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Notes d'auteur :

Nous savons qui est notre victime, mais comment a-t-elle bien pu arriver là ? Un nouveau chapitre qui devrait apporter quelques éléments de réponses à Alix. Toutefois, un conseil : restez bien attentif, car je suis parti très loin XD

Chapitre 3 : Le flux temporel

 

 

 

Situé sur le campus de l’Université Citoyenne des Sciences avancées, l’Institut de Physique quantique de Paris se trouvait à moins quelques centaines de mètres où le corps de Lamarck avait été découvert quarante-huit heures plus tôt. Une ironie qui n’échappa pas à Alix. C’était d’une de ses ramifications qu’était né le laboratoire français qui s’intéressait aux transferts temporels. Les édifices présentaient une forme circulaire, au profil effilé, et étaient organisés autour d’un agglomérat central, plus massif que les autres. Des colonnades végétales les reliaient. Vu du ciel, l’ensemble devait symboliser un atome et ses électrons.

Des étudiants se pressaient déjà vers l’un des accès aux amphithéâtres souterrains — une véritable ville grouillait une dizaine de mètres sous les pas d’Alix et de Tim —, tandis que d’autres se prélassaient sur l’une des terrasses, sirotant un café. Une brise légère s’était levée au cours de la nuit, annonçant une perturbation à venir plus tard dans la semaine, mais les températures de saison restaient relativement douces. Les journalistes portaient leurs inquiétudes sur la tempête extratropicale au large de la Bretagne et son évolution possible en ouragan, mais les autorités et les météorologistes se voulaient rassurants. Bien sûr, personne ne désirait souffler un vent de panique à quelques semaines du Jour des Offrandes.

Les deux policiers se dirigèrent vers l’une des sphères situées au bord de la Seine. Chaque édifice servait avant tout de point d’accès aux niveaux inférieurs, mais ils proposaient aussi des salles de conférences éclairées de larges baies vitrées. Un réceptionniste les conduisit à l’une d’entre elles, donnant sur le parc du campus, et Alix s’étonna à peine de son aspect austère et dépouillé : une table agrémentée de quelques chaises constituait le seul mobilier. Exposée plein sud, la pièce baignait dans la lumière solaire qui en devenait presque aveuglante. Tim s’installa avec nonchalance sur le premier siège qui s’offrit à lui, mais il en décolla presque aussitôt lorsqu’une femme au visage sévère entra sans crier gare.

« Pr Branican, je suis l’inspecteur Raimbaud et voici mon partenaire, l’inspecteur Dubost.

— Bonjour, messieurs. Je n’ai qu’une courte pause, donc je souhaiterais ne pas la gaspiller en futilité.

— J’irai donc droit au but. Que pensez-vous des crimes temporels ? »

Sa question provoqua l’effet escompté : la physicienne se tétanisa, comme si elle avait été foudroyée sur place. Claire ne cessait de se plaindre de la gabegie horaire à son travail, entre la recherche et l’enseignement ; mais ce qui l’irritait au plus haut point, c’était la microgestion pour régler les imprévus logistiques et administratifs qui ne cessaient de se greffer à son programme de la journée. Une circulaire par-ci, une demande de budget par-là, une autorisation d’investigation à la bonne heure.

Alix comprenait tout à fait que la professeuse ne comptait sans doute pas perdre son temps précieux avec deux policiers revêches, et il n’avait pas l’intention de lui donner raison ; mais Tim et lui avaient besoin d’un avis expert à tout prix. La chercheuse finit par reprendre ses esprits, comprenant qu’elle n’y couperait pas, et s’installa dos à la fenêtre.

« Ce n’est qu’une légende urbaine, concéda-t-elle. Une fable que certains illuminés se racontent pour imposer des contrôles sur nos recherches, persuadés que nous essayons de modifier le cours du temps en supprimant leurs grands-pères.

— Nous avons lu les rumeurs, interrompit Tim. Ce qui nous intéresse, c’est le côté théorique d’un tel acte.

— Eh bien je dirais que du point de vue légal, vous devriez être plus au courant que moi sur le sujet. En ce qui me concerne…

— Nous ne parlons pas de l’aspect juridique, mais bien scientifique. Peut-on commettre un crime temporel sans que nous le sachions ? »

Une fois de plus, la Pr Branican sembla mal à l’aise devant des questions auxquelles elle n’avait de toute évidence pas envie de répondre. Alix échangea un coup d’œil avec son partenaire pour lui faire comprendre de ne pas se précipiter. La physicienne ne leur dissimulait pas d’information capitale, mais se montrait réticente à partager une opinion sans le soutien de preuves théoriques. La science n’était pas là pour engendrer des affabulations, mais pour décrire l’univers de la façon la plus précise et exacte possible.

La professeuse se leva et s’avança vers un des murs de la salle. Elle appuya la paume de la main sur la surface et aussitôt une ouverture apparut, laissant entrevoir un distributeur d’eau. La chercheuse se servit un verre avant de rejoindre sa chaise. Elle avala et déglutit plusieurs gorgées pour s’hydrater, augurant que cette conversation exigerait beaucoup de salive.

« Pour le moment, nous ne savons pas. En admettant que vous parveniez à vous transférer dans le passé, j’imagine qu’à ce stade, rien ne vous empêcherait d’essayer de commettre un crime. Mais je ne peux pas vous certifier si vous pourriez le faire et quels en seraient les effets dans notre présent à nous, ou si nous pourrions le détecter.

— Donc vous n’avez pas résolu le paradoxe du grand-père ? interrogea Alix.

— Il s’agit d’un cas de figure extrême qui a une valeur philosophique plutôt que rationnelle, écarta la Pr Branican avec impatience, mais pour vous répondre simplement : oui, nous ignorons comment le résoudre, ni si on le peut. Vous comptez vous transférer dans le temps pour tuer votre grand-père ? Permettez-moi de vous en dissuader.

— Comment pourrions-nous savoir qu’un crime temporel a eu lieu ? Y aurait-il un moyen de repérer ses répercussions dans notre réalité ?

— Vous ne pourrez jamais détecter les effets d’une modification effectuée par un transfert temporel, car celle-ci ferait partie intégrante de votre passé : pour nous, il se serait toujours déroulé ainsi. Si quelqu’un décide d’empêcher l’appel du général de Gaule, nous ne le saurions pas parce que pour nous, il n’aurait jamais eu lieu. La seule façon de s’en rendre compte serait de transférer soit sa propre personne, soit une capsule temporelle qui relate l’événement tel qu’il s’est réalisé à l’origine.

— Je ne comprends pas, admit Tim. On n’oublierait pas le passé si on le modifie, ou la capsule ne disparaîtrait pas ?

— Non, parce que le transfert et ce qui y arrive se dérouleraient dans votre futur, ou celui de la capsule. Même si vous changez le passé, ce n’est plus le vôtre.

— Mais du coup, ça signifie qu’il faudrait toujours effectuer ce transfert, non ?

— Pas nécessairement, postula la temponaute. Une fois que le passé est altéré, c’est définitif. À moins d’y retourner une fois de plus. Par exemple, si je renverse ce verre, il va se briser au sol. Je peux décider de me transférer pour le remplacer par un gobelet en bambou. La moi transférée aura déjà modifié le passé et affecté mon futur : j’aurais évité au verre de se casser. La moi avec le gobelet n’aura jamais su qu’il a volé en éclats et aura toujours considéré qu’il s’est simplement renversé…

— Justement, n’est-ce pas là qu’intervient le paradoxe ? coupa Alix. Comme le verre ne se brise plus, vous n’avez plus de raison de vous transférer, par conséquent, vous n’empêchez plus qu’il se casse. »

La physicienne but une nouvelle gorgée, son regard alternant entre les deux policiers, comme si elle essayait de juger un puzzle dont elle savait qu’il lui manquait une pièce. Elle sortit son téléphone et pianota un court message dessus. Alix n’eut pas le temps de le déchiffrer, mais il ne rata pas de remarquer qu’une fois la missive envoyée, elle éteignit l’appareil, puis le glissa dans la poche intérieure de sa veste. Enfin, elle se leva à nouveau et enclencha une nouvelle commande dissimulée dans l’un des murs. La baie vitrée électrochrome se teinta, obscurcissant la pièce, tandis que l’écran tactile s’activa.

« Que savez-vous du flux temporel ? demanda-t-elle d’un ton professoral.

— Euh… Qu’il s’écoule ? tenta Tim.

— Oui, si l’on veut. Même si nous n’arrêtons pas de le qualifier de quatrième dimension, la plupart des gens ne le considèrent pas ainsi. C’est vrai qu’à l’inverse des trois dimensions spatiales qu’on peut traverser dans toutes les directions, le temps ne peut être expérimenté que dans un seul et unique sens : du passé, vers le présent, vers le futur.

— La flèche du temps ! se rappela Alix de ses anciens cours.

— Exactement. Une flèche. Comme les dimensions de l’espace, le temps constitue notre univers, mais possède des propriétés différentes : elle est linéaire et n’a qu’une seule direction, imposée par un phénomène physique qu’on nomme l’entropie. C’est le flux temporel.

— Donc le voyage dans le temps devrait être impossible !

— Mais une de ses caractéristiques nous le permet, corrigea la Pr Branican. Le temps et l’espace forment un continuum, la matrice qui façonne notre univers. On peut facilement matérialiser les trois dimensions spatiales puisque nous y vivons, ajouta-t-elle en faisant apparaître un cube quadrillé sur l’écran, mais nous ne savons pas représenter le temps dans cet espace. Certaines figures géométriques prétendent y parvenir, mais elles sont plus illustratives que réelles, ce sont des objets mathématiques. Si on veut le décrire de façon cohérente, nous sommes forcés de sortir du cadre de l’espace et donner du mouvement. »

Elle tapota sur l’écran et le cube se mit à tourner sur lui-même tout en se déplaçant. Alix resta perplexe, ne voyant pas trop où la scientifique voulait en venir. Un coup d’œil à Tim lui indiqua que les paroles de leur hôte le captivaient autant qu’il s’égarait dans les concepts mathématiques derrière.

« OK, en quoi ce cube pivotant prouve-t-il que le voyage dans le temps ne viole pas les lois de la physique ?

— Ce que j’essaye de vous dire, c’est que le temps s’avère autant intriqué dans l’ossature de notre univers que le sont les trois dimensions spatiales. Elles forment un tout indivisible et inaliénable, à moins de détruire la structure même de ce continuum. Cependant, cette matrice est affectée par la gravitation, qui permet de la tordre et de la déformer localement ».

Un objet sphérique apparut au centre du cube, dont les parois se voilèrent comme si la nouvelle masse les attirait. La courbure des mailles évolua en conséquence, pour laisser les points dans leur position originale.

« Si la gravitation est suffisamment élevée, la distorsion devient telle que l’espace et le temps finissent par se replier sur eux-mêmes…

— Et génèrent un trou noir, termina Tim, radieux d’avoir anticipé la suite.

— Exactement. Maintenant, certaines théories postulent qu’en de pareilles conditions, une connexion peut se créer entre deux points de l’espace et du temps : les trous de vers. C’est ce qui est à l’étude pour les voyages interstellaires, afin de s’affranchir des distances pharaoniques entre les étoiles, mais on s’ancre dans un cadre d’application où on n’interfère pas avec le flux temporel : on part de la Terre, on arrive à Vega, mais on reste à la même période. Un voyage instantané en quelque sorte, comme une téléportation.

— Et donc, en quoi ça permet le voyage dans le temps ?

— J’imagine que si on peut créer un trou de vers pour traverser l’espace, on peut aussi le paramétrer pour qu’il nous amène au même endroit, mais à une différente période, s’avança Alix qui commençait à comprendre.

— C’est exact. C’est ainsi que nous procédons : nous avons réussi à créer des trous de vers qui se connectent à un autre point du temps.

— Donc vous pourriez aussi aller dans le futur ?

— Non. Ça ne marche pas comme ça. On ne peut pas atteindre le futur parce qu’il n’existe pas. Sa trame n’a pas encore été conçue, elle se crée au fur et à mesure à chaque instant. Le destin est fluide. Comme je le disais, le temps est une dimension, une flèche, avec une seule direction vers laquelle l’espace se déplace. On ignore sa limite, c’est comme si nous naviguions à l’aveugle. Je ne peux prédire le futur qu’a posteriori : pour reprendre l’exemple du verre qui se casse, je ne peux le savoir que si je l’ai déjà expérimenté et me transfère dans le passé pour me prévenir ou l’éviter. Je ne peux pas aller voir s’il se volera en éclats demain, mais je peux me transférer hier pour avertir qu’il s’est brisé ce matin.

— Qu’est-ce qui empêcherait que la vous d’après-demain ne soit pas déjà en train de préparer un transfert pour vous alerter ?

— Parce qu’elle n’existe pas, trancha la scientifique. Comme je vous l’ai expliqué, le temps est linéaire, non cyclique. Si je vais dans le passé et l’altère, vous ne revivrez pas ce passé, seuls votre expérience et le souvenir que vous en avez seront différents. Pour vous, on vous aura toujours averti que le verre allait se briser.

— Vous insinuez donc qu’on peut réécrire le flux temporel ? Le transformer pour en créer un univers parallèle et nous n’aurions même pas conscience de ce changement ? »

La Pr Branican observa les deux policiers. À défaut de s’être écrasé au sol, son verre était vide à présent, mais elle ne montra aucune intention de le remplir. Le dos appuyé contre l’un des bords de l’écran interactif, elle paraissait perdue dans des songes insondables. De son côté, Alix n’était pas plus rassuré quant à la difficulté de résoudre son enquête. Si la temponaute avait raison, leur suspect ne prédirait pas leurs mouvements, mais il serait en mesure de les contrer et faire en sorte de ne jamais être retrouvé.

Surtout, ça signifiait qu’il leur était impossible d’anticiper dans quelle mesure les meurtres avaient affecté le flux temporel. Peut-être même quelqu’un l’avait-il déjà arrêté lors de l’un des cas précédents, mais avait réussi à s’échapper et à s’arranger pour que les enquêtes finissent sur de fausses pistes. Cependant, cette hypothèse échoua à convaincre Alix : pourquoi leur suspect n’aurait-il tout simplement pas effacé toute trace de ses victimes ? Non, l’inspecteur de police devait sans doute être le premier à se trouver aussi près du but.

« Pour vous aider, je dois en savoir plus sur votre enquête, sollicita la professeuse à brûle-pourpoint. Sans quoi, je risque de tergiverser et m’égarer, voire de vous induire en erreur. Nous ne maîtrisons qu’une infime partie du temps, il reste beaucoup d’inconnues. »

À la surprise d’Alix, Tim ne semblait pas étonné par la requête inattendue de l’oratrice. Les deux partenaires s’échangèrent un coup d’œil et convinrent d’un accord tacite pour l’inclure dans leur cercle de confiance. De toute façon, les options se raréfiaient et ils devaient agir.

« Votre nom sera ajouté à la procédure, avisa Alix. En cas de procès, vous pourrez donc être appelée à témoigner devant un Jury républicain.

— Je serai ravie d’expliquer une fois de plus l’état de nos connaissances à des jurés, si cela peut permettre de clarifier votre affaire. »

La physicienne demeura résolue et inflexible sur sa décision. Son regard flamboyait d’une détermination, et Alix ne parvint pas à définir si cela trahissait une forme de curiosité inappropriée ou un désir d’accomplir son devoir de citoyenne. Il avait compris, dès le moment où elle avait éteint son téléphone, qu’ils avaient capté son attention. D’un haussement d’épaules, il fit signe à Tim de se charger de lui révéler la vérité.

La scientifique but ses paroles, sans l’interrompre, observant les clichés que l’inspecteur sortait de temps en temps du dossier. Elle s’attarda en particulier sur les photographies issues des encyclopédies, ainsi que les résultats des analyses de Rayhana. Lorsqu’il eut terminé, la Pr Branican resta silencieuse plusieurs secondes. Elle fixa l’écran, toujours bloqué sur son schéma des trous de vers, comme si elle essayait d’y percer un mystère qui échappait aux policiers.

« Bon, j’imagine que si nous sommes ici à en discuter, l’assassin ne sait pas encore que vous êtes sur sa piste. De même, je présume que ses actions n’ont pas altéré le continuum espace-temps au point d’en provoquer la destruction, établit-elle plutôt pour se rassurer que pour partager une idée.

— Mais nous pourrions être dans un univers alternatif à celui où aucun d’eux ne serait morts ? s’avança Tim.

— Non, je ne crois pas. Vous n’étiez pas très loin de la vérité lorsque vous parliez de réécrire le flux temporel.

— Que voulez-vous dire ?

— Le continuum est la matrice de notre univers, ce n’est pas quelque chose que vous pouvez modifier sans effort, même localement. Vous pouvez prendre ce verre et le poser ailleurs sur la table, mais vous échouerez à faire varier la distance entre vous et lui sans que vous ne bougiez. Pour cela, vous devriez déformer l’espace, ce que seule la gravité permet. Et pour que cela soit perceptible, vous auriez besoin d’une énergie colossale. Le temps se comporte de la même façon. Nos expériences ont montré que le flux temporel se conduit comme une rivière qui coule dans son lit. Vous pouvez la faire osciller dans cette trame, lui faire prendre un détour, mais elle la réintégrera d’elle-même tôt ou tard.

— Un équilibre ponctué ? déchiffra Alix.

— En quelque sorte. Ces fluctuations, ce sont les conséquences des modifications produites lors d’un transfert. Cela crée des remous locaux dans l’écoulement de la rivière, mais elle finit par retourner dans son lit et poursuivre son cours. Le passé peut donc être réécrit de façon plus ou moins profonde selon l’oscillation que vous produisez. Plus elle est importante, plus la structure même du continuum résistera, et plus vous aurez besoin d’énergie. Mais au bout du compte, le flux temporel se réajustera à la trame déjà existante, comme si vous l’aviez fait vibrer et qu’elle se stabilise peu à peu.

— Et pour engendrer un univers alternatif ?

— Si vous souhaitez que votre rivière sorte de son lit et en crée un nouveau — un univers alternatif —, il vous faudrait déployer une énergie considérable, car vous auriez besoin de la faire déborder. Selon notre théorie, le transfert produirait une altération telle que l’oscillation qu’elle engendrerait sortirait le flux temporel de la trame du continuum et en créerait un nouveau. Qu’adviendrait-il de celui-ci ? On l’ignore. On ignore la quantité d’énergie nécessaire pour y parvenir. Peut-être que vous transférer dans le passé pour tuer votre grand-père, ou vous-même, n’aura pour effet que de vous effacer du flux temporel, qui se déstabilisera un peu, mais finira par retrouver son cours normal, mais sans vous. Ou pas ! Rien n’est sûr.

— Comment savoir alors que nous ne nous trouvons pas déjà dans un univers alternatif ? insista Tim qui se leva de sa chaise. Comment s’assurer que ces meurtres n’ont pas suffi à faire déborder notre rivière ? »

La temponaute reprit les résultats d’analyses qu’on lui avait présentés et les étudia plusieurs secondes, son visage trahissant de la nostalgie, voire de la mélancolie. Elle ne prêta qu’aux portraits et négligea les images des scènes de crime.

« En toute honnêteté, jusqu’à maintenant, je l’ignorais. Mais désormais, je vous garantis que c’est la bonne théorie.

— Ces meurtres attestent votre théorie ? s’étonna Alix qui reprit les documents pour essayer d’en extraire l’indice qui lui avait échappé.

— Nous n’avons jamais pu la démontrer avec certitude.

— Vous êtes en train de nous dire que notre tueur aurait accompli avant tout le monde le but fixé par les plus grands experts temponautes depuis une décennie ?

— D’un côté, il a réussi à aller plus loin que n’importe lequel de ces labos, railla Tim.

— Sur ce point, je me permets de m’y opposer, intervint la Pr Branican d’un ton glacial. Vous avez pu dater son exploit, mais rien ne dit qu’il a fait mieux que nous.

— Que voulez-vous dire ?

— Que savez-vous de l’expérience Morlock ?

— Le premier transfert temporel ? Qu’il a provoqué une panne de courant planétaire pour transférer une particule de quelques secondes.

— Oui, c’est la version utilisée pour dissimuler la vérité. Ce que je vais vous dire ne doit pas sortir de cette pièce. »

L’écran tactile s’éteignit, mais la baie vitrée resta opaque, si bien que la salle de conférence était plongée dans une semi-pénombre où le visage de la physicienne demeurait à peine visible. Alix changea de position : c’était à son tour de se montrer intrigué et inquiet devant le secret que leur hôte s’apprêtait à révéler, et celui-ci ne présageait rien de bon. L’expérience avait fait grand bruit à l’époque et gardait encore aujourd’hui ses détracteurs, aussi bien dans les rues que dans les débats législatifs à travers le monde. L’inspecteur avait placé sa confiance dans la foi que son épouse avait en la science, l’idée que des chercheurs aient pu manquer de transparence pour masquer leurs erreurs et flouer le public ne le rassurait donc pas.

« L’expérience Morlock a été un succès, au-delà de nos espérances, mais le prix à payer s’est avéré tout aussi exorbitant, ébruita la Pr Branican. Nous avons bien transféré une particule, et même bien plus. Et pas seulement de quelques fractions de seconde. En réalité, nous ignorons exactement l’ampleur du transfert, nous l’estimons à plusieurs siècles sans assurance.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? interrogea Tim.

— Nous n’avons pas contrôlé le procédé lui-même. Nous ne le savions pas encore, mais le protocole était incomplet, plusieurs mesures de sécurités dont nous n’avions pas idée manquaient dans notre installation. Alors que nous étions en train de calculer les coordonnées, l’algorithme s’est emballé et a lancé le procédé de transfert… Une de nos jeunes doctorantes mettait en place l’échantillon et se trouvait donc sur la plateforme… Le temps que nous réalisions que nous perdions le contrôle, un flash lumineux a envahi la pièce. L’instant d’après… L’étudiante avait disparu et le courant a sauté, provoquant un court-circuit qui a effacé toutes les données de l’expérience. »

Le récit avait beau relaté des événements vieux d’une dizaine d’années, on sentait que leur souvenir affectait encore la professeuse, même si elle essayait de le dissimuler d’une voix ferme, regardant les policiers droit dans les yeux. Alix, pour sa part, tenta de juger la portée si un tel secret était dévoilé au public. Le contenu des expériences demeurait jalousement gardé par les temponautes, qui ne révélaient que leurs conclusions les plus fracassantes : l’étendue du transfert. Personne ne savait réellement ce qui était transféré, ou ne se l’était jamais vraiment demandé. Jusqu’au début de cette affaire, Alix n’aurait jamais soupçonné que des humains faisaient partie de ces expériences temporelles.

« Comment s’appelait-elle ? s’enquit-il.

— Honorine Dufresne-Devienne. Ces parents étaient des professeurs d’Histoire férus de la période pré-atomique, justifia-t-elle devant le regard hagard de Tim. On l’appelait Norah. Elle effectuait son doctorat ici. C’était une élève brillante et passionnée. Nous avons tenté de retrouver sa trace dans nos archives, mais elle n’y figure nulle part. C’est pour cela que nous suspectons que son transfert remonte à plusieurs siècles avant la Bascule.

— Comment êtes-vous certaine de ne pas l’avoir… tuée ?

— Parce que nous avons découvert les noms de certains membres de notre équipe dans des romans d’un auteur inconnu de l’époque pré-atomique : Éloïs Branican, Cyrus Smith, Athénaïs Boutardin, Otto Lidenbrock, Priyanka Aouda, Michel Ardan, ou Edmonde Nemo. Nous avons consulté des experts en littérature, ils ignorent encore l’identité de cet auteur — ou cette autrice —, mais ils certifient que la même personne a écrit ces histoires.

— Et vous avez interprété ces personnages comme un appel à l’aide de Norah.

— Oui, on essaye de s’y attacher. Chaque semaine, je vais à la Bibliothèque Citoyenne pour consulter s’ils ont réussi à identifier cet auteur. J’ignore si Norah se trouve derrière cette plume, mais elle l’a forcément connue. Quoi qu’il en soit, si la communication autour de l’expérience Morlock s’est montrée positive pour célébrer l’exploit, les griefs en interne ont mis du plomb dans l’aile. Le budget a été amputé et nous n’avons jamais été en mesure de reproduire un tel transfert. Désormais, nous sommes limités à une dizaine de minutes avec les êtres vivants et à quelques jours avec les particules. »

La scientifique se leva et désactiva l’opacité des fenêtres, qui laissèrent rentrer de nouveau les rayons du soleil. La matinée était bien avancée et certains étudiants étaient sortis pour profiter d’une courte pause entre deux cours. La Pr Branican les observa sans rien dire, perdue dans ses pensées, pendant que Tim commençait à ranger les documents liés au dossier. Pourtant, Alix lui fit signe de s’interrompre : il n’en avait pas fini. Il n’était toujours pas convaincu que l’assassin n’eût pas créé d’univers alternatif en tuant ses victimes dans le passé. Par conséquent, l’inspecteur de police n’était pas assuré que rien n’empêchait son suspect de les prendre à revers une fois appréhendé.

« En quoi notre affaire confirmerait-elle votre théorie sur le flux temporel ?

— Pendant nos essais, nous attachons en permanence une capsule temporelle qui décrit l’expérience que nous souhaitons tester. Par exemple, si une souris est partie à droite alors que nous voulons qu’elle aille à gauche, nous lui donnons une récompense amère. Nous la transférons dans le passé, en précisant son parcours, et nous observons qu’elle prend le bon chemin. Pour nous, elle l’a toujours emprunté, mais la capsule temporelle nous confirme que ce n’était pas le cas auparavant.

— Et ce n’est pas un univers alternatif ? s’étonna Tim.

— Non, parce que c’est une oscillation locale à court terme. La durée écoulée du flux est bien trop brève pour que cela affecte considérablement l’expérience. C’est comme si vous lanciez un petit caillou dans le fleuve, ça ne changerait rien à la vue globale.

— Alors que tuer des personnes dans un passé lointain, à plusieurs reprises, serait susceptible de créer des oscillations plus importantes, devina Alix. Comme construire un barrage.

— En quelque sorte.

— Comment êtes-vous si certaine que nous ne sommes pas dans un univers alternatif ?

— Vous ne m’avez pas dit le motif de l’assassin. Pourquoi tuerait-il ces personnes ?

— Nous ne savons pas, admit Tim. On soupçonne un rapport avec la théorie de l’évolution, puisque les victimes y sont toutes plus ou moins liées.

— Si je peux me permettre une suggestion, je dirai que la théorie de l’évolution est le motif que vous recherchez.

— C’est-à-dire ?

— Eh bien, nous avons parlé du flux et du transfert temporels pendant près d’une heure. Comme vous l’avez si bien souligné au début, vous avez vos propres préjugés sur les conséquences ; je soupçonne donc que votre suspect en partage aussi. Tuer une personne dans le passé ne peut avoir qu’un unique but : le modifier. Je suppose que le meurtrier imagine qu’en se transférant et exécutant un de ses naturalistes, il conjurerait l’apparition de la théorie de l’évolution. De toute évidence, il a réalisé qu’éliminer une seule personne ne suffisait pas, le flux temporel s’adaptait et reprenait son cours, amenant à l’émergence de cette théorie d’une façon ou d’une autre. Peut-être pas de la façon originelle, mais encore assez similaire pour qu’il ne change pas. C’est pour cela qu’il a tué à plusieurs reprises, ce qui a dû demander des ressources énormes en termes de recherche, mais aussi d’énergie.

— Donc le fait que nous soyons toujours au courant de la théorie de l’évolution prouverait que les oscillations provoquées par notre tueur n’ont pas suffi pour déstabiliser la trame du continuum espace-temps ?

— C’est mon hypothèse au vu de ces données, oui. Il continuera jusqu’à ce qu’il y parvienne, ça, je peux vous le garantir. Et il va finir par réussir, à force de les éliminer un par un. Je parie que si vous observez les bibliographies des victimes, elles préciseront que ces personnes ont mystérieusement disparu dans des conditions inexplicables, ce qui n’est pas anodin. »

La temponaute alla se resservir un verre d’eau, mais resta debout cette fois-ci. Lorsqu’elle eut terminé, elle déposa le gobelet dans un bac qui s’escamota dans le mur quelques instants après. Elle semblait avoir conclu son expertise et Alix comprit qu’elle était sur le point de clore leur réunion. Cependant, il n’entendait pas partir sans avoir obtenu toutes les réponses qu’il était venu chercher.

« Vous avez une idée de qui ça peut être ?

— Aucune, mais il n’agit pas seul. Votre suspect, ou du moins l’équipe avec laquelle il travaille, a d’excellentes connaissances en physique quantique et temporelle pour avoir mis au point leur propre machine de transfert incognito et réussi de tels exploits. Même si nous nous sommes améliorés avec la technologie, transférer un humain aussi loin dans le passé requiert d’énormes débauches d’énergie.

— Mais personne n’a provoqué de nouvelle panne de courant depuis votre incident, fit remarquer Alix.

— Non, mais on doit sans doute pouvoir détecter l’afflux d’électricité, suggéra son partenaire. De quelle quantité parlez-vous ?

— Je l’ignore, admit la physicienne qui leva les bras en signe d’impuissance. Nous avons perdu toutes les données de l’expérience Morlock. Même s’il n’y a pas eu de coupure générale, et même en tenant compte de notre technologie, vous ne pourriez pas le louper. Nous effectuons nos tests au milieu de la nuit, pour ne plus troubler le public, et nous drainons près de la moitié de la consommation électrique de Paris pour transférer une souris dix minutes en arrière.

— Une dernière question : si les meurtres ont eu lieu dans le passé, pourquoi retrouvons-nous les cadavres aujourd’hui comme s’ils venaient d’être assassinés ? Cela signifie qu’on les a transférés à notre époque, en même temps que le tueur ? Pourquoi ne les dissimule-t-il pas ? »

La Pr Branican s’éloigna du mur sur lequel elle se reposait, tout en regardant sa montre d’un geste nerveux. Les deux policiers comprirent au langage corporel de leur hôte que la consultation était terminée et qu’elle leur avait déjà accordé plus de temps qu’ils n’auraient pu en espérer. Pourtant, Alix avait besoin de résoudre ce problème qui le taraudait depuis le début de l’enquête, mais n’avait pris forme dans son esprit que depuis quelques minutes. Pourquoi s’encombrer de la première preuve de meurtre dans un crime aussi minutieux et planifié ? Le suspect devait bien se douter qu’on trouverait les cadavres et que quelqu’un finirait bien par les identifier.

« Je ne sais pas, s’impatienta la scientifique. Personne n’est parvenu à un tel transfert retour, sinon nous aurions déjà tout mis en œuvre pour rapatrier Norah. Comme je ne cesse de le dire, le procédé demande beaucoup d’énergie. Plus la durée est grande et l’objet complexe, plus la requête est importante. De plus, j’imagine que votre assassin a besoin de deux transferts : un pour y aller et un pour revenir. Ce que nous avons observé, c’est qu’à chaque test, on relève un échange bilatéral : lorsqu’on transfère notre objet dans le passé, son énergie l’accompagne ; et à l’inverse, de l’énergie du passé est troquée avec notre époque. C’est pour cela que, compte tenu de nos contraintes techniques depuis l’incident, nous sommes limités sur la durée et l’objet du transfert.

— D’accord. Mais ces macchabées sont bien présents aujourd’hui, comment sont-ils arrivés là ?

— Autant, dans notre environnement contrôlé du laboratoire, on maîtrise à peu près cet échange, mais j’imagine que dans l’autre sens, on navigue en aveugle. Ces cadavres pourraient bien être un effet secondaire dont le tueur et ses acolytes n’ont pas idée. Je suis désolée, mais je dois vraiment y aller. Je ne vous raccompagne pas. J’espère que vous trouverez cet assassin.

— Merci pour votre temps, gratifia Tim d’une légère inclinaison de la tête. Nous vous tiendrons informée de l’évolution de l’enquête, notamment si votre témoignage est requis.

— Permettez-moi un dernier conseil : si vous mettez la main la machine à transfert, détruisez-la, préconisa-t-elle en ouvrant la porte de la salle de conférence. Le flux temporel est linéaire et sa trame solide, mais il n’y a rien de bon à modifier le passé. »

Se contentant d’un bref salut de la tête, elle les quitta sans de plus ample cérémonie sur cette note sibylline, laissant les deux coéquipiers désemparés. Tim s’assura qu’aucune feuille n’avait glissé sous la table, puis prit la direction de la sortie. Ce ne fut que sur le pas de la porte qu’il réalisa que son partenaire était resté en retrait, le regard perdu dans la contemplation de l’écran interactif. Il avait beau être éteint, les différents schémas exposés pendant leur réunion semblaient flotter devant Alix.

Son esprit ne s’extasiait pas d’une illumination soudaine, ni même ne se lançait dans une réflexion à toute vibure. Au contraire, tout n’était centré que sur une seule et unique idée : le transfert ne permettait pas que d’envoyer quelqu’un dans le passé, mais représentait avant tout d’un réel échange d’énergie dans deux directions différentes. Le tueur n’essayait pas de narguer la police en semant des cadavres d’Anonymes derrière lui, bien au contraire. Il en ignorait même leur existence. Sinon, il en aurait sans doute entendu parler au premier bulletin d’information à la télévision et il aurait pris des dispositions pour corriger son erreur, dissimuler ses traces. Le premier aurait pu être un accident, mais les suivants auraient relevé de la négligence et l’assassin s’était montré tout sauf négligent.

Suivant son intuition, Alix décida de vérifier le plus ancien dossier. Jusqu’à présent, il ne s’était pas soucié de la chronologie des meurtres, seulement celles des victimes, mais quelques secondes lui suffirent pour réaliser qu’il avait vu juste.

« Alix, qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Tim devant le sourire qui s’étalait sur le visage de son coéquipier.

— L’assassin… Il ne sait pas pour les corps des victimes… Il n’a donc aucune raison de penser qu’on est à sa recherche, sinon il se serait montré plus prudent.

— Où veux-tu en venir ?

— Branican avait visé juste. Darwin a été le premier à être tué, dans notre flux temporel. Sans doute parce qu’il devait être le scientifique le plus crucial et proéminent pour cette théorie. Son nom et ses travaux sont encore considérés comme fondateurs, mais ayant disparu dans d’étranges circonstances après son retour des Galapagos, il ne les a jamais publiés. Par contre, ils ont grandement influencé ses contemporains, dont l’auteur de cette théorie, Russel Wallace.

— Aucune des victimes ne lui correspond…

— Parce que le tueur ne l’a pas trouvé pour l’instant. J’imagine qu’il ne peut pas se balader sur Terre dans le passé pendant des semaines, car cela nécessiterait beaucoup plus d’énergie. Donc il doit viser juste à la fois temporellement, mais aussi spatialement. Or, s’il est toujours en vie, ça veut dire…

— Que le tueur le cherche encore ! »

Les deux policiers avaient conscience d’une chose : le temps leur était compté. Si l’assassin n’avait pas réussi à localiser et éliminer Wallace, cela signifiait que quelque chose interférait avec sa technique. Toutefois, il finirait bien par la contourner. Ils ignoraient comment le suspect repérer ses victimes dans le passé, mais Tim avança qu’il devait bien partir des connaissances à sa disposition. Lorsqu’ils tentèrent d’en apprendre plus sur le naturaliste, ils découvrirent que l’existence de celui-ci était entourée de mystère, comme s’il avait dissimulé sa vie à dessein. Ou comme si quelqu’un était passé derrière pour effacer les traces, a posteriori.

Lorsqu’Alix l’interrogea le soir même, Claire lui confirma la nature secrète de Wallace. En revanche, elle admit que personne n’avait pu déterminer la véracité de cette observation, ou si le manque d’informations le concernant était lié à l’Occultation, la perte d’une grande partie des connaissances passées lors de la Bascule. Pour l’inspecteur de police, c’était là un signe crucial des effets oscillatoires des transferts : d’une façon ou d’une autre, Wallace avait appris la vérité sur la disparition de Darwin.

Était-ce parce qu’on l’avait prévenu ? Est-ce que le futur s’avérait aussi fluide que le prétendait la Pr Branican, ou bien était-ce un signe qu’ils avaient réussi à prendre contact avec le biologiste ? Ou est-ce que quelqu’un au courant des meurtres avait gardé pour lui le secret, sans en référer à la police, mais avait tout de même pris le risque d’avertir Wallace dans le passé ? Il ignora jusqu’à quand il veilla, son esprit assailli par d’innombrables questions, mais Alix eut une pensée pour les temponautes lorsqu’il vit les lumières de la ville vaciller au milieu de la nuit. Le laboratoire venait sans doute de procéder à une expérience de plus.

Note de fin de chapitre:

Tadaaa !

Je vais pas vous le cacher, je suis le premier à dire que le voyage dans le temps est un des meilleurs moyens de se planter dans une histoire ; mais je me suis régalé à tenter d'en élaborer les règles pour mieux les bafouer plus tard X)

En tout cas, j'espère que le bloc n'était pas trop difficile à digérer et que je ne vous ai pas assomé-e-s avec mes élucubration théoriques ^^'

A la semaine prochaine pour la suite !

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