ma main gauche qui veut refermer la porte sur eux.

 C'est trop tard pour faire comme si je n'étais pas là ? 

Je n'arrive pas à soutenir plus de cinq secondes le regard d'Alexander. Alors, mon corps se tourne instinctivement vers Tom. Ce n'est certes pas poli, mais ce que pense Alexander m'est complètement égal !

— Cela te tente une petite partie ?

Tom me montre la boîte du Trivial Pursuit qu'il tient dans ses mains. J'observe plusieurs secondes cette boîte en me demandant ce que je peux lui répondre.

Oui, à la condition qu'il ne soit pas là !

Trop ridicule !

Pour cacher mon embarras, je me tourne vers Eleanore. Elle dort toujours paisiblement. J'hésite. D'un côté, j'aime passer du temps avec Jane et Tom. De l'autre, je ne peux pas me permettre de baisser la garde devant Alexander. J'ai trop peur qu'il découvre que la petite fille qui dort dans cette chambre est sa fille. Je me mords la lèvre. Pourquoi faut-il que nous nous croisions sans arrêt depuis son arrivée ?

 

— C'est gentil Tom, mais…

Je suis en train de refuser l'invitation de l'acteur lorsque je vois du coin de l’œil Alexander observer de là où il se trouve la petite forme cachée sous les couvertures. Il n'y a aucun risque à cette distance. Cela le frustre, je le vois à son visage. Et, avant que l'idée ne germe dans son esprit de s'approcher davantage, je ferme doucement la porte.

— Je suis partante pour une petite partie, je murmure doucement en m'approchant de Tom pour taper dans sa main. Il me fait un clin d’œil et passe un bras autour de mes épaules pour me guider vers le salon. Je n'arrive pas à calmer les battements incessants de mon cœur. Je sens le regard d'Alexander dans ma nuque. Il marche silencieusement derrière nous.

 

Dans le salon, Jane prépare le jeu. Lorsqu'elle me voit accompagner les garçons, elle sourit.

— Tu sors enfin de ta tanière, me dit-elle en plaçant le plateau de jeu sur la table. Les équipes sont les suivantes, ajoute-t-elle, Alex et Léa contre Tom et moi.

Génial, je pense avec mauvaise humeur.

— Nous ne sommes que quatre, autant jouer chacun pour soi, je propose innocemment.

Jane lève les yeux au ciel et secoue la tête de gauche à droite. Je sais déjà ce qu'elle pense de mon cas désespéré.

Plus diplomate, Tom tranche en proposant de voter :

— Qui est pour les équipes ?

Trois mains se lèvent en même temps.

Humpf !

— Qui vote contre ?

Je lève la main pour la forme même si je sais que j'ai perdu.

 

Toujours debout près de la longue table en bois où le plateau de jeu est installé, je m'approche de Alexander et m'assieds à ses côtés. Galant, il me tient la chaise et attend que je sois assise pour prendre place à son tour autour de la table.

Toujours aussi gentleman.

Ou alors, il te veut à nouveau dans son lit, persifle ma conscience qui est assise comme une duchesse dans son grand fauteuil Louis XV.

Ne commence pas toi, je la menace.

Pendant que Jane et Tom terminent d'installer le jeu sur la table, je fixe un point invisible sur le mur en face de moi pour cacher mon trouble.

Nos deux chaises sont très proches l'une de l'autre. De temps en temps, je sens son regard sur moi.

— Ils n'ont aucune chance de gagner, souffle une voix à mon oreille.

Je cligne des yeux. Une douce chaleur se répand dans mon corps. Des frissons le parcourent.

Il ne va pas te manger.

J'inspire doucement et me tourne vers lui. Son corps est très proche du mien, je sens sa cuisse contre la mienne.

Allez ma grande, tu peux le faire.

Je lève les yeux vers lui. Mon souffle se bloque lorsque ses yeux croisent les miens. Je ne suis pas certaine de ce que j'y lis. On ne se quitte pas des yeux.

Je m'humecte les lèvres. L'air autour de nous devient aussi électrique qu'à l'extérieur.

Je sens son pied glisser contre le mien. Sa main est posée sur le bord de sa chaise qu'il quitte pour effleurer la mienne du bout des doigts. Malgré moi, mes yeux glissent vers sa bouche. Je frisonne. J'ai chaud.

Qui est l'idiot qui a augmenté le chauffage ? 

— C'est prêt, lance une voix lointaine.

Je crois que c'est Tom, mais je ne suis pas certaine.

C'est le bon moment pour détourner le regard, m'encourage ma conscience.

Quoi ? 

 

— Quelle couleur ? demande Tom avec entrain.

Cela m'est égal tant que je peux partir rapidement de cette pièce et ne plus y revenir avant notre départ. Alexander insiste pour me laisser choisir la couleur de notre équipe : l'orange pour nous.

Pour Tom et Jane, c'est plus difficile de faire un choix ! ils se disputent déjà pour décider. Cela promet pour la partie. Jane le menace tellement fort qu'il finit par capituler et la laisse choisir le rose.

Malgré la présence d'Alexander, je m'amuse comme une folle. Je ris, souris et me prête même au jeu en me chamaillant avec lui pour une réponse ou une autre.

— Champollion, j'insiste en lui faisant les gros yeux.

— Si tu insistes, il rigole. Notre réponse est Champollion.

Nous gagnions notre avant-dernier camembert. Il tape dans ma main. Je frisonne au contact de sa peau contre la mienne.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que dans d'autres circonstances, nous aurions facilement pu devenir amis tous les deux.

— Comme tu portes chance, je te laisse lancer le dé, me dit Alexander.

Je cligne des yeux à plusieurs reprises. Patient, il me montre d'un signe de tête le dé qui se trouve dans la paume de sa main. Je regarde son visage avant de regarder à nouveau sa paume. Mon cerveau fait rapidement son boulot et, je comprends, enfin, que je dois prendre le dé et le lancer. Ce que je fais.

 

— Vous formez une super bonne équipe, lance Jane lorsque nous gagnons.

Après le jeu, l'ambiance est bon enfant. Jane et Tom profitent que la lumière soit rétablie pour faire des châteaux de cartes sur la table. Châteaux qui s’effondrent rapidement à cause de Alexander qui s'amuse à souffler dessus.

— C'est accidentel, affirme-t-il en souriant innocemment.

Je me contente de les observer tous les trois. J'ai toujours été nulle en châteaux de cartes. Je ne suis pas assez patiente pour tout ça.

Un regard vers ma montre m'indique qu'il est clairement temps de me rendre dans la chambre pour réveiller Eleanore.

— Merci pour cette partie, dit Alexander au moment où je quitte la pièce.

Sur le pas de la porte, je me tourne et lui souris.

 

 

Dans la chambre Eleanore est déjà réveillée. Elle est assise sur le lit et se frotte les yeux. Lorsqu'elle me voit, elle sourit et me tend les bras.

— Tu as fait de beaux rêves mon ange ? je murmure.

Je dégage son visage endormi des mèches de cheveux qui se sont emmêlés pendant son sommeil.

— Oui, elle répond avant de déposer un baiser sur ma joue.

J'aime les moments où elle se réveille. Ces moments de tendresse. Ces moments privilégiés entre elle et moi. C'est un moment que je me refuse de rater malgré mon emploi du temps parfois trop chargé. Comme toujours, je trouve l'instant parfait. C'est un moment de connexion entre nous deux.

 

Je ne sais pas si c'est le sentiment d'être observée qui me fait tourner la tête, mais, à ce moment-là, je me rends compte que nous ne sommes plus seules dans la pièce.

« Pas maintenant ! »

Mon cœur accélère. Ma gorge se serre. Je sais d'avance que le moment est arrivé. Je sais que cette fois-ci, je n'ai pas la possibilité de fuir sa présence. Cela ne me sert à rien de me pincer car je sais que ce cauchemar est réel. Je ne suis pas en train de rêver !

 

Vous devez vous connecter (vous enregistrer) pour laisser un commentaire.