Augustine observa encore une dernière fois son suspect principal. Il n’avait pas été réticent à répondre et il avait même apporté quelques nouveaux éléments. Et le fait qu’il n’avait pas cherché à cacher le fait qu’il avait touché au cadavre, rendait l’hypothèse qu’il soit le meurtrier beaucoup plus improbable. A moins bien sûr que ce soit un ingénieux stratagème pour lui faire croire cela.
– N’hésitez pas à appeler au poste si un détail vous revient. Ne quittez pas le pays et tenez-nous au courant de vos déplacements. Bonne journée.
Hugo donna les dernières instructions classiques puis les deux policiers se dirigèrent vers la voiture de service.
– Où allons-nous maintenant ? Chez ce cher futur petit ami de Geneviève Croiset qui ne doit même pas encore être au courant de sa mort ? Ou est-ce que tu crois l’histoire que c’est Isabelle Mancheau qui est la victime ?
Augustine haussa les épaules. Il lui fallait un peu de temps calme – de préférence seule dans son bureau – pour tout remettre dans l’ordre. C’était pile ce qu’elle allait faire après cette dernière visite. Mais elle n’avait aucune envie de la décaler puisqu’en ce moment même, Jean Bois se trouvait à la réunion de l’association d’arbre à laquelle était aussi allée Geneviève Croiset. Aujourd’hui elle n’y serait certainement pas et c’était l’occasion d’y jeter un coup d’œil. Elle expliqua cela en quelques lignes à son collègue.
– Alors il faut absolument qu’on mange une glace avant d’y aller, annonça-t-il. C’est l’heure du goûter, il va bientôt faire nuit, et ils vont peut-être nous faire creuser des trous. Alors de toute manière il faut qu’on prenne des forces avant.
« Je ne pense pas qu’il y a encore beaucoup de glaciers d’ouvert à cette époque de l’année… » commenta Augustine, sceptique. D’ailleurs, elle n’avait aucune envie de devoir faire encore une pause repas alors qu’ils venaient de déjeuner au bureau.
– Pas d’inquiétude, j’en connais un ! se réjouit Hugo. Viens, je vais te dire comment y aller.
Quelques minutes plus tard, Augustine attendait devant le glacier pendant qu’Hugo choisissait les parfums qu’il voulait. Mais pourquoi devait-il être aussi gourmand ? Ne pouvait-il pas se concentrer sur l’enquête le temps de la résoudre ? Apparemment non. En tout cas, elle espérait qu’il serait joyeux une fois qu’il aura mangé sa glace. Après tout, ils avaient encore un entretien à faire avant qu’il puisse rentrer chez lui et profiter du weekend. Pourquoi avait-il voulu l’accompagner en fait ? Il savait pourtant qu’elle ne respectait jamais les horaires…
Quand il ressortit, dans sa main un énorme cornet avec trois boules. Parfums chocolat, fraise et menthe si elle devinait bien. Rien de très étonnant avec Hugo en réalité. Profitant du fait qu’ils soient encore stationnés, elle lui posa sa question.
« Pourquoi tu viens avec moi au lieu de profiter de ton samedi après-midi ? »
– Tu vois, tu aurais dû prendre une glace, tu serais de meilleure humeur, déclara son collègue avec un sourire. C’est parce que je ne sais pas combien de fois, on va encore pouvoir travailler ensemble, je pars en retraite en mai, tu le sais bien.
L’inspectrice hocha lentement la tête avant de démarrer la voiture. Il allait lui manquer… En attendant, elle espérait qu’il finisse sa glace avant qu’ils n’arrivent dans le petit bois où l’association des arbres – quel que soit son vrai nom – tenait leurs réunions. Elle n’avait pas grande envie de le laisser à la voiture. Heureusement, Hugo réussit l’exploit de la manger en pas moins de dix minutes, le temps qu’il leur fallût pour arriver au pied de la colline du bois.
– Tu vois que j’avais raison de prendre des forces pour pouvoir monter ici ? la taquina son collègue.
« Moi j’ai encore moins à porter que toi maintenant », répondit Augustine sans quitter des yeux le sommet de la colline.
C’était donc là, l’association en faveur des arbres à laquelle Isabelle Mancheau – ou Geneviève Croiset selon – avait rencontré ce Jean Bois. Quel nom à propos ! Elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, peut-être à des gens avec une pelle et des bottes en train de planter de jeunes pousses ? Mais elle ne s’attendait certainement pas à se retrouver en plein milieu d’une réunion de personnes qui parlaient aux arbres. Hugo poussa une exclamation surprise, en arrivant à ses côtés, essoufflé. L’inspectrice n’osait pas vraiment les interrompre et ainsi ils restèrent en retrait pour les observer. Ils n’avaient pas l’air si étranges – ils ne ressemblaient même pas à des hippies ! Par contre, chacun d’entre eux était assis face à un arbre et semblait réellement lui parler.
Après quelques minutes, un jeune homme à la barbe blonde se leva et vint dans leur direction. Il portait quelques bracelets avec des perles en bois et avait de petites tresses dans les cheveux. A côté de la place qu’il venait de quitter reposait encore une flûte traversière.
– Bonjour, est-ce que nous pouvons vous aider ? Je suis Jean Bois, l’aulne à qui je parlais m’a dit que c’était moi que vous cherchiez ?
Constatant d’un regard qu’Hugo était aussi muet qu’elle, Augustine lui adressa un sourire gêné en hochant la tête. Aussi bizarre et éloigné de tout ce qu’elle faisait, elle était convaincue qu’elle avait la bonne personne devant elle. Elle sortit son bloc-notes.
– Attendez, l’arrêta Jean Bois. Je crois que ce sapin vous comprend. En tout, il essaye de me dire quelque chose. Laissez-moi me concentrer. Oh sapin, que veux-tu me dire ? Ah, un meurtre ? Dans de la musique ? En lien avec ici ?
Augustine cligna des yeux. Cela devenait un peu trop ésotérique pour elle. Elle n’avait rien contre, loin de là, mais elle aimerait beaucoup poser ses questions tout à fait simplement. A ses côtés, Hugo semblait toujours encore abasourdi. Le choc était peut-être trop grand pour le vieil homme pragmatique qu’il était.
– Je suis désolé, mon cher sapin, je ne comprends pas ce que tu essaies de m’expliquer. C’est trop confus. Je vais peut-être me rabattre sur la communication si terre-à-terre qu’est la conversation entre membres d’une même espèce. Merci beaucoup.
Le blond effectua quelques signes qui ressemblaient à des pas de danse avant de s’incliner profondément devant le sapin et de se tourner vers les deux policiers.
– Je vous prie, posez-moi toutes les questions que vous souhaitez, inspectrice. Je vais tenter d’y répondre de mon mieux.
« Nous venons pour vous parler du meurtre de Geneviève Croiset. Je crois que vous la connaissez ? »
– Effectivement, c’est même elle qui m’a invité à rejoindre l’orchestre symphonique. Elle est aussi venue pour planter des arbres la semaine dernière. Geneviève est tellement gentille. Et vous dites que c’est elle qui a été tuée ?
« Malheureusement oui. » acquiesça Augustine avec un sourire triste. Le jeune homme lui faisait de la peine. Il ne connaissait pas la jeune femme depuis longtemps. Il l’aimait bien, c’était évident. Et maintenant il fallait qu’ils lui annoncent qu’elle n’était plus de ce monde. Ce n’était vraiment pas sa partie préférée du métier. « On va commencer par devoir vous demander ce que vous avez fait vendredi soir ? »
– J’étais à l’orchestre bien évidemment mais je me suis parti en avance. Je suis tout nouveau alors je ne connais encore personne. Je suis apiculteur à mes heures perdues. Les abeilles sont des êtres si fascinants, vous ne trouvez pas ? En tout cas, c’est à eux que j’ai consacré toute ma soirée. L’une de mes ruches m’a donné trois verres de miel entiers. Encore, c’était déjà le cas la semaine dernière. Bientôt je vais pouvoir vivre uniquement grâce à la production de miel, de bougies et de mes sculptures.
« Votre vélo n’aurait-il pas été volé il y a peu par hasard ? »
– Oui, j’ai été victime d’un vol de vélo. Avant-hier je crois. J’ai juste posé mon vélo le temps d’apporter un pot de miel à une de mes clientes régulières et quand je suis revenue, plus de vélo et plus de miel. J’étais effondré. Le pire, c’est que Geneviève, elle m’avait prévenue. Vous devez comprendre qu’elle a à un moment donné plongé là-dedans mais je lui ai expliqué que c’était mal. A cause de son enfance difficile, elle ne voyait pas toujours ce qui était bien ou mal mais les arbres l’ont aidée à purifier son âme. Vous avez retrouvé mon vélo ?
– Oui, en effet, confirma Hugo avec un hochement de tête. Avec un panier rempli de pot de miel.
« Vous avez parlé avec Geneviève Croiset des vélos ? » s’étonna plutôt Augustine.
– Elle m’a promis d’arrêter son trafic de vols de vélos. Je ne sais pas si elle a eu le temps…
« Savez-vous pourquoi elle y a renoncé si facilement d’un seul coup ? »
– Non, je n’ai aucune idée pourquoi. Je pense qu’elle était juste très gentille. J’ai de la peine pour elle, réincarnée si jeune. J’ai planté un rosier dans mon jardin, j’espère que c’est elle, parce que comme ça je suis sûr qu’on s’occupe bien d’elle.
Oh non, cela allait inciter Hugo. Elle le sentait. Un jeune homme inconscient de l’amour qu’il portait à une morte. Voilà ce qui lui plairait, bien au contraire de celui qui venait de perdre un être cher.
En savoir plus sur cette bannière |
Notes d'auteur :
Le thème de départ était éther mais j'ai appelé à l'aide et ma merveilleuse Mary m'a proposé glace en remplacement. Gardez en tête : vive les glaces ! ;)
Bonne lecture !
Vous devez vous connecter (vous enregistrer) pour laisser un commentaire.