Helen n’avait jamais pensé être quelqu’un de spécial. Elle vivait avec son père et depuis peu avec son oncle. Deux hommes qui ne s’occupaient pas vraiment d’elle. Ils ne se posaient pas la question de savoir comment les repas étaient servis chaque soir à leur table et comment la maison était toujours bien rangée malgré leurs soirées parfois arrosées.
Helen avait naturellement pris la place de sa mère lorsque cette dernière avait été emportée par une mauvaise grippe. Et son père avait décidé d’oublier le drame en coupant tout lien avec sa famille et sa maison. Tout lien avec sa fille.
Helen se débrouillait donc seule. Elle s’occupait principalement de la maison, mais n’hésitait pas à sortir un peu lorsque son père était aux champs. Personne ne lui aurait sans doute reproché quoi que ce soit, mais elle ne souhaitait pas que son père puisse avoir quelque chose à lui reprocher. Elle n’avait plus que lui, ce lien familial pour éviter de finir à la rue.
Le meilleur moment de la journée pour effectuer ses petites sorties était en fin d’après-midi. Il n’y avait pas grand monde et Helen pouvait disparaître sans être vue. Elle aimait particulièrement se diriger vers la petite colline qui surplombait le village. Un petit bois habillait la lande et il était très facile de s’engouffrer dans les fourrés. Suivant les saisons, Helen pouvait cueillir quelques petites baies, ramasser des branches pour le feu ou des plantes pour ses infusions. La nature lui offrait ainsi tout ce dont elle avait besoin.
Elle ne s’éloignait jamais énormément pour être certaine de ne pas rentrer trop tard. Cet après-midi là pourtant, le temps lui échappa et elle parcourut plus de kilomètres qu’elle ne l’aurait pensé. Elle ne le comprit que lorsqu’elle arriva devant l’immense manoir. Le crépuscule commençait à tomber, mais du haut de lac colline, le coucher du soleil éclairait les jardins presque comme en plein jour. Quelques minutes de plus dans cette douce couleur orangée pour sublimer la nature.
En découvrant l’endroit, Helen en était restée le souffle coupé. Le manoir immense reposait paisiblement dans cet immense jardin aux nombreux massifs de fleurs qui attirèrent automatiquement le regard de la jeune fille. Elle resserra ses mains sur son panier en osier et osa s’approcher lentement des hautes grilles noires. Elle se pencha légèrement en avant mais laissa quelques centimètres entre son visage et les barreaux.
Le mouvement fut furtif mais elle l’aperçut alors que son regard balayait les lieux, admirant la magnifique sculpture qui se trouvait légèrement sur la droite – était-ce une licorne ? On aurait dit une ombre qui se fondait parfaitement dans les ténèbres de la nuit tombante. Une ombre mais une présence. Helen plissa les yeux et tenta de discerner la forme qu’elle avait vu.
Le soleil disparut d’un coup à l’horizon et le manoir et ses jardins furent plonger dans les ténèbres. Helen se redressa d’un bond. Elle réalisa alors qu’elle se trouvait devant la demeure hantée dont tout le monde parlait au village. Les plus courageux n’avaient jamais franchis le seuil des grilles. Tout le monde pensait les lieux abandonnés mais personne n’avait jamais osé y pénétrer. Même pour des paris stupides. Mais alors, quelle avait été cette ombre ?
Une petite lueur apparut à l’une des fenêtres de la demeure. Les yeux de la jeune fille furent automatiquement attirés par elle. Ce qu’elle vit néanmoins lui glaça les sangs. Était-ce une nouvelle ombre ? Cela ressemblait plus à une silhouette. Mais pourquoi semblait-elle pendue au plafond ?
La maison n’était pas abandonnée. Il y avait de la vie derrière ces murs et il n’était pas difficile de l’apercevoir. Mais qui étaient ses habitants ? Helen était terrifiée mais ne parvenait pas à tourner les talons. Quelque chose l’attirait. Elle aurait voulu franchir ces grilles et aller frapper à la porte.
Son courage n’était cependant pas de taille. Alors que la nuit s’étoffait, la jeune fille finit par reculer et s’enfuit sur le chemin principal qui redescendait jusqu’au village. Elle s’était beaucoup trop éloignée. Et si jamais elle rapportait le mauvais œil avec elle ? Les histoires d’horreur qu’on lui avaient racontées remontaient dans sa mémoire, lui donnant des ailes alors qu’elle dévalait la colline. Lorsqu’elle aperçut les lueurs des premières maisons, son cœur bondit de joie dans sa poitrine. Elle ralentit l’allure pour ne pas attirer trop l’attention sur elle et resserra son panier à moitié vide contre sa poitrine.
Elle s’était enfuie tellement vite qu’elle n’avait pas remarqué la petite fille qui s’était approchée des grilles en l’entendant approcher. Elle était partie avec tant de précipitation qu’elle n’avait pas fait attention à la silhouette qui était apparue sur le pas de la porte. La maison n’était pas abandonnée. Et ses habitants qui ne se montraient jamais avaient enfin trouvé quelqu’un avec qui partager leurs secrets.
Rester plus qu’à espérer qu’elle revienne à eux.
Oui. Helen était quelqu’un de spécial.
Elle était comme eux mais elle ne le savait simplement pas encore.
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Notes d'auteur :
Thème de 21h : Ombre
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