La nuit était tombée depuis plus de trois heures lorsque la population s’était soulevée. Une foule en colère qui convergeait vers le même endroit. On pouvait les repérer à presque un kilomètre. Soit par le bruit effroyable qu’ils faisaient : par leurs cris presque bestiaux, soit par la lueur des torches brandies dans les airs avec fureur. Ils ne cherchaient pas à se cacher. Leur force était leur nombre. Leur colère.
Helen avait le cœur au bord des lèvres. Elle s’était levée en entendant son père et son oncle s’agiter au rez-de-chaussée. Elle avait juste eu le temps d’arriver en haut des escaliers pour les voir sortir et claquer la porte dans leur dos pour rejoindre la foule. Helen n’avait pas mis longtemps à comprendre ce qu’ils faisaient – ce que le village entier allait faire. Un immense frisson l’avait fait chavirer et elle n’avait pas perdu une seule seconde pour les suivre.
Sa peur et son angoisse lui faisaient oublier le froid du début de l’hiver. Elle pouvait néanmoins sentir la chair de poule parcourir sa peau alors qu’elle courait dans le petit bois dans lequel la procession de villageois se dirigeait. Elle avait emprunté le chemin moins dégagé, afin de pouvoir aller plus vite, les dépasser. Les branches et les ronces lui arrachaient ses vêtements, lui griffaient les membres. Mais elle ne s’arrêterait pas pour cela. Car elle devait les prévenir.
Lorsqu’elle arriva au manoir, le ciel se dégagea et laissa apparaître une lune pleine et blanche. La lueur de l’astre nocturne drapait les lieux d’un voile qui semblait irréel. La façade de la bâtisse n'en était que plus impressionnante. Avec ses nombreuses fenêtres qui trouaient la pierre, tels les yeux noirs d’un insecte qui attendait de voir la foule en colère se dresser devant ses grilles. La porte d’entrée, immense, ressemblait à une gueule prête à engloutir quiconque tenterait de pénétrer les lieux. Un aller simple. Sans retour.
Pourtant Helen franchit les grilles sans hésiter plus d’une minute. Elle devait les prévenir. Elle devait les sauver. Quitte à ne jamais pouvoir sortir de ce manoir monstrueux.
Un peu plus loin dans son dos, la foule se rapprochait dangereusement, grimpant la colline pour les rejoindre.
Les portes s’ouvrirent alors qu’Helen arrivait en haut des marches. La jeune fille ralentit automatiquement l’allure jusqu’à s’arrêter sur le seuil. Elle n’avait pas envie de rentrer. Elle voulait retourner au fond de son lit, s’endormir et ne plus penser au massacre qu’il pourrait y avoir ici. Pourtant, si elle ne faisait rien, alors toute une famille allait être décimée.
Prenant son courage à deux mains, Helen pénétra alors dans la bâtisse, tout en retenant son souffle. Au moment où son pied franchit le seuil de la porte, la lune fut de nouveau cachée par un nuage noir et la pénombre s’abattit sur les lieux. Helen ouvrit la bouche mais son cri se bloqua au fond de sa gorge et elle faillit s’étouffer.
Le tic-tac d’une énorme horloge semblait avoir ralenti le temps. Le bruit résonnait dans tout le Hall, couvrant les craquements irréguliers des murs ou de l’escalier qui s’élevait vers les étages à quelques mètres. Les battements du cœur de la jeune fille se régla sur ce battement régulier et son stress diminua presque automatiquement. Elle était là pour une bonne raison. Ce manoir était imposant et personne n’avait jamais osé s’en approcher. Personne n’avait jamais croisé ses propriétaires. Sauf Helen. Ils n’étaient qu’une famille. Ils ne méritaient pas de mourir dans d’atroces souffrances pour des rumeurs stupides.
Helen se redonnait doucement courage mais ne parvenait pas à faire un pas de plus en avant. Il faisait beaucoup trop sombre et beaucoup trop froid. Comme si personne ne vivait dans ces lieux. Pourtant, Helen était certaine de ce qu’elle avait vu l’autre nuit. De la vie derrière ses carreaux. Du bruit dans le jardin. La famille était là. Elle le sentait.
- Bonsoir Helen.
L’interpellée sursauta violemment, reculant précipitamment pour sentir son dos rencontrer le bois dur de la porte – quand s’étaient-elles fermées ? La voix s’était élevée dans tout le manoir, résonnant dans le hall, dans l’escalier et dans les longs couloirs qui s’étendaient devant l’entrée. Helen ne parvenait pas à en identifier la source et une véritable terreur la clouait sur place. Comment connaissaient-ils son prénom ?
- Nous sommes ravis de te voir parmi nous.
Une deuxième voix, plus féminine mais tout aussi froide. Helen put néanmoins y déceler une note amusée.
- Viens, rejoins-nous.
Une double porte sur la droite s’ouvrit et une petite lueur s’en échappa, comme un accueil minime pour l’encourager à approcher. Et comme si quelqu’un avait pris possession de son corps, Helen se redressa et se dirigea vers la pièce qui n’était autre qu’un très grand salon tout en longueur. Les hautes fenêtres sur la droite donnaient une vue plongeante sur les grilles de la propriété. Il n’y avait aucun rideau aux fenêtres, pourtant Helen était certaine qu’en approchant elle n’avait vu aucune lumière de dehors. Le feu qui brûlait pourtant dans l’antre de l’immense cheminée n’avait cependant pas pu être allumé en quelques minutes.
Ses questions s’envolèrent cependant lorsqu’Helen aperçut les propriétaires qui lui faisaient face. Un homme et une femme entre deux âges, dans des costumes qui semblaient bien poussiéreux. Comme leur manoir, ils étaient impressionnants. Grands. Froids. Austères. Une puissance semblait cependant émaner d’eux. Une force qui écraserait toute personne osant se dresser contre eux. Mais que pouvaient faire deux personnes contre une foule en danger ?
Helen sentit une décharge lui traverser le corps et elle reprit pleinement possession de ses moyens. Son souffle se bloqua au fond de sa gorge mais une force qu’elle se pensait avoir perdu la poussa à s’exprimer, avec tout le courage qui lui restait.
- Vous devez fuir !
Sa voix n’était qu’un chuchotement. Mais elle portait toute la détresse qu’elle ressentait.
- Ils pensent que c’est vous. Les sorciers. Ils sont venus pour vous détruire…
Comme seule réponse, elle reçut le doux sourire de la femme.
- Nous allons te montrer que personne ne peut rien contre nous Helen.
- Tu n’as pas à avoir peur, enchaina l’homme en lui tendant la main.
- Car personne ne pourra rien contre toi non plus.
- Tu es comme nous.
La petite fille était apparue, comme sortie des ténèbres dans lesquelles elle se cachait et adressait son plus beau sourire à Helen. Cette petite fille aux longs cheveux noirs qu’Helen avait aperçu courir dans la propriété alors qu’elle se baladait non loin. Une petite fille qui ne devait pas avoir plus de quatre ans mais qui à présent en faisait dix.
Une famille.
Des sorciers.
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Notes :
Histoire écrite dans le cadre de Hallonuit, nuit d'écriture du 31 octobre 2020.
Notes d'auteur :
Répondant au thème de 20h : Manoir
Note de fin de chapitre:
Merci pour votre lecture et si le coeur vous en dit, rendez-vous au prochain chapitre pour le thème de 21h !
Plume
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