La pluie tombait contre la fenêtre quand le docteur et l’infirmière repartirent enfin. Augustine se saisit immédiatement de la feuille qu’ils lui avaient gracieusement laissée et passa le message à son collègue Hugo.
« Où est ma veste ? »
– Euh, fit Hugo en jetant un regard autour de lui.
– Ah, je sais, intervint Anna-Lena. Ils l’ont mise dans la commode je crois. Attends, je la cherche.
Quelques minutes après, l’inspectrice tenait en main son bloc-notes et se replongea enfin dans les prises de notes de toute la journée et de la soirée précédente. Non, elle voulait d’abord réfléchir à deux ou trois choses. Mais à quoi avait-elle pensé avant cette interruption ? Les silhouettes bleutées dans le brouillard et les groupes, la signification des explosions, les vols de vélos. Voilà, c’était ça. Elle le nota rapidement sur une nouvelle feuille avant de feuilleter les mots-clés précédents. Les suspects, c’était qui déjà ? Non, il y avait toujours deux possibilités qu’il fallait prendre en compte. Soit la victime était Geneviève Croiset, soit Isabelle Mancheau. Peut-être que cela ne ferait pas de différence mais peut-être que si donc elle allait séparer sa réflexion en deux parties.
Qui avait dit qu’il savait que c’était l’une ou l’autre ? Déjà, il y avait Isabelle Mancheau qui prétendait être Geneviève Croiset mais le cachait à tout le reste du monde, donc en fait c’était Geneviève qui prétendait être Isabelle même si Augustine l’avait rencontrée sous le nom d’Isabelle et avait donc l’impression que c’était Isabelle qui voulait être Geneviève. Elle devrait le savoir mieux que quiconque qui elle était mais si elle mentait ce n’était pas fiable. Cela dit, pourquoi mentirait-elle dans ce sens ? Si Isabelle prétendait qu’elle était Geneviève, cela pouvait s’expliquer par la popularité de sa cousine, par son succès qu’elle lui jalousait. Mais pourquoi Geneviève pourrait-elle vouloir prendre la place d’Isabelle ? L’excuse de la peine des parents paraissaient bien faible… Donc il y avait deux réponses possibles : soit il y avait une autre raison qu’elle n’avait pas encore trouvé, soit c’était réellement Isabelle Mancheau qui voulait faire croire qu’elle était Geneviève pour être moins suspecte. Oh bon Dieu ! Cette théorie se tenait ! Isabelle Mancheau aurait eu beaucoup plus de raisons de tuer Geneviève Croiset que l’inverse. Elle se serait débarrassée de quelqu’un qui la harcelait et l’utilisait, alors que sa cousine aurait perdu cet avantage. Quelle stratégie incroyable ! En plus, cela expliquait pourquoi elle ne voulait pas le dire à ses parents mais insistait dessus face à elle.
Bon, avant de pouvoir affirmer cela, il lui fallait trouver si c’était bien Isabelle ou non qui était encore vivante. Bénédicte Mancheau n’en savait rien. Sa femme, la mère d’Isabelle, n’en savait rien non plus mais tenait l’hypothèse que ce soit Geneviève pour possible voir probable. Le petit frère défendait fermement que c’était Isabelle même si sa « preuve » avait échoué. Quand aux deux meilleurs amis de Geneviève, Jacques Henri soutenait que c’était Geneviève mais l’appelait Isabelle sans problème, tandis que Frédéric Boisot semblait réellement croire qu’Isabelle était vivante et sa meilleure amie morte – à moins bien sûr qu’il soit un excellent comédien. Finalement les autres membres de l’orchestre... ils n’en savaient rien ou ne les différenciaient qu’à la partition qu’elles jouaient. Ah, si Marie Bienheureux avait remarqué un changement de personnalité, ce qui pouvait correspondre à un échange, mais qui, d’après elle, était dû à une fréquentation amoureuse. Fréquentation qui s’était avérée vraie pour les deux cousines. D’ailleurs Jacques Henri, ce n’était pas seulement le meilleur ami de Geneviève mais aussi le petit-ami d’Isabelle. Donc il pouvait très bien mentir pour l’aider, alors que Frédéric n’en ferait rien. La tendance allait davantage à croire que c’était bien Geneviève Croiset la victime mais il fallait des faits pas des suppositions à partir de témoignages pouvant être faux.
– Tu as besoin de nous en fait ? l’interrogea Hugo. Sinon, on te laisse et on revient demain.
Augustine leva le regard de son calepin. Elle avait complètement oublié que son collègue et sa femme étaient encore là. Qu’est-ce qu’ils faisaient pendant tout ce temps ? Elle secoua la tête avec un sourire puis fit le signe pour dire merci.
– Repose-toi bien, conseilla Anna-Lena. A demain !
– Ah, tu as vu la pluie qu’il y a dehors, râlait Hugo en quittant la pièce après un dernier salut.
L’inspectrice dut sourire avant de retourner à ses notes. Aller, ce meurtrier n’allait pas se trouver tout seul. Elle avait déjà passé du temps à réfléchir aux mobiles, il faudrait peut-être commencer à penser aux opportunités des différentes personnes. Qui avait bien pu tuer la jeune femme quelle qu’elle soit ?
Ce qui était certain c’était que dans ses suspects principaux, soit la cousine, le chef d’orchestre, les deux amis et Jean Bois, aucun n’avait d’alibi. Aucun des quatre ! Et pourtant il y avait quand même une petite centaine de personnes qui auraient dû les voir, leur parler. Qui l’avaient d’ailleurs fait avant ou après mais pas au bon moment. C’était embêtant. Elle enlevait Sophie Verçon des suspects. Elle avait certes été là mais elle n’avait pas de mobile apparent et rien à voir avec tout le reste. En plus, elle n’avait pas eu le temps de préparer cela avec ses enfants malades. Ou peut-être que si ? Finalement, elle la rajoutait. Elle avait eu l’occasion.
La cousine – que ce soit Isabelle ou Geneviève n’importait peu pour le moment – avait été vu en train de nettoyer son violon. D’après Jacques du moins qui ne pouvait décidément pas être considéré comme un témoin fiable. En même temps, cela signifiait qu’elle pouvait avoir piégé le violon de Geneviève sous les yeux de tout le monde. D’ailleurs, pourquoi les violons avaient été clairement identifiés mais pas les jeunes femmes ? C’était absurde !
Jacques Henri et Bénédicte Mancheau affirmaient mutuellement avoir vu l’autre proche des toilettes. Cela dit, tandis que le père accusait le plus jeune celui-là reconnaissait avoir vu morte son amie. Cela lui posait deux problèmes majeurs. Comment Jacques pouvait-il savoir ce que faisait la cousine alors qu’il était avec l’autre ? Que faisait le chef d’orchestre en bas ? D’accord, bien évidemment la vraie question était plutôt : est-ce que l’un d’entre eux était le meurtrier ?
C’était possible. Ils avaient tous les deux eu la possibilité de tuer Geneviève – ou Isabelle – avant de se croiser. Ce qui était sûr c’était que le chef d’orchestre était remonté quelques minutes après Jacques en clamant la mort de sa nièce. Cela pouvait être honnête parce qu’il venait de découvrir le corps ou alors parce qu’il avait rencontré Jacques sur le retour de son meurtre et pensé qu’il avait vu la morte. Non, quelle motivation pouvait avoir un père ou oncle à tuer une jeune fille de sa famille qu’il aimait et dont il pleurait vraisemblablement la mort.
Quant à Jacques cela paraissait davantage probable. N’était-il pas pris dans un crime dont les conséquences l’effrayaient et qu’il aurait pu vouloir cacher à tout prix ? Il avait eu l’air pris de panique quand il avait appris que son ami Frédéric leur avait avoué. Se pouvait-il qu’il aurait supprimé une amie pour sauver sa peau ? Ou était-il de mèche pour n’avoir rien voulu dire ?
Mais elle résonnait à nouveau au mobile et plus à l’occasion. Elle voulait simplement éliminer ceux qui n’avait physiquement pas pu commettre ce crime. Quelle tristesse qu’elle n’ait pas été étranglée à la main, cela aurait éliminé la moitié des suspects trop petits ou pas assez forts. Mais là… Cela devait être une force à peu près équivalente, sinon la victime n’aurait pas réussi à se débattre suffisamment pour ses plaies. Attendez ! Est-ce qu’elle avait vu quelqu’un qui avait des bleus ou des égratignures parmi tous ceux à qui elle avait parlé ? Elle n’avait rien remarqué et c’était plutôt aisé de cacher ce genre de petites blessures compte tenu des températures et de la saison. Un pull et le tour était joué. Ce qui lui rappelait qu’il faisait un peu froid en t-shirt. Elle pourrait peut-être remettre sa chemise…
Ce qui était sûr c’était que Jacques Henri n’était pas descendu pour placer le violon avec la bombe puisque le chef d’orchestre ne l’avait pas vu alors que c’était une des choses les plus importantes pour lui au monde. Donc la bombe devait encore se trouver chez Geneviève – ou Isabelle – et s’il savait ce qu’elle faisait en haut alors qu’il était en bas, c’était car il était complice du plan. Non, c’était impossible. C’était trop gros. Ou plutôt c’était trop fin pour avoir été organisé par les mêmes personnes que le trafic des vélos. Quoique ça faisait quand même deux semaines que Léonard était sur le coup sans succès.
Il lui restait encore les opportunités de Frédéric Boisot et Jean Bois. Ce dernier disait être parti très rapidement et cela correspondait avec son ignorance – s’il avait été au courant le sapin lui aurait répondu. Il n’était seulement sur la liste des suspects parce qu’il avait été proche de Geneviève. Il faudrait peut-être le faire rencontrer Isabelle… Et puis Frédéric Boisot. Il semblait tout aussi ignorant mais il pouvait ne pas avoir été mis dans la confidence. Il n’avait pas d’alibi, il était peut-être dans un club de théâtre mais il n’avait pas été vu en bas… Par contre, elle l’avait vu elle-même, il avait peut-être eu l’occasion mais il ne lui semblait pas qu’il avait le moral nécessaire.
Finalement, des occasions, tout le monde pouvait en avoir eu.
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Notes d'auteur :
Le thème d'aujourd'hui est averse. J'espère que cela ne prédira pas la météo...
Bonne lecture !
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