Être une sorcière n’était pas quelque chose qui s’apprenait. C’était quelque chose d’inné. Helen le comprit assez rapidement alors qu’elle passait de plus en plus de nuits au Manoir, à tenter d’apprendre à maitriser ses pouvoirs.
Premier croissant de lune.
Ceux-ci mettaient du temps à sortir mais ils étaient là, au fond d’elle. Elle n’avait d’abord pas cru la famille Nielsen mais au fil des jours, elle s’était faite une raison alors qu’elle ressentait que les choses changeaient autour d’elle. Les portes s’ouvraient sans qu’elle n’ait besoin de les toucher. Le feu s’allumait sous le four sans qu’elle n’ait besoin de craquer une allumette. Les petites choses de la vie courante se réalisaient pour lui faciliter ses tâches quotidiennes. Mais tout cela restait hors de sa portée.
Deuxième croissant de lune.
La première fois que se produisit l’impensable, Helen était en train de ranger les bazars que son père et son oncle avaient laissé derrière eux. Les bouteilles de verre trainaient à même le sol et une chaise avait même été renversée dans leur emportement. Il faut dire que depuis que les villageois pensaient avoir mis le feu au Manoir, une vraie gaité habitait les maisonnées. Le calme était revenu et les problèmes réglés.
Seulement Helen savait. Elle savait mieux que personne que l’illusion avait été créée par les Nielsen. Le manoir était peut-être en ruines aux yeux de tous, mais il était toujours bel et bien là et eux aussi. Alors, entendre son père se vanter d’avoir mis le feu à la bâtisse commençait à la rendre folle. Elle aurait aimé lui faire voir qu’il n’en était rien. Qu’ils étaient plus fort que leurs ridicules torches de feu. Leur faire ravaler leur triomphe illusoire.
Mais Helen ne dit rien. Tout ce qu’elle trouva à faire fut d’exploser toutes les bouteilles en mille morceaux sur le sol. Son père et son oncle étaient trop saouls pour se rendre compte de quoi que ce soit. Alors elle se retrouva seule à devoir nettoyer sa propre bêtise.
Elle n’eut besoin d’aucun balai, ni d’aucune pelle. D’un simple regard, les morceaux se rassemblèrent près de la poubelle dont le couvercle se souleva pour les accueillir. Le verre chuinta contre le métal dans un son agréable du travail bien fait.
Helen regarda ses mains et ressentit une étrange chaleur l’envahir. Venait-elle de faire ce drôle de sort ?
Demi-lune.
Ses émotions avaient pris le pas et dictaient ses sautes de magie. Il suffisait qu’Helen soit contrariée pour que toute foute le camp. La cohabitation avec son père devenait de plus en plus compliquée mais Helen voulait tenir bon. Elle attendait avec une grande impatience la tombée de la nuit pour pouvoir partir en douce retrouver la famille Nielsen au Manoir.
Elle s’était familiarisée avec chacun de ses membres et aimait apprendre de chacun d’eux. Les parents étaient cependant souvent introuvables et n’apparaissaient que lorsqu’ils avaient quelque chose à lui dire ou lui transmettre. Violine quant à elle l’attendait fidèlement à la grille du domaine tous les soirs et se réjouissait de pouvoir l’emmener dans ses chevauchés nocturnes. La nature et les animaux favorisaient grandement l’expansion de ses pouvoirs. Hestia quant à elle lui apprenait à maitriser le feu en lui expliquant toutes ses vertus. Il était cependant difficile à dompter et ses sautes d’humeur n’aidaient pas forcément.
Pleine lune.
- Ses sorcières sont des fourbes qui méritent tous de périr dans d’atroces souffrances…
Helen sursauta alors qu’elle empilait les assiettes sales de la fin du diner. Le ton véhément de son père lui fit l’effet d’une gifle. Pourquoi s’en prenait-il encore aux sorcières ? Helen avait du mal à comprendre la haine qu’il entretenait pour ces personnes qu’il n’avait en réalité jamais réellement vu – du moins en sachant qu’il se trouvait bel et bien devant l’une d’elle.
- Ne te mine pas, nous les retrouverons pour les abattre toutes.
Son oncle encourageant encore et toujours ce père qui perdait peu à peu l’esprit, alimentant cette psychose malsaine.
- Je ne vois pas ce que les sorcières ont pu te faire.
Helen rougit en entendant sa propre voix portée ses pensées habituellement muettes. Elle serra le verre qu’elle tenait dans ses mains et pria pour que son père n’ait rien entendu. Néanmoins sa prière ne fut pas entendue et les deux hommes affalés sur la table de la cuisine se redressèrent doucement, d’abord surpris par son intervention, puis agacés par sa remarque.
- Tu ne peux rien savoir femme, car tu passes ta vie cloitrée dans cette maison, siffla son oncle dont le froncement de sourcils ne présageait jamais rien de bon.
- Pour ta gouverne, les sorcières m’ont lancé un mauvais sort…, grommela son père en tendant son verre dans sa direction pour qu’elle lui serve à nouveau un peu de vin. Mes récoltes sont catastrophiques cette année. Depuis notre action d’ailleurs… Je suppose qu’en périssant dans leurs flammes, elles ont eu le temps de jeter un dernier maléfice !
Helen loucha sur le verre sans trouver la force de le remplir. La colère lui nouait l’estomac au point qu’elle ne parvint pas à trouver le moindre mot. Son père croyait-il vraiment que son malheur était causé par la magie alors même qu’il produisait de moins en moins d’effort pour faire fructifier ses champs ?
- Tu te l’ais donné tout seul ton malheur, souffla finalement la jeune femme en posant ostensiblement ses mains sur ses hanches.
Son père se redressa d’un bond et, fout de colère, lui envoya son verre à la figure. La surprise fut plus forte que la colère et Helen n’eut pas le réflexe de lever les mains. Néanmoins, ses pouvoirs prirent le dessus et l’objet se figea en plein vol, à quelques centimètres de sa cible.
Un silence de mort s’installa dans la pièce alors que les trois protagonistes regardaient le verre flotter dans les airs. Helen ne savait plus où se mettre alors qu’elle réalisait avoir franchi une étape qui l’empêcherait de faire marche arrière.
- Com…comment ?
- Ma… propre fille !
Les deux hommes échangèrent un regard où se lisait le même désarroi. Puis son oncle se leva et se jeta en avant.
Helen ne se souvint pas vraiment comment elle s’était retrouvée à courir sur le chemin menant au Manoir. Elle se souvint à peine avoir aperçu le visage radieux de Violine qui l’attendait sans pour autant arrêter sa course. Elle franchit le seuil de la maison en trombe et se rua dans le salon vide. La cheminée était toujours là, un feu réchauffant la pièce.
Helen s’en approcha et comprit la certitude qui tentait de s’insinuer dans son esprit depuis cette nuit où elle avait franchi pour la première fois les portes de cette demeure.
Elle était une sorcière.
Et maintenant elle devait fuir.
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Notes d'auteur :
Thème minuit : image de lunes
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