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Notes d'auteur :
Nous revoilà en Original, et plutôt du côté des vivants que des morts ! – Quoi que ?

Un thème d’actualité puisqu’il se déroule à Noël !

Heureusement, l’aube s’éternise en hiver !
TW - Attention, ce texte est déprimant ! P

Bonne lecture !

Le groupe de @chrisjedusor, @Lsky, @Seonne, @Fleur d'épine et @Mikoshiba se retrouve coincé dans les cachots ! Il y fait sombre et humide, des toiles d'araignée ornent les coins et un grincement inquiétant leur parvient aux oreilles...
Votre thème : Souvenirs prisonniers
Vos contraintes : - Votre chapitre doit se dérouler à l'aurore.
- Votre chapitre doit se dérouler par un temps neigeux.
- Vous devez insérer une citation de votre choix sur le thème de la liberté.
L’aube n’avait pas les doigts roses ce petit matin-là, ils étaient plutôt pâles comme la mort, comme un temps de neige qui ne se décide pas. Les Leymois, en ouvrant leurs volets sur les champs voilés de givre, en découvrant la blancheur sans lumière du ciel qui jetait son ombre sur les plaines étoilés, commentèrent : « Tiens, il va neiger aujourd’hui ! »
C’était aussi ce que constatait la jeune citadine bougonne, les mains calées au fond de ses poches, qui traversait la cour de l’hôpital, ses petits talons s’enfonçant dans les graviers. De la cour de jadis au parking des années 2000, il n’y avait qu’un pas. Elle détestait la neige, mais de toute façon, le soleil n’aurait pas réussi l’exploit de lui remonter le moral. En plus, elle avait assez vu de films d’horreur pour que ces hauts murs de pierre, tout à fait sinistres, la fassent carrément flipper.
Derrière elle se traînait sa grand-mère, elle-même soutenue par sa fille parce qu’elle ne parvenait pas à soulever correctement ses pieds depuis l’accident, laissant comme des traces de ski dans les graviers. Edith marchait devant, énergiquement, espérant pouvoir leur échapper dans le but de fumer discrètement une cigarette…

On les avait appelées à sept heures du matin : « Venez-vite, il faut lui dire au revoir. »
Nous étions le vingt-cinq décembre à l’aube, il allait neiger et Edith se retrouvait dans un hôpital sordide au fin fond de la campagne : non, décidément, elle n’était pas de bonne humeur, choisissant de se blinder de rage plutôt que de s’épancher.
Depuis sept heures du matin et ce réveil à l’arrachée, les images se mélangeaient dans l’esprit embrumé de l’adolescente. Elle voyait tout comme hors de son corps : hop, le téléphone sonne, hop, maman la secoue, hop, on ne se lave pas, hop, on aide mamie à s’habiller, hop, les manteaux jetés par-dessus les épaules alors qu’on est encore à moitié en pyjama, hop, dans la voiture, hop, le trajet sur des petites routes qui lui avait filé l’envie de vomir…
Sortir au grand air, malgré la fraicheur et le cadre inquiétant, lui fit du bien. Cela lui remettait l’estomac et les idées en place. Elle rêvait du café insipide de la machine, accompagné d’une Marlboro issue du paquet qu’elle avait tout de même pris le temps de cacher dans ses poches.
Depuis sept heures du matin, sa grand-mère pleurait. Noël était maudit dans la famille. Edith en avait marre de cette rengaine tristement véridique que son aïeule répétait inlassablement à cette période, au cas où elle ne s’en rendrait pas compte par elle-même. C’était éprouvant pour la jeune fille. Elle résistait en rêvant de café et de cigarettes, s’appuyant ainsi sur ses nerfs plutôt que d’écouter les pensées de son cœur.

Sa mère se précipita vers le desk de l’accueil, paniquée. Edith, dépitée, regardait le hall immense et sombre.

« Non mais c’est bon, maman ! Suis les panneaux, regarde : Unité Cognitivo-Comportementale, c’est là ! fit remarquer Edith, agressive.
- Ah non ! Tu ne grondes pas ta mère ! C’est déjà une matinée assez difficile comme ça… réussit à répondre la grand-mère entre deux sanglots, bien que sa petite-fille ne fût pas certaine de la fin de sa phrase, qu’elle déduisit.
- C’est parce que tu n’as pas tes cadeaux que tu t’énerves ? jeta la voix lointaine de la mère.
- Non, je m’en fous des cadeaux ! siffla la jeune fille entre ses dents, et c’était vrai. Je veux retourner à Paris ! déclara-t-elle à mi-voix.
- Oui, c’est une bonne idée, ce n’est pas un endroit pour toi, ici. On fera venir un taxi qui t’amènera à la gare. » Déclara la doyenne que cette question logistique distrayait un instant de son chagrin. Quitte à porter le fardeau de la mort de son mari, elle se réjouissait de savoir que sa petite fille, elle, s’amusait :
« Tu as des amis avec qui fêter Noël ?
- Oui, oui… »

Cependant, Edith se voulait évasive, elle ne savait pas encore à qui elle allait faire appel : personne n’avait répondu à ses messages de détresse. Normal, il n’était même pas huit heures du matin. Elle les avait rédigés alors que la voiture filait en zigzaguant sur les routes de campagne, leur choisissant un ton un peu railleur pour montrer qu’elle était une femme forte, mais pas trop, de manière à pouvoir se faire plaindre quand même.

Arrivée dans la chambre d’hôpital, Edith n’osa même pas jeter un coup d’œil à son grand-père, trop terrifiée par ce qu’elle pourrait apercevoir. Se prémunissant du possible choc qu’elle pourrait ressentir, elle se cala dans une chaise, dans un coin, son écharpe plaquée sur le nez en guise de barrage à l’odeur médicamenteuse, son laptop sur les genoux, pianotant déjà sur le site de la SNCF à la recherche du prochain train qui la ramènerait auprès des pavés et du béton qu’elle connaissait si bien et qui la rassuraient tant, loin de ces étendues d’herbe et de ces bâtisses isolées.
Au bout d’un moment, sa mère et sa grand-mère sortirent pour aérer leurs larmes, pour essayer de se reprendre dans l’air revigorant de l’hiver. Edith eut donc la charge de son grand-père pendant quelques minutes. Elle devait attendre la mort avec lui. Elle avait froid, horriblement froid, ne devinant pas Esclarmonde, quelque part dans la chambre, qui, elle aussi, veillait ce prochain colocataire. Edith s’approcha enfin du lit, parce qu’elle se croyait seule et elle pleura enfin, en disant quelques mots qu’elle voulait théâtraux parce qu’elle regardait trop de films. Elle lui demanda de bien surveiller mamie, de les protéger toutes les trois de là où il serait. Mais Esclarmonde songea tristement qu’il ne sortirait plus jamais des murs de Leyme, qu’il ne reverrait sans doute plus jamais les siens, que les lamentations un peu ridicules de la jeune fille tombaient, sitôt prononcées, dans la vanité du néant.
Edith avait devant elle un vrai zombie, un fantôme, elle le considérait comme déjà parti : c’est à peine s’il respirait. Guettant les bruits dans le couloir, elle dégaina son téléphone, activa la fonction appareil photo et immortalisa promptement ce visage de gisant. Pour la postérité, peut-être, pour se souvenir de ce qu’était la figure de la mort.

La grand-mère et la mère revinrent. La plus âgée se lamentait toujours :

« Si seulement il n’était pas à Leyme ! Il finit chez les fous, il ne mérite pas ça ! »

A vrai dire, malgré sa réputation, Leyme s’était diversifié et possédait un service de douze chambres, dont celle-ci, dédiées à la maladie d’Alzheimer. Edith se souvint subitement de cette citation de Khalil Gibran : « L'oubli est une forme de liberté. » Elle l’avait lu le matin-même dans la voiture, alors que sous son pouce défilait les réseaux sociaux. Une de ses connaissances s’était crue inspirée en postant cette phrase durant la nuit, Edith en était plus que dubitative. En quoi oublier sa femme, sa fille, toute sa famille et ses amis était une liberté ? En quoi devenir violent, alors qu’il ne l’avait jamais été, était une forme de liberté ? En quoi se perdre dans son quartier car il était incapable de se retrouver, de reconnaître la maison dans laquelle il vivait depuis quarante ans, était une liberté ? En quoi oublier comment conduire et provoquer un accident était une liberté ? Surtout que, ironiquement, c’était cet accident, dont sa grand-mère avait gardé des séquelles, qui avait permis aux femmes de la famille de l’enfermer définitivement dans un mouroir. Il était devenu une charge trop lourde pour la pauvre grand-mère mais elles avaient été, dans un premier temps, incapables de se résoudre à l’emprisonner. L’accident fut donc l’alibi parfait pour l’interner. Elles n’en étaient pas fières, mais il fallait avouer que cela avait été un soulagement, comme sa mort en serait également un.
Edith était décidée à ne pas rester pour veiller le mourant. Elle frissonna à nouveau alors qu’Esclarmonde se déplaçait dans la pièce, déposa un baiser sur les joues de sa mère et de sa grand-mère et s’enfuit en toute hâte de cette pièce, de l’hôpital et de Leyme dans le petit matin. Elle abandonnait aux pierres grises ses tristes souvenirs de ce Noël terrible, elle leur laissait le loisir de vivre au milieu des fantômes et des morts, choisissant la bonhommie de quelques autres adolescents bien vivants.

On devinait que le point du jour ne tarderait plus à se montrer derrière le ciel laiteux, des flocons épars et pas franchement hardis collaient à la fenêtre. Esclarmonde songea que l’agonie du vieil homme n’en finissait pas. Elle veillait tout de même. La grand-mère, éprouvée, était partie chercher du confort auprès de l’équipe médicale. Parmi les vivants, seule sa fille était restée à son chevet. A côté de l’Abbesse se tenait Camille Miret. A la fin du XIXème siècle, il avait donné à Leyme ses lettres de noblesses en proposant une gestion novatrice. C’était donc en son hommage que son nom avait été attribué à l’asile, désormais « Institut Camille Miret » ; ce fameux titre ronflant qui avait mis une mécène en rage une quinzaine d’années plus tôt. Frantz apporta la tête sanglante de Sainte Spérie à Esclarmonde car c’était l’heure de la prière. La pauvre mine blafarde râlait, roulait des yeux, les levait même au ciel, mais rien n’y faisait : Esclarmonde ânonnait des psaumes. La salle fut rapidement pleine à craquer. Une réelle armée des morts s’était constituée dans l’attente d’un nouveau défunt, c’était toujours un évènement. Certaines âmes prirent plaisir à railler la pieuse Esclarmonde : cette famille-là n’avait pas fait mander de prêtre comme cela se faisait encore dans les campagnes. L’abbesse regardait ces moqueurs avec mépris tout en continuant ses prières.
La mère d’Edith avait bien froid, un froid de mort, un froid de morgue, elle regretta d’être seule à ce moment-là. Elle hésita à aller chercher sa mère mais elle ne s’y résolut pas. Elle ne parvenait pas à lire ni à faire des mots fléchés, elle ne réussissait pas non plus à décider si elle devait rester assise ou debout, alors elle ne cessait de gigoter dans cette pièce glaciale, comme si elle était montée sur ressort. Quoi qu’elle fît, elle était frigorifiée, ce qu’elle attribuait à tort au temps neigeux.
Soudain, le mourant se mit à tousser, une quinte impressionnante : il s’étouffait. Il devint bleu, la chair violacée, ses veines étaient prêtes à percer la fine peau translucide. Sa fille ne réfléchit pas, connaissant les premiers soins de par son métier, elle le redressa d’abord. Qu’est-ce qu’il était lourd ! Elle qui était si frêle face à ce corps déjà mort, inerte. Elle le sauva, dans la brusquerie de l’instant, dans un sursaut de vie, dans un réflexe d’héroïsme.
Elle l’avait réellement sauvé, sans savoir pourquoi, sans se poser la question, sans même se dire que, de toute façon, il était déjà presque mort, qu’il n’était plus qu’un légume. Edith le lui reprochera : l’accusant d’acharnement thérapeutique, peut-être valait-il mieux le laisser accueillir la mort plutôt que de maintenir un corps vide et, au pire, une âme prisonnière mais consciente…

Alors, suite à cet exploit naïf et pur, les morts se retirèrent. Les fantômes, les uns après les autres, s’en furent au hasard des couloirs de l’ancienne Abbaye de Leyme, ils retournèrent arpenter les ailes de l’Institut Camille Miret, dans l’ennui caractéristique de leur condition, regardant les vivants, ressassant la vie qui leur avait échappé.

Les souvenirs du grand-père survivant, ou plutôt mort-vivant, continuèrent de s’évader, s’effaçant, se perdant au gré de la maladie sournoise et diffuse. Ceux de sa petite fille se couchaient sur une page de traitement de texte, comme on éteint un incendie, des souvenirs qui semblaient plus vifs en prose, mais qui, pourtant, apaisaient Edith une fois qu’elle les savait prisonniers de la page déjà plus si blanche.
Note de fin de chapitre:
Merci d'avoir lu !

Pour savoir ce qu'Ombrage faisait à Leyme, rdv ici : https://www.hpfanfiction.org/fr/viewstory.php?sid=37855
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