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Notes d'auteur :

Thème : le personnage doit surmonter un obstacle, celui de votre choix, qu'il soit physique ou psychique, en faisant preuve de volonté 

 

Contraintes :

- Ne pas utiliser la lettre V

- Sensibilité : insérer au moins deux verbes de chaque sens

- Langage : un personnage doit s’exprimer dans un langage soutenu

- Choisir un mot imposé dans la liste suivante et ne pas utiliser les autres : composition, culinaire, créativité, goût, odorat, passion, organisation, pâtisserie, feu

Laure pourrait mourir pour une cigarette. Elle pourrait même tuer de ses mains. Ce besoin impérieux s’était pointé soudainement, sans s’annoncer et, depuis, elle est incapable de penser à autre chose.

Fébrile, elle s’adosse contre le muret. Elle a oublié ses clefs. Elle a bien choisi son jour pour ça. Louis est en déplacement professionnel. Personne ne pourra la faire entrer. Mais souhaite-t-elle réellement entrer ? Elle soupire. Son chez-elle aurait dû être son cocon et ces clefs auraient dû être les clefs du bonheur.

Lorsqu’on lui demandait, il y a quelques années, où elle s’imaginait dans dix ans, elle n’aurait certainement pas songé à cette destinée. A même pas trente ans, elle habite une grande maison bourgeoise dans une banlieue dortoir, est mariée, propriétaire d’un labrador et d’une Renault Espace. Il ne manque plus qu’une ribambelle de têtes blondes bruyantes et braillardes.

Où s’est-elle égarée ? A quel embranchement s’est-elle trompée de direction ? Cette existence n’est pas la sienne, ce n’est pas possible. Ce n’est pas ce à quoi elle aspirait.

Elle fixe la grille qui se tient face à elle. Un muret de pierres blanches immaculées, surmonté d’une palissade en fer forgé d’un noir profond, le tout couronné de pics autour desquels s’enroulent les branches épaisses d’une glycine centenaire. Comme toutes les maisons du quartier, c’est une authentique barricade qui protège la demeure, comme pour mieux dissimuler le fait qu’elles ne sont que des mouroirs où la monotonie tue à petit feu.

Elle a l’impression que le goût âcre et si particulier de la cigarette est en train d’imprégner sa bouche. Elle peut quasiment sentir le parfum de tabac. Elle est même persuadée d’être en train de contempler cette fumée qui lui chatouille le nez et lui pique les yeux. Est-ce le fruit de son imagination ou a-t-elle entendu le crépitement si particulier d’une clope qui se consume ?

Elle tourne folle. Il n’y a pas d’autre explication possible.

Juste une bouffée, une toute petite bouffée. C’est une nécessité. Une bouffée de liberté.

Elle renifle désespérément ses doigts, à la recherche de cette senteur si réconfortante de tabac froid, alors que cela fait des années qu’elle a arrêté de fumer. Mais rien. Elle ne sent plus rien, si ce n’est la naphtaline et l’ennui.

Elle caresse délicatement les pierres, tiédies par le soleil de juin. Elle n’a pas le choix, il faut qu’elle escalade pour rentrer chez elle, pour rejoindre son train-train morne et insipide. Elle sait que la porte de la maison, elle, n’est pas fermée. C’est comme ça ici. On se retranche derrière des portails hauts comme le ciel pour ensuite afficher une fausse confiance en l’être humain.

Il n’y a jamais de cambriolage ici, et c’est pour ça qu’ils s’équipent tous d’alarmes dernier cri. On respecte l’intimité des gens, ici, et c’est pour ça qu’ils se cachent derrière ces palissades. Il ne se passe jamais rien, ici. Et sur ce point, ils n’ont pas tort.

Cet assaut de la grille de fer forgé pimentera sa journée, son année même. Elle en est rendue à ce point. Escalader une clôture est l’apogée de son existence.

Alors, elle part à l’abordage. Elle se hisse sur le muret et agrippe les pics. Le parfum de glycine est entêtant. Un moineau qui picorait un quelconque insecte sur les branches s’enfuit, effrayé par cette intrusion sur son domaine. Elle réussit à poser son pied droit sur la palissade. Bien sûr, il a fallu qu’elle soit en jupe ce jour-là.

Ces jeunes, toujours en train de se donner en spectacle… De purs histrions ! Qu’ont-ils donc à se conduire ainsi ? C’est la déliquescence de la société.

La sorcière d’à côté. Sérieusement ? Elle est sortie de sa tanière pile à ce moment. Cette femme d’un autre siècle a des idées bien arrêtées sur les comportements appropriés ou non. Laure l’entend, mais ne l’écoute pas. Et ce manque de réaction irrite encore plus la mégère.

Cela me dépasse. De mon temps, jamais une femme n’aurait paradé de cette façon, affichant ses dessous aux yeux de tous. C’est d’un licencieux !

Laure ne se rebiffe pas et, sans un mot, elle empoigne la glycine. L’écorce est rugueuse sous ses paumes et des échardes s’y fichent. Ses deux pieds sont désormais sur la palissade, posés de façon instable entre les pics et les branches. La sorcière s’éloigne en ergotant, alors que la jeune femme admire le panorama. Cette maison aurait pu être magnifique, si elle n’était pas aussi fade, aussi fade que son quotidien.

En soupirant, elle s’élance et enjambe les pics et les fleurs pour poser son pied gauche de l’autre côté, puis le droit. Et d’un bond, sans réfléchir, elle se laisse tomber. La chute sur l’allée dallée est douloureuse. Et cette douleur la réchauffe, comme si elle la réanimait. Elle a l’impression de ressentir quelque chose pour la première fois depuis longtemps. L’air qui entre dans ses poumons est plus saisissant que d’habitude. Elle réapprend à respirer. Elle renaît.

Alors, le cœur battant et les genoux écorchés, elle se précipite en direction de la bâtisse. Les portes claquent et des bruits de course se font entendre. Jamais cette calme rue de banlieue n’a été aussi animée.

Laure refait apparition dans le jardin. Soulagée et chargée, elle franchit encore une fois la grille, mais par la porte cette fois. Oubliée la peur de l’inconnu. Elle se jette à l’eau. Elle passe de l’autre côté du portail et ferme la porte, sans s’inquiéter du fait qu’elle a encore une fois oublié ses clefs, mais, cette fois, de façon délibérée. Des sacs dans chaque main et le labrador à sa suite, elle part. Elle part, sans un regard derrière elle. Elle part, et elle ne rebroussera pas chemin.

Note de fin de chapitre:

Goût : imprégner, pimentera, picorait

Odorat : sentir, renifle

Toucher : chatouille, caresse, agrippe

Ouïe : entendu, écoute

Vue : fixe, contempler, admire

 

Merci à Aleyna pour la relecture !

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