Augustine passa une main dans ses cheveux. Elle n’avait plus grand-chose à faire à l’opéra maintenant que ses collègues avaient réellement bouclé le bâtiment et renvoyé tout le monde chez lui. Apparemment, il était trop dangereux de rester quelque part où il y avait eu une explosion – aussi petite soit-elle – dans les fondements. Des experts devaient d’abord vérifier que l’ancien bâtiment ne risquait pas de s’effondrer. Bref, elle aussi avait été renvoyé au poste ou à tout autre endroit qu’elle trouverait intéressant pour son enquête. L’endroit qu’elle avait en vue maintenant était la morgue. Regarder le corps de la victime pouvait lui fournir des informations intéressantes. Et de toute manière, c’était un passage obligatoire alors autant le faire avant que les légistes n’avancent de trop dans leur travail.
Elle resserra son écharpe et engagea les quarante minutes de marche à travers l’air froid d’un soir de mi-décembre qui séparaient le poste de police et l’opéra. Mais à peine quelques minutes plus tard, une voiture grise ralentit à sa hauteur. Une jeune femme blonde se penchait vers elle.
– Inspectrice Pinson ? Je suis Isabelle Mancheau. Voulez-vous que je vous emmène au poste de police ? Je dois y aller pour signer les papiers comme quoi c’est réellement le corps de ma cousine, si j’ai bien compris papa ne l’a pas fait jusqu’ici et vu son état actuel…
Augustine hésita un instant. Il pouvait tout à fait s’agir de la meurtrière et ce ne serait pas très intelligent de monter dans sa voiture après l’explosion qui aurait déjà pu la viser. Mais un grand coup de vent glacial la décida. Il valait mieux mourir en explosant que de froid. C’était plus rapide. Elle monta et remercia la jeune femme d’un sourire, puis prit le temps de la dévisager attentivement.
Isabelle Mancheau avait indéniablement un air de famille avec son père. En revanche, avec ses joues rouges et ses cheveux blonds comme les blés, elle n’évoquait pas du tout un pingouin. Au contraire, elle faisait même penser à un ange de Noël en tenue d’écolière. Approprié à la situation, elle avait les yeux rouges et bouffis, signe qu’elle avait dû pleurer, mais elle essayait de faire bonne figure.
– Ne vous en faites pas, je ne suis pas coupable. Je n’apprécie pas particulièrement Geneviève mais c’est ma cousine. On a passé nos vies ensemble, c’est quasiment une grande sœur pour moi. Par contre, je ne suis pas complètement aveugle comme papa. Je sais très bien qu’elle n’est pas parfaite. Ou est-ce que je devrais parler au passé maintenant ? Oh, c’est terrible ! Qu’est-ce qui va se passer maintenant ! L’orchestre, la famille, ça ne va plus jamais être pareil…
L’inspectrice cligna des yeux. En tout cas, la fille était tout aussi loquace que son père. A moins que ce soit la tristesse qui les rendait aussi bavards. Elle savait que les gens réagissaient de manière différente à la mort et, même si pour elle parler ne pouvait pas ramener la personne disparue, cela l’arrangeait puisqu’en écoutant simplement les proches raconter leurs souvenirs elle en apprenait pas mal sur la victime, son caractère et ses relations.
– Tout le monde aime Geneviève mais je ne crois pas qu’elle soit proche de quelqu’un d’autre que de ses deux meilleurs amis, vous savez, Jacques Henri et Frédéric Boisot. Enfin, il y a moi aussi mais elle ne m’a pas vraiment choisie. Geneviève est du type parfaitement poli mais sans encourager la moindre tentative d’approche si elle ne le voulait pas. Et en même temps, je ne vois pas comment on pourrait vraiment être jaloux d’elle. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a ces gens à qui tout réussi et on devrait être hyper jaloux d’eux, mais dès qu’on les rencontre on ne peut pas leur en vouloir. C’est exactement ça. Geneviève a toujours eu tout ce que je voulais aussi : les bonnes notes, le talent au violon, l’attention de papa, l’admiration de mon petit frère… A une époque, quand nous avions quinze ans, je lui en ai voulu terriblement, j’ai même cassé son violon, mais dès qu’elle était en face de moi et qu’elle me souriait, je me sentais coupable d’éprouver cela. Je veux dire, elle mérite tout ce qu’elle a, elle travaille dur pour ça et quand elle te sourit, tu comprends qu’elle ne le fait pas contre toi et qu’elle voudrait te faire partager tout ce qu’elle a. C’est un ange. Vraiment.
Si elle avait eu un doute sur la culpabilité d’Isabelle, elle pouvait être rassurée. Aucun coupable ne dévoilerait ainsi ses petits secrets. A moins bien sûr de vouloir manipuler son vis-à-vis pour lui faire croire exactement cela. Mais Augustine devait avouer que cela marchait très bien. Mais à être honnête, elle commençait à avoir de réelles difficultés de s’imaginer la victime. Déjà Isabelle Mancheau ressemblait à un ange mais si sa cousine était encore plus parfaite au point qu’elle ait été jalouse… Dans leur famille casser un violon devait certainement être un acte très grave. Était-ce après cet incident que l’oncle de Geneviève Croiset lui avait acheté celui qui venait d’exploser ? Pouvait-ce vraiment avoir calmé cette jalousie ? Ou avait-elle été renforcée jusqu’à éclater maintenant, une dizaine d’années plus tard, menant à un meurtre ?
– Vous savez que c’est Geneviève qui a choisi l’uniforme de l’orchestre ? poursuivait Isabelle sans se soucier du silence de l’inspectrice. Je lui ai dit qu’aujourd’hui plus personne ne voulait porter de cravate mais elle ne voulait pas écouter. Elle trouve que ça nous donne un air sérieux et respectable. Je n’en suis pas convaincue mais ce que je sais c’est que ça mettait bien en valeur son élégant cou et ses formes généreuses.
Augustine observa celle que portait Isabelle. Elle espérait qu’ils ne les mettaient pas pour toutes les répétitions sinon ils n’allaient pas être belles très longtemps. En effet, le tissu était d’une couleur beige et était complété par une chemise blanche. Rien de très compatible avec un travail acharné. Seule la cravate bleu ciel apportait un peu de vie dans la tenue. De ce qu’elle avait compris, cela correspondait plutôt bien au caractère perfectionniste de la victime. Elle n’était certainement pas le type qui se tâchait en mangeant, au contraire de sa cousine qui avait une petite tâche de mayonnaise sur son col…
– On y est, s’exclama la conductrice. Vous savez où se garer le mieux ?
L’inspectrice lui indiqua un parking spécialement prévu pour les visites à la morgue, aussi morbide que cela pouvait sonner, et maintenant qu’elles étaient si proches, l’atmosphère pesante semblait empêcher la cousine de la morte de parler autant qu’avant. Augustine n’en était pas mécontente. Elle se voyait mal se concentrer sur le cadavre en écoutant une analyse précise des faits et gestes de la part d’un suspect de première ligne. Car quoi qu’est dit Isabelle Mancheau jusqu’ici, c’était bien ce qu’elle restait : un suspect.
– Augustine, vous arrivez à temps ! les accueillit le garde à l’entrée. Je suppose que cette charmante demoiselle qui vous accompagne est là pour identifier le corps ?
La policière acquiesça d’un mouvement brusque de la tête. Elle n’aimait pas vraiment Florent et sa manière d’essayer de draguer toutes les femmes qui passaient par la porte d’entrée officielle de la morgue. Ça ne collait tout simplement pas à l’ambiance en plus d’être lourd. Heureusement qu’il n’insistait pas auprès d’elle.
– Salle 23, l’informa le garde en adressant un grand sourire éclatant à la jeune Mancheau. Si la demoiselle souhaite que je lui garde sa veste ou son sac…
Mais la cousine de la victime ne réagit pas et se contenta d’un simple salut en passant devant lui. Augustine dut se retenir de ne pas sourire de manière trop satisfaite. C’était trop sympa de voir Florent se prendre un vent. Elle avança à pas rapides à travers le dédale de couloirs et de pièces qui constituait la morgue, Isabelle Mancheau dans son ombre.
Dans la salle 23 les attendait le corps sans vie de Geneviève Croiset. Deux médecins légistes les saluaient courtement avant de continuer leur travail. Elle avait apparemment déjà été nettoyée du sang qui avaient dû gicler comme en témoignaient les tâches qu’Augustine avait vu dans les toilettes mais aussi celles encore bien présentes sur l’uniforme. La peau blanche, les lèvres bleues et les cheveux humides du sang qui venait d’être lavé, elle ne ressemblait nullement à l’ange annoncée. Au contraire, même si les traits étaient réguliers et les lèvres pleines, elle n’avait en rien la beauté fascinante de sa cousine. Augustine laissa glisser son regard sur Isabelle Mancheau qui s’était penchée pour mieux voir le corps. Juste après la mort, le visage devait être bleu et boursoufflé mais maintenant il était blanc et détendu et absolument identique dans les traits à celui de la vivante. Il devenait difficile de croire qu’elles n’étaient que cousines et non pas sœurs. Et tandis que dans les tréfonds de l’esprit d’Augustine un doute germa, Isabelle se redressa :
– C’est bien ma cousine, affirma-t-elle d’une voix claire. C’est Geneviève Croiset.
Elle signa alors le papier d’identification pendant qu’Augustine profita de sa distraction pour examiner les objets et bijoux qui avaient été retirés sur le corps. Il y avait une différence entre les deux cousines qui n’étaient pas les blessures ou l’animation du visage. Quelque chose qui pouvait avoir de l’importance, tout comme cela pouvait être complètement inutile.
– Vous cherchez quelque chose ? s’inquiéta l’un des légistes.
L’inspectrice hocha la tête. Elle venait de mettre le doigt sur un détail qui la perturbait.
« Ne portait-elle pas de cravate ? »
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Notes d'auteur :
Bonjour !
Le thème du jour est : cravate...
Bonne lecture !
Le thème du jour est : cravate...
Bonne lecture !
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