Les quelques heures durant lesquelles elle avait pu dormir n’avaient pas suffi et le matin suivant, le poids des derniers évènements lui pesait davantage que les autres jours. Elle avait l’impression d’avoir un nuage noir au-dessus de la tête que chaque personne qu’elle croisait pouvait voir.
Pourquoi me regarde-t-elle ainsi, ragea Maïwenn intérieurement lorsque Brigitte, l’agent d’accueil de l’entreprise, la salua.
- Oh my god ! C’est de pire en pire, tu as vu ta tête ? plaisanta Ludo à son entrée dans leur bureau.
- Et toi, tu as vu la tienne, rétorqua sa collègue, piquée au vif.
- Calme toi, c’était de l’humour, se justifia-t-il.
- L’humour, c’est censé être drôle, non ? continua-t-elle.
- Ok, j’ai compris, fais-moi signe quand tu seras de meilleure humeur, finit Ludo, vexé par sa réaction.
Mais Maïwenn n’était pas près d’aller mieux. Une rage l’envahissait, un peu comme si le monde entier lui en voulait.
En fin d’après-midi, juste avant de rentrer chez elle, elle reçut un appel de Brieuc auquel elle ne répondit pas. Elle le savait maintenant, leur histoire était finie, mais elle tenait à le lui signifier de manière officielle. Maigre consolation pour la façon dont il l’avait traitée. Dans le message que son futur ex lui avait laissé, il l’invitait à dîner le soir même pour se faire pardonner. Ce serait le moment idéal pour clore le chapitre, s’était-elle dit en acceptant l’invitation.
À l’heure convenue, son téléphone sonna :
- C'est moi, je suis en bas, je t'attends, lança Brieuc à l’autre bout du fil.
- Ah d'accord, tu ne veux pas monter ?
- Je n'ai pas trouvé de place pour me garer. Dépêche, vociféra-t-il.
- J'arrive.
La rupture va être beaucoup plus facile que prévu, pensa-t-elle en raccrochant.
Brieuc ne lui avait pas dit à quel endroit il avait réservé, aussi Maïwenn fut très surprise lorsque son futur ex gara sa voiture sur le parking de la cafétéria d'une grande surface, vantant la simplicité et la convivialité des lieux. Une fois installés à leur table, la conversation avait du mal à démarrer. La jeune femme ne savait pas comment aborder le sujet de la rupture et Brieuc, qui souffrait d'une allergie très virulente à l'arachide, était souvent peu loquace lors du choix de ses plats.
- Tu n’as pas eu le temps de réserver un resto en fait, c'est pour cela qu'on est ici ? demanda Maïwenn sur le ton de la plaisanterie.
- Oui bon, c'est vrai… J'avais la tête ailleurs, dit-il dans un rire nerveux.
- Moi non plus ça n'a pas été de tout repos ces derniers temps. J’ai fait des cauchemars avec un homme qui vient me dire que je suis folle.
- Tu devrais l’écouter, lança Brieuc à voix basse sans quitter des yeux son menu.
- Comment ? bondit Maïwenn.
Il souffla en posant sèchement le livret sur son assiette.
- Ce qui t’arrive, c'est simple : tu es stressée, préoccupée et puis c'est tout, rien de surnaturel là-dedans. J'ai quand même des soucis plus importants, tu m'excuseras, affirme-t-il d'un air dédaigneux.
- Oh vraiment ? Comme quoi par exemple ? l’interrogea-t-elle.
- Hier soir, je me suis mis minable si tu savais !
Minable, marrant, c'est exactement ce que j'étais en train de me dire, remarqua la jeune femme intérieurement.
- J'ai remonté le moral d’une collègue qui venait de se faire plaquer, précisa-t-il ensuite. On a beaucoup bu, ça l'a aidée à lui faire oublier son chagrin. En plus, je ne vois pas ce qu'elle lui trouve. Vous les filles, vous avez le don pour rester avec des connards.
Je ne te le fais pas dire… Il lit dans mes pensées ou quoi ? s’interpela Maïwenn.
- Et ensuite nous sommes allés chez elle et nous nous sommes endormis dans les bras l'un de l'autre, complètement bourrés ! Quelle soirée !
Maïwenn eut le souffle coupé quelques secondes, se demandant si elle avait bien entendu.
- Tu as fait quoi ? C’est pour ça que tu n’as pas pu venir hier ? demanda-t-elle.
Brieuc lui avait tellement répété qu’elle l’étouffait, qu’à la longue, elle en venait à se dire qu’il avait raison. Ce dernier, comprenant que Maïwenn n’allait pas en rester là, s'emporta et tapa du poing sur la table, attirant ainsi l'attention des autres clients.
- Ah ça y est, j'en étais sûr. Tu vas me piquer une crise, c'est ça ? Parce que j'ai remonté le moral d'une collègue ? Mais comme je le lui ai dit, elle est tellement belle et drôle que n'importe qui voudrait être avec elle, elle sera vite recasée ne t'inquiètes pas sale jalouse !
- M'inquiéter ? Mais pourquoi ? Après tout mon copain s'est juste bourré la gueule avec une jeune fille éplorée pour ensuite s'endormir dans ses bras. Sans que rien ne se passe bien sûr... Tu me prends vraiment pour une conne. Ramène-moi tout de suite.
- Avec plaisir, tout le monde nous regarde maintenant à cause de ton comportement de toute façon. Contente de toi ?
Maïwenn lui aurait arraché les yeux si elle avait pu. Beaucoup de questions tournaient dans sa tête, avait-elle vraiment été excessive ? En six mois, cet homme avait réussi à la faire douter de tout et surtout d'elle-même. Après plusieurs minutes, qui lui parurent des heures, elle vit enfin le coin de sa rue. La superbe voiture de Brieuc s'arrêta au pied de son immeuble et en ouvrant la portière pour en descendre, Maïwenn lâcha la phrase qu'elle venait de se répéter plusieurs fois pour se donner du courage :
- Je crois que là, nous nous sommes tout dit.
- Quoi ? Putain, pendant tout ce temps tu cherchais un moyen de me larguer en fait, c’est pour ça ta crise.
- Non. Ma crise, comme tu dis, c’est parce que tu n'as aucun respect pour moi.
- Combien de fois va-t-il falloir que je m'excuse pour le lapin ? T'es lourde là !
- Je suis lourde ? Tu me laisses en plan pour te bourrer la gueule avec une collègue et c'est moi la lourde ?
Maïwenn allait sortir de la voiture lorsque Brieuc la saisit par le bras pour la retenir.
- Attends, attends. Je m'exprime mal, c'est pour ça... Je suis désolé. Es-tu prête à ne plus jamais me revoir ? Parce que c'est ce qu'il se passera. Si tu me quittes, je ne voudrai plus jamais te voir. On peut juste faire une pause pour voir. Qu'en penses-tu ? Réfléchis à ça... Je... Je ne veux pas te perdre bordel !
- Non, c'est fini, n'insiste pas. Tu me prends pour une abrutie depuis trop longtemps, ça suffit.
Mais alors qu'elle se dégageait de l’étreinte du jeune homme, le visage de ce dernier se durcit.
- Tu penses pouvoir me laisser comme ça ? Seulement quand je l'aurai décidé, tu m'entends. Je n'en ai pas fini avec toi, je ne vais pas te lâcher.
- Mais qu'est-ce qui te prends ? Tu es malade ou quoi ?
- C'est ça oui. Allez dégage de ma bagnole, tu auras assez tôt de mes nouvelles, finit-il par lui dire.
Elle s'exécuta, abasourdie, et s'enferma à double tour dans son appartement avant d'aller vérifier à la fenêtre qu'il était bien parti. La réaction qu'il venait d'avoir l'avait choquée, elle n'avait vraiment pas besoin d'un harceleur dans sa vie réelle, elle en avait déjà un dans ses rêves.
- Mais laisse tomber, tu es bien mieux sans lui !
Voilà comment réagit Mylie lorsque sa voisine lui révéla avoir quitté Brieuc la nuit précédente. Cette dernière ne lui avait pas parlé de sa mésaventure dans la ruelle ni des cauchemars qui avaient suivi, mais lorsqu’elle aperçut un journal, justement ouvert sur un article relatant le meurtre de Victor Godest, elle ne put se taire plus longtemps.
- Tu dois retrouver l’enquêteur et depuis, le meurtrier hante tes rêves, résuma Mylie à la fin du récit de son amie.
- C’est bien cela. Tu dois me prendre pour une folle maintenant, comme Brieuc.
- D’abord, arrête de tout ramener à lui. Ensuite, je ne te prends pas pour une folle, loin de là, lui assura sa voisine.
- Ouais. Je ne sais plus quoi penser, je suis perdue. Je pense aller chez le médecin dans quelques jours, avoua Maïwenn en se dirigeant vers la porte de sortie.
- Si tu crois que c’est ce que tu dois faire, alors fais-le, approuva Mylie au moment de se quitter.
Cette nuit-là, Maïwenn dormit étonnamment bien et le matin qui suivit, la perspective de sa fin de contrat la mettait en joie, une sensation qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps.
- Voilà, c’est donc ton dernier jour, soupira Ludo en la voyant entrer dans leur bureau. En tout cas, j'espère que tu ne m'oublieras pas trop vite. Tu as trouvé un autre contrat ?
- T'inquiète, il n'y a pas de risque que je t'oublie de sitôt ! Pour l’instant, rien., mais j’ai appris à prendre mon mal en patience, depuis le temps que je fais des missions.
À treize heures trente, une alerte lui indiquant un mail sur sa boite professionnelle apparut : c'était un message de Vanessa qui la convoquait deux heures plus tard à un entretien individuel afin de conclure son contrat.
Pendant ce laps de temps, Maïwenn remarqua que « la Hell team » s'était enfermée dans un bureau. Les deux heures qui suivirent furent remplies d'angoisse à tel point qu’elle n'arrivait plus à regrouper ses idées. Quand il fut l'heure, la chef de service la fit entrer dans un bureau et pendant trois-quarts d'heure elle dut écouter ces femmes lui faire des reproches sur son travail qui tout à coup ne les satisfaisait plus. Puis vinrent les reproches sur ses relations : trop proche de Ludo et pas suffisamment d'elles ou encore ses études qui n'étaient pas en adéquation avec le poste. Les moindres objections qu’elle put formuler étaient balayées par l'une ou l'autre, qui s'en donnaient à cœur joie.
- Vous ne vous êtes jamais plaintes auparavant et vous aviez mon curriculum, ne dénigrez pas mes études ! finit-elle, excédée par ce lynchage.
- Tu n'as pas à nous parler sur ce ton. Reste à ta place Maïwenn, lança Vanessa de son air le plus autoritaire.
La pression qu'elle ressentit sur elle ensuite était telle, qu'elle finit par se taire et attendre. Intérieurement, elle bouillait, et même si elle sentait les larmes lui monter aux yeux, hors de question de leur faire ce plaisir.
Défoulées et satisfaites, elles l'autorisèrent à sortir après que Vanessa ait clos l'entretien par une phrase qui résonna dans sa tête tout le reste de la journée :
- N'oublie pas que nous avons fait cela pour que tu apprennes de tes erreurs. Et…Bon vent surtout.
Quel culot, avoue plutôt que tu as voulu me faire comprendre que je n'étais rien face à vous.
Ce qui venait d'avoir lieu était si caricatural qu'elle avait du mal à réaliser que cela soit possible. Lorsqu’elle franchit pour la dernière fois les portes de l'entreprise, elle se sentit défaillir. Elle rejoignit avec difficulté sa voiture et s’effondra en larmes, ses nerfs venaient de lâcher.
- Alors, alors, Mademoiselle Deniel, je lis sur votre dossier que vous avez souhaité être admise ici pour vous reposer, reprendre vos esprits, énonça l’homme vêtu d’une blouse blanche en face d’elle.
- C’est exact. En ce moment, j’ai l’impression que tout m’échappe. Je ressens le besoin de me ressourcer pour un temps et mon médecin traitant est de cet avis aussi.
- C’est ce que je peux voir dans sa lettre. Et bien… Soyez la bienvenue. Ma secrétaire va vous donner votre planning de repos.
- Un planning de repos ? l’interrompit Maïwenn.
- Votre planning de soin si vous préférez : séance de thérapie de groupe, séance individuelle et autre joyeuseté. Ne vous inquiétez pas, nous allons vous requinquer, s’exclama l’homme tout en l’accompagnant vers la sortie.
Une femme l’attendait derrière la porte pour lui remettre l’emploi du temps de la semaine et la conduire à sa chambre. C’était une petite pièce pourvue d’un mobilier minimaliste et dont les murs étaient d’un blanc qui passait peu à peu.
Pas très engageant, mais je ne suis pas venue pour cela, pensa Maïwenn en posant son sac sur l’unique chaise.
- Rangez vos affaires et rejoignez-moi dans la salle principale, je vais vous faire visiter votre maison pour ces prochaines semaines, lui indiqua la secrétaire en quittant la pièce.
Lorsque Maïwenn s’avança dans la salle principale, elle ne le fit pas sans appréhension. Une télévision était accrochée en hauteur au centre de la pièce et diffusait une chaîne d’infos que plusieurs personnes regardaient depuis de grands fauteuils blancs. Debout près d’une table, la secrétaire et un homme encore inconnu semblaient l’attendre.
- C’est votre espace de repos avec télévision et bibliothèque, lui précisa la secrétaire en montrant sur le côté une étagère de livres.
- Je me présente, docteur Trubard, intervint ensuite l’homme, votre thérapeute.
- Le docteur Trubard est nouveau dans notre structure. Vous êtes sa toute première patiente, rajouta la secrétaire comme s’il s’agissait d’un immense honneur.
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Notes d'auteur :
Brieuc...égal à lui même, invite Maïwenn à un repas en tête à tête qui dégénère. Tout comme les relations de la jeune femme avec ses boss!
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