Épilogue : L’écrivain paradoxal
Le flash de lumière embrasa la villa, mais il resta bien le seul à le remarquer. Tout le monde dormait à point fermé à cette heure avancée de la nuit. Même les conversations des tavernes s’étaient tues pour ne laisser que celui de la brise estivale qui ployait les cyprès. De temps en temps, le bruissement d’une calige sur le pavé trahissait la présence d’une patrouille nocturne. Seule la faible lueur de sa lampe à huile repoussait l’obscurité de la maisonnée. Il avait dépassé depuis longtemps l’heure raisonnable pour aller se coucher, mais ses pensées le maintenaient éveillé contre sa volonté. La nature des choses composait un mystère excitant et captivant qui avait tourmenté bien des philosophes avant lui et continuerait bien après lui.
Un son métallique résonna dans l’atrium, comme si une amphore s’était renversée. Autant l’éclat l’avait intrigué, autant le bruit le détourna de ses réflexions. Ses sens en alerte, il se laissa porter par sa curiosité jusqu’au bassin au centre de la cour. Aucune pluie n’était tombée depuis des mois, l’abandonnant aussi vide et sec que les déserts d’Égypte. Pourtant, un étrange objet y siégeait. Sur un plateau métallique aux reflets argentés se trouvait un codex. Ou du moins ce qui ressemblait à un codex. Aucune note n’y était associée, aucun signe d’une quelconque lanterne ne pouvant expliquer le flash, pas la moindre trace d’un intrus.
Lorsqu’il prit l’ouvrage entre les mains, il remarqua une finition dans la reliure qu’il n’avait jamais observée. Il reconnut un véritable travail d’orfèvre, dont l’examen ne permit d’en déterminer ni l’origine ni la technique employée. À première vue, il avait supposé que la couverture devait être en cuir ou en bois, mais lorsqu’il passa ses doigts dessus, il réalisa qu’elle était fabriquée dans un matériau inconnu. Lisse, froid, on aurait dit un mélange entre le bronze et la céramique. La tranche était gravée d’étranges symboles qu’il ne parvint pas à déchiffrer. Il ouvrit le codex pour le feuilleter et s’aperçut avec stupeur que les pages n’étaient fabriquées avec du papyrus, ni même du parchemin. De même, les glyphes qui les parcouraient n’avaient pas été rédigés à la main : ils étaient beaucoup trop réguliers pour ça. Ils suivaient une typographie uniforme, harmonieuse, presque symétrique. Quelque chose d’à la fois mystique et terrifiant s’en dégageait.
Les caractères étaient écrits bien trop petits pour qu’il parvienne à les lire, mais lorsqu’il retourna dans sa chambre, il put en déchiffrer quelques-uns. En outre, il repéra que chaque phrase débutait avec une lettre latine et, après quelques minutes supplémentaires, il finit par comprendre que les autres symboles devaient correspondre à une graphie différente des mêmes lettres. Il reconnut en particulier les C, M, O, P, S et X. Un doute subsista concernant le V, mais il décida de le remettre à plus tard. Aucune illustration n’accompagnait le codex, en dehors d’un étrange schéma composé de ramifications dichotomiques. Certaines branches s’arrêtaient en court de chemin.
« Lucrèce, mon amour, que fais-tu encore éveillé à une heure aussi tardive ?
— J’étudiais ce codex, Lucilia.
— Ne lambine pas trop, tu as besoin de sommeil pour avoir les idées claires.
— J’arrive dans un instant, ne t’inquiète pas. »
Elle disparut dans un pan de soie, le laissant seul avec son mystère. Elle avait raison, il pouvait attendre pour l’étudier. Il referma l’ouvrage, jetant un dernier coup d’œil sur la couverture. Il ne comprit pas l’inscription qui devait servir de titre — elle ne ressemblait à aucune langue du monde connu —, mais il parvint à la déchiffrer avec ses dernières trouvailles. Ce fut à cet instant que l’illumination irradia dans son esprit.
On the Tendency of Species to Form Varieties by Means of Natural Selection, or the Perpetuation of Favoured Races in the Struggle for Life
Russel Wallace