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– Julia est quoi ?! Henri Moser regardait fixement les deux policiers qui avaient interrompu sa calme matinée de travail. Quoi ? Qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
Il se tourna vers la porte du bureau de son chef mais celle-ci était toujours encore fermée. Il ne voulait en aucun cas avoir des problèmes pas seulement parce que la police était là à cause de lui – ce n’était jamais bonne publicité – mais aussi parce qu’il parlait au lieu de travailler. Julia ! Sa grande sœur bien-aimée. Que lui restait-il si ce qu’ils lui disaient était vrai ? Elle ne pouvait pas être morte. Pas sa grande sœur si forte, si courageuse, qui s’était toujours occupée de lui et qui lui avait permis de se rapprocher de son rêve de devenir avocat. C’était grâce à elle qu’il était ici, il ne devait pas perdre cet emploi qui était son plus beau cadeau. Scribe de Philippe Bastian. Ce n’était que le premier pas vers la défense de petits cas. Sa sœur était la meilleure personne au monde, la plus importante aussi. Elle ne pouvait pas avoir été assassinée.

– Votre sœur a été assassinée hier soir. Nous avons pu l’identifier grâce à des photos mais officiellement c’est vous qui devez le faire. Vous êtes son dernier parent en vie, non ?
– Oui mais…
Henri cligna faiblement des yeux en direction des policiers. Il se sentait tellement petit. Il n’était rien sans Julia. Il n’aurait plus d’importance pour personne… Qui allait l’identifier quand il mourrait ? Que devait-il faire maintenant ? Le bureau devenait flou et il tenait un mouchoir à la main. Julia… Sa grande et courageuse Julia. Julia qui l’avait toujours pris dans les bras et endormi d’une berceuse, même quand il la réveillait en plein milieu de la nuit. Julia qui avait travaillé à côté de l’école pour qu’un jour il puisse faire des études de droit. Julia qui l’avait emmené au zoo, qui l’avait poussé à la balançoire, qui l’avait aidé pour les devoirs, qui avait fait des gâteaux avec lui alors qu’ils préféraient tous les deux le salé. Julia. Henri sanglota. Pourquoi le monde était-il aussi cruel ?

– Qu’est-ce qui se passe ici ?
Henri reconnut la voix de son chef mais cela n’avait plus d’importance. Il avait perdu Julia, perdre son poste n’était que logique. Comment pouvait-il continuer de vivre sans elle ? Une main se posa sur son épaule.
– Qu’avez-vous fait à mon scribe ? tonna la sévère voix entraînée de l’avocat par-dessus sa tête.
Il leva son regard rempli de larmes vers son chef. Il était si fort et si admirable. Il voulait devenir comme lui. Mais avec Julia à ses côtés… La réponse du policier était si neutre, sans aucune émotion, comme s’il avait déjà annoncé une centaine de fois des nouvelles pareilles. Henri ravala un sanglot pendant que ses poils s’hérissaient dans sa nuque. Peut-être que c’était le cas.

– Sa sœur a été tuée.
– Quoi ?!
La voix de maître Bastian était anormalement aiguë. Peu importe. Il se moucha. Julia… Les larmes à peine taries se remirent à couler de plus belle. Il n’avait même pas pu demander des informations. A travers le rideau de larmes il vit une photo de Julia en robe rouge. Elle était belle entourée de tous ces coquelicots. Elle aimait les coquelicots. Sa belle chevelure brune ondulait entre les tiges. Elle avait l’air de dormir. Tout simplement de dormir…

Maître Bastian et les policiers parlaient autour de lui mais il ne comprenait pas ce qu’ils disaient. La main de son chef reposait toujours sur son épaule, lien frêle mais réconfortant avec la réalité si cruelle, et de nouveaux mouchoirs lui étaient toujours tendus par un des policiers. Ses yeux brûlaient et sa tête pulsait. Il ne pouvait pas accepter cela. Julia ne pouvait pas… Et pourtant il ne voyait aucune raison pour laquelle il pourrait être dans cette situation si ce n’était pas vrai.

Enfin, il reprit un peu conscience de ce qui l’entourait. Maître Bastian qui le couvait d’un regard soucieux. Les autres personnes dans la pièce : les policiers mais aussi les deux secrétaires de l’étude et même le concierge. Les dossiers ouverts sur son bureau. Il travaillait tranquillement pendant que son monde s’effondrait dehors.
– Bon, tout le monde retourne au travail, décida Maître Bastian après un regard vers lui.
Henri n’en était pas mécontent que les autres devaient partir. Il savait ce qui venait maintenant. Il devait être interrogé et c’était probablement mieux de n’y mêler le moins de personnes possibles. Le policier à côté de lui, celui avec les mouchoirs, fit de drôles de gestes avec les mains. Il s’essuya les yeux pour découvrir qu’il s’agissait premièrement d’une femme et deuxièmement certainement de la cheffe des autres. Maître Bastian plaça son visage juste à côté du sien.

– L’inspectrice Pinson va te poser quelques questions. Tu lui répondras de ton mieux, d’accord ? Il ne se passera rien de grave. Je suis à côté avec ses collègues. Ils ont besoin de consulter quelques testaments. Si jamais tu as besoin de moi, tu appelles, oui ?

Henri réussit à hocher la tête avant que des larmes lui remontaient dans les yeux. Pourquoi Julia ?! C’était injuste ! Elle n’avait jamais rien fait à personne, elle voulait toujours faire du bien aux gens qu’elle croisait. Julia était un ange et maintenant elle n’était plus là. C’était aussi simple que ça. Il n’avait même pas remarqué qu’elle n’était pas rentrée la nuit dernière. Il réceptionna un nouveau mouchoir. Il s’essuya les yeux puis sentit un petit tapotement contre sa cuisse. Un petit chien blanc s’était mis debout contre lui et semblait vouloir le réconforter avec sa petite patte toute douce. Henri cligna des yeux. Le chien cligna des yeux puis posa la deuxième patte avant sur sa cuisse.
– C’est votre chien ?

La policière hocha la tête et Henri caressa la tête du chien ce que celui-ci semblait prendre comme une invitation à grimper sur ses genoux. A sa grande surprise, il dut sourire. Julia aussi aimait les chiens. Il s’essuya les yeux une nouvelle fois et s’estima ensuite capable de répondre aux questions sans fondre en larmes. L’inspectrice avait déjà poussé un bloc-notes dans sa direction. Il supposait qu’il devait y inscrire son nom et son adresse… Il ouvrit la bouche pour lui demander quand il vit qu’il y avait déjà quelque chose d’écrit.
« Son nom est Sénèque. Il aide souvent pour les enquêtes. Je vais vous poser quelques questions qui m’intéressent mais je crains que mes collègues en aient des plus formelles un peu plus tard. Vous aimez énormément votre sœur, non ? »

Henri regarda la policière. Elle ne pouvait pas parler ? Il rougit à la pensée qu’il était surpris et que c’était peut-être mal placé. Il devait avouer qu’il était curieux aussi mais jamais il n’oserait demander directement. En même temps, il ne s’imaginait pas du tout comment c’était possible. Julia parlait tout le temps. Elle lui parlait de ses journées de travail, de ses clients qui voulaient des coupes de cheveux improbables ou des colorations absurdes. Il lui parlait des dossiers, des textes qu’il recopiait au propre, des testaments qu’il devait fermer. En tout cas, il n’y avait jamais de silence dans leur appartement.
– Oui, répondit-il tout simplement parce que c’était vrai. Elle est tout pour moi.

« Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? »
– Hier matin. Nous avons pris le petit-déjeuner ensemble puis marché ensemble jusqu’à la rue principale, comme chaque matin. Elle travaille au salon de coiffure à l’angle vers la gare, alors que moi je pars dans l’autre direction pour venir ici. Elle m’a dit qu’elle allait encore sortir avec un ami le soir et qu’elle rentrerait tard. Je m’en suis réjouie parce qu’ainsi je pouvais jouer à l’ordinateur et commander une pizza sans la déranger. Mais maintenant… Je voudrais qu’elle soit restée à la maison. C’est une pensée horrible que je me suis amusée à tirer sur des vaisseaux spatiaux alors qu’elle se battait pour sa vie ! Je me sens tellement nul. J’aurais dû la protéger !

Les larmes étaient de retour dans ses yeux. Il avait été un mauvis frère, c’était évident. Et maintenant il était seul. Julia était partie. Pour toujours. Sénèque renifla sa joue avant d’y passer un coup de langue réconfortant. Il enfouit son visage dans son pelage. C’était beaucoup plus doux que ce qu’il s’était imaginé. C’était comme si tant qu’il avait le visage blotti contre le petit corps chaud personne ne pouvait lui dire des vérités horribles. Julia aurait certainement aimé avoir un chien s’ils avaient eu plus de temps et plus d’argent.

Quand il releva la tête un bon bout de temps plus tard, le bloc-notes l’attendait devant lui. Il avait oublié l’inspectrice. Il lui jeta un regard de travers mais elle ne semblait pas en être vexée et lui sourit simplement.
« Vous n’y êtes pour rien. Elle avait sa vie et vous la vôtre. Vous ne pouviez pas savoir que quelque chose de tel arriverait. Nous essayons maintenant de trouver le coupable pour que cela ne se reproduise plus. D’accord ? »

Il acquiesça légèrement et se baffa intérieurement. Julia aurait voulu qu’il aide et il voulait lui porter justice. Donc il devait aider la police. Et Julia n’aimait pas qu’il pleure.
– Je veux juste que ce n’est pas vrai. Je pourrais probablement même vous pardonnez si vous me disiez que ce n’est qu’une vaste blague et que Julia est encore en vie. J’aimerais tellement la revoir !
« Malheureusement je ne peux pas vous le dire. Vous verrez encore son corps plus tard mais ce n’est pas la même chose. Vous étiez seul chez vous hier soir ? »

Henri fixa le cou du chien. Est-ce qu’elle venait vraiment de lui demander un alibi ? Sa sœur adorée était tuée et il avait besoin d’un alibi. Il acquiesça de la tête. C’était vrai et personne ne pouvait le confirmer puisque c’était très peu probable que le livreur de pizza se souvienne de lui et leur voisine nierait tout en bloc juste pour leur faire du mal. Lui faire du mal.
« Connaissez-vous le testament de votre sœur ? »
– Elle n’en avait pas, dit Henri. Elle n’avait pas prévu de mourir maintenant.

Il refoula les larmes qu’il sentait poindre. Il avait une boule énorme dans la gorge. Comment pouvait-il encore parler, encore respirer ? Il se moucha. Julia n’aimait pas qu’il pleure. Elle n’aimait pas que quiconque pleure. Elle voulait juste que tout le monde soit heureux. Et maintenant elle était morte. Il renifla et se saisit, reconnaissant, du mouchoir que lui tendait la policière. Est-ce qu’elle avait une réserve illimitée ?
« Que pensez-vous de champs de coquelicots ? »
Comme le champ dans lequel Julia était morte ? Ou comme les fleurs préférées de Julia ?

– Julia, fit-il d’une voix tremblante. Elle adorait les coquelicots. Elle a accroché une grande image dans la cuisine, avec des vaches qui sont debout dans des coquelicots et broutent. Je me suis toujours demandé si elles en mangent vraiment. Je veux dire, nous aussi on mange des pains au pavot mais je crois avoir lu qu’en quantité suffisante c’était une drogue. J’ai planté un petit carré de coquelicots sur notre balcon pour Julia. Mais maintenant… Je crois que je ne veux plus jamais voir des coquelicots sans penser à Julia… Pourquoi vous vous intéressez au champ en fait ? Vous croyez que ce n’est pas par hasard que Julia a été… là-bas ?

Henri fixa l’inspectrice plein de doutes. Les coquelicots étaient depuis toujours liés à sa sœur. Cela ne risquait pas de changer maintenant. Chaque coquelicot allait lui rappeler sa mort avec la violence d’un coup de couteau. Mais il se sentait moins mal. Parler de sa sœur lui faisait du bien. Il devait être fort pour elle.
« Votre sœur n’a pas été tuée dans le champ de coquelicots, son corps y a juste été déposé. Il est à supposer que ces fleurs auraient donc une symbolique particulière. Je cherche si quelqu’un en sait quelque chose et s’il y a un lien avec votre sœur. »

– Ah, Henri hocha la tête. Je vais pouvoir vous aider pour la symbolique. Comme dit, Julia adorait ces fleurs rouges et je lui ai offert un jour un cahier sur la symbolique à travers le monde. En Chine par exemple, les pavots sont un symbole de calme, de de beauté et de succès. Mais c’est aussi l’interprétation la plus belle et la plus positive… En Grèce antique, ils étaient le signe du dieu des rêves Morpheus. C’est à partir de là que le christianisme a déduit son sens : le repos éternel.
« Vous avez une mémoire exceptionnelle. »
– Oui enfin, rougit Henri. Je m’en souviens surtout parce qu’on l’a affiché au grand sur un mur du salon. Julia voulait toujours garder à l’esprit que rien n’est infini et qu’il fallait profiter pleinement de chaque jour.

L’inspectrice hocha la tête et prit quelques notes. Puis comme si cela n’avait aucune importance elle lui posa sa question suivante.
« Connaissez-vous un certain Frank Baustaet ou sa femme Maya ? »
Henri fixa la policière dans les yeux. Il n’avait pas remarqué à quel point ses yeux étaient clairs et attentifs. On pouvait certainement s’y perdre sans jamais trouver un fond, sans jamais découvrir qui elle était réellement. Pour la première fois, il ne pensait pas au fait que Julia était morte pendant quelques minutes. Il devait juste répondre à cette question et ne pas se laisser abandonner dans son deuil. Julia ne le voudrait pas. C’était quoi la question déjà ? Il lança un regard sur le papier – c’était pratique quand même. Qu’est-ce qu’elle avait à voir avec le reste ?
– Oui, je le connais. C’est lui qui m’a permis d’avoir ce travail. C’est le meilleur avocat de toute la région Beernheim. Je pense que tout le monde qui travail dans le domaine a déjà entendu parler de lui. Je l’ai contacté cet hiver quand j’ai dû arrêter mes études de droit pour lui demander si je pouvais travailler chez lui. Comme secrétaire ou scribe ou quelque chose du genre. Il m’a répondu, apparemment il connaissait Julia, et m’a conseillé à maître Bastian quand il cherchait un nouveau scribe. Je lui dois toute ma reconnaissance.

A nouveau, l’inspectrice hocha juste de la tête avant de passer au sujet suivant. Henri caressa la tête du chien qui affichait un air comme s’il comprenait tout ce qu’ils disaient. Avait-il souvent assisté à des interrogatoires ? Connaissait-il chaque déroulement, chaque question, chaque ondulation de voix dans les réponses ?
« Connaissez-vous des ennemis à votre sœur ? »
Le chien connaissait-il déjà le meurtrier de sa sœur ? Avait-il senti ce que les humains essayaient encore de découvrir ? De quels ennemis l’inspectrice parlaient ? D’où pourrait-il le savoir ? D’après lui, Julia était la plus gentille et la meilleure personne au monde. Que devait-il s’imaginer sous ce terme ? Apparemment sa perplexité se lisait sur son visage car l’inspectrice rajouta quelques mots sous sa question.
« Un ancien petit-ami possessif ou une collègue jalouse par exemple. »

Soulagé, Henri secoua la tête. Non, ni l’un ni l’autre n’était arrivé. Sa sœur n’était pas quelqu’un qui éveillait la jalousie autour d’elle. Quoique maintenant qu’il y pensait, elle avait plein de qualités que les autres pourraient vouloir. Sa beauté, son humour, son travail honnête comme coiffeuse, sa bonne relation avec son petit frère, son sens des responsabilités, sa modestie et sa bonne humeur. Peut-être qu’il y avait plus de personnes jalouses de Julia que ce qu’il ne pensait.
– Je ne pourrais citer personne, commença-t-il lentement. A la limite, notre voisine, Madame Peppers, mais elle n’est pas méchante et ne ferait jamais quelque chose qui pourrait lui nuire. Elle ne nous aime juste pas parce qu’on est deux jeunes personnes indépendantes qui n’ont pas besoin d’aide. Elle n’aime pas les jeunes personnes de manière générale et nous encore moins parce qu’on ne correspond pas à ses clichés. Elle nous mettrait à dos la police sous prétexte qu’on fasse du bruit après vingt-deux heures mais elle ne tuerait jamais Julia. Quelle idée ! Alors elle n’aurait plus personne sur qui s’énervait.
Il s’interrompit. Julia était morte et c’était indéniablement. Sénèque lui lécha la main. Il se racla la gorge puis continua à parler pour refouler ses larmes.
– Julia a toujours été populaire auprès de ses camarades de classe. Par contre je ne connais pas ses collègues au salon de coiffure. Julia m’a parlé d’eux mais aucun n’avait l’air particulièrement jaloux ou ambitieux… Ou plutôt ils me paraissent bien plus sympas que mes amis ne l’ont jamais été. Je ne sais pas. Elle ne m’a jamais rien raconté de ses rencontres romantiques. Peut-être que cela la gênait de m’en parler ? En tout cas, je sais qu’elle sortait avec quelqu’un, peut-être aussi avec différentes personnes. Comme elle ne m’a rien dit de précis, je suppose que ce n’était rien de sérieux…

Il rougit légèrement. Cela l’arrangeait qu’ils n’aient jamais parlé de ce sujet. Lui aurait été gêné à coup sûr. La policière lui sourit. Apparemment elle comprenait ce qu’il essayait de dire. Peut-être qu’elle aussi avait un petit frère à qui elle ne disait pas tout ?
« Combien de temps travaillez-vous ici ? » changea-t-elle de sujet sans aucune transition.
– A peu près trois mois. J’ai commencé le 20 mai.
« Merci. Je n’ai plus de questions, mais je vous demanderai de rester à notre disposition. Nous vous tiendrons au courant de la suite de l’affaire et de la date quand vous pouvez organiser l’enterrement. »
– C’est moi qui vous remercie.
Henri s’essuya le visage et caressa le petit chien blanc qui l’avait tellement aidé à garder la face. Sa famille lui manquait. Son père, sa mère, sa sœur… Où était passé le temps de son enfance ? Julia…
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