Le bruit des tam-tams est assourdissant. Surtout la nuit, quand les hommes rejoignent leurs huttes, � c�t� de notre campement. Parfois on entend aussi leurs voix psalmodier par-dessus le bruit des tambours. C�est lugubre, �a me rappelle nos c�r�monies religieuses, � nous Chr�tiens. Je ne crois plus en Dieu, comme beaucoup des hommes et des femmes de mon si�cle. Le XX�me si�cle sera une aire de lumi�res et de grandes avanc�es. Les turbulences r�volutionnaires se taisent et s�amenuisent. La science va chasser les derniers pr�v�ts. Mais notre religion � quelque chose d�unificateur, de collectif et de civilis�. Bapt�mes, messes, communions, confessions, publications des bans , mariages, veill�es mortuaires. Autant de choses qui rythment ma vie, en Europe. Qui rythmaient. Je ne sais pas si je vais revoir un jour l�Europe, les rues pav�es de ma ville, le champ de mon p�re et le doux sourire d�H�l�ne. Je n�ai toujours pas vu mon neveu. �a doit �tre un bel enfant, robuste et t�m�raire comme tous les hommes de la famille. Un bon gars, comme le voudrait ma s�ur.
Le bruit des tambours mart�le la nuit. Les voix des hommes sont graves et profondes et je ne saisis pas leur langue, les incantations, les mots. Peut-�tre veulent-ils attirer le mauvais �il sur nous. Ici, m�me le plus aguerri, le plus rationnel des hommes perdait la raison. Trois de mes compagnons sont tomb�s malades depuis P�ques. Le vieil Auguste en est m�me mort. Je ne l�ai pas vu agonir. Je crois que je pr�f�re �a : me souvenir de lui comme le marin coriace et autoritaire que j�ai connu en embarquant. Le fr�re de notre chef, le Docteur B�ranger, est m�me retourn� en Europe une fois remis de sa fi�vre et de ses tremblements. Mais il avait le regard hagard et n�avait plus rien du scientifique curieux avide de d�cortiquer les us et coutumes des indig�nes. Joseph Tremont est rest� lui, m�me s�il est diminu� physiquement depuis. Les indig�nes l�ont remis sur pieds. Mais quelque chose dans son attitude a chang�. Je ne saurais trop dire quoi. Ici, notre m�decine est impuissante. Ici nul autel o� se recueillir, o� retrouver un peu de foi, un peu d�espoir. M�me une statue de la Vierge Marie me r�conforterait un peu. M�me superficielle, la foi m�aiderait � avancer, � croire que ce bourbier n�est pas la derni�re chose que je verrai.
Le tumulte des tam-tams couvre, certaines nuits le bruit de la for�t, les cris des oiseaux nocturnes, le feulement des pr�dateurs, le chant sauvage des hommes et des femmes. Je ne sais pas ce qui est le pire. La proximit� de cette nature sauvage, indisciplin�e et authentique que le vacarme et l�animation des journ�es couvrent ? Ou le martellement des tambours qui se confond parfois avec mes propres battements de c�urs ? Nos alli�s, nos amis indig�nes, ? Ceux que nous devons civiliser m�effraient davantage dans ces moment-l�. Je les imagine alors le visage couvert de peinture, avec leurs colliers d�os d�animaux, leurs habits de peaux de b�tes, appelant � eux quelques-unes de leurs obscures divinit�s. Pour nous chasser de leurs terres, de ce pays et peut �tre m�me nous tuer. Nous rendre malades ou pire, invalides comme Joseph. Leurs visages sombres et �minc�s doivent �tre effrayants, aux lueurs des flammes, tels les gargouilles des �glises qui m�effrayaient tant enfant. M�me les femmes m�angoissent, avec leurs colliers tribaux, leurs regards farouches, leurs visages rachitiques � la lumi�re du feu. O� sont les autochtones pulpeuses, beaut�s fatales ? O� sont les bons sauvages ? O� est l�exotisme de la d�couverte, de l�aventure et du voyage ? Moi, je ne vois rien de tout cela depuis que nous avons quitt� le dernier port civilis�, plus haut sur le fleuve.
Je veux rentrer chez moi.
Je veux revoir l�Europe, la mer, un port digne de ce nom o� raisonnent les chants des marins ivres. Je veux revoir la civilisation, les lampes � gaz des villes, �couter le bruit des grillons du village de mon p�re la nuit. Retrouver le sourire rassurant de ma s�ur, ses fossettes, ses yeux clairs et tenir la main joufflue de mon neveu que je ne peux qu�imaginer. Je ne veux plus des chim�res de mes r�ves d�aventures et de voyages.
Tout est �touffant ici, jusqu�� la moindre plante, jusqu�au moindre arbre. La nature � tous droits , nous sommes ses proies. Les indig�nes s�en m�fient aussi. La nuit, ils restent au campement et le jour, ils s��loignent rarement seuls depuis que le chef leur a interdit d��tre arm�s. La chaleur rend les nuits moites. Les moustiques bourdonnent � nos oreilles, avides de sang frais. La for�t est trop vivante, trop proche, trop palpable. M�me les journ�es sont asphyxiantes, arides. La lumi�re est trop vive sur les rives et l�ombre des arbres ne m�am�ne pas de repos. Je crois qu�il n�y a que sur le bateau � vapeur que je trouve un peu de paix, parce qu�il m�arrache � cet enfer de verdure.
M�me l�eau du fleuve n�est pas aussi pure, aussi belle que dans mes r�ves de conqu�te et d�aventure. Souvent, nous mena�ons d�heurter un obstacle dans l�eau. La brume matinales des journ�es de grosses chaleurs me semble imp�n�trable et nous entoure de silence. Comme si m�me la nature environnante s�en sentait menac�e et se taisait, se tapissait en attendant que �a passe
Je veux rentrer chez moi. J�ai le mal du pays. Je voyais la conqu�te du Congo plus glorieuse, je nous voyais comme des Cortez triomphants. Je nous voyais apporter la civilisation, le progr�s ? Ici, nous nous enlisons. Ici, nous n�apportons rien et devons beaucoup aux indig�nes.
Je veux rentrer chez moi. J�ai le mal du pays. Je voyais la conqu�te du Congo plus glorieuse, je nous voyais comme des Cortez triomphants. Je nous voyais apporter la civilisation, le progr�s ? Ici, nous nous enlisons. Ici, nous n�apportons rien et devons beaucoup aux indig�nes.
Le bruit des tambours est assourdissant. Je crois que j�ai de la fi�vre � mon tour. Je crois que je deviens fou. Vais-je finir comme Joseph Tremont, infirme ? Ou aurais-je la chance du Docteur B�ranger. J�ai peur de mourir ici. Je ne veux pas succomber ici, de quelque fi�vre terrassante, seul et oubli�. Je crois que, depuis longtemps, j�ai besoin de croire � un Dieu bienfaiteur, � un protecteur, � un guide.
Je suis perdu et je n�ai plus de rep�res. Pour qui et pourquoi suis-je l� ?
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Notes :
Ceci est un essai sur la colonisation du Congo, que j’ai pu re- découvrir avec Joseph Conrad. Je ne m’attaque pas à une critique même de la colonisation, de l’exploitation humaine et des richesses ou encore de la prétendue mission évangélique des Européens. Sinon, autant vous donner la liste des textes et ouvrages que j’ai pu voir à la fac et plus réçément le « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad. Je ne sais pas comment qualifier ce texte, il a été assez spontané et le flou sur le « je » est volontaire.
Sur ce, je remercie ma bêta Bibi2 et vous invite à commenter le texte si vous passez par là…
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Notes d'auteur :
Ceci est un essai sur la colonisation du Congo, que j’ai pu re- découvrir avec Joseph Conrad. Je ne m’attaque pas à une critique même de la colonisation, de l’exploitation humaine et des richesses ou encore de la prétendue mission évangélique des Européens. Sinon, autant vous donner la liste des textes et ouvrages que j’ai pu voir à la fac et plus réçément le « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad. Je ne sais pas comment qualifier ce texte, il a été assez spontané et le flou sur le « je » est volontaire.
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Note de fin de chapitre:
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