Journal de bord de Liz Hope du samedi 10 décembre 2112.
Le voyage astral. La plupart des personnes sur le mug T n’y croient pas. Cela dit, je n’y croyais pas non plus avant jeudi. C’est là que j’ai réalisé que c’était vraiment un super-pouvoir et que Karen ne fabulait pas. Comment l’avait-elle su ? En possède-t-elle également un ? De quel danger parlait-elle ? Je n’ai pas la moindre envie de me battre contre quelque chose qui a fait fuir l’humanité. Cela doit être bien effrayant et je ne vois pas en quoi se projeter hors de son corps pourrait changer quelque chose à la situation. Si encore je pouvais prendre possession d’objets inanimés ou d’autres corps, mais mes expériences à ce sujet hier et aujourd’hui n’ont pas été concluantes. Mon pouvoir doit en être un autre. Lequel ? Je n’en sais rien.
Enfin, de toute façon, je ne peux rien faire tant que je suis enfermée à l’hôpital. De ce que j’entends, c’est la fête dans les deux mugs. La fête et plus si affinité d’après ce que François a sous-entendu dans les messages qu’il m’a envoyés. Comme quoi, les moutons ne sont pas les seuls qui ont besoin d’une certaine diversité génétique. Du moins d’après les biologistes du mug Schoclacho… Sur notre mug, on a un spécialiste en analyse ADN qui se passionne de généalogie pour éviter le problème des incestes. Qu’est-ce qu’on va faire lorsqu’il sera mort ? Probablement rien à part un registre de naissance comme chez nos amis à peine rencontrés. Serait-ce vraiment grave ? Vraisemblablement non puisque contrairement à chez nous, leur population n’a pas baissé, au contraire. Peut-être qu’ils avaient simplement emmené davantage de jeunes personnes. Finalement je suis plutôt contente d’être exilée ici avec comme seule compagnie Héloïse, Karen et trois ou quatre enrhumés.
¬– Non, elle écrit toujours dans son journal, ce n’est pas à cause de la proximité avec la Terre.
Liz se retint tout juste de rouler des yeux. Karen était à la chasse aux symptômes de la Terre. Tout ce qui lui paraissait inhabituel était examiné. Cela commençait à être lassant. Comme si le fait que leurs états s’étaient dégradés abruptement et simultanément avait un quelconque lien avec celui qu’ils s’approchaient de la Terre. C’était presque aussi absurde que leurs super-pouvoirs. Cela dit, elle ne pouvait plus nier qu’elle pouvait voyager en esprit et qu’elle contrôlait cela. Peut-être que Karen déraillait mais peut-être qu’elle sentait aussi d’autres choses. Il lui fallait d’autres pistes pour vérifier cette hypothèse de toute façon.
– Comment vont Amaniel, Tizita et Sara ? s’enquit-elle en levant le regard de la feuille virtuelle déployée par sa montre.
– Qui ça ? Karen la fixa comme si elle était devenue folle.
– Les Schoclacho atteints de la maladie de l’espace.
Visiblement elle se demandait toujours encore pourquoi elle s’intéressait à cela, ou alors comment elle pouvait connaître leurs noms. La première réponse était évidente et Karen ne tarderait pas à comprendre qu’elle essayait de rassembler le plus d’informations possibles, surtout que Thomassino était mort hier. Elles avaient le droit de s’inquiéter. La deuxième interrogation était encore plus facile à satisfaire : c’était son travail d’archiviste de connaître ce genre de chose. Son intérêt personnel ne lui facilitait que la chose.
– Aucune idée, répondit Héloïse. On ne m’a rien dit en tout cas.
– Tu pourrais demander au Docteur Chris de les contacter, s’il-te-plaît ?
L’infirmière acquiesça et sortit s’occuper de cette affaire d’urgence. Après tout, il se pouvait bien que tout cela les mènerait à une découverte qui permettrait de trouver l’origine de cette maladie mystérieuse.
– Tu penses qu’ils ont aussi des super-pouvoirs ? la questionna Karen qui ne semblait avoir plus que cela en tête alors qu’elle se retenait d’en parler quand quelqu’un d’autre était dans la pièce.
– Non, répondit Liz en retournant à sa montre.
Elle ferma son journal – elle continuerait quand Karen serait repartie ou du moins occupée – et lança une recherche sur le lien entre les rapports sur les malades de l’espace du mug T et la position du mug dans l’espace. Elle ne se promettait rien des résultats mais cela valait l’essai. Après tout si c’était réellement corrélé, ce serait une découverte fascinante.
– Tu cherches quoi ? Son aînée ne semblait pas prête à se taire et la jeune rousse comptait bien ne pas rentrer dans son jeu.
– A prouver ton hypothèse.
Sous ses yeux, un graphique se traçait lentement mais sûrement. Ce n’était évidemment pas très précis car les ordonnées étaient tirées d’une analyse de texte pour évaluer l’état global des patients. Mais s’il y avait des points parasites un peu partout, la quantité d’information que Liz pouvait voir défiler dans le tableau de calculs mettait en évidence une relation plus qu’évidente.
– Ça veut dire que j’ai raison ! s’exclama Karen qui s’était approchée pour observer les résultats elle aussi. Cela devient vraiment pire quand on s’approche.
– Pas tout à fait, tempéra l’archiviste. Là, c’est le rapport que Docteur Chris a envoyé ce matin.
Elle montra le point le plus à gauche du graphique – jamais en quarante-deux ans de données ils n’avaient été si proches de la planète d’origine – qui se trouvait à un diagnostic moyen. Puis elle changea la couleur de la catégorie « patient mort ». Les points se retrouvaient regroupés à une distance se trouvant à peu près à un tiers de la distance maximale que le mug avait jamais été éloignée de la Terre.
– Tu peux les classer par patient ? s’excita Karen avant d’être prise d’une quinte de toux qui la secouait dans tout son corps.
Liz lui lança un regard inquiet – il ne fallait surtout pas qu’elle meure maintenant qu’elles étaient si proches du but – et fut rassurée en voyant les yeux bleus pétillants d’énergie et de malice de son amie. Elle appuya sur quelques touches et une quinzaine de couleurs apparurent sur le graphique. La plupart n’avait même pas une cinquantaine de points.
– Regarde, il y a une distance qui sépare deux groupes de patients. Et les deux seuls dont les rapports sont partout, ce sont nous… Tu sais ce que cela signifie ?
– Thomassino est mort hier exactement au moment où on a traversé cette distance, dit Liz.
Elle avait ouvert un second écran et parcourait le rapport de décès, ainsi que la trajectoire exacte de leur voyage. C’était quand même une drôle de coïncidence quand même. Surtout vu la vitesse à laquelle ils volaient…
– Que nous ne nous sommes jamais beaucoup éloignés de la Terre ! On a tout le temps été à moins d’une journée de vol en mode rapide de notre maison ! Pourquoi n’avons-nous pas profité des quarante ans de liberté pour aller plus loin, pour découvrir l’univers ?
– Parce que le mug T est affecté à l’arrière-garde. Nous sommes avant tout des scientifiques et avons la plus grande base de données, tout en étant le vaisseau le plus petit. Nous ne sommes pas équipés pour une aventure ou un affrontement.
– Pourquoi tu es au courant et pas moi ? se plaignit Karen. Et pourquoi à cet endroit en fait ?
La jeune rousse ne se donna pas la peine de répondre. Ce n’était pas comme si leur position avait une quelconque importance pour eux à part pour les expériences qu’elle pouvait influencer, et surtout ils avaient tous la possibilité de la suivre en temps réel sur la chaine d’information de leurs montres. Quand au rôle du mug T par rapport aux autres, c’était défini dans l’article 3 du Code des Voyageurs Démocratiques. D’après François, elle était la seule à l’avoir lu depuis trente ans. Enfin bref, elle laissa Karen observer les points du graphique et chercha une carte de l’univers.
Elle fut interrompue par un bip sonore. Sa montre afficha un nouveau message de la part de Gertrude. Liz cliqua dessus, sachant tout à fait quelle réprimande allait encore adresser sa supérieure.
« Message à Liz Hope,
Prière de vouloir arrêter de consulter des documents confidentiels en dehors de l’archive. »
Levant les yeux en appuyant sur répondre, elle prit néanmoins la peine pour ne pas être virée ou pire privée d’accès à distance. Elle avait tendance à oublier qu’elle ne devait pas l’utiliser en dehors des heures de travail. Les archives et la connaissance étaient sa passion, elle devait savoir. Et là, c’était une question de vie ou de mort. S’ils pouvaient.
« Message à Gertrude Hinterbauer,
Désolée, j’en ai besoin. On a peut-être découvert quelque chose d’important. Tu peux demander aux autres mugs de vérifier la relation « Etat des patients atteints de la maladie de l’espace en fonction de la distance à la Terre » chez eux ? Chez nous, c’est inquiétant. »
Elle ne dut pas attendre plus de cinq secondes avant de recevoir une réponse qui sonnait presque comme de la panique. Elle n’avait attendu rien d’autre. Gertrude était prompte à la panique.
« Qu’est-ce que tu veux dire, Liz ? »
« Rien de plus que ce que te montre le graphique. »
Il n’y avait rien de mieux pour expliciter les choses qu’un joli graphique bien fait. Karen semblait avoir fini avec celui-ci car elle avait même ouvert un écran de sa propre montre et y effectua des calculs qui n’avaient pas l’air simple.
– Tu peux m’afficher les valeurs ? demanda-t-elle distraite. Y a un truc qui m’échappe, c’est pourquoi nous deux avons pu traverser cet endroit – beaucoup de fois pour moi en plus – et pas les autres. Est-ce que c’est un hasard ou il y a une logique derrière. Une suite par exemple ? Je ne sais pas mais il faut que j’y réfléchisse !
Liz fit comme demander puis lança sa recherche sur les choses se trouvant à la distance d de la Terre. C’était environ douze heures-lumière d’après ses estimations. Elle espérait vraiment qu’il y avait des cartes parce qu’elle n’avait pas souvenir d’avoir déjà entendu parler de quelque chose au-delà du système solaire. Même s’ils passaient tout leur temps en dehors, cela restait la référence pour les pauvres humains exilés qu’ils étaient. Gertrude lui envoya un message la tirant de sa recherche.
« Pas possible de contacter les autres à part Schoclacho. Je t’envoie ci-joint les graphiques avec les données qu’on a d’eux datant de notre dernière rencontre. Ça correspond. »
Malheureusement sa supérieure avait raison. Les graphiques que Liz ouvrit sur des écrans à part pour les partager avec Karen ressemblaient beaucoup à celui qu’elle avait obtenu.
– En haut, c’est le mug K-Fée à gauche et le mug Lé à droite. L’un va jusqu’à l’année dernière, l’autre s’arrête il y a trois ans.
– Ils sont partis beaucoup plus loin ! s’extasia Karen. Regarde, ils ont aussi eu un mort chacun à la distance d mais ils ont un autre endroit aussi.
Liz regarda plus exactement et admira malgré elle la vivacité d’esprit de son ainée. Il y avait moins de données et le bruit cachait donc le schéma précédent. Karen s’était déjà penchée sur une nouvelle page de théories fumeuses pour lier les deux distances.
« L’archiviste de Schoclacho confirme aussi. Cf le graphique. Je dois m’inquiéter ou alerter quelqu’un ? »
Elle afficha le dernier graphique qui ressemblait beaucoup au leur et répondit aussi réconfortante que possible : « Pas encore. Merci. » Quoi ? Si elle commençait à s’exprimer avec des phrases longues, les gens s’inquiéteraient vraiment.
– Mais qu’est-ce que vous faites ?!
Héloïse était revenue dans la chambre et devait avoir eu un vrai choc en trouvant une pièce envahie d’écran virtuel représentant des graphiques. Liz l’ignora simplement tout entièrement concentrée sur sa recherche d’information par rapport aux deux distances, tandis que Karen mit un point final à une dernière théorie d’un grand geste de main qui faillit éborgner la jeune femme. Puis la vieille ingénieure se lança dans de grandes explications enthousiastes.
– Rien, grogna Liz en fermant son écran de recherche. Rien dans toute la base de données du mug T, ni dans celle ouverte de Schoclacho d’ailleurs. Ce n’est quand même pas possible…
Elle cligna des yeux en apercevant non seulement Karen et Héloïse mais aussi Docteur Chris et quelques-uns des astrophysiciens du mug en hologramme. Apparemment leur découverte ne devait pas rester secrète et entraînait des décisions qu’elle n’avait pas prévues. Bon, elle avait pas du tout pensé aux conséquences, elle voulait juste savoir.
– C’est bon, j’ai mon équivalent sur le mug Schoclacho en appel, déclara Docteur Chris. Docteur Larissa merci d’avoir répondu aussi rapidement. Apparemment nos archives ont déjà travaillé ensemble et nous avons donc constaté un lien entre la distance à la Terre et l’état de nos patients particuliers. On voulait donc juste s’informer comment ils vont et si vous aviez constaté quelque chose de particulier ces derniers jours.
Liz avait beau savoir qu’il y avait de la diplomatie aussi dans de telles relations mais c’était quand même inutile maintenant qu’ils lui avaient déjà envoyé le graphique qui disait clairement que l’un d’eux était mort au même endroit que Thomassino à peine quelques heures avant lui – le mug Schoclacho étant plus grand, il se déplaçait plus lentement. Elle n’entendit pas la réponse de l’autre docteur mais les réponses du leur suffisait pour la rendre curieuse.
– Oh, je suis désolé d’entendre cela. ... Oui, nous avons eu la même chose ici. … Comment ça, ils arrivent ? … Ils sont déjà chez nous ? … Non, on les a isolés… Quoi ?! … Vous voulez dire… Non, pas à ce que je sache. … Impossible ! … Oui, d’accord, venez aussi. … A tout de suite.
Docteur Chris raccrocha et haussa les épaules.
– Elle a parlé de super-héros qui doivent sauver la Terre et d’une prophétie qui en parle. En tout cas, elle va venir ici avec ses deux patients et…
– Ecoutez, l’interrompit l’ingénieur en chef du mug, Pierre Acrosce. On a beaucoup entendu et c’est inquiétant mais pas plus que cela. Nous allons procéder à des analyses pour découvrir ce qui se passe plus tard et nous concentrer de prime abord sur notre retour à la Terre. C’est la priorité numéro une. Nous verrons votre problème médical plus tard.
– Vous pourrez nous contacter si quelque chose d’important vient à se savoir, compléta un autre que Liz ne voyait pas de sa place.
Ces bonnes paroles désintéressées prononcées, les hologrammes disparurent avec de petits poufs et le docteur Chris fixa avec désespoir les endroits vides.
– Mais je suis sûr qu’il y a un lien ! protesta-t-il. A quoi nous serviraient des super-héros sur des vaisseaux spatiaux ?
Ecartant les bras pour exprimer son impuissance, il tourna sur les talons et se précipita vers son bureau. Héloïse leur fit des signes qui pouvaient vouloir signifier qu’elles devaient rester sages et le suivit.
– Il ne va pas bien, le pauvre Chris ? interrogea Karen avec désinvolture.
– Non. Demain, ça fera vingt ans que sa femme est morte. Tumeur au cerveau, lié à une maladie de l’espace.
– Comment tu sais… ? Non, je vais arrêter de te demander comment tu sais toutes ces choses. Mais sache que c’est quasiment un super-pouvoir d’omniscience à ce point.
Liz haussa les épaules. Elle n’allait quand même pas lui dire qu’elle avait juste lu le fichier qu’elle avait sous les yeux. Un silence s’installa dans la chambre et Liz retourna à son journal pour y noter les dernières découvertes.
– C’est quoi le tien ?
Elle ne brisait pas le silence si agréable et si exceptionnel de Karen le cœur léger mais elle devait savoir. Après tout, Karen connaissait son pouvoir de voyage astral, alors elle avait le droit de connaître le sien. Surtout qu’elle n’avait pas eu l’air très surprise en la voyant en tant qu’esprit. Celle-ci leva la tête de son écran virtuel – elle devait certainement être penchée sur le problème des deux distances, comme elle devrait l’être aussi.
– De quoi ?
– Ton super-pouvoir. C’est quoi ? répéta Liz en fixant son ainée.
Elle sentait tout à coup une pointe de jalousie. Pourquoi Karen était encore tellement belle malgré son âge ? Elle dégageait une vitalité que même sa toux régulière ne parvenait pas à enfreindre. Sa peau plissée avait une teinte pâle mais indéniablement encore marquée par une jeunesse sur Terre sous le soleil. Ses yeux bleus pétillaient et ses cheveux blancs ne dérangeaient pas du tout cette apparence. C’était déprimant. Au fond, elle espérait qu’elle aurait un super-pouvoir pas trop génial. Sinon ce serait vraiment injuste.
– Je ne suis pas sûre, avoua la vieille femme avec un grand sourire qui donnait envie à Liz de l’étrangler. Je pense que c’est quelque chose qui a à voir avec ma toux. Ça paraîtrait logique que la maladie de l’espace soit un symptôme des super-pouvoirs.
Non, Liz ne trouvait pas ça logique du tout mais elle se retenait bien de faire remarquer cela à Karen. L’ingénieure avait déjà eu raison sur trop de théories loufoques pour qu’elle se risque encore à ne pas lui faire confiance.
– Les reins tiendraient l’esprit dans le corps ? fit-elle néanmoins dubitativement.
– Pourquoi pas ? Karen écarta les mains d’un geste explicite. En tout cas, tu peux vérifier dans les rapports passés que j’ai toujours décrit la sensation qui précède la toux comme me brûlant la gorge. Alors avec le truc bizarre qui t’es arrivée, je me suis dite, pourquoi je ne pourrais pas cracher du feu, non ? Et puis ce serait classe ? Tu connais des gens qui crachent du feu ? Quand j’étais petite, au cirque, il y en avait. Et puis toutes les histoires avec des dragons ! J’adorais les dragons, j’étais vraiment déçue quand j’ai compris que c’était juste des créatures de légende.
C’était décidé, la vie était injuste. Pourquoi elle avait juste droit au déplacement en esprit – d’accord avec interaction avec la matière selon son souhait – et Karen au feu ? Elle était dégoûtée mais il ne fallait pas qu’elle y pense. Elle savait depuis longtemps que la vie ne faisait jamais de cadeau. Il fallait qu’elle reprenne le contrôle de sa jalousie et qu’elle la ravale. Après tout, Karen n’avait encore jamais craché du feu, n’est-ce pas ?
– Essaye voir.
Karen pouffa comme si elle avait fait une blague particulièrement drôle. Elle ferma l’écran qu’elle avait devant elle et lui adressa un regard enjoué. Juste avant de se faire secouer par une quinte de toux. Se calmant doucement, elle voulait se saisir d’un verre d’eau mais changea d’avis. C’était plus logique de ne pas éteindre le feu qu’elle voulait cracher, effectivement.
– Tu as un extincteur de prêt ? Juste au cas où que cela fonctionnerait parce que j’ai la gorge en feu, dis donc. Qu’est-ce qu’on dit si quelqu’un entre ?
– Qui veux-tu qui rentre ?
Liz haussa les épaules. Ce ne pourrait être que Héloïse et il faudrait bien qu’elles lui disent la vérité, à elle et à Docteur Chris, et si possible avant qu’ils apparaissaient comme complètement stupides face aux personnes de l’autre mug. Mais si ça se trouvait, s'ils étaient au courant depuis plus longtemps, ils avaient eu le temps de découvrir leurs pouvoirs, de les développer et de les maîtriser. Et elles deux seraient juste considérées comme des boulets. Il en était hors de question.
– Bon argument. Allez, je vais essayer. Concentration.
La jeune femme observa son ainée se lever, plisser le front dans une concentration tout à fait factice puisque son sourire la trahissait, et souffler devant elle. Une chose était sûre, ce n’était pas du feu qu’elle crachait mais de ce qu’elle voyait depuis sa distance de sécurité ce n’était pas de l’air normal non plus. L’air ondulait comme s’il était beaucoup plus chaud que celui aux alentours puis disparut en se mélangeant au reste. Le souffle chaud se finit en toux et Karen en fut pliée en deux.
– Tu brasses de l’air, commenta Liz se rappelant d’une expression ancienne.
– Je ne te permets pas ! protesta l’ingénieure en se redressant. Je réessaye. Peut-être si je tousse avant... ?
Liz était dubitative sur cette idée mais elle n’était pas dans le corps de Karen donc elle ne pouvait pas savoir ce qu’elle ressentait et donc pas prendre les décisions à sa place. Et puis, essayer des trucs étranges jusqu’à ce que ça donne le résultat voulu était un peu la spécialité de Karen. Elle la regarda donc tranquillement s’étrangler sous une toux provoquée puis souffler devant elle. A la grande surprise des deux femmes, un petit jet de flammes sortit réellement de la bouche grande ouverte. Karen la referma rapidement et porta sa main au cou.
– Je n’ai quasiment pas envie de tousser, fit-elle d’une voix enfumée. C’est génial !
Elle commença à faire une danse de joie improvisée tout en recrachant de petites flammes par ci et par là. Liz avait envie de vomir rien qu’en voyant Karen se donner à fond pour souffler son feu. C’était peut-être très bien qu’elle n’ait pas ce pouvoir-là. Ou un quelconque autre pouvoir qui nécessitait qu’elle crache quelque chose qu’elle avait déjà suffisamment de mal à garder. Alors elle allait gentiment garder ses voyages astraux et éteindre sa jalousie. Du moins sur ce sujet. Si elle pouvait avoir la peau légèrement bronzée de Karen ce serait toujours mieux. Quoique les rides à son jeune âge…
La porte s’ouvrit sur Héloïse et Docteur Chris accompagnés par trois personnes à la peau noire qui devaient être Docteur Larissa et les deux super-héros de Schoclacho. Si Liz avait cru que ses boucles rousses étaient belles, elle aurait volontiers pâli d’envie devant les cheveux denses et crépus de la jeune femme qui se cachait derrière son camarade – malheureusement elle avait le teint trop pâle pour ça. Pourquoi elle était entourée de personnes plus belles et plus talentueuses ? Elle se souvenait vaguement ne pas vouloir être jalouse de Karen, mais d’une fille de son âge…
– Vous allez rire, déclara Docteur Chris. Ils disent que vous êtes des super-héros et que vous êtes les seuls à pouvoir sauver la Terre des mains d’un tyran maléfique à vous quatre.
Bizarrement, Liz n’avait pas du tout envie de rire. Mais pas du tout. Malheureusement pour elle, Karen souriait déjà.
– Désolée, nous, on est des super-héroïnes !
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