– Si vous voulez tout savoir, ses amis pensent qu’elle était amoureuse de vous…, glissa Hugo d’une voix perfide.
Augustine lui lança un regard désespéré. Ce n’était pas très charitable de le révéler ainsi, alors qu’elle était morte. Cela ressemblait par contre bien à quelque chose qui pouvait se passer dans un des romans à l’eau de rose qu’adorait son collègue… Elle tritura nerveusement une mèche de cheveux en attendant la réaction du jeune homme en face d’eux.
– Oui, je crois bien… soupira Jean Bois. La vie de ceux qu’on aime est bien trop courte. Ce qui me console c’est que je sais qu’elle continuera à vivre quelque part.
« Désolée pour ses remarques. Connaîtriez-vous des ennemis à Geneviève ? »
– Outre elle-même, vous voulez dire ? Eh bien, non. Mais après tout, je ne l’ai rencontré que le mois dernier…
« Je suis désolée qu’on doive vous poser de telles questions. Est-ce que vous connaissez un peu sa famille ou ses amis ? »
Le jeune homme cligna des yeux. Il paraissait légèrement surpris par cette question. S’attendait-il à ce qu’ils abordent un autre sujet en priorité ? Si oui, lequel ? Peut-être la raison de la présence de Geneviève dans cette association ésotérique ? Bonne idée, d’ailleurs. Peut-être son alibi ou ses sentiments ? Non, trop direct. De toute façon, elle attendrait d’abord sa réponse et elle improviserait après.
– A l’orchestre, j’ai fait la rencontre avec son oncle et sa cousine mais je ne crois pas leur avoir parlé davantage que pour être admis à jouer avec eux. C’est sa cousine qui s’occupe des inscriptions je crois. C’était plutôt facile, j’ai joué à la flûte devant le chef d’orchestre et puis elle a rempli toutes les fiches. Je n’ai même pas eu à signer… Mais c’est bien, j’ai bien discuté avec plein de personnes intéressantes. J’aime être dans plein d’associations différentes.
« D’ailleurs, savez-vous pourquoi Geneviève Croiset, que l’on m’a décrite comme distante et peu sociale, est venue à cette association-ci ? Cela ne semble pas vraiment dans son caractère… »
– Je crois que je ne sais pas non plus, Jean Bois se frotta la tête d’un air gêné. Quoique… Oui ? Sapin, tu le sais toi ?
Il se tourna vers l’arbre et le dévisagea d’un ais songeur avant de commencer à lui parler. Hugo et Augustine échangèrent un long regard stupéfait. C’était sûr que ce n’était pas un genre de duplication de personnalité quand on parlait à des plantes en prétendant qu’ils répondaient ?
– Ah, tu dis que c’était pour prouver quelque chose. Tu ne sais pas quoi ? Je vois. Merci beaucoup de me l’avoir dit. Bon, vous avez entendu que c’était pour un défi. Mais vous savez ce n’est pas le but qui est important quand on va quelque part. C’est qu’on y soit.
Hugo hocha lentement la tête à ses côtés, tandis qu’Augustine réfléchissait encore à cette dernière phrase. Elle n’était pas certaine que ce soit toujours vrai… Bien souvent, dans son métier plutôt rationnel puisqu’elle cherchait de préférence des faits et essayait d’ailleurs de les distinguer parmi les autres histoires racontées, le but était tout aussi important… Sans but, elle n’allait jamais nulle part. Pire, sans but, elle n’avait pas la force de se lever. De là à dire que le but n’avait pas d’importance... Non, ce n’était pas ce qu’il avait dit. C’était plutôt dans le sens que quel que soit le but qu’on avait avant d’aller quelque part, ce qui comptait vraiment c’est ce qu’on en faisait. Et ça elle y était plutôt favorable. De son expérience des entretiens avec des témoins ou des suspects, on y allait toujours avec une certaine attente et souvent si on se tenait à ce qui était préparé, on passait à côté d’énormes occasions de découvrir la vérité.
Elle acquiesça mais dû se rendre compte que Hugo en avait déjà profité pour mener le sujet sur l’association comme s’il était intéressé par la rejoindre. Jean Bois lui décrivit leurs actions et leurs motivations en détail. Oh non, qu’est-ce que cette enquête avait fait avec son collègue ?
Remarquant que le soleil venait de se coucher et qu’il était grand temps de rentrer, Augustine sourit légèrement à leur interlocuteur. Elle avait encore une dernière question avant de partir.
« Pensez-vous qu’il pourrait y avoir de la jalousie entre quelqu’un qui est amoureux de vous et Geneviève Croiset ? »
Hugo et Jean Bois prirent le soin de l’ignorer jusqu’avoir terminé leur conversation. Ce n’était pas très agréable mais elle manquait cruellement de motivation pour les interrompre plus violemment à la place d’attendre avec son petit papier.
– Oh, désolé, s’excusa le jeune homme quand il le remarqua. Vous auriez dû dire que vous vouliez continuer. Ah. Non, désolé.
Il rougit, du moins c’était ce qu’Augustine avait l’impression avec la faible luminosité de ce crépuscule. Elle balaya l’expression d’un revers de main et fixa son interlocuteur d’un air curieux.
– Comment vous dire, continua le jeune homme. Je pense qu’il doit bien y avoir une ou deux filles qui m’aiment bien mais elles ne doivent pas avoir croisé Geneviève. Elles sont plus au travail ou aux soirées. Mais après, je ne vois vraiment pourquoi en quoi cela les concernerait si je préfère sortir avec l’une ou l’autre… Elles ne peuvent pas toutes croire que je suis leur âme sœur, ce serait absurde.
L’inspectrice hocha lentement la tête. Ce n’était donc pas une piste concluante surtout qu’effectivement personne de l’orchestre ne connaissait Jean avant que Geneviève ne l’invite et que celle-ci ne devait pas être le type à sortir en soirée. Elle préférait organiser des trafics de vélos à la place…
– Avez-vous quelque chose que vous souhaitez nous dire ? clôtura Hugo après un regard échangé avec Augustine.
– Je ne crois pas, réfléchit leur témoin en se grattant la tête. Non, vraiment, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter. Vous avez même déjà réussi à me demander des choses que je n’aurais jamais cru en rapport avec votre enquête… Si quelqu’un sait ce que je sais c’est bien vous !
Augustine dût sourire à cette réflexion. C’était vrai que souvent les témoins ne savaient pas interpréter correctement les détails qu’ils avaient vus mais jugés sans importance. Et c’était son travail de les trouver, de les relier et de prouver qui était le coupable.
« Nous vous remercions pour vos réponses et vous souhaitons une bonne soirée. Si vous vous rappelez de quelque chose, n’hésitez pas à venir nous en instruire. »
Le jeune homme s’inclina légèrement devant eux.
– Tout le plaisir était pour moi. J’espère vous avoir été utile. Faites attention aux chats.
– Aux chats ? répéta Hugo.
– Bien sûr, confirma Jean Bois. Ils sont en train de comploter pour asservir l’humanité. Les mouvements paniqués des petits rongeurs nous le confirment. Encore une bonne soirée à vous.
– Bonne soirée, fit le policier encore en train de réfléchir.
Augustine leva une dernière fois la main en salut puis tira son collègue en direction de la voiture. Il fallait qu’ils rentrent et mettent de l’ordre dans toutes ces informations. Elle conduisit rapidement vers le poste de police – louer soient les gens qui avaient placé les panneaux de direction – pendant qu’Hugo restait coincé sur les félins.
– Que crois-tu qu’il voulait dire par ce complot des chats ? Je veux dire, c’est des animaux de compagnie, les chiens les font fuir et tu peux les acheter avec un peu de poisson frais. Je le sais parce que ma femme en a récupéré trois en mettant des restes dans une assiette au jardin et maintenant ils sont toujours là à attendre. C’est fou, non ?
L’inspectrice haussa les épaules. Elle n’était pas de cet avis mais c’était une discussion inutile, cela ne valait pas la peine de l’approfondir. Elle se gara avec élan sur une des places de parking réservées aux voitures de service et Hugo la suivit sagement jusqu’à la porte d’entrée.
– Atten…
– Mraow !
Augustine se prit les pieds dans un chat errant qui passa en courant devant les escaliers. Ce n’était vraiment pas son jour de chance. D’abord les journaux et les parents, puis l’explosion, maintenant le chat. Il était grand temps qu’elle puisse s’enfermer tranquillement dans son bureau pour réfléchir à toute cette affaire. Il y avait le chef d’orchestre que rien n’accusait mais qui avait quand même été présent lors de la première explosion comme pour l’innocenter. Il y avait Isabelle Mancheau qui était peut-être Geneviève Croiset ou peut-être pas. Il y avait cette deuxième explosion qui était partie dans un sens bizarre par rapport à sa position dans la boîte aux lettres et elle avait besoin de l’analyse du laboratoire pour comprendre. Celui-là il ne viendrait que lundi matin au plus tôt. Et puis ce trafic de vélos qui était plus que louche et dont chaque membre disait que c’était les deux autres qui en étaient les instigateurs et qu’il ne participait que pour leur faire plaisir.
– Augustine, ça va ? s’inquiéta Hugo. Tu t’es cogné la tête contre les marches ?
C’était bizarre. Pourquoi Frédéric Boisot avait-il tout avoué lorsqu’ils étaient tombés sur eux ? Pourquoi les autres en avaient facilement parlé eux aussi ? Ils n’avaient même pas essayé de nier ou de le faire passer pour autre chose. C’était louche et cela criait à une explication différente. Qu’est-ce que cela pouvait-il cacher ?
– Qu’est-ce qui s’est passé ? voulut savoir le policier de garde en sortant du poste.
– Augustine est tombée…
Il y avait trop de choses emmêlées. C’était la dernière pensée qu’Augustine réussit à avoir avant que le noir l’engloutît.
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Notes d'auteur :
Bonjour !
Un petit texte sur le thème "félin". Cela n'étonnera pas les beiges que le chat sera le meurtrier, n'est-ce pas ?
Bonne lecture !
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