Augustine cligna des yeux. C’était ça qu’ils essayaient de cacher ? Le fait que Bénédicte Mancheau croyait que le meilleur ami de sa nièce l’avait tuée et il ne le disait pas parce qu’il s’agissait aussi du petit-ami de sa fille ? C’était hallucinant. Elle avait du mal à comprendre le raisonnement des gens, parfois. Au moins sa femme avait eu raison. Ce n’était pas quelque chose qui faisait bien de cacher. Ce qui était moins sûr, c’est aussi que ce Jacques Henri ait un mobile. A moins qu’il ait une bonne raison... En tout cas, Jacques Henri venait de gagner la place de prochaine visite – ce qui était déjà prévu avant d’ailleurs.
« Vous l’avez vu sortir des toilettes ou venait-il juste de cette direction ? Quelle expression avait-il ? »
Hugo répéta sagement les questions. Bénédicte Mancheau sembla enfin remarquer le manège mais la colère prit le dessus.
– Qu’est-ce que je m’en fiche !? Il venait clairement de là-bas, la porte était entrouverte et c’est toujours lui qu’on doit réprimander à cause de ça. Je suis sûr que c’est lui. Qu’est-ce que vous attendez pour l’arrêter ?!
– Il y a trois minutes, vous ne vouliez même pas nous le dire… remarqua Hugo à voix basse. Mais revenons à votre nièce, vous l’avez accueillie chez vous il y a une dizaine d’années, non ?
– Vous n’avez qu’à lire le dossier si ça vous intéresse !
Madame Mancheau – mais c’était quoi son prénom ? Elle avait dû le lire cette nuit mais ne s’en souvenait plus – posa une main apaisante sur le bras de son mari et pris le temps de respirer et de s’essuyer les yeux avant de répondre calmement.
– Juste après la mort de sa mère, oui. On avait un peu peur qu’Isa soit jalouse mais cela s’est très bien passé. Evidemment elles se sont disputées comme toutes les sœurs. Mais de manière générale, j’étais très fière d’elles. Je veux dire, elles avaient chacune leur vie, et ici elles n’hésitaient pas à s’aider et à jouer ensemble. Et puis Geneviève avait ses amis, ce Jacques et Frédéric bien sûr, Isabelle aussi mais ces derniers temps elle a rejoint le groupe de sa cousine. Jeanne, Françoise et Léa sont parties pour leurs études, vous voyez.
Cela n’arrangeait pas les choses… Elle qui avait espéré qu’il y ait d’autres personnes à interroger… Augustine décida de tenter le tout pour le tout.
« Est-ce que vous pouvez nous attester sur votre honneur que c’est bien votre nièce Geneviève Croiset qui est morte ? »
– Carrément comme ça ? souffla Hugo en réponse.
Augustine le fixa et hocha la tête. Il y avait certaines choses qu’il fallait dire clairement pour être certain que tout le monde ait bien compris. Et là, c’était quand même fondamental. S’il y avait des personnes qui pouvaient distinguer les deux, c’était bien les parents. Surtout que oui, elles se ressemblaient mais pas autant que cela…
Hugo ne semblait pas être convaincu mais lut quand même la demande. Face à lui,
– Ça expliquerait tellement de chose, fit lentement Madame Mancheau.
– Nom de nom ! Qu’est-ce que tu veux dire avec ça, Marilou ?! éclata son mari. C’est tout bonnement impossible, elles ont joué au violon comme elles le font toujours, chacune à sa manière !
Voilà donc le prénom de Madame Mancheau ! Oui, ce n’était pas le moment de laisser divaguer ses pensées là-dessus. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Des parents ne pouvaient-ils pas différencier leur fille de leur nièce ?! Cela dépassait son imagination.
– Mais j’hallucine, souffla Hugo assez bas pour qu’Augustine soit la seule à l’entendre.
Les deux policiers échangèrent un regard profond en sens. Ni l’un ni l’autre ne comprenait pas comment ils pouvaient être si indifférents. C’était honteux pour des parents…
– Mais non, réfléchis, Bénédicte. Isabelle s’est énormément améliorée. Je trouve que Geneviève était bien susceptible ou joyeuse ces derniers temps alors qu’Isabelle devenait plus renfermée sur elle. J’ai trouvé cela bizarre mais pourquoi pas. Après tout, les gens changent, non ? Ce qui m’a frappée c’est le dessin à la craie de Geneviève la semaine dernière. Tu ne penses pas ? C’est typiquement quelque chose dont je me serais attendue de la part d’Isa mais pas de la part de Genie. Ce trait imaginatif, volatile, ces couleurs rêveuses. La craie ! Genie n’a toujours dessiné qu’au crayon. La craie, c’est la marque d’Isa. Rappelle-toi le nombre de fois qu’elles se sont disputées là-dessus…
C’était un peu vague, non ? Comme raison de douter si elles étaient vraiment la personne qu’elles prétendaient être… Augustine n’était plus convaincue de sa théorie, d’un seul coup. Mais qu’est-ce qu’étaient ces parents ?! Elle ne pouvait qu’en secouer la tête. Heureusement que la plupart n’était pas ainsi…
– Donc vous n’êtes pas sûre de qui prétend être Isabelle ? Cela pourrait être Geneviève ?
– Quand elles habitaient ici je pouvais dire exactement qui était qui, mais depuis que je ne les vois plus qu’une fois par semaine c’est devenu plus difficile. Un maquillage ou une coiffure différente peut tout changer, n’est-ce pas ? Alors non, je ne pourrais pas vous le certifier de façon certaine. Oh non, alors c’est peut-être…
La mère fondit brusquement en larmes sous le regard éberlué de l’inspectrice. Son mari la prit dans ses bras tout en jetant des regards méchants aux deux policiers, ce qui était tout à fait compréhensible finalement. Mais ils avaient bien dû penser à ce qui aurait été si ça avait été quelqu’un d’autre de la famille. Et Isabelle était l’idée la plus proche… Quand elle avait été petite… Non, concentration sur l’enquête.
– Qu’est-ce qui se passe ? Isabelle et Jérémie entrèrent dans la salle à manger en courant. Vous avez fait pleurer maman ?
– Isa, sanglota Marilou Mancheau. Dis-leur que tu es toi. Dis-nous que toi et Geneviève n’avez pas échangé de place sous nos yeux !
– Quoi ?! s’exclama Jérémie. Pas encore ! Pas pour quelque chose d’aussi important !
Augustine ne lâcha pas la prétendue Isabelle des yeux. Celle-ci croisa son regard, la fixa un instant, puis se détourna pour prendre les mains de sa mère.
– Maman, tu crois que je te mentirais là-dessus. Evidemment que je suis moi.
Elle avait l’air de mentir selon l’inspectrice. Chaque geste transpirait cela et tout le monde aurait dû le remarquer. Et pourtant dans le fond, elle avait l’impression que c’était la vérité. Était-ce du cinéma ou pas ? La question restait ouverte.
– Je crois que vous devriez aller au salon. Jérémie, tu veilles sur eux, le temps que je parle aux deux-là, s’il-te-plaît ?
Le jeune homme acquiesça et guida ses parents hors de la pièce. Augustine ne savait pas quoi faire. Elle se sentait mal à l’aise. Elle n’avait pas voulu les choquer autant. Juste avoir des renseignements. Ils devaient bien y avoir pensé avant, non ? Elle, elle y avait pensé énormément de fois, ce qui c’était passé si…
– Excusez-moi, coupa court ses pensées Isabelle. Vous devez-vous dire que je suis un monstre. Mais ils sont déjà écrasés de douleurs en pensant que c’est moi qui suis morte, alors si c’était Isabelle… Quand papa est venu en disant que Geneviève était morte, je ne voulais pas le contredire devant tout le monde. Alors qu’on avait dupé tout le monde pendant quinze jours déjà… Et puis, d’un mensonge à l’autre… maintenant c’est trop tard. Je ne veux pas leur causer plus de peine…
Augustine la fixait avec de grands yeux ébahis. Ce n’était pas possible. Elle n’avait aucune envie de croire cela. Car la parole de celui qui mentait sur un sujet pareil n’avait plus aucune valeur sur les autres sujets non plus. Mais il fallait reconsidérer cela. Les témoignages devaient être vérifiés, c’était la règle. Elle avait tenté de l’appliquer jusque là mais dès à présent cela devenait essentiel, vital. Et cela mettait dans une toute autre lumière toutes les personnes qui elle avait vu interagir avec la cousine de la victime. Etaient-ils au courant ou faisaient-ils semblant car étant de mèche ? Combien de personnes étaient impliquées dans cet échange et combien dans le meurtre ? Et qui était visé ? Geneviève ou Isabelle ?
La jeune violoniste face à eux leur adressa un sourire d’une froideur sans pareil. Augustine comprit soudainement pourquoi les témoignages se contredisaient sur son caractère. Elle pouvait être parfaitement lisse, le genre de personne à organiser un trafic de vélos ou même à éliminer des gêneurs, mais aussi gentille et serviable comme sa cousine. Tout se compliquait…
– Un instant, l’arrêta Hugo, n’en croyant pas ses oreilles. Vous êtes en train de dire que vous êtes… ?
– Geneviève Croiset, la nièce. Oui.
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Notes d'auteur :
Bonjour !
Nous voici au début de la deuxième moitié de l'histoire (et ça ne changera rien en réalité). Le thème est "craie".
Bonne lecture !
Note de fin de chapitre:
Je déteste les parents Mancheau ici, pas vous ?
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