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Mon âme funérailleuse me fusille le cerveau sous les assauts des songes sombres lors des nuits de juin, quand la pluie rigole sur les nervures des chênes verts. Le printemps a effacé sous le soleil la tendresse de la verdure. Et mon désir fragile se fissure sous les clapotis, lorsque les flaques gondolent dans l’averse. Mes pensées vacillent à la vue de l’immensité brumeuse le long de la frontière qui jouxte l’inconnu. Là-bas nul ne sait – pas même moi – ce que les sens attendent, si c’est plaisir ou douleur. Mais le malheur rode dans l’écorce, et à chaque bruit je crois que se fendille ma carapace en chêne rouvre, et j’ai peur. J’ai peur de la plaie que me feraient les échardes jaunes-orangées. Je ne sais si dans la plaie pousseront des trèfles, des nénuphars ou des droséras. Et je ne veux que la gangrène me prenne. Mon sang pleurera et à jamais ma peau se craquellera et rouges seront des tatouages pareils aux nervures des feuilles de chêne. L’été est venu et la chaleur humide des marécages augmente ma fièvre. Et le sommeil de mes nuits est troublé par un doux rêve éveillé qui traverse le temps perdu de la sagesse. A l’enfance où je jouais, s’est substitué le règne des angoisses troublantes. C’est nue que je lui fais face, que je leur fais face dans le miroir aux fées endormies. Ma peau pêche s’hérisse sous son regard bleu. Muet. Et je me perds. Je me perds dans les méandres synapseux où je rencontre idées fuyantes et pensées errantes. Alors je songe que l’oubli est douceur et apaisement, sans doute bercé par les ondées qui résonneraient au creux du lac des âmes damnées. Simplement volant comme un nuage volumineux blanc, mon cerveau reposerait enfin. Il bullerait doucement, dans un murmure bleu. Dans l’eau se dilueront les nervules qui prendront racine dans l’argile. Les rhizomes enrouleront le bloc de granit, qui se balancera, fatigué d’un été qui le rongeait sans fin. Petit à petit se désagrège la pierre et l’encéphale se libère, la substance cotonneuse s’assèche, comme une éponge de mer. J’ouvre les yeux. Le ciel est blanc et l’arc-en-ciel annonce l’hiver et le temps des visites au corbeau d’Allan Poe. Ses plumes noires s’allongent dans la nuit et se confondent à mes cheveux pareils aux lianes du lierre. Les ramures s’étendent vers le point du jour, le rêve s’étiole. Il recouvre l’immensité. Le lieu est inconnu, l’atmosphère est liquoreuse. Je sens le miel, mes papilles se délectent. Mes sens se réveillent. Et le plaisir me prend. Mes tatouages s’empourprent à mesure que le sang ruisselle dans mes veines. Il perle et échauffe le corps. Sous le regard des dieux, au bout d’un drap en berne, je cache cette honte révélée au monde céleste. Leur œil transperce ma chair, seul mon cœur bat encore. Doucement, tout doucement. Il chante à la pluie qui dégouline. Les gouttelettes sonnent un cantique qui l’endort petit à petit. Les dieux somnolent au son des notes aquatiques. Ils en oublient l’être qui se meurt. Mon cerveau s’engourdit, mon sang aride laisse les muscles inertes. Je m’endors dans la brume, dans la barque. Je la vois, belle, verte, luxuriante. Mais une main géante jaillit, un buste, des yeux bleus en zoomant d’apaisantes nuées crépusculaires, mon corps lévite. Je m’endors. La barque s’éloigne, sans moi. Elle se fracasse sur l’île. Une voix calme berce ma nuit. Mon cerveau se débat, il ne veut pas, il ne veut pas le printemps. L’hiver et la mer, le froid et le sel, devait le ronger, l’oxyder. La rouille sur mon cœur. Déjà. Là-bas ! Laisse-moi… Mes rêves sont tourmentés. La tempête mélange ma raison, ou toutes déraisons. Je songe en équilibre, j’ai peur que mes pensées me plongent dans cet art qui se pratique souvent au bord des précipices, je vois la falaise. Elle se rapproche. Le vent est sec, violent, et à chaque effort ce sont des claques que reçoit mon esprit. Il lutte en suspens, en apesanteur, au-dessus du vide. Le temps semble plus clément, mais comme en arrêt. Je regarde mon âme grelotter. Je voudrais me jeter sur elle, la rattraper, éviter qu’elle ne tombe, mais je suis pétrifiée. Ne m’attends pas ce soir car la nuit sera noire, le marais ne bullera pas et sans croasser volera le cerveau, le corbeau s’y sera caché. Je pleurerais aux coups de bec qui l’assailliront. La douleur est immense, et pourtant des caresses douces flattent ma peau, des mots doux tentent d’apaiser la tempête qui fait rage en mon crâne. Cet ouragan qui mène toujours un peu plus loin mes pensées brouillées par la nuit et le jour qui alternent sans crier garde. Et la lune qui à jamais veille et veillera, et déteint tout ce qui est trop longtemps exposé à la lumière. Il est fini le temps des laudanum-framboise et les lendemains n’auront plus le goût des fruits, mais les épines feront perler le sang. Un sang dorénavant purifié, sans cette sève qui coulait en lui, apportant plaisir et joie. Joie joie joie. L’écho de ce songe résonne en mon sein comme une devinette en suspens. Est-elle perdue à tout jamais ? Une brise douce et fraiche tente de se frayer un chemin dans la tornade. Son but y est inscrit : dormir. Dormir pour oublier, dormir pour calmer, dormir pour rêver à un paradis disparu, dormir pour rêver à un autre eden possible. Un jour, peut-être, bientôt. Une à une les idées se couchent et se mettent en boules, elles s’apaisent et se mettent à ronronner. Pareilles à la mer bleue et blanche, illuminée, rue de la vieille lanterne l’eau s’écoule. Elle lave toutes les ruelles et les grandes artères. Il est bien loin le temps où mes synapses n’avaient été aussi rutilantes et brillantes. Les vagues vont et viennent, l’écume emplit les chemins et les sentes tordues de mon esprit. Elle mousse et lave, elle mousse et bulle des globes étincelants qui circulent dans les veines de mon corps. Enfin je sombre dans un sommeil moelleux. Enfin cela semble calme. Mes muscles sont des fleurs de coton, s’ouvrant doucement. Progressivement mes sens perçoivent non plus des chaines de cuivre mais une étreinte douillette. Pourtant bientôt la noirceur reprend du terrain. Des labyrinthes obscurs aux fumeux artifices commencent à hanter mes songes cauchemardesques. Peut-être mon corps a été posé, sur un drap blanc. Où est-il ? Voilà à nouveau mon cerveau qui part à vau-l’eau et se débat. Mais il ne se disperse pas, tout s’assombrit plutôt et un nuage gris fer l’étouffe. Il bouche par ci par là le labyrinthe, je cours dans un sens, fait volte-face pour fuir au nord. Chaque fois un cumulus se dresse, et les framboisiers infructueux égratignent la peau chair de poule de mon être. Je rêve de transparence et d’épouvantes mystiques qui m’émerveilleraient. La peur me ferait rire, des clowns grimaceraient et mes nerfs se crisperaient pour sourire. Tout mon sang s’écoulerait, se viderait, pour rendre ma chair légère. Et mon âme se dissiperait en voluptueuse brume nacrée. Vaporeuse elle emplit et cajole mon crâne. Serait-ce l’hiver ? Avec la neige qui s’amoncelle, et s’empourpre. La nuit est longue. Je ne sais plus où je suis, où j’étais, où erre mon esprit. Où Nerval a pendu son linge et sa mémoire peut-être ? Voudrait-ce dire que je suis nue corps et âme ? Mais où est-il ? Il est parti ? Heureusement. Ou non, non. Il a vu mon cœur. Il a fui. Il m’a fui, et pourtant du marais m’a sortie. Je veux y retourner me cacher, au plus profond de la mousse spongieuse humide, les chênes défeuillés me dissimuleraient. Il ne doit pas me voir, et s’il était un démon que les fées endormies ont laissé passer. Cette lucidité nouvelle, transparente comme la pluie perlante sur les nervures des feuilles, me trouble. Mon sang reflue, de la peau aux muscles, à la carotide, au cerveau. Le brouillard se lève, les paupières s’agitent, s’affolent.
L’âme s’envole, s’étiole ou se terre dans les yeux des filles au bout des couloirs blêmes.
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