Polo est un beau poteau de Saint-Malo. Il se dresse courageusement sur la plage du Sillon, entourés de ses deux mille quatre-vingt-dix-neuf potos. Les Hommes leur donnent parfois des surnoms plus poétiques : brise-lames, pieux ou pilotins de garde. Mais Polo est un poteau, et fier de l’être.
Depuis plus de deux cents ans, tous ensemble, ils observent la côte malouine, veillent sur elle. Il y a Paco, Pablo, mais aussi Pedro et tant d’autres. La vie n’est pas facile. Ils affrontent les marées, les tempêtes et la pluie qui les fouettent. Mais depuis peu, un nouveau mal les guette. La mérule est parmi eux. Cinq-cents d’entre eux sont déjà touchés par la maladie. Certains ont des syndromes avancés, comme Pepito qui est recouvert de masses blanchâtres et ouateuses et qui commence même à entendre des voix. Un effluve de mort empeste l’air. Hier, Pierrot les a quittés, petit pilot parti trop tôt.
Ah comme les paisibles jours d’antan lui manquent ! Les embruns parfumaient l’atmosphère, les mouettes se délectaient des restes de pique-nique oubliés sur la plage et les êtres humains admiraient cette horde de poteaux qui faisaient l’identité de Saint-Malo. Nul n’ose maintenant les approcher, de crainte de ramener la mérule dans leur foyer. Ils sont des poteaux pestiférés.
Beaucoup de ses potos aimeraient fuir. Mais pour aller où ? Et comment ? Les poteaux n’ont pas de petons. Et puis, Polo refuse de laisser les berges sans protection. Mais surtout, il est hors de question de laisser sur le bas-côté ses cinq-cents potos patraques. Parole de beau poteau de Saint-Malo, il ne permettra plus à personne de péricliter !
Enfin… Si Pierre-Enzo pouvait périr, Polo ne s’en plaindrait pas. Il ne peut plus le voir, toujours en train de vanter les mérites de l’homéopathie contre le champignon qui les attaque. Un vrai bobo ce poteau.
A ses côtés, malgré les hurlements du vent, Polo distingue les pleurs de Po. Po est un poltron. Il est hypocondriaque et est persuadé d’avoir attrapé la mérule. Il est même à deux doigts de dévorer tous les granules de Pierre-Enzo.
Rien ne sert d’avoir peur, il leur faut être méthodiques, structurés, trouver une organisation, une solution. Ils ne peuvent pas se laisser contaminer sans rien faire ! Bien sûr, Patio le patriarche veut jouer au patron. Puisqu’il a été le premier à avoir été planté sur la plage, il pense qu’il peut présider leur peloton de poteaux. C’est d’ailleurs lui qui a lancé cette réunion au sommet, sur laquelle Polo n’est pas vraiment concentré.
— Mes chers potopriotes, l’heure est grave…
Toujours aussi pompeux, ce Patio
— Pignouf ! Pachyderme ! Parasite !
Patrizio est de la partie. On va se poiler.
— Nous…
— Plouc ! Poubelle ! Pantouflard !
— Je disais donc…
— Patate ! Pirate ! Pintade !
Mais même les mots d’esprit exquis de Patrizio n’arrivent pas à arracher un sourire à Polo. Il est en manque de contact humain. Il n’y a guère que Pierig qui se risque désormais à les fréquenter. Sa Maman lui répète régulièrement de ne pas les toucher, mais le garçon de cinq ans n’en fait qu’à sa tête. Polo est presque sûr d’être son petit préféré. Souvent, Pierig le patouille et le papouille. Il papote et plaisante avec lui. Et il prononce des paroles précieuses. Selon lui, Pikachu ne va pas tarder à rappliquer. Le pétillant et pétulant Pokémon sauvera leur peau de poteau puisque ses puissants pouvoirs électriques pourfendront cette pathologie pernicieuse.
Alors, Polo patiente. Il est un poteau persévérant et optimiste. Il est persuadé que le proverbial Pikachu se pointera.