Augustine appréhendait un peu la réponse de ce vieil homme qui avait l’air si revêche à l’idée d’être confronté à la police. Et s’il refusait de leur répondre. Et s’il ne savait pas où habitait Sophie Verçon qu’ils souhaitaient interroger ? Mais ses craintes étaient infondées. Le visage de l’habitant se détendit considérablement et il leur sourit même légèrement.
– Certainement pas. Sophie habite la maison à l’autre bout de la rue. Le numéro 12 et non le 2. Je suppose qu’il y a eu une faute à un moment car c’est une faute qui arrive régulièrement. Vous lui voulez quoi ?
– Seulement lui poser une ou deux questions sur une de ses connaissances, esquiva Hugo. Merci beaucoup, monsieur. Nous vous souhaitons une bonne journée.
Les deux policiers repartirent rapidement, ne voulant pas donner davantage de foin aux rumeurs qui se répandaient déjà suffisamment vite. Il ne manquerait plus que les journaux pour compliquer l’enquête. Cela dit, ils ne tarderaient sans aucun doute pas à affluer. Après tout, Geneviève Croiset avait été une célébrité locale.
La rue était bordée de maisons identiques d’un côté, de l’autre se trouvait le fleuve. Un peu plus loin, juste derrière le virage duquel ils venaient se trouvait la place de l’opéra et le bâtiment lui-même. Ces maisons devaient valoir une fortune ou deux !
– Tu sais quelque chose sur elle ou son mari ? demanda Hugo qui avait remarqué la même chose. Ils doivent être riches pour vivre ici. Je suppose que rien que le loyer dépasse largement notre revenu de pauvres policiers !
Augustine haussa les épaules. Elle n’avait rien vu de particulier dans le petit peu d’informations qu’elle avait trouvé. C’était tellement dommage qu’il n’y avait pas une base globale où chacun parlait de sa vie privée. Ils auraient pu en apprendre tellement plus sur les gens qu’ils allaient interroger. Là, elle ne savait uniquement que Sophie Verçon était mariée, avait deux filles et jouait du violon dans l’orchestre. Pas vraiment beaucoup…
Arrivée enfin devant le bon numéro, elle sonna ici aussi. Des cris d’enfants se faisaient entendre de l’autre côté de la porte. Puis des pas rapides arrivèrent et une jeune femme aux yeux cernés ouvrit la porte.
– Oui ? Comment je peux vous aider ?
Elle avait l’air tellement stressé qu’Augustine s’en voulait de la déranger. Heureusement que Hugo semblait penser la même chose et prit parole.
– Bonjour, j’espère que nous ne dérangeons pas trop. Nous voudrions vous poser quelques questions sur l’orchestre et la répétition de hier.
– Bien sûr mais je ne crois pas pouvoir vous aider, je n’y suis pas allée.
L’inspectrice lui sourit, gênée, puis regarda Hugo et lui signa : « Pas au courant ? ». Son collègue semblait réfléchir un instant, sous le regard inquisiteur et étonné de la violoniste. Augustine savait que c’était à cause d’elle et espérait qu’il n’y aurait pas de remarque. Mais Hugo n’hésitait plus.
– Vous avez peut-être entendu que Geneviève Croiset est morte hier soir ? demanda-t-il sur le ton de la confidence.
– Quoi ?!
Le cri de Sophie Verçon sonnait tellement véridique qu’Augustine fut tentée de l’innocenter immédiatement, mais en même temps elle savait que le meurtre avait été commis à peu près au moment où elle était là-bas. Cela aurait été une bêtise de s’arrêter là.
– Vous voulez entrer ? Vous avez déjà eu la varicelle ? s’inquiéta Madame Verçon. Ma plus jeune l’a ramenée de la maternelle…
Augustine se sentit rougir quand elle dut secouer la tête. Non, elle ne l’avait pas eue petite. Et elle n’avait vraiment pas envie de croiser cette maladie infantile. Leur interlocutrice haussa les épaules.
– Je vous propose la terrasse alors. Contournez la maison, je me prends un manteau et des coussins.
Sur le chemin, Augustine tenta d’expliquer son plan d’attaque à Hugo. Alors oui, elle avait déjà prévu quelque chose sur le chemin mais la réaction de Sophie Verçon la faisait douter.
– Ne t‘inquiète pas, la rassura le policier. Elle peut tout aussi bien jouer très bien la comédie.
Augustine sortit son carnet, désespérée. Hugo ne suivait pas ses signes. C’était peut-être un peu trop compliqué.
« D’abord, on veut entendre sa version de sa présence là-bas, puis si elle a remarqué quelque chose en y allant. Ou dans les jours précédents. Et ensuite on lui demande sur l’orchestre et sa place. On devrait pouvoir constater si elle est tellement jalouse de Geneviève Croiset qu’elle est suspecte. Et ce sera l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle. »
– Il faut qu’on profite de l’avoir rencontrée ici, j’ai comme l’impression que ce n’est pas évident… En tout cas, on va suivre ton plan. Laisse-moi faire.
Sur la terrasse, Sophie Verçon avait encore la tête dans la maison, essayant de consoler une petite fille.
– Non, joue à la poupée et ne réveille pas ta sœur. Je suis juste là, Lisa. Désolée, je suis un peu débordée avec les deux petites à la maison, la mère venait dans leur direction et posa trois coussins sur des chaises de jardin. C’est vraiment vrai ? Comment est-ce arrivé ?
Augustine attrapa le regard interrogateur de Hugo et secoua légèrement la tête. C’était tellement facile de se faire passer pour plus ignorant pour récupérer des informations et trouvez des excuses, explications et possibilités pour faire des cachotteries.
– C’est ce que nous essayons de découvrir. J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas à l’opéra hier ?
– Vous me suspectez en fait, rigola Sophie. Cela voudrait dire que c’était un meurtre ?! C’est ridicule ! Mais, en effet, Eva a la varicelle, alors je n’ai pas pu aller à la répétition. Mais je suis passée vite fait à la fin pour récupérer un livre chez Marie. Marie Bienheureux, elle a une librairie en ville. C’est pour occuper Lisa, elle n’a pas eu la varicelle jusqu’ici, alors je préfère la garder à la maison pour pas déclencher une épidémie dans sa classe. C’est galère pour les avoir un peu calmes. En tout cas, je ne sais plus du tout où me mettre la tête.
– Est-ce que vous avez remarqué quelque chose en passant ?
Madame Verçon semblait soudain perdre son sourire. Augustine étudia son visage et n’y trouva aucune trace de mensonges. Elle était convaincue que la mère ne pouvait pas mentir. Ou alors sinon elle était excellente actrice.
– Vous êtes vraiment sérieux, alors ? Je n’ai rien remarqué de particulier. Je veux dire, je suis entrée par la grande porte. Dans le hall, il n’y avait que les travailleurs qui doivent aménager le sous-sol en train de partir et le garde à l’accueil. Puis la salle de concert où j’ai parlé à Marie et me suis excusée chez les autres violonistes. Par contre, c’est vrai que je n’ai pas vu Geneviève… Ça ne m’a pas choquée, elle passe toujours aux toilettes pour se remaquiller. C’est presque une obsession chez elle d’être parfaite tout le temps. Quand je me dis que j’ai déjà du mal à trouver le temps le matin !
Elle ne put pas s’empêcher de rigoler à nouveau puis elle secoua la tête.
– Je suis absolument désolée, mais je trouve ça tellement absurde. Je n’arrive pas à m’imaginer que quelqu’un puisse tuer Geneviève. Elle est tellement lisse… je dirais même qu’elle est tellement parfaite que c’est ennuyant ! Mais j’avoue que je suis heureuse qu’elle soit là. Sans elle, les violons seraient perdus et je suis rassurée quand je n’ai pas le temps.
– Alors vous n’êtes pas déçue de ne pas être première soliste ?
– Pas du tout ! Je n’aurais pas le temps de toute manière. Et puis ce stress ! Non, non, je ne veux pas de cette place.
Son air dépassé fit sourire l’inspectrice. Elle commençait à cerner la femme dépassée en face d’elle qui essayait de jongler entre ses enfants et son engagement à l’orchestre. Il n’y avait aucune place pour de la jalousie dans sa vie et son regard.
– Sa cousine est plutôt jalouse d’elle par contre, non ?
– Ah non, ne m’en parlez pas. Geneviève et Isabelle… elles se disputent sans arrêt. Discrètement évidemment mais par petites piques dans le dos. Je pense qu’au fond elles s’aiment bien mais je suis tellement contente que Lisa et Eva s’entendent mieux. Je ne m’imagine pas ce que ça donne chez elles à la maison. Elles sont tellement jalouses l’une de l’autre qu’elles ne se rendent même pas comptent de ce qu’elles ont. Isabelle aimerait plus d’attention et Geneviève plus d’amour. Elles sont impossibles mais elles savent jouer du violon, ça c’est sûr. Non, je ne peux pas y croire… Eva, retourne au lit et ne te gratte pas.
– Mais j’ai mal, râla la petite fille en s’approchant des adultes.
Augustine échangea un regard avec Hugo puis ils se levèrent. Ils étaient convaincus qu’elle ne savait rien de plus. Elle n’avait probablement pas remarqué davantage avant – elle avait un regard pour les familles mais aucun temps libre. Cela n’étonnerait même pas l’inspectrice qu’elle ne connaisse pas les noms de tous les membres de l’orchestre. Hugo acquiesça de la tête.
– On va peut-être vous laisser à votre famille.
– Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider davantage. J’étais tellement occupée ces derniers temps. Je suppose que je vais lire le pourquoi du comment dans le journal dès lundi... Je ne voudrais pas que…
Elle fit un signe de tête vers sa fille. Augustine hocha la tête, ce n’était pas un sujet dont il fallait discuter devant une enfant de cinq ans. En fait, ce serait encore mieux si personne n’avait besoin de se pencher dessus. Un monde sans meurtre serait de façon le mieux, non ? Même si elle aurait moins de travail. Qu’est-ce qu’elle ferait dans un monde sans crime en fait ?
– Merci pour votre compréhension, fit Sophie Verçon. Encore désolée. Mais si je peux encore vous aider, appelez-moi. Je serais très certainement à la maison.
En savoir plus sur cette bannière |
Notes d'auteur :
Bonjour !
Voyez ce joli chapitre où la plus grande peur est d'attraper la varicelle - ou d'être accusé de meurtre. Le thème est "rencontre". Comment dire ? Ils rencontrent quelqu'un.
Bonne lecture !
Vous devez vous connecter (vous enregistrer) pour laisser un commentaire.